Intervention de Virginie Klès

Réunion du 21 janvier 2014 à 14h30
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de cette proposition de loi, dont je remercie notre collègue Catherine Tasca d’avoir pris l’initiative. Je la félicite également d’être parvenue à inscrire l’examen de ce texte à l’ordre du jour de cette séance. Les dispositions qu’il contient ont déjà été abondamment évoquées et semblent faire largement consensus.

Il m’a donc paru plus important de faire le point sur le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de se remémorer les raisons pour lesquelles nous avons institué cette autorité indépendante et pourquoi il est aujourd’hui nécessaire de modifier la loi de 2007. La survie de cette institution l’exige, parce que son contrôle s’exerce dans ce que l’on définit comme des lieux de privation de liberté ; ce sont des mots, mais les mots ont leur importance.

La devise de la République est : « liberté, égalité, fraternité ». Certains vivent pourtant, sur décision d'une autorité publique, dans des lieux où ils sont privés de liberté, quelles que soient les raisons pour lesquelles ils y ont été placés.

On ne peut pas évoquer le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sans réfléchir aux conditions matérielles de la vie quotidienne et à la nécessité d’assurer la sécurité dans ces lieux, qui engendrent des contraintes et des tensions dans les relations sociales, qui brouillent les repères et le positionnement des individus les uns par rapport aux autres.

Dans ces endroits de privation de liberté, que ce soient des lieux de détention ou de garde à vue, des centres de rétention ou des hôpitaux psychiatriques, il y a ceux qui ont l’autorité, le savoir et le pouvoir, et les autres. Les relations y sont donc nécessairement tout à fait différentes de celles que nous connaissons dans la vie de tous les jours, lesquelles s’inscrivent dans un contexte de liberté, d’égalité et de fraternité.

C’est bien pour cette raison qu’il est primordial qu’un contrôle indépendant et objectif puisse s’exercer dans ces lieux de privation de liberté, afin qu’y soient respectés a minima les droits fondamentaux des individus, aussi bien ceux qui y sont retenus par décision de l’autorité publique que ceux qui y travaillent, par obligation ou par vocation, un certain nombre d’heures par jour et de jours par semaine.

On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnels entre eux, selon leur niveau hiérarchique.

On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnes retenues ou détenues entre elles, et la hiérarchie qui va nécessairement en découler dans un monde qui ne correspond pas à celui dans lequel elles ont jusque-là évolué et dont elles ne comprennent souvent ni l’ordre, ni le règlement, ni la loi.

On ne peut pas ignorer non plus, bien évidemment, les relations entre ceux qui ont le pouvoir, le savoir et l’autorité et ceux qui ne les ont plus.

Dans ces lieux – l’actualité est malheureusement là pour nous le rappeler de temps à autre –, on peut être confronté à la violence la plus extrême, à la résignation, à l’indifférence totale, y compris à l’égard de son propre sort, à la révolte, à l’injustice ou au sentiment d’injustice. On y côtoie le pire et le meilleur de ce dont l’homme est capable, sous une forme concentrée, enfermée, nécessairement explosive à certains moments.

Je profite de cette occasion pour évoquer un point abordé par le Contrôleur général lui-même lors de son audition en vue d’établir l’avis budgétaire relatif aux droits et libertés publics : quand il reçoit une lettre d’un individu désespéré, humilié ou « au bout du rouleau », pour quelque raison que ce soit, il doit absolument y répondre rapidement pour lui montrer qu’une personne l’a entendu et va s’occuper de son cas ; sinon la situation deviendra de plus en plus explosive.

Le taux de suicide élevé dans les prisons françaises, les nombreuses révoltes qui y ont lieu et le mal-être de certains surveillants le montrent bien, il faut absolument garantir un minimum de liberté, d’égalité et de fraternité dans ces lieux de privation de liberté.

Pour cette raison, il est important que le Contrôleur général dispose des moyens d’exercer sa mission, d’apporter des réponses rapides et de se déplacer. Il faut également aider l’administration pénitentiaire et celle de la santé, ainsi que les hommes et les femmes qui, pour une période plus ou moins longue, travaillent dans ces lieux de privation de liberté, à faire régner, dans la mesure du possible, la paix et la sérénité, pour la sécurité de tous.

C’est pour cela que le Sénat a voté à l’unanimité, en 2007, une loi instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et qu’il est aujourd’hui important de modifier cette loi, non pas pour le Contrôleur général en tant que personne, mais pour l’institution qu’il représente.

En effet, depuis sa nomination en 2007, c’est un homme d’exception – nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, sur ce point – qui a assumé cette fonction.

Cet homme d’exception a créé son rôle et mis en place l’institution ; il a constitué autour de lui une équipe de contrôleurs qui ont adopté ses valeurs et ses méthodes. Alors qu’il arrive aujourd'hui au terme de son mandat, cette institution doit rester une institution d’exception. Il est donc primordial d’inscrire dans la loi le mode de fonctionnement qu’il a institué et qui a été accepté par toutes les administrations ayant fait l’objet de ses contrôles. Il faut prendre acte des avancées qu’il demande, notamment en matière de secret médical, pour mieux protéger les personnes concernées.

Il est important aujourd’hui d’avancer et de pérenniser l’institution telle qu’elle existe et fonctionne, parce qu’elle donne satisfaction, ainsi que de soutenir l’administration pénitentiaire dans les efforts qu’elle fait.

Ces efforts, c'est elle-même qui les a produits dans un premier temps, mais ils sont aussi le résultat des remarques et des rapports, toujours contradictoires, dressés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils permettront à cette administration de mieux fonctionner et d’apporter de l’humanité dans ces endroits de déshumanisation que sont les lieux de privation de liberté.

C’est reconnaître la valeur de l’immense majorité des personnels de l’administration pénitentiaire, des médecins et autres intervenants dans les hôpitaux psychiatriques, des agents de sécurité, des officiers de police judiciaire – gendarmerie et police nationale – que de continuer à les aider.

Qui pourrait prétendre aujourd’hui connaître absolument tout ce qui se passe dans son administration, y compris les exceptions, les dérogations au droit, les vexations, les humiliations ? Celles-ci existent dans tous les services, mais elles sont d’autant plus cachées et destructrices qu’elles se déroulent dans des lieux de privation de liberté !

Il s’agit non pas de jeter l’opprobre sur tous, mais simplement de continuer à aider l’administration à progresser, à corriger ses dysfonctionnements, à être plus humaine, pour instaurer davantage de sérénité dans les lieux de privation de liberté.

Pour toutes ces raisons, l’ensemble du groupe socialiste suivra Mme la rapporteur. Nous tenons à remercier une nouvelle fois Catherine Tasca de l’immense travail qu’elle a accompli. §

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