Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 21 janvier 2014 à 14h30
Simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Toutefois, cette question, qui donne matière à des discussions passionnantes, restera un sujet d’étude pour l’université. Il ne s’agira plus de droit positif, mais d’histoire du droit.

Cette procédure, qui ne trouve à s’appliquer que cent vingt fois par an, a été supplantée par le référé, même si cela reste très « chic » d’avoir recours à l’action possessoire. Les professeurs, de même que les parlementaires qui donnent des cours, pourront continuer à gourmander leurs étudiants ou à faire des démonstrations juridiques. Ce plaisir perdurera, mais non l’action possessoire.

Vous avez exprimé quelques réticences sur la prescription acquisitive, que j’avoue partager et que j’ai moi-même exprimées lors de nos séances de travail. Il nous faudra approfondir la question, car nous voyons bien que certaines difficultés récurrentes demeurent pour établir la preuve de la propriété dans un certain nombre de territoires – je pense à la Corse ou aux outre-mer. Le sujet n’est sans doute pas suffisamment mûr. Je comprends donc parfaitement que vous ayez souhaité supprimer ces dispositions.

Le projet de loi vise également à réformer le Tribunal des conflits. Cette juridiction particulière est chargée de trancher les conflits pouvant apparaître entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. Il s’agit d’une institution ancienne. Instaurée par la Constitution de 1848, elle n’a vraiment pris corps qu’avec la loi du 24 mai 1872. Le fondement de notre dualité juridictionnelle, quant à lui, a été posé par les lois des 16 et 24 août 1790 relatives à l’organisation judiciaire, ainsi que par le décret du 16 fructidor an III.

Le fait que le Tribunal des conflits soit présidé par le garde des sceaux m’a quelque peu préoccupée. J’ai donc demandé à l’ancien vice-président du Tribunal, Jean-Louis Gallet – j’ai procédé hier à l’installation du Tribunal des conflits, dont le nouveau vice-président est M. Arrighi de Casanova –, de présider une mission dont le rapport, d’excellente qualité, m’a été remis en octobre dernier.

Nous avons repris l’essentiel des propositions qu’il contient. La lettre de mission, conformément à mon intention de départ, demandait que soit étudiée la question de la présidence du garde des sceaux. À mes yeux, cette situation laisse craindre une confusion des pouvoirs, même théorique, voire une ingérence de l’exécutif, même virtuelle.

Le garde des sceaux a un pouvoir de départage en cas d’égalité entre les juges. Le dernier départage, effectué par Jacques Toubon, remonte à 1997 dans une affaire de voie de fait. Il n’y a pas lieu de maintenir ce qui apparaît comme un archaïsme. Le rapport fait une préconisation tout à fait intéressante que le projet de loi reprend.

J’ai demandé à ce que la réflexion aille plus loin et que l’on cherche à moderniser cette juridiction. Elle a d’ailleurs su le faire elle-même à travers sa jurisprudence sur des concepts classiques tels que l’emprise ou la voie de fait, ou encore l’actualisation du fameux arrêt Septfonds de 1923 à l’aune du droit communautaire. Le Tribunal des conflits a donc produit une jurisprudence en action, comme disait le doyen Carbonnier, et modernisé notre droit administratif.

Le projet de loi reprend l’ensemble de ces dispositions. Nous en débattrons plus précisément lorsque je vous présenterai un amendement visant à ce que cette réforme du Tribunal des conflits revête la forme d’une loi à part entière et ne s’effectue pas au détour d’une loi d’habilitation.

Je voudrais évoquer rapidement la question de la communication électronique en matière de procédure pénale. Nous commençons à moderniser le ministère de la justice et disposons d’un budget numérique 2013-2014 important.

Si nous avons amélioré la correspondance numérique avec les professionnels du droit, ce n’est pas encore le cas avec les justiciables : conformément au code de procédure pénale, les convocations se font par courrier recommandé avec accusé de réception. Le montant du budget de frais de justice s’élève ainsi à 58 millions d’euros, alors que 80 % de ces lettres ne sont pas retirées par leurs destinataires. Nos concitoyens ouvrent plus facilement leur messagerie électronique qu’ils ne se rendent au bureau de poste ! Nous vous proposerons donc d’autoriser la mise en place de la communication électronique.

Plusieurs dispositions de ce texte gouvernemental concernent l’administration territoriale. Ainsi, par exemple, nous supprimons la transmission obligatoire au préfet de tous les actes budgétaires des établissements publics d’éducation. Je crois qu’il s’agit d’une mesure utile.

Nous modifions également la représentation de l’État devant les juridictions judiciaires en matière de contentieux d’accidents scolaires, ainsi que le droit funéraire en allégeant la participation des fonctionnaires de la police nationale à la surveillance des opérations funéraires.

Nous supprimons l’avis conforme obligatoire du conseil municipal sur certaines délibérations des CCAS, les centres communaux d’action sociale, de même qu’une disposition obsolète sur le régime des voitures de petite remise, en voie d’extinction.

Nous permettons enfin aux automobilistes d’accéder par voie électronique à leur relevé de points du permis de conduire.

Votre commission a refusé une disposition qui nous paraît extrêmement importante en matière de substitution de régimes de déclaration à certains régimes d’autorisation. Nous sommes pourtant engagés dans un processus de recensement de l’ensemble des régimes d’autorisation, dont certains peuvent, sans préjudice ni de l’administration ni des usagers, être remplacés par des régimes de déclaration. Cela s’inscrit dans la logique de la réforme que nous mettons en place, selon laquelle le silence vaut accord. Votre commission des lois semble réticente à cette disposition. Nous espérons cependant pouvoir avancer sur ce point.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà l’essentiel des mesures du projet de loi. J’espère que la discussion de mon amendement sur le droit des contrats et le régime des obligations sera l’occasion d’un débat de fond nous permettant de comprendre la nature des réticences des sénateurs sur cette modernisation.

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