… a présenté devant l’assemblée de l’époque son projet de code civil, que vous avez évoqué avec éloquence, il a dit ceci : « Le plan que nous avons tracé de ces institutions remplira-t-il le but que nous nous sommes proposé ? Nous demandons quelque indulgence pour nos faibles travaux, en faveur du zèle qui les a soutenus et encouragés. Nous resterons au-dessous, sans doute, des espérances honorables que l’on avait conçues [du résultat] de notre mission : mais ce qui nous console, c’est que nos erreurs ne sont point irréparables ; une discussion solennelle, une discussion éclairée les réparera. »
En présentant ce projet de code civil, qui aura la postérité que nous savons, voilà que Portalis parle avec une infinie modestie et indique que le texte, pour atteindre le statut qui doit être le sien, a besoin du travail du Parlement, ce travail auquel nous tenons tant.
Le doyen Carbonnier, quant à lui, a parlé du code civil comme de la « Constitution civile de la France ». C’est dire l’importance de ce texte.
Je pourrais en citer d’autres ; il en est tant. Je me permettrai simplement de me référer à un ami qui m’était cher, avec qui j’ai eu l’occasion de cheminer pendant quelques décennies : Guy Carcassonne. Dans son ouvrage commenté de laConstitution, il écrit en 2004 : « Décidément, pour faire de bonnes lois, on n’a pas encore inventé mieux que le Parlement. Les ordonnances, en effet, sont exactement comme des projets de loi qui deviendraient directement des lois. Ce sont généralement des textes défectueux, dont les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce innocemment, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle utilement. Elles sont donc à n’utiliser qu’avec modération. »
Si Guy Carcassonne était là – peut-être est-il parmi nous par la force de l’esprit –, je lui dirais que, dans cette citation, il n’a pas été sympathique à l’égard des chefs de bureau, pour lesquels nous avons tous un très grand respect… Reste qu’il faut aborder clairement la question qui est sous-jacente. Je crois que, bien souvent, au sein du pouvoir exécutif, certains soirs, la fatigue ou le harassement aidant, on arrive à considérer que passer devant le Parlement finit par être une contrainte. Cela irait tellement plus vite, ce serait tellement plus simple si l’on ne devait pas, de jour en jour, de nuit en nuit, de commission en séance publique, de navette en commission mixte paritaire, venir devant le Parlement…
La procédure des ordonnances a été inventée pour traiter de sujets qui requièrent assurément des procédures rapides, plus simples. Il est bien que cela existe. Mais lorsque de grands sujets du code civil que sont le droit des contrats et le régime des obligations sont en cause – M. le rapporteur a rappelé combien ces matières étaient complexes et le fait que des problèmes devaient être tranchés, même si vous avez rédigé un avant-projet d’ordonnance –, le travail du Parlement est irremplaçable. Il faut le dire et le répéter !
La commission des lois a décidé de faire une réunion sur l’écriture de la loi. Vous connaissez bien ce travail, madame la garde des sceaux, que ce soit hier comme parlementaire ou aujourd'hui comme ministre, dans lequel vous excellez. C’est un travail lent, laborieux, mais tellement intéressant. Il consiste à passer au tamis de tous les amendements venant de tous les groupes toute ligne du texte.
La République a voulu que la loi fût écrite non pas par des juristes, si brillants et si compétents soient-ils, mais par les représentants de la nation. C’est un processus au sein duquel tous les groupes s’expriment. Chaque parlementaire intervient dans le feu du débat et, de débat en débat, on arrive peu à peu à écrire un texte, poli et repoli au fil des navettes ; c’est pourquoi nous n’aimons pas la procédure accélérée. De cette manière, s’ébauche peu à peu, puis se perfectionne cette loi dont tous les mots, toutes les lignes, tous les alinéas s’appliqueront à l’ensemble du peuple français, souvent pour des décennies, voire des siècles ; dois-je évoquer à nouveau Portalis et le code civil ?
Si je suis monté à cette tribune, c’est tout simplement pour soutenir les propos de notre rapporteur, prendre acte du fait que, ce que je dis ici, vous le saviez déjà – d’une certaine manière, votre discours en témoigne – et vous faire une proposition concrète dont nous avons parlé en commission.
Voyez-vous, la dernière réforme constitutionnelle a prévu qu’une semaine de séance sur quatre serait désormais consacrée au contrôle parlementaire.