Intervention de Jean-Claude Carle

Réunion du 21 janvier 2014 à 21h00
Liberté de choix des maires quant à l'organisation des rythmes scolaires — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est malheureusement devenu banal de pointer les performances médiocres de notre système scolaire. Les enquêtes internationales comme PIRLS et PISA, encore contestées il y a peu au nom de la préservation du modèle français, sont désormais incontournables.

Pour répondre à la crise de l’école, fallait-il, monsieur le ministre, commencer par les rythmes scolaires ? Fallait-il concentrer le débat public sur l’organisation d’activités périscolaires sous la responsabilité des communes ? Fallait-il mobiliser tant d’énergie pour une modification très partielle du temps scolaire, qui laisse de côté à la fois le second degré et les vacances ? Je ne le pense pas.

Quel bénéfice tirer d’une réforme qui ne module pas le temps scolaire en fonction de l’âge des enfants et des contraintes locales ou géographiques ? Quel bienfait pédagogique espérer d’une réforme administrative qui ne touche pas aux pratiques des enseignants ?

Changer des cases horaires ne suffira pas, vous en conviendrez, à améliorer les compétences en mathématiques et en français des écoliers.

Nous pouvons nous accorder sur la nécessité d’une réorganisation globale et concertée du temps scolaire. J’ai critiqué en son temps la semaine de quatre jours et le paradoxe français qui conjugue l’année la plus courte et la journée la plus chargée. Ce constat ne nous oblige en rien à accepter une réforme, aussi bien intentionnée soit-elle. La réforme lancée par le Gouvernement est un cas d’école, qui illustre parfaitement le mode de fonctionnement pyramidal et rigide du ministère de l’éducation nationale.

Aucune évaluation préalable des effets potentiels de la réforme n’a été menée. Aucune estimation de son impact sur les performances scolaires n’est disponible. Aucune enquête n’a été menée auprès des maires pour les associer à la conception de la réforme.

Le décret du 26 janvier 2013 impose un cadre unique qui s’applique de façon presque uniforme sur tout le territoire. Cependant, ce texte est interprété de façon très diverse par les DASEN, les directeurs académiques des services de l'éducation nationale, qui ne suivent pas toujours l’évolution des déclarations du Gouvernement. Sur le terrain, il n’est pas rare de voir certains DASEN ou inspecteurs de circonscription retenir des interprétations très restrictives des textes, ou imposer des obligations supplémentaires, par exemple en termes de transmission anticipée des projets éducatifs.

Les maires n’appréhendent que très difficilement leurs marges de manœuvre en ce qui concerne les possibilités de dérogation, telles que le recours au samedi matin ou l’écriture des projets éducatifs territoriaux. Certains DASEN poussent à l’adoption d’un modèle d’organisation unique dans tout leur département.

Monsieur le ministre, je me permettrai de vous en donner deux exemples, tirés de la situation de mon département.

Premièrement, quatre communes de montagne souhaitent conserver les huit mercredis du deuxième trimestre pour que les enfants puissent pratiquer le ski. Cette discipline permettra peut-être à certains d’entre eux d’être les champions de demain, à d’autres d’en faire leur métier. Tous les acteurs – les enseignants, les parents, les élus – se sont accordés pour faire leur rentrée une semaine plus tôt en août afin de rattraper ces huit mercredis. À l’heure actuelle, ils se sont vu refuser ce projet. Tout comme moi, ils vous ont alerté, monsieur le ministre.

Deuxièmement, trois communes, qui ont mutualisé leurs moyens, souhaitent que le temps périscolaire soit organisé autour de deux séances d’une heure et demie. Ce temps pourrait être prolongé dans le cadre associatif. Là encore, les acteurs locaux sont tous d’accord, mais ils se voient opposer des raisons d’organisation administrative. De ce fait, ces trois communes seraient contraintes de faire de la simple garderie. Où est donc l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est dans toutes les bouches ?

De plus, les possibilités de recrutement d’animateurs, l’évolution du taux d’encadrement des activités périscolaires ou encore les contributions des caisses d’allocations familiales demeurent incertaines. Des réponses ambiguës, voire contradictoires, leur ont été adressées selon les temps et selon les interlocuteurs. Le défaut d’articulation entre les services sociaux et l’éducation nationale n’a pas contribué à clarifier la situation.

C’est pourquoi peu de maires se sont engagés dès 2013. Pour l’année scolaire 2013-2014, quelque 3 991 communes, sur 23 000 environ disposant d’une école, sont passées aux nouveaux rythmes. Cela représente 1, 3 million d’élèves, soit 22, 2 % de l’effectif total du secteur public. Seules 35 des 150 communes les plus importantes ont choisi d’appliquer la réforme dès 2013.

L’organisation des temps scolaires relève du caractère propre des établissements privés, dont 6 % seulement sont passés aux nouveaux rythmes cette année. Faut-il donc donner moins de pouvoir et de responsabilité au maire sur l’école publique que n’en dispose un chef d’établissement d’une école privée ?

Les réticences de la plupart des maires à l’égard de la réforme ne viennent pas de leur prétendue indifférence au bien-être des élèves. Le président de l’Association des maires ruraux l’a confirmé lors d’une audition : tous les maires savent que la transmission du savoir est le meilleur investissement que la nation puisse faire. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est qu’ils ne peuvent pas. Leurs réticences sonnent plutôt comme une protestation contre le refus du ministère de les traiter comme des partenaires éducatifs responsables et autonomes. Surtout, elles reflètent d’importantes difficultés matérielles et financières, qui attendent une réponse.

D’après l’enquête réalisée à l’automne 2013 par l’association des maires de France, ou AMF, 77 % des communes passées aux nouveaux rythmes s’inquiètent du financement de la réforme. Il s’agit de l’une des faiblesses structurelles essentielles de la réforme. Son financement est à la fois insuffisant, incertain, et éphémère.

La loi de refondation de l’école de la République a institué un fonds d’amorçage en faveur des communes mettant en œuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2013. Trois questions au moins se posent sur les aides d’amorçage : le mode de calcul de leur montant, le bouclage de leur financement jusqu’en 2015, leur pérennisation au-delà.

Le montant des aides n’a fait l’objet d’aucune estimation préalable du coût prévisionnel des activités périscolaires complémentaires. Il n’a fait l’objet d’aucune enquête d’intention auprès des maires. Il ne tient pas compte du coût du transport scolaire. Le montant des aides a été calculé par répartition d’une enveloppe globale, fixée à l’avance et ne reposant sur aucune justification. C’est pourquoi les aides sont forfaitaires et ne constituent pas une compensation des surcoûts supportés par les communes.

Dès lors, il n’est pas surprenant de constater dans de nombreuses communes des coûts de mise en œuvre dépassant largement le montant maximal des aides octroyées par le fonds d’amorçage et par les caisses d’allocations familiales, ou CAF.

Malgré un sous-dimensionnement du fonds, qui ne permet pas une compensation adéquate pour les communes, le financement de la réforme demeure incertain. Pour 2014, quelque 102, 7 millions d’euros ont été inscrits dans la loi de finances, dont 62 millions d’euros issus de la Caisse nationale des allocations familiales, ou CNAF. Cette contribution exceptionnelle de la CNAF, qui n’avait été aucunement prévue à l’origine, s’ajoute aux aides qu’elle verse directement aux communes pour soutenir l’accueil périscolaire. Il ne s’agit en rien d’un financement pérenne du fonds d’amorçage, qui a vocation à être supporté par l’État.

Pour 2015, le financement est entièrement ouvert. Il faudra trouver 286 millions d’euros pour cette seule année, alors même que le budget de l’éducation nationale absorbe déjà de nombreuses créations de postes d’enseignants.

Si la réforme est maintenue en l’état, ce problème de financement deviendra d’autant plus pressant que les aides seront définitivement pérennisées au-delà de 2015. C’est ce que demande très légitimement l’AMF, puisque les coûts de la réforme ne sont pas transitoires, mais représentent au contraire des charges permanentes.

S’il n’y avait pas de pérennisation des aides, les communes devraient trouver des ressources nouvelles après 2015 pour maintenir la qualité des activités scolaires. Elles seraient confrontées à un dilemme : soit demander une contribution financière aux parents, soit augmenter la fiscalité locale.

Pour apporter rapidement une réponse souple aux difficultés des communes, il faut remettre à plat la réforme dans son principe. Il est temps de passer de la contrainte au libre choix, de la circulaire au contrat, au dialogue et au partenariat. La proposition de loi déposée par M. Jean-Claude Gaudin et les membres du groupe UMP, qui est soumise à notre examen, offre une solution souple et pragmatique pour sortir de l’ornière.

Elle renforce les pouvoirs du maire, qui sont aujourd’hui purement dérogatoires aux décisions d’organisation de la journée et de la semaine scolaire prises par le DASEN. À cette fin, elle complète l’article L. 521-3 du code de l’éducation pour donner aux maires la liberté d’organiser le temps scolaire des écoles maternelles et élémentaires publiques.

Des limites au pouvoir du maire sont posées afin de garantir le respect des programmes et du calendrier scolaire annuel, fixé par le ministre de l’éducation nationale. Ces garde-fous sont nécessaires pour maintenir un cadre pédagogique commun à toutes les écoles.

La proposition de loi prévoit également une consultation préalable des conseils d’écoles, des professeurs des écoles, des représentants des parents d’élèves, du DASEN et des inspecteurs de l’éducation nationale, les IEN, concernés. Il s’agit ainsi d’impulser un changement de méthode. Il faut privilégier les coopérations horizontales entre tous les acteurs et l’adaptation la plus fine aux circonstances locales.

Enfin, la proposition de loi pose le principe d’une compensation intégrale par l’État des charges imposées aux communes par toute modification des rythmes scolaires par voie réglementaire.

On pourrait objecter que cette initiative parlementaire intervient trop tôt et qu’il vaut mieux attendre les conclusions et les recommandations de la mission commune d’information du Sénat sur ce sujet. Je pense au contraire que la proposition de loi est déposée juste à temps pour sortir de l’ornière – je dis bien de l’ornière, et non de l’impasse, car il n’est pas question de faire demi-tour ; il faut au contraire avancer !

Même si elle n’a pas achevé ses travaux, la mission a commencé à travailler dès le mois de novembre dernier. Les auditions se sont succédé à un rythme rapide. Je veux saluer la présidente, Mme Catherine Troendlé, et la rapporteur, Mme Françoise Cartron, pour leur travail rigoureux et transparent.

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