Lorsqu'on analyse la liste des membres de ces associations, on y trouve parfois des riverains ou des propriétaires de résidences secondaires qui espèrent pouvoir jouir du littoral en toute tranquillité et bénéficier de la valeur foncière que leur procure la rareté de leur bien. Il n'est pas question de faire l'amalgame avec les autres associations de protection de l'environnement, dont l'utilité sociale est avérée, qui ont une attitude tout-à-fait responsable et des services juridiques de grande qualité, comme nous l'avons constaté au cours de nos échanges. J'ai été agréablement surpris, au cours des auditions, par le discours extrêmement constructif et pertinent de France Nature Environnement (FNE), qui nous a prodigué de nombreux conseils. Cela contraste fortement avec l'attitude négative de Manche Nature Environnement dans mon département.
Comment en est-on arrivé là ? L'application de la loi Littoral n'a pas été à la hauteur des espérances, pour des raisons plus sociologiques que juridiques.
Les ambiguïtés dans l'attitude de l'administration ont longtemps nuit à la mise en oeuvre sereine de la loi Littoral. L'administration ne fait fondamentalement pas confiance aux élus locaux pour l'exercice de leur compétence d'urbanisme sur le littoral, qui est rappelons-le, une compétence décentralisée depuis 1983. Depuis le début, elle utilise ses prérogatives pour être le véritable meneur de jeu. Le « porter à connaissance » sert ainsi de prétexte pour imposer aux élus une certaine lecture de la loi. Cette lecture est d'ailleurs souvent restrictive, car l'administration craint le contentieux. En outre, la doctrine administrative d'application de la loi Littoral fluctue au rythme des directeurs départementaux des territoires et de la mer (DDTM), ce qui place les élus dans une incertitude totale.
Parallèlement à cette attitude dirigiste, l'administration a fait preuve d'une absence remarquable en matière de décrets d'application. Il aura fallu attendre dix-huit ans pour que les décrets les plus importants, concernant notamment le champ d'application de la loi, soient enfin adoptés, après une injonction sous astreinte du Conseil d'État. D'autres décrets, comme celui sur les rus et les étiers, sont toujours en attente. Je ne parle même pas des rapports du Gouvernement au Parlement, qui n'ont presque jamais été remis, alors que la loi exigeait au départ un rapport annuel sur sa mise en oeuvre.
Le climat s'est un peu apaisé depuis le milieu des années 2000. L'administration fait preuve d'une attitude plus constructive et s'engage dans des démarches de partenariat et d'accompagnement des collectivités. Mais le constat sur le fond ne change guère. L'administration reste convaincue que les élus locaux sont responsables de la mauvaise application de la loi, et refuse de leur faire confiance. Elle prétend aujourd'hui résoudre toutes les difficultés de cette loi grâce aux SCoT et à quelques démarches d'accompagnement. Mais c'est sans compter sur la fiabilité déclinante des services d'ingénierie de l'État et le succès mitigé des SCoT sur le littoral.
Nous attendons donc que l'administration soit capable de clarifier sa propre doctrine d'application, ce qui serait un progrès considérable. Une circulaire est prévue en ce sens pour 2014, espérons qu'elle ne connaisse pas le même sort que la précédente de 2006, qui n'a jamais été correctement mise en oeuvre.
Dans ce contexte institutionnel tendu, les collectivités elles-mêmes n'ont pas toujours joué le jeu de la planification, il faut le reconnaître. Certaines se sont au contraire empressées, au début des années 1990, d'adopter des POS illégaux et mal contrôlés, pour figer les droits de constructibilité. Les élus d'aujourd'hui estiment difficile de remettre en cause des droits considérés comme acquis par leurs concitoyens, avec toutes les conséquences financières et humaines que cela pourrait entraîner. Ce phénomène de POS « dormeurs » devrait néanmoins s'éteindre de lui-même avec l'entrée en vigueur du projet de loi ALUR.
Mais le vrai problème de la loi Littoral est bien son absence de territorialisation, faute d'une planification suffisante et d'une doctrine administrative claire. Depuis près de trente ans, il appartient en pratique au juge administratif de combler cette lacune, en livrant sa propre interprétation de la loi. Il fait ainsi presque systématiquement prévaloir la protection de l'environnement sur toute autre considération de développement local, et s'écarte très largement de la volonté initiale du législateur. Ce n'est pas notre façon de fonctionner en France.
Que faire ? Étant donnés les enjeux, nous avons considéré avec une extrême précaution la question du « toilettage » des notions juridiques de la loi Littoral. Il faut bien avoir à l'esprit que la moindre modification d'une disposition peut avoir des répercussions considérables sur la valeur du foncier, et générer des déséquilibres financiers difficiles à anticiper. Dans l'ensemble, il ne nous a pas paru utile de revenir sur les grands concepts de la loi, à une époque où la jurisprudence commence enfin à se stabiliser. Nous regardons même avec un oeil circonspect la multiplication des petites dérogations ponctuelles qui sont égrenées au fil du temps, la dernière en date étant celle de la loi Brottes de 2013 concernant les ouvrages de raccordement pour les énergies marines. Souvent adoptées par voie d'amendements parlementaires, sans étude d'impact ni expérimentation préalable, ces dérogations ont généré plus de problèmes qu'elles n'en ont résolus.
Nous proposons une seule mesure d'assouplissement. Il s'agit d'autoriser la densification des hameaux par comblement des dents creuses. Il est en effet peu compréhensible que la loi permette de construire des hameaux nouveaux, intégrés à l'environnement, tout en interdisant de boucher les trous dans les hameaux existants. A l'heure où l'on souhaite lutter contre l'artificialisation des sols et la consommation des espaces agricoles, ce signal est irrationnel et désastreux. L'amendement que nous vous proposons a d'ailleurs déjà été voté à l'unanimité par notre commission à l'occasion de l'examen du projet de loi ALUR. L'administration s'y oppose, au nom du dispositif anti-mitage et des risques de dérive. Mais il ne s'agit pas d'introduire du mitage, puisque ces hameaux existent déjà ! Quant aux risques, nous les encadrons par de solides garde-fous, à la fois sur le fond et sur la procédure. Nous prévoyons notamment que le périmètre de ces hameaux ne pourra jamais être étendu, il ne s'agit vraiment que de combler des trous !
Nous préconisons également de durcir l'appréciation des coupures d'urbanisation, autant par souci de protection du littoral, que par mesure de justice. Pour rétablir une forme d'équité, il faut renverser la formule « les gros grossissent et les maigres maigrissent ». En renforçant les coupures d'urbanisation, on impose aux communes les plus urbanisées de mieux réfléchir à leur consommation d'espace. Cela ne pénalise pas les communes plus vertueuses pour lesquelles ces coupures s'imposent naturellement.
Pour le reste, nous ne recommandons pas de modifier davantage les règles d'urbanisme, car le principal problème n'est pas là. Nous l'avons vu, la loi Littoral souffre de son absence de territorialisation. Le législateur avait prévu dès 1986, que ses dispositions puissent être déclinées dans des prescriptions régionales. Ces prescriptions n'ont jamais été mises en oeuvre. À l'époque, les régions venaient à peine d'être créées comme collectivités et les services de l'État ne s'organisaient pas à cet échelon. Ce projet ambitieux avait peu de chances d'aboutir.
Il n'en reste pas moins que la clé de la bonne application de la loi Littoral, réside dans son interprétation locale, car le dispositif a été conçu dans cet esprit. Il ne peut pas fonctionner autrement. Nous avons examiné minutieusement tous les palliatifs qui ont été élaborés en l'absence de ces fameuses prescriptions régionales. Aucune formule n'a réellement été satisfaisante.
Les directives territoriales d'aménagement introduites par la loi Pasqua de 1995 ont souffert d'une gouvernance trop complexe. Il fallait dix ans pour les adopter, et elles étaient obsolètes à peine entrées en vigueur. Il n'y en a que quatre en vigueur sur le littoral.
Les schémas de mise en valeur de la mer, qui permettent une approche intégrée terre-mer, n'ont connu aucun succès, en dépit des assouplissements qu'avait obtenus en 2005 notre collègue Patrice Gélard, auteur du précédent rapport sénatorial sur la loi Littoral. Seulement quatre schémas de mise en valeur de la mer ont été adoptés en trois décennies. Les élus ont peu d'appétence pour cette formule, car ils ont une approche essentiellement terrestre du littoral, tandis que l'État est lui-même réticent à laisser les collectivités s'approprier la gestion du domaine public maritime.
Les SCoT se sont un peu mieux développés, puisque 546 communes littorales sont couvertes par un tel schéma sur un total de 1212. Mais leur périmètre est souvent trop étroit pour développer une véritable vision de l'aménagement du littoral et ils n'ont pas, à juste titre, la force juridique nécessaire pour interpréter les dispositions de la loi Littoral.