Intervention de Odette Herviaux

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 21 janvier 2014 : 1ère réunion
Loi littoral — Examen du rapport d'information

Photo de Odette HerviauxOdette Herviaux, co-rapporteure :

L'administration compte aujourd'hui sur le SCoT pour sortir de l'ornière de la loi Littoral. Il est vrai qu'un travail approfondi de planification est nécessaire. Le processus de « grenellisation » des SCoT et des PLU constitue à cet égard une étape importante, qui permettra d'accroître la couverture des communes littorales. C'est pourquoi nous préconisons de rendre obligatoire la traduction et la délimitation de l'ensemble des dispositions particulières au littoral dans les nouveaux SCoT et PLU.

Cependant, dans les cas les plus délicats, il manque toujours un véritable instrument d'interprétation de la loi Littoral. L'administration espère toujours s'en passer. Mais nous suggérons d'en revenir à l'esprit initial de la loi, qui avait précisément prévu un tel dispositif pour gérer la diversité des littoraux. Nous vous avons déjà soumis, à l'occasion de l'examen du projet de loi ALUR, un amendement, approuvé à l'unanimité par notre commission, visant à créer des chartes régionales d'aménagement du littoral. Celles-ci ne sont rien d'autre que des prescriptions régionales ressuscitées, prenant en compte les avancées de la décentralisation. Autrement dit, nous recommandons de confier au conseil régional, soit directement, soit sur saisine des élus des communes littorales, la responsabilité d'élaborer un document simple et souple, dédié à l'interprétation des dispositions particulières au littoral du code de l'urbanisme. Nous prévoyons naturellement tous les garde-fous nécessaires, en donnant notamment un rôle opérationnel d'arbitre au Conservatoire national de la mer et des littoraux (CNML).

Ces chartes régionales d'aménagement du littoral ont bien sûr vocation à être facultatives. Il ne s'agit pas d'introduire de la rigidité là où l'application de la loi ne pose pas de difficultés. Pour leur élaboration, le conseil régional pourra s'appuyer sur les compétences de structures ad hoc, comme des groupements d'intérêt public. Dans la plupart des régions, comme l'Aquitaine ou la Bretagne, ces structures existent déjà et ont développé une expertise remarquable.

Il n'y a donc rien de révolutionnaire dans cette proposition, mais elle est pourtant essentielle. Elle permet de territorialiser la loi en la confiant à ceux qui « font le littoral » au quotidien. Naturellement, cela ne plaît pas à l'administration qui, depuis trente ans, souhaite garder la main sur l'urbanisme. Mais il nous appartient de réaffirmer la position du législateur, en imposant l'application de cette loi telle qu'elle a été votée à la suite d'une longue recherche d'équilibre et de consensus. Je vous rappelle qu'elle avait été votée à l'unanimité.

Enfin, nous préconisons de compléter le volet juridique de la loi Littoral en mobilisant davantage les instruments économiques. N'oublions pas que cette loi n'est que le verrou qui permet d'endiguer la pression sur le marché foncier du bord de mer. Il appartient également à l'État d'intervenir directement pour réguler ce marché.

Les pouvoirs publics disposent pour cela d'un outil de maîtrise foncière. Il s'agit du Conservatoire du Littoral, créé en 1975 soit plus de dix ans avant l'adoption de la loi Littoral, et qui a déjà effectué un travail remarquable. Nous l'avons notamment observé en survolant la Corse. A l'heure actuelle, le Conservatoire protège 13% du linéaire côtier, soit près de 1500 km de rivages répartis sur 830 sites. Dans un référé publié le 4 mars 2013, la Cour des comptes a critiqué le manque d'adéquation des moyens du Conservatoire au regard du caractère excessivement ambitieux de la stratégie 2005-2050, estimant qu'un doublement des ressources est nécessaire pour atteindre les objectifs d'acquisition fixés par l'État. Nous préférons ne pas rentrer dans cette querelle de chiffres.

Nous préconisons néanmoins d'introduire des servitudes environnementales comme outil alternatif à l'acquisition foncière par le Conservatoire. Pour rappel, le principe de ces servitudes est simple : le propriétaire d'un terrain se prive lui-même de la possibilité de certaines plus-values futures liées à la vente de son terrain, qui serait par exemple devenu constructible, et en échange la collectivité peut lui proposer un dédommagement. D'inspiration anglosaxonne, cette démarche a été évoquée lors du Grenelle de l'environnement mais ses modalités pratiques de mise en oeuvre n'ont pu faire l'objet d'un consensus, faute de temps. Il serait judicieux de permettre au Conservatoire du littoral de l'expérimenter. L'avantage est que l'indemnisation d'une servitude pèse moins lourd sur le plan des finances publiques qu'une acquisition en pleine propriété.

Enfin, nous recommandons d'introduire une véritable régulation financière du littoral. Toute politique d'aménagement réclame un certain degré de solidarité fiscale. La loi Littoral ne fait pas exception à cette règle, la question de l'équité étant au coeur des critiques formulées à son encontre.

Ainsi, nous suggérons de compenser les effets pervers de la loi par un mécanisme de péréquation, en introduisant un indicateur du taux d'artificialisation des sols dans la DGF des communes littorales. Il s'agit de faire en sorte que les communes fortement urbanisées contribuent au financement de celles dont le front bâti est peu étendu. Cette compensation est justifiée par le fait que les communes avoisinantes tirent bénéfice des espaces naturels en matière de tourisme ou d'agrément pour leurs habitants, sans avoir à en supporter les charges.

Nous préconisons également d'introduire une mesure de lissage des effets de bords qui rendent la détermination des zonages littoraux si difficile. Il s'agit d'atténuer, en s'inspirant par exemple de la technique des transferts de droits à bâtir, l'écart de valeur entre deux terrains voisins, lorsque l'un est déclaré constructible et l'autre non. La rente issue de la préservation des espaces naturels littoraux est ainsi mieux répartie sur l'ensemble des parcelles de la commune ou de l'intercommunalité.

Voici les grandes lignes de ce rapport. Comme vous pouvez le constater, nous ne proposons que des mesures de bon sens, et nous souhaitons avant tout faire respecter la volonté initiale du législateur. Entre un juge omniprésent et une administration à l'attitude ambiguë, il nous appartient de réaffirmer les grands principes de cette loi, à une époque où les enjeux de gestion intégrée des zones côtières et de croissance bleue dominent les politiques publiques européennes et nationales. Ne laissons pas une fois de plus une réglementation mal appliquée et mal interprétée nous faire prendre du retard par rapport à nos voisins.

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