Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au terme de ce qui s’annonçait comme un marathon législatif, mais que vous avez conduit comme une course d’obstacles, les écarts entre les textes adoptés par les deux assemblées auraient dû vous conduire à demander une troisième lecture.
Nous regrettons que vous n’ayez pas fait ce choix. Ce sera donc le Conseil constitutionnel qui y procédera et nul ne sait quelle sera sa lecture de ce texte tant celui-ci remet en cause la structure administrative, politique et démocratique de notre République et les missions qui en découlent.
Aujourd'hui, une chose est claire : si ce texte s’applique en l’état, il va bouleverser l’organisation même de notre nation et remettre en cause le mouvement de décentralisation entamé voilà trente ans.
En déstructurant l’ensemble de l’organisation territoriale de notre pays, vous vous attaquez à ce qui fait la richesse de notre vie démocratique, d’une gestion des affaires publiques au plus près de nos concitoyens.
Je ne reviendrai pas sur notre argumentaire tendant à dénoncer le contenu et les motivations de ce projet de loi. Cependant, au nom de notre groupe, je souhaite tout particulièrement lancer une nouvelle fois l’alerte sur la mort non annoncée de nos communes, n’en déplaise à M. Gérard Longuet. Car, bien entendu, vous ne voulez pas affronter les élus de nos communes sur ce sujet !
Or, malgré toutes vos dénégations, c’est bien aux communes que ce projet de loi s’attaque en premier lieu. Après un vaste mouvement de mise en partage volontaire au sein d’intercommunalités et de syndicats librement constitués, vous allez contraindre toutes les communes de France à de nouveaux regroupements administratifs. Ces regroupements autoritaires n’auront plus pour objectif la mise en œuvre de projets communs pour leurs territoires. Votre ambition est de réduire le nombre des structures intercommunales et d’augmenter les prérogatives de celles-ci, au détriment des communes et de leur libre administration.
Ce changement touchera, je le répète, toutes les communes de France, mais ce mouvement d’intégration forcée sera encore plus fort au sein des nouveaux pôles métropolitains et des métropoles.
Ce faisant, plus rien ne pourra se décider localement. Certes, formellement, les communes continueront d’exister, sauf quand elles auront été fusionnées, comme le prévoit ce texte. Comme l’envisageait le rapport Balladur, elles vont s’évaporer, disparaître peu à peu sans que le législateur ni le peuple aient à en décider.
Au final, dans quelques années, si rien n’est fait pour enrayer ce mouvement, elles se seront totalement vidées de toute substance : elles seront devenues des coquilles vides !
Ainsi, ces 36 000 foyers du débat démocratique local et national, ces lieux de construction du lien social vont s’évanouir progressivement. Nous ne saurions nous y résoudre.
Comment notre assemblée, représentante des collectivités locales, des communes en particulier, pourrait-elle prendre une telle décision ?
J’en appelle solennellement à chacun d’entre vous, mes chers collègues, pour que vous rejetiez ce projet de loi dangereux pour la vie de nos communes et de leurs habitants. Comme pour la réforme des retraites, ce n’est pas parce qu’une loi est votée qu’elle est bonne, efficace, juste et nécessaire. Ce que fait une loi, une autre peut le défaire, mais le rythme des déstructurations institutionnelles contenues dans ce projet de loi est tel que le mal sera fait avant qu’un autre texte ne puisse s’y substituer.
En effet, voici venu l’ère des préfets, des proconsuls, pourrions-nous dire, que vous allez inviter à découper nos territoires, regroupant là des communes qui n’ont jamais travaillé ensemble et qui n’ont aucun projet commun, faisant éclater ailleurs des intercommunalités qui fonctionnent bien.
Ils pourront le faire sans consulter et même sans respecter les préconisations des commissions départementales. Pour être certains qu’ils n’auront pas la mauvaise idée de négocier, vous leur donnez dix-huit mois pour agir. C’est dire votre fébrilité. De plus, les préfets disposeront de ces mêmes pouvoirs un an avant chaque élection municipale.
Quelle sera la capacité d’action des élus de nos communes s’ils sont ainsi sous la menace d’une réorganisation permanente des territoires ? Quelle possibilité de choix pour les citoyens ? Leurs besoins quotidiens ne seront plus pris en compte ou, plus exactement, ils seront noyés dans de grosses machines administratives sur lesquelles ils n’auront plus prise.
Ainsi, après avoir organisé l’étranglement financier des communes, vous allez leur faire passer une étape nouvelle, celle de leur intégration forcée au sein d’entités créées de toutes pièces et dont les contours et les compétences sont entre vos mains.
La cohérence de cette réforme avec celle de leur financement va même vous permettre de présenter le texte de cette réforme des collectivités comme la seule solution à l’étranglement des communes que vous avez organisé. En une loi, vous réduisez à néant deux siècles d’histoire qui ont fondé notre République.