Intervention de Roland Courteau

Réunion du 23 janvier 2014 à 9h00
Débat sur la production énergétique en france : avenir de la filière du nucléaire et nouvelles filières de production d'énergie

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du dernier Congrès mondial de l’énergie, qui s’est tenu en octobre dernier, un expert estimait que le monde devrait investir 30 000 milliards d’euros dans les vingt prochaines années pour subvenir aux besoins en énergie d’une population en croissance aussi bien démographique qu’économique.

En France, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, évaluait à 105 000 le nombre d’emplois dans les énergies renouvelables en 2010, contre 63 000 seulement quatre ans auparavant. Ce nombre a baissé à 99 700 en 2011, principalement en raison de la crise du secteur photovoltaïque, mais la même agence estime que 825 000 emplois pourraient être créés d’ici à 2050 grâce à la transition énergétique.

C’est dire la fragilité de cette croissance, mais aussi les perspectives considérables qu’offrent les filières d’énergies renouvelables si l’on sait conforter leurs fondamentaux.

La France dispose d’atouts : de grandes entreprises parmi les leaders de leurs secteurs respectifs, un territoire relativement vaste par rapport aux autres pays européens, d’importantes ressources naturelles, notamment dans la biomasse ou le secteur prometteur des énergies marines.

Le Gouvernement a bien compris l’importance de l’approche « filière ». Ainsi, à la demande du ministre du redressement productif et du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, un contrat de filière « énergies renouvelables » a été présenté par M. Jean-Louis Bal lors du comité stratégique de filière des éco-industries, qui s’est tenu le 9 octobre dernier. Il prévoit la création de 125 000 emplois supplémentaires d’ici à 2020 et une balance commerciale positive pour les équipements destinés à la production des énergies renouvelables.

Le tissu d’entreprises de taille intermédiaire devra bénéficier de relations équitables avec les grands groupes, ainsi que d’une réelle visibilité sur les orientations politiques pour le développement du système énergétique français.

Le comité définit enfin une politique de soutien à l’offre, afin de favoriser la compétitivité des produits et services français à l’exportation.

Cela dit, la coopération au niveau européen, comme l’a rappelé le Président de la République la semaine dernière, est essentielle dans des secteurs où l’effort de recherche, mais aussi les économies d’échelle sur les chaînes de production, sont déterminants.

Jusqu’à présent, on a eu trop souvent l’impression que chaque État, mais aussi chaque entreprise, suivait sa propre stratégie. Or je crois que les États, dans un secteur stratégique où les règles du marché ne suffisent pas, à elles seules, à émettre les bons signaux, doivent donner une impulsion. C’est tout particulièrement vrai en France, où l’État est actionnaire de plusieurs des principales entreprises du secteur de l’énergie, qui font elles-mêmes partie des leaders mondiaux.

Les tentatives de coopération franco-allemande sont restées – il faut bien le reconnaître – très limitées dans le domaine du nucléaire. Toutefois, les énergies renouvelables sont un secteur en pleine expansion, sur lequel l’ensemble des pays ont, sinon des stratégies communes, à tout le moins une volonté partagée d’avancer. Une alliance peut donc être un jeu dont chacun sortira gagnant. AREVA vient ainsi d’annoncer son alliance avec la grande entreprise espagnole Gamesa pour construire des éoliennes en mer.

Dans le photovoltaïque, beaucoup disent que la cause est perdue. Selon eux, nous devrions simplement nous adapter à une division mondiale du travail, les Européens se limitant à installer des panneaux, tandis que les modules seraient construits en Asie. Cette analyse oublie qu’il reste des progrès à réaliser concernant la performance des panneaux comme l’industrialisation de la production.

Ainsi le président du grand institut de recherche allemand Fraunhofer a-t-il déclaré la semaine dernière qu’il travaillait à la création d’un consortium avec l’Institut national de l’énergie solaire de Chambéry et un institut suisse. De son côté, Thomson Energy a annoncé le 20 janvier dernier le lancement d’une production de panneaux photovoltaïques en France, avec 95 % de composants européens.

La baisse des coûts de production, en permettant d’ici à quelques années un développement sans subvention du photovoltaïque, rendra cette industrie encore plus stratégique pour l’Europe. Il sera essentiel alors que l’industrie puisse prendre le relais de la recherche pour produire la prochaine génération de panneaux solaires.

C’est une question d’emploi, mais aussi d’indépendance énergétique. On a coutume d’opposer les énergies renouvelables, produites sur notre sol, aux hydrocarbures que nous importons, mais le gain en autonomie n’est que partiel si les panneaux proviennent en totalité d’un nombre restreint de pays.

Cela dit, la production d’énergie n’est que l’un des aspects sur lesquels nous devons travailler. Une filière énergétique doit envisager aussi ce que l’on fait de l’énergie produite jusqu’à son utilisation par un consommateur domestique ou professionnel. C’est l’enjeu bien connu de l’électricité solaire ou éolienne produite de manière intermittente, généralement à un moment où l’on n’en a pas besoin.

Il faut d’ailleurs préciser que l’électricité nucléaire, pas plus que les énergies renouvelables, ne peut constituer une réponse unique aux besoins des consommateurs. Difficile à moduler rapidement, l’électricité nucléaire ne peut pas répondre elle toute seule aux pointes de consommation qui affectent certains moments de la journée.

La réponse idéale est le stockage de cette électricité. Des stations de transfert d’énergie par pompage, ou STEP, ont permis de stocker une partie de l’électricité pour l’aider à s’adapter à la courbe de consommation. Leur modèle économique semble difficile à trouver en ce qui concerne les énergies renouvelables, mais la France dispose d’une expérience de trente années en la matière.

A-t-on bien exploré toutes les possibilités en matière de stockage d’électricité ? Il me semble que la question mérite d’être posée.

Si l’impossibilité de stocker l’électricité renouvelable constitue éventuellement le point d’achoppement de la transition énergétique, une rupture technologique dans ce domaine pourrait, au contraire, enclencher une conversion massive de notre système énergétique.

La France dispose notamment d'un potentiel scientifique et industriel de premier ordre pour mettre en place une filière de l’hydrogène, comme l’ont rappelé nos collègues Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski lors de la présentation de leur rapport sur ce sujet devant l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Le grand intérêt de l’hydrogène réside dans sa flexibilité. Non seulement il permet de stocker de l'énergie, mais il peut également être injecté dans les réseaux de gaz ou utilisé par l’industrie. Pourquoi ne pas mettre plus l’accent sur la structuration d’une « filière hydrogène », piste qui est suivie activement par des pays tels que l’Allemagne, le Japon ou la Corée ?

L’Allemagne expérimente, par exemple, la méthanation, qu’il ne faut pas confondre avec la méthanisation. La méthanation consiste à transformer en méthane l’hydrogène produit grâce à l'électricité d'origine renouvelable. Cette technique offre un potentiel considérable, car elle permettrait d’utiliser à grande échelle les réseaux de distribution de gaz pour « écouler » l’électricité produite de manière intermittente.

La production d’énergie ne doit pas être un but en soi : c’est un moyen d'assurer des services tels que l’éclairage, le chauffage, les transports. La question des filières doit donc embrasser l’ensemble des services en aval qui permettent de consommer moins et, surtout, de consommer mieux.

La France dispose d’acteurs innovants, qui sont parfois des leaders dans des secteurs tels que l'efficacité énergétique, l'effacement de consommation, les systèmes de contrôle de la consommation, les réseaux intelligents et les composants.

Le photovoltaïque, par exemple, ce ne sont pas seulement des modules de silicium, ce sont aussi des onduleurs et une connectique, pour lesquels la France dispose de spécialistes qui peuvent se positionner à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

Les filières ne se développeront toutefois que si elles bénéficient d’un encadrement adéquat. Deux points doivent être abordés à ce sujet : la réglementation et l’accompagnement.

La réglementation constitue une difficulté récurrente pour le développement des énergies renouvelables. Non seulement le cadre réglementaire est perçu comme instable, mais les annulations fréquentes de textes réglementaires par le Conseil d’État posent une véritable difficulté aux professionnels, qui ont besoin d’une visibilité de long terme pour planifier leurs investissements, embaucher et obtenir des financements auprès des banques.

L’accompagnement doit donc faire l’objet d’une attention particulière.

Les entreprises allemandes bénéficient de conditions de refinancement intéressantes auprès de la banque publique KfW. Dans notre pays, une institution telle que Bpifrance doit jouer le même rôle et devenir la banque de la transition énergétique.

L’accompagnement à l’export sera déterminant. L’industrie nucléaire française ne doit pas être la seule à bénéficier d’une forte image de marque à l’étranger : il faut parvenir donner la même visibilité aux acteurs des énergies renouvelables. La multiplicité des acteurs, qui n’ont pas toujours la dimension suffisante, justifie que les pouvoirs publics mènent une politique de promotion active dans le cadre de la « diplomatie économique » promue par le ministre des affaires étrangères.

Mes chers collègues, le Président de la République a utilisé la métaphore de « l’Airbus de la transition énergétique ». Je souhaiterais, en conclusion – car j’ai volontairement réduit mon propos de quelques minutes, pour tenir compte des observations de M. Ladislas Poniatowski

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