Séance en hémicycle du 23 janvier 2014 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • CRPC
  • culpabilité
  • procureur
  • prévenu
  • pénal
  • renouvelable

La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la discussion de la proposition de loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues (proposition n° 13, texte de la commission n° 121, rapport n° 120).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Mazars, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes cherscollègues, notre groupe souhaite aujourd’hui remettre le droit pénalau cœur des débats de la Haute Assemblée, qui s’esttoujours montrée, comme chacun le sait et le reconnaît, à lapointe du combat pour les libertés publiques. Ce combat, nous le portons, aujourd’hui comme hier, en nous plaçant dans le sillon d’Albert Camus, qui écrivait : « Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. »

Mes chers collègues, ce combat pour la liberté, pour une justice équitable, est toujours d’actualité. Il nous appartient de nous mobiliser pour lutter contre les injustices, qu’elles concernent les victimes, que nous n’oublions jamais, ou les délinquants, qui eux aussi doivent voir leurs droits garantis et respectés.

Notre droit pénal a subi ces dernières années de profondes réformes. Il a aussi été victime d’attaques frontales, d’aucuns stigmatisant un supposé laxisme des juges ou appelant à supprimer le juge d’instruction, sans garanties pour le justiciable. Je n’oublie pas non plus la question fondamentale de l’accès à la justice, garante de la légitimité de l’État de droit pour les citoyens.

Ces attaques, implicites ou directes, ont eu pour conséquence de remettre en cause le lien de confiance tacite, mais indispensable dans un État de droit, qui doit unir les magistrats au peuple souverain, au nom duquel ils rendent la justice. N’oublions pas, comme l’écrivait Anatole France, que « la majesté de la justice réside tout entière dans chaque sentence rendue par le juge au nom du peuple souverain ».

Or nous avons assisté, au cours de la dernière décennie, à un glissement subreptice d’une politique pénale fondée sur un difficile équilibre entre prévention et répression vers une politique globalement répressive fondée sur l’illusion dangereuse que la sanction et la peur qu’elle suscite suffiraient à lutter efficacement contre la délinquance. Cette tendance, nous l’avons vigoureusement combattue, au nom des valeurs que les membres de notre groupe ne cessent de défendre : la liberté, la dignité, l’égalité, mais aussi la fermeté contre la violation de la loi. En tout état de cause, nul ne peut nous accuser d’avoir versé dans l’angélisme, car nous sommes attachés à l’application de la loi de la République. « La justice sans la force est impuissante », disait Pascal.

La politique que nous avons refusée, c’est celle des peines plancher, celle de la rétention et de la surveillance de sûreté, celle qui a aligné peu à peu la justice pénale des mineurs sur celle des majeurs, celle qui a été tentée de détecter les délinquants potentiels dès l’âge de trois ans, celle, encore, qui a voulu déchoir de la nationalité française les auteurs de certains crimes, celle, enfin, qui a instauré des jurys citoyens en matière correctionnelle pour affaiblir encore davantage le poids des juges professionnels. C’est aussi celle du tout-carcéral, où l’on préfère construire des établissements pénitentiaires toujours plus grands, toujours plus modernes, mais, finalement, toujours plus déshumanisés.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Comment penser prévenir la récidive si l’on ne donne pas de moyens pour la réinsertion ou la probation, si l’on oblige les magistrats à travailler dans des conditions ubuesques, à la limite de la sécurité sur leur propre lieu de travail ?

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, la majorité de mon groupe attend aujourd’hui une refondation de notre politique pénale. Il y a urgence, près de dix-huit mois après le changement de majorité ! Il y a urgence, alors que le bruit de fond de la société est inquiétant et que de nombreux citoyens sont excédés par la délinquance quotidienne, preuve, s’il en fallait, de l’inefficacité de la politique pénale du tout-répressif ! Voilà pourquoi notre groupe a choisi de soumettre au Sénat, comme un préambule, cette proposition de loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, dite CRPC.

Comme vous le savez, la CRPC a été introduite dans notre procédure pénale par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », avant d’être successivement modifiée par les lois du 26 juillet 2005, du 12 mai 2009 et, enfin, du 13 décembre 2011. Son objectif avoué était de diminuer le délai de traitement des affaires correctionnelles, dans un contexte de surcharge des juridictions qui, d’ailleurs, n’a pas changé depuis lors.

Ce nouveau mode de poursuite a constitué une rupture avec nos traditions juridiques, fondées sur la procédure inquisitoriale. Inspirée du guilty plea britannique et du plea bargaining américain, la CRPC, pour la présenter schématiquement, permet à une personne mise en cause de négocier directement avec le procureur de la République une peine automatiquement réduite si elle reconnaît elle-même, en échange, sa culpabilité. Elle donne donc un pouvoir important au procureur, déjà maître de l’opportunité des poursuites, même si la peine négociée devra nécessairement être homologuée par un magistrat du siège, en présence d’un avocat.

Cette procédure s’appuie en réalité sur une forme de contractualisation du droit pénal tout à fait étrangère aux fondamentaux de notre droit pénal, qui se fondent sur l’intangibilité de la décision du juge. Le risque est donc que le juge du siège chargé d’homologuer ne soit qu’une simple autorité d’enregistrement d’un accord sur lequel il ne peut intervenir.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’allégement de la charge des tribunaux constitue une finalité acceptable, il ne peut se faire au prix du sacrifice des principes fondamentaux d’un procès pénal équitable. Or, en plaçant le procureur de la République au cœur de la procédure, la CRPC porte en elle le risque d’un déséquilibre, une place démesurée étant réservée à l’aveu.

L’article préliminaire du code de procédure pénale, dont je recommande une lecture régulière, complété par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, énonce quels doivent être ces grands principes : égalité devant la loi et son application, respect de la présomption d’innocence, du contradictoire et de l’égalité des armes entre parties, séparation des autorités de poursuite et de jugement, proportionnalité des mesures de contrainte sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

La CRPC recentre le procès pénal autour du parquet, lequel a acquis, en plus de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites, un pouvoir de détermination de la culpabilité et de la sanction, certes sous le contrôle ultime d’un magistrat du siège. Or je rappelle que le statut du ministère public en droit français fait régulièrement l’objet de critiques de la part de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier depuis l’arrêt Moulin contre France du 23 novembre 2010, qui a qualifié l’absence de garantie d’indépendance du parquet d’attentatoire aux libertés fondamentales.

Lorsqu’elle était dans l’opposition, l’actuelle majorité n’avait pas manqué de souligner à de nombreuses reprises l’impérieuse nécessité de réformer le statut du parquet. Nous ne doutons pas que tel sera bientôt le cas. À cet égard, je vous rappelle les propos de notre collègue André Vallini, qui déclarait, lorsqu’il était encore député, que la CRPC « réunirait en fait les pouvoirs d’accusation, d’investigation et de jugement entre les mains d’une seule et même personne, le procureur, qui sera chargé d’accuser, d’enquêter et de sanctionner, ce qui est beaucoup pour un seul homme. Le juge ne serait là que pour homologuer dans des conditions qui, je le répète, prêtent à discussion ».

De la même manière, l’actuelle majorité s’était interrogée dès 2003 sur la nature de la CRPC au regard des principes généraux du droit, à l’instar du député socialiste Jean-Yves Le Bouillonnec, qui déclarait à la tribune de l’Assemblée nationale que « la création de la comparution sur déclaration préalable de culpabilité accentue davantage encore l’empreinte [de l’action publique], en laissant au surplus planer de grandes interrogations sur le respect du principe du droit à un procès équitable ».

En tout état de cause, nous ne demandons rien d’autre qu’une mise en cohérence des actes et des paroles.

Force est de constater que la CRPC induit une véritable opacité par rapport aux autres modes de poursuite, puisque les décisions relatives à la culpabilité de l’auteur et à la détermination de sa peine sont prises dans le bureau du procureur et non, comme c’est le cas par ailleurs, en audience publique. Elle va ainsi à l’encontre du principe de publicité des débats et occulte l’intérêt de l’audience d’homologation, même si le juge du siège doit intégralement exercer son office. C’est ce qui faisait dire, à cette tribune, le 1er octobre 2003, à notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt, que cette procédure « [avait] le mérite d’être, à défaut d’un classement sans suite, d’une discrétion absolue ! Et il est évident que telle ou telle personnalité qui se serait livrée à un trafic d’intérêt, à une concussion, pourrait se voir proposer un arrangement et cet arrangement serait discrètement validé par un juge, puisqu’il y aurait accord entre le procureur et l’avocat, étant entendu que le magistrat ne peut pas fixer la peine ».

Parallèlement, la CRPC, utilisée de façon systématique, favorise substantiellement une culture de l’aveu dont nous savons les dangers qu’elle peut receler. Ainsi, l’atténuation automatique de peine favorise cette attitude, qui devient l’élément déclencheur de la procédure elle-même. Le prévenu est de la sorte susceptible de subir une forte pression pour avouer, avec la promesse d’une peine moindre, au risque d’inciter à une auto-incrimination abusive, y compris en cas d’innocence, dans le seul but d’échapper à une peine plus sévère. Cette pression, inacceptable, a pu être accrue par la pratique de la double convocation.

Bien sûr, nous n’ignorons pas le remarquable travail qu’a réalisé notre rapporteur à la suite des nombreuses auditions qu’il a menées. Son rapport, comme il nous le dira dans quelques instants, a mis en lumière le décalage entre les craintes exprimées à l’origine, y compris par lui-même, et la pratique de la CRPC, telle qu’elle s’est forgée et affinée au cours des neuf dernières années.

Il apparaît ainsi que la CRPC est majoritairement utilisée dans des contentieux de masse et des affaires simples, des cas où la véracité des faits ne fait pas de doute, comme les délits routiers, notamment avec alcoolémie. L’aveu n’y étant pas toujours nécessaire, le procureur recourt précisément à cette procédure dans de telles affaires. De fait, la présence obligatoire de l’avocat lors de l’audience avec le procureur est venue renforcer la portée des aveux, mais se posera toujours la question de l’égalité de traitement des personnes mises en cause, selon qu’elles bénéficient ou non d’un défenseur, qu’il ait été choisi ou désigné, qu’il soit spécialisé ou profane en matière pénale.

En tout état de cause, il ne nous paraît donc pas opportun d’étendre un système favorisant l’aveu comme la preuve ultime dans notre droit pénal, ainsi que la loi du 13 décembre 2011 a eu tendance à le faire en élargissant la liste des délits susceptibles d’être sanctionnés par le biais d’une CRPC. Ainsi, sont aujourd’hui concernés non seulement des délits d’une gravité importante, mais aussi des délits ayant trait à des matières qui s’accommodent mal de la confidentialité et des suspicions qui peuvent découler de cette procédure.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré ce que la pratique de la CRPC a démontré au fil des années, nous continuons à nous interroger sur l’égalité de traitement entre justiciables. Dans Des réactions politiques, Benjamin Constant nous a appris que « l’arbitraire n’est pas seulement funeste lorsqu’on s’en sert pour le crime. Employé contre le crime, il est encore dangereux ».

Or, outre la compétence parfois fluctuante de l’avocat, c’est bien la logique même de la CRPC, comme moyen de réguler les flux de contentieux d’une juridiction à une autre, qui nous interpelle. Cet objectif, louable en soi, ne peut devenir la seule finalité, car le degré d’encombrement de telle ou telle juridiction et le choix du chef de cour d’opter pour la CRPC selon le type de contentieux induisent une inégalité de traitement des justiciables qu’aggrave la diminution automatique de peine.

Dans les juridictions peu encombrées – il en existe encore ! –, le justiciable sera prioritairement traité par la voie traditionnelle de l’audience correctionnelle. Dans les juridictions surchargées, ce sera l’inverse. Des prévenus comparaissant pour des faits identiques devant des juridictions aux contextes différents ne seront donc pas jugés de la même manière et, surtout, n’encourront pas la même peine. À cela, il faut ajouter la charge supplémentaire de travail que peut représenter, pour les juridictions, l’utilisation de la CRPC dans le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons. En effet, le recours trop important à cette procédure ralentit l’enrôlement des affaires sur citation directe ou provenant de l’instruction.

L’ensemble de ces raisons nous avaient initialement amenés à proposer des modifications qui devaient conduire à diminuer drastiquement le recours à la CRPC, en prévoyant un encadrement plus rigoureux de celle-ci : restriction aux seuls délits punis de trois ans d’emprisonnement au maximum, suppression de l’atténuation de peine, possibilité pour le juge du siège de moduler à la baisse la peine proposée pour ne pas encombrer le rôle des audiences correctionnelles, présence obligatoire du parquet lors de l’audience, suppression de la double convocation.

Monsieur le rapporteur, nous avons lu très attentivement votre rapport. Vous avez voulu apaiser nos craintes et calmer nos ardeurs, qui furent non seulement les nôtres, mais aussi celles d’une grande partie de cet hémicycle lors des différents débats sur la CRPC tenus depuis sa création en 2004. Comme vous l’avez relevé, les inquiétudes exprimées lors de l’introduction de la CRPC dans notre droit ont été en grande partie démenties par les faits, une majorité de praticiens lui trouvant désormais une utilité indéniable. Il est vrai qu’avec 65 000 procédures mises en œuvre en 2012, dont près de 58 % pour le contentieux routier, la CRPC a représenté près de 13 % des poursuites enclenchées.

Il est tout aussi vrai que la CRPC a été progressivement encadrée pour apporter aux prévenus davantage de garanties : précision par le Conseil constitutionnel des conditions dans lesquelles doit s’exercer l’office du juge d’homologation pour permettre un examen réel et approfondi, assouplissement des conditions de délai pour la présentation devant le juge homologateur, exclusion du champ de la procédure de certains délits qui requièrent toute la solennité et la publicité d’une audience correctionnelle.

Nous prenons acte du constat ainsi formulé et des observations d’un certain nombre de praticiens, mais nous continuons à penser que l’utilisation massive de la CRPC ne doit pas constituer un remède systématique à la lenteur et à l’encombrement des tribunaux. Faciliter le traitement accéléré de certains contentieux simples doit être encouragé, mais toujours en respectant les principes du contradictoire et du droit à un procès équitable, qui constituent désormais le jus commune du droit processuel en Europe.

Nous nous satisfaisons donc que la commission ait fait le choix, dans sa sagesse, d’aménager la CRPC pour qu’elle reste confinée à des contentieux simples, mais en renforçant ses garanties. À cette fin, le rapporteur a pris l’initiative de modifier le droit sur trois points que nous approuvons : introduire la possibilité pour le juge homologateur de moduler à la baisse la peine dans la limite d’un tiers, prévoir les conditions de caducité de la convocation en audience correctionnelle et permettre aux victimes de transmettre leurs observations au procureur afin d’améliorer son information. Ces mesures simples conforteront une procédure qui a su trouver sa place dans notre droit, même si nous en appelons une nouvelle fois à la vigilance pour que ses principes dérogatoires demeurent circonscrits. En d’autres temps, nous avons malheureusement connu des exceptions qui, au fil des lois successives, sont devenues des principes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez compris que notre groupe a d’abord voulu faire preuve d’une démarche pragmatique et a rejeté toute posture idéologique. Le droit pénal et les libertés publiques sont des sujets trop sérieux pour que nous laissions la querelle partisane diriger le législateur. L’essentiel demeure, à nos yeux, que le droit pénal garantisse à nouveau un véritable équilibre entre les intérêts de la société et des victimes et les droits des mis en cause. Nous souhaitons ainsi faire refluer la justice de sûreté qui s’est imposée ces dernières années, au profit d’une justice de liberté. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter ce texte.

Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste . – M. Yves Détraigne applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, créée en 2004 et révisée à plusieurs reprises, fait partie de l’arsenal des procédures accélérées destinées à désengorger les juridictions, ce qui ne plaidait pas pour son innocence présumée…

Je dois avouer que, devant rapporter la présente proposition de loi, j’ai connu quelques états d’âme, tant les griefs que je tenais souvent des principes et de la théorie ont été mis à mal par les auditions et ce que m’en ont dit les praticiens, lesquels se sont avérés bien plus attachés à cette procédure – même lorsqu’ils l’avaient critiquée en 2004 – que je ne me l’étais figuré.

La CRPC a été, dès le départ et au fil de ses diverses révisions – ce qui tendait d’ailleurs à prouver qu’elle peinait à trouver son équilibre –, fortement critiquée par nombre de magistrats, d’avocats, de parlementaires – j’en fus –, parce qu’elle heurtait frontalement notre conception du procès équitable. Elle apparaissait comme une pièce rapportée, un produit d’importation, dans l’Hexagone, de la common law anglo-saxonne ou, pis, du plea bargaining états-unien, qui fait dresser les cheveux sur nos têtes.

En France, on ne plaide pas coupable, tout au plus se reconnaît-on coupable. La négociation sur la culpabilité et sur la peine s’opposait au primat que nous accordons à la présomption d’innocence et à la sanction en tant que fonction régalienne.

Aux États-Unis, en revanche, le juge, même au pénal, n’est qu’une sorte d’arbitre tout au long du procès, lequel donne lieu à un marchandage, y compris de la part du ministère public. La fonction du juge consiste d’abord à constater l’accord ou le désaccord entre les parties et le ministère public : ceux-ci doivent s’entendre sur la peine, laquelle est calculée selon une grille des plus strictes et sans aucun souci d’individualisation en fonction de la personnalité du prévenu. Parallèlement, les procès débouchent sur des peines très lourdes, ce qui constitue une forte incitation au plaider-coupable. Il n’est donc pas étonnant que 95 % des procès pénaux suivent cette procédure, qui présente, en outre, l’avantage d’éviter l’aléa de jurys populaires rarement tendres.

Ce système, dont s’inspire la CRPC, est donc apparu très différent, sinon contraire aux principes de notre procès pénal.

S’inscrivant dans cette approche, la proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter a logiquement pour objet de restreindre de manière très importante l’utilisation de la CRPC et de la rapprocher le plus possible du procès ordinaire. Toutefois, comme je l’ai dit, les auditions m’ont fait découvrir, à ma grande surprise, que les praticiens de la justice étaient en fait aujourd’hui largement favorables à cette procédure, y compris certains de ceux qui étaient « vent debout » contre elle à ses débuts. Pourquoi cela ?

La principale raison de cette évolution, me semble-t-il, est d’ordre pratique : la CRPC a été cantonnée, de fait, à un champ d’application bien circonscrit, celui de délits mineurs, simples à qualifier et où ce sont les faits qui désignent le coupable. Il s’agit donc d’un contentieux de masse sans problème de culpabilité – l’exemple typique étant l’alcool au volant. Au final, la CRPC représente 13 % du contentieux pénal et porte uniquement sur des affaires simples. Sur ce champ bien déterminé, la pratique de la CRPC apparaît conforme à notre conception du procès équitable.

Prenant acte de ce constat, et faute d’un dispositif pouvant se substituer à la CRPC, en accord avec l’auteur de la proposition de loi et avec notre commission des lois qui l’a adoptée, je vous présente ce texte qui, tout en respectant la logique de la CRPC et les équilibres entre ses protagonistes, apporte des réponses aux principales critiques qui lui sont encore adressées, les plus essentielles, comme je l’ai dit, ayant sinon disparu, du moins s’étant considérablement atténuées de fait.

Le premier aménagement vise à supprimer de la procédure toute trace qui pourrait subsister d’une « pression » exercée sur le prévenu pour qu’il accepte la CRPC, afin de garantir son consentement libre et éclairé. Ainsi, l’article 1er bis nouveau exclut la mise en œuvre de la CRPC à l’issue d’un déferrement par les services enquêteurs, parfois accompagné de garde à vue, dans des affaires qui auraient pu faire l’objet d’une comparution immédiate ou d’une convocation par procès-verbal. En effet, cette situation ne laisse guère de liberté du choix de la procédure à l’intéressé. Constatons d’ailleurs que beaucoup de tribunaux ont déjà fait le choix de ne pas utiliser la CRPC dans cette situation.

L’article 4 va dans le même sens et supprime la possibilité, pour le procureur, de mettre en œuvre à la fois une procédure classique de convocation devant le tribunal correctionnel et une procédure de CRPC.

Actuellement, le prévenu reçoit en effet deux convocations en même temps : l’une pour rencontrer le procureur en vue d’une CRPC, l’autre pour passer devant le tribunal en audience correctionnelle ordinaire. Nous proposons que cette convocation devienne caduque uniquement s’il ne se rend pas à l’entretien avec le procureur de la République.

La solution que j’ai proposée préserve la validité de la convocation parce qu’un nombre non négligeable de prévenus est difficile à joindre ; renouveler systématiquement la convocation à l’audience aurait posé d’énormes problèmes. La commission a donc tranché dans ce sens : si le prévenu, qui s’est rendu à la convocation, n’accepte pas la CRPC, ou si le juge n’homologue pas cette dernière – le prévenu n’est pas responsable –, il faudra lui adresser une nouvelle convocation à l’audience correctionnelle. En revanche, si le prévenu ne s’est pas présenté devant le procureur, la convocation à l’audience reste valide.

Enfin, pour mieux prendre en compte la victime, je vous proposerai, avec l’article 3 bis nouveau, qu’elle puisse faire parvenir ses observations au procureur dans la première phase de la procédure, c’est-à-dire avant que celui-ci ne propose une peine au prévenu. Il paraît essentiel que le procureur ait en main toutes les données nécessaires lui permettant de déterminer le quantum de peine proposé. Or il me semble effectivement que la victime peut porter à la connaissance du procureur des éléments d’appréciation utiles, au-delà de ceux de l’enquête de police, parfois extrêmement sommaire. Ces éléments pourront intervenir dans la détermination du quantum de peine et des aménagements éventuellement apportés à celle-ci.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principales dispositions proposées par la commission des lois, dont j’ai repris les conclusions, étant sous-entendu que, me situant dans une perspective d’amélioration de la CRPC, ont été supprimées toutes les propositions qui auraient conduit, de fait, à un quasi-abandon de son usage.

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, « celui qui sait avouer peut oublier » ; Francis Picabia, le grand artiste surréaliste, aurait ainsi pu formuler, sans l’avoir imaginé, ce qui fut au cœur de la volonté du législateur, il y a presque dix ans déjà, lors de la création de la procédure pénale de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Les travaux essentiels sur la justice pénale contemporaine de Mme Françoise Tulkens, vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme, portant notamment sur les notions de « justice imposée » et de « justice consensuelle », nous invitent à mieux appréhender ce qui fut alors pensé comme un bouleversement de nos pratiques répressives : l’introduction de la participation et du consentement à la punition, le passage d’un ordre pénal exclusivement vertical à une justice pénale aux formes diverses, parfois imposée, parfois débattue, toujours discutée.

La composition pénale comme la CRPC sont représentatives des mutations qui nous intéressent en France, faisant une place centrale au consentement des prévenus selon une logique de contractualisation et favorisant l’émergence de « procédures pénales accélérées » qu’il convient désormais d’évaluer et d’améliorer le cas échéant.

Les années 2000 marquèrent assurément un tournant. C’est donc dans ce cadre, qui mêle les plus hautes considérations politiques – qu’est-ce que juger ? Comment punir ? – et les plus impérieuses nécessités du respect des droits des individus, d’une part, et des impératifs fonctionnels de notre ordre judiciaire, d’autre part, que la proposition de loi de Jacques Mézard et de son groupe, inscrite à votre ordre du jour, nous permet de porter collectivement un regard critique sur ce dispositif pénal.

Cette initiative parlementaire du groupe du RDSE, que je salue, permet également de tracer, pour la première fois, des perspectives équilibrées d’amélioration de ce dispositif si singulier, si original au regard des décennies de tradition juridique néolatine et que nous fûmes parmi les derniers en Europe à introduire dans notre droit répressif.

Comme le souligne le professeur de droit Ioannis Papadopoulos, dans Juger en Amérique et en France, le « plaider coupable » a été longtemps étranger aux cultures de droit continental, car y perdure un rapport sacré à la loi où la confrontation de l’individu à la loi est l’essentiel.

Ce mode de poursuite des délits, qui fut l’objet de quatre lois successives et de quatre décisions du Conseil constitutionnel depuis la loi de mars 2004 – ce n’est pas banal –, suscita alors de légitimes inquiétudes parmi les praticiens, les organisations professionnelles, comme parmi de nombreux parlementaires.

À cet égard, je n’ignore pas que de nombreux travaux du Sénat témoignent de votre intérêt, comme de votre expertise : je pense notamment à un excellent rapport de législation comparée de mai 2003, ainsi qu’aux rapports de M. Zocchetto en 2003 sur le texte qui allait donner naissance à cette procédure nouvelle ou en 2005 sur la proposition de loi de M. Béteille.

Ainsi que vous le relevez dans votre rapport, monsieur Collombat, la CRPC était a priori étrangère aux cultures de droit continental dans lesquelles les magistrats instruisent à charge et à décharge et le parquet doit rapporter la preuve de la culpabilité.

Nombreux furent les parlementaires qui s’interrogèrent quant aux risques de pression du système répressif sur les personnes mises en cause. N’y avait-il pas des risques de voir condamnés à une peine plus lourde que celle qui était proposée par le procureur les justiciables les plus vulnérables ou les moins bien défendus ?

D’autres redoutaient que la CRPC ne donne lieu à une forme de marchandage sordide, l’aveu de culpabilité se monnayant en échange de l’abandon de certains chefs de poursuites.

On sait désormais que le choix du législateur français – et l’apport du Sénat fut alors décisif – a fort heureusement abouti à une solution bien éloignée d’un plaider coupable à l’américaine et plus proche de ce que les civilistes appelleraient un « contrat d’adhésion », si l’on peut parler de contrat…

Il y a accord, certes, mais sans marchandage ni sur la peine requise par le procureur ni sur la peine prononcée par le juge !

D’une façon plus générale, était mis en avant le risque de voir se développer un système de peines tarifées, contraire au principe d’individualisation et que pourraient aisément détourner les puissants et leurs amis du fait d’une mainmise totale du parquet sur cette procédure, lequel parquet est soumis au pouvoir de l’exécutif.

Ce dernier point est important, et il fait bien sûr directement écho à un débat qui s’est tenu dans cet hémicycle voilà quelques mois sur le statut du ministère public.

La CRPC illustre parfaitement le fait que le parquet joue désormais un rôle déterminant dans le fonctionnement quotidien de la justice pénale. Ce rôle, qui n’est pas choquant en soi, doit à notre sens être mieux garanti pour les acteurs du monde judiciaire, comme pour les justiciables.

Il conviendra selon nous, à un moment, de revisiter à nouveau cette question, de façon sereine et dépassionnée, comme majorité et opposition savent le faire sur les grands sujets institutionnels. Je citerai comme exemples les projets de loi récemment adoptés sur la mise en œuvre de l’article 11 de la Constitution.

Mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque cette proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, Mme la garde des sceaux a demandé aux services de la Chancellerie de procéder à un bilan provisoire de la CRPC : les résultats peuvent être considérés comme rassurants au regard des craintes légitimes qui avaient entouré la naissance du dispositif. Cette analyse a été aussi celle de votre rapporteur, ainsi qu’il vous l’a indiqué, et de la commission des lois.

Comme le disait George Bernard Shaw : « Le progrès est impossible sans changement, et ceux qui ne peuvent pas changer leurs esprits ne peuvent rien changer ».

Permettez donc que, dans mon propos, les mots le cèdent provisoirement aux chiffres pour expliquer notre évolution à ce sujet.

En 2012, le nombre de CRPC orientées, homologuées et inscrites au casier judiciaire national s’établit à quelque 65 000. La CRPC représente ainsi de 12 à 13 % des condamnations inscrites au casier judiciaire national.

La montée en charge de la CRPC a été progressive puisque, en 2005, elle ne représentait que 7 % des condamnations inscrites au casier judiciaire. Le chiffre s’est toutefois stabilisé autour de 12 à 13 % depuis maintenant au moins quatre ans.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, la CRPC ne peut se développer utilement que si le barreau local – l’avocat est en effet obligatoire, ce qui est une garantie essentielle de la procédure –, les juges et le parquet se sont concertés.

C’est là peut-être l’un des apports les plus subtils mais les plus sensibles de cette voie procédurale : un autre rapport à la justice pénale peut s’instaurer par l’échange des gens de justice, dans un rapport qui ne se résume plus à la verticale du pouvoir central, si l’on peut dire.

Il apparaît en effet que la CRPC est utilisée majoritairement dans les contentieux de masse et les affaires simples où les faits sont reconnus dès l’enquête. Comme le souligne votre rapporteur, M. Collombat, la CRPC est choisie parce que les faits sont reconnus, qu’il n’y a donc pas lieu à un débat sur la culpabilité devant le tribunal, et non l’inverse !

Les travaux du ministère de la justice nous permettent de préciser à cet égard que les contentieux concernés se sont diversifiés, même si le contentieux routier reste majoritaire pour près de 58 % des affaires. Pour être clairs, nous parlons donc, pour l’essentiel, d’affaires de conduite sans permis de conduire ou de conduite sous l’empire d’un état alcoolique pour plus de la moitié des dossiers, des dossiers sans victime.

En outre, la CRPC entraîne des condamnations plutôt moins sévères, comparées aux procédures traditionnelles, notamment s’agissant des peines d’emprisonnement ferme.

Son taux d’échec, selon une étude portant sur les années 2005 à 2007, n’est d’ailleurs que de 12 % ; cet échec est dû à 59 % à la non-comparution du prévenu à l’audience de CRPC, à 23 % au refus d’homologation par le président du tribunal et à 18 % au refus de la peine par le prévenu.

Là encore, ces chiffres sont tout à fait intéressants, car ils sont de nature à pouvoir satisfaire les défenseurs des libertés, comme les promoteurs d’une justice plus simple et plus rapide !

Mesdames, messieurs les sénateurs, la greffe de la CRPC a donc, pour l’essentiel, pris : le plaider coupable américain s’est acclimaté à nos territoires. D’ailleurs, les principales organisations professionnelles de magistrats, comme d’avocats, que vous avez consultées, monsieur le rapporteur, en conviennent largement, comme vous l’avez rappelé.

Les transplantations ne se font toutefois jamais sans adaptations ni sans différentiations. L’exemple du jury anglais, introduit en France en 1791, en est une bonne illustration ! On parle d’ailleurs non plus de « plaider coupable », mais bien, grâce à un sigle nouveau, de « CRPC » !

Mesdames, messieurs les sénateurs, M. Mézard, dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, s’interroge sur l’apport de la CRPC quant au bon fonctionnement des juridictions.

À cet égard, Mme la garde des sceaux rappelle souvent qu’elle récuse une vision réductrice de la justice fondée sur une pure logique économique et managériale. Nous sommes nombreux à partager cette conviction.

M. Mézard a toutefois raison, il n’y a eu aucune étude globale permettant d’évaluer avec précision l’incidence de la CRPC sur le fonctionnement des juridictions. Cela devrait pouvoir être corrigé, monsieur le président.

Toutefois, de façon partielle, on peut, selon la direction des services judiciaires, avancer les chiffres suivants : il semblerait que l’on puisse estimer la durée de traitement d’un dossier de CRPC par le greffe à soixante-dix minutes – contre cent quatre-vingts minutes pour un dossier dit de « juge unique » –, et qu’un équivalent temps plein travaillé, ou ETPT, de magistrat – excusez ce jargon judiciaire ! – traiterait 4 600 dossiers de CRPC contre seulement 800 dossiers de jugement.

De façon largement majoritaire, les cours d’appel évoquent également, « lors des dialogues de gestion », que la CRPC contribue utilement au désengorgement de l’audience correctionnelle.

Pour autant, ce n’est certainement pas au seul nom de cette logique économique que le Gouvernement peut aujourd’hui défendre le maintien de la CRPC dans notre procédure pénale, et encore moins en préconiser son développement sans limites, comme le précédent gouvernement l’avait envisagé, en 2011, lors de l’examen du projet de loi dit « Guinchard » sur la répartition du contentieux ; M. le sénateur Jean-Pierre Michel s’en souvient sûrement.

Nous gardons en mémoire les mots de Mme Mireille Delmas-Marty : « le risque existe que les procédures négociées ne soient guère autre chose, à l’ère de la dérégulation et du néolibéralisme, que l’introduction de l’économie de marché dans l’administration de la justice pénale. »

L’audience pénale devant le tribunal correctionnel doit demeurer le mode de poursuite à privilégier, et elle le reste comme le révèlent les statistiques que j’ai exposées.

Lorsqu’une discussion approfondie et contradictoire s’impose sur la culpabilité, lorsque les faits sont complexes ou graves, lorsque seul le procès est de nature à permettre à la justice de jouer son rôle de pacification sociale, le procès pénal a une fonction symbolique et sociale. C’est la conviction du Gouvernement, c’est l’action conduite par Mme la garde des sceaux.

« Le procès est une domestication de la violence par le rite », selon la formule d’Antoine Garapon. Il permet le récit et une mise à distance entre les parties, une reconnaissance publique de l’infraction et une mesure publique de sa gravité par le prononcé du quantum de la peine.

Il permet, en outre, une reconnaissance publique de la victime en tant que victime, ce qui constitue souvent la condition de sa reconstruction.

Qu’on veuille à cet égard se souvenir du projet, évoqué par l’ancienne majorité, d’étendre la CRPC aux crimes, pour « économiser » l’audience d’assises. Il s’agissait alors de la onzième des douze recommandations du rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, dit « comité Léger », avec, chacun s’en souvient, la suppression du juge d’instruction.

La commission des lois, sur proposition de M. Collombat, a supprimé l’article 1er de la proposition de loi qui visait à limiter la CRPC aux délits punis d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas trois ans et à exclure le recours à la CRPC lorsque les faits ont été commis en état de récidive légale.

Le Gouvernement approuve le choix de la commission, car une approche fondée sur le quantum de peine encourue ne paraît pas pertinente : la réalité des faits, au-delà de leur qualification pénale qui détermine le peine encourue, doit s’apprécier in concreto, au cas par cas.

De plus, les quanta de peine ont été, comme vous le savez, augmentés par le législateur, selon un processus inflationniste, compte tenu notamment de la multiplication des circonstances aggravantes : un vol dans un distributeur de boissons dans le RER par deux personnes est puni d’une peine de prison de dix ans.

La circonstance de récidive ne constitue pas davantage un critère déterminant : dans le contentieux routier, des faits commis en récidive – une conduite en état alcoolique sans accident, par exemple – peuvent être utilement poursuivis en CRPC.

Il nous semble juste de faire confiance aux magistrats qui orientent les poursuites avec discernement et disposent, avec la CRPC, d’un mode de poursuite intermédiaire entre la composition pénale, qui est très proche dans le mode de fonctionnement, et l’audience.

Dans certaines hypothèses, la CRPC est un mode de poursuite pertinent, car il donne l’occasion d’un dialogue avec le justiciable, dans une relation plus directe et de proximité, ce que ne permet pas l’audience du tribunal correctionnel – ceux qui ont assisté à des audiences de comparution immédiate me comprendront –, et qui favorise une meilleure responsabilisation du condamné parce qu’il adhère à la peine prononcée, peine plus adaptée par définition.

Ainsi, le Gouvernement ne préconise ni la suppression de la CRPC ni la réduction de son champ puisque, dans la pratique, les magistrats ont su la cantonner à des délits relativement mineurs, simples à qualifier et dont les faits désignent les auteurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte de la commission des lois améliore substantiellement le droit positif, et je félicite le rapporteur pour son travail à cet égard qui entend garantir le plein respect des principes du procès équitable de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme : juge indépendant, séparation des autorités de poursuite et de jugement, droits de la défense effectifs.

Le texte de la commission apporte des améliorations manifestes.

Premièrement, il clarifie les pouvoirs du « juge homologateur ». Il précise que le juge vérifie la régularité de la procédure.

Le texte prévoit expressément que le juge, pour décider s’il y a lieu à homologation, doit tenir compte de la nature et des circonstances de commission de l’infraction, de la personnalité de son auteur, ainsi que de la situation de la victime. La nouvelle rédaction proposée vient consacrer la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004.

Deuxièmement, le texte de la commission renforce les garanties du justiciable, tant du prévenu que de la victime.

Pour le prévenu, il supprime la possibilité de mettre en œuvre la procédure de CRPC à l’issue d’un déferrement devant le procureur de la République : la CRPC à la suite d’une garde à vue est peu satisfaisante dans la mesure où la personne mise en cause, fragilisée par le placement en garde à vue, n’est pas toujours en mesure de prendre des décisions en parfaite connaissance de cause, et où l’avocat, vu l’urgence, n’a pas nécessairement le temps d’examiner en détail la procédure, notamment au regard de sa régularité.

Le texte impose, lorsque le prévenu se trouve simultanément convoqué pour une CRPC et cité devant le tribunal correctionnel, un délai minimum de dix jours entre les deux audiences, afin de laisser un temps nécessaire à la préparation de la défense.

Il prévoit que la saisine du tribunal ne sera valable que dans le cas où la personne ne répond pas à la convocation, mais non s’il refuse la peine proposée, ce qui évite toute forme de pression sur l’intéressé.

Le Gouvernement souhaite aussi vous présenter un amendement visant à imposer au parquet de déposer au greffe sa proposition de peine dix jours avant la date de comparution, de façon que l’avocat ou l’intéressé ne la découvre pas à l’audience. Il s’agit non seulement de mieux garantir les droits de la défense en permettant une discussion avant l’audience entre l’avocat et son client, mais aussi de favoriser la venue des personnes à l’audience. Pour compléter le travail de la commission, je me permets d’insister dès à présent sur l’intérêt que le Gouvernement porte à cet amendement, sachant que nous n’avons pas encore totalement réussi à convaincre la commission ; mais nous devrions avancer...

S’agissant de la victime, le Gouvernement se félicite que le texte de la commission ait renforcé sa place dans la procédure.

Le texte de la commission introduit ainsi la possibilité pour la victime d’adresser des observations écrites au procureur de la République avant qu’il ne propose une peine. Actuellement, la victime n’intervient qu’au stade de l’audience d’homologation.

Le texte prévoit en outre expressément que le juge peut refuser l’homologation s’il estime que la situation de la victime justifie une audience correctionnelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement considère que cette proposition de loi a permis de faire un bilan objectif de la CRPC telle qu’elle est pratiquée dans les juridictions françaises, et de voir que cette procédure, dès lors que son développement demeure limité, a trouvé sa place dans la gradation des modes de poursuites.

C’est un outil procédural supplémentaire permettant d’adapter au mieux la réponse pénale aux faits et à la personnalité de l’auteur. Il ne doit toutefois pas être un indicateur de performance ni devenir un mode normal de traitement.

L’adoption de ce texte par la Haute Assemblée permettrait, nous semble-t-il, d’améliorer cette procédure pour assurer une meilleure garantie des droits des personnes, ce dont on ne peut que se féliciter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutiendra donc cette initiative.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, c’est la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, qui a créé ce que l’on appelle parfois, à mon avis à tort, la procédure du « plaider-coupable ».

Ce texte proposé par notre collègue Jacques Mézard vise, selon son intitulé, à « réformer » ce mode de poursuites pénales. En réalité, dans la version initiale du texte, il ne s’agissait pas tant de réformer que de rendre quasiment inutilisable la CRPC...

La remise en cause profonde de la CRPC était d’ailleurs à peine voilée puisqu’on pouvait lire dans l’exposé des motifs : « La CRPC va à l’encontre des grands principes de la procédure pénale présents à l’article préliminaire du code de procédure pénale et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. ». Cela a le mérite de la clarté...

En fait, toutes les modifications proposées auraient eu pour effet de réduire au maximum le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Or nous croyons à la pertinence et à l’efficacité de ce mode de poursuite, et nous n’aurions pas pu soutenir une proposition de loi dont l’effet aurait été de rendre la CRPC de facto inopérante.

La CRPC, malgré les interrogations légitimes qu’elle a pu susciter lors de son introduction dans notre droit, a rencontré un franc succès.

Les chiffres, que l’on retrouve dans l’excellent rapport de Pierre-Yves Collombat, sont éloquents : en 2012, environ 65 000 affaires pénales ont été traitées dans le cadre de cette procédure, soit 13 % de l’ensemble des poursuites. Et si l’on regarde l’évolution des statistiques ces dernières années, on constate que, depuis 2005, le taux de CRPC ne cesse d’augmenter : on est passé de 19 000 affaires en 2005 à 53 000 en 2008, pour atteindre aujourd’hui plus de 65 000 affaires.

Ces chiffres s’expliquent notamment par le fait que, fort de son succès, la CRPC a vu son champ d’application significativement étendu par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles, dont j’étais le rapporteur, et qui l’a rendue applicable à tous les délits.

Telle que conçue et voulue par le législateur, rappelons que la CRPC a deux objectifs : premièrement, alléger les audiences correctionnelles des affaires simples dans lesquelles les auteurs reconnaissent les faits et, ce faisant, diminuer les délais de jugement des juridictions répressives ; deuxièmement, conduire au prononcé de peines plus efficaces, car une peine acceptée par l’auteur des faits ayant préalablement reconnu sa culpabilité sera souvent mieux exécutée.

Cependant, cette procédure, bien que son champ d’application ait été largement élargi par la loi du 13 décembre 2011, n’est pas utilisée à l’excès par nos juridictions. Ces dernières ont su lui trouver un usage adapté selon les circonstances et le type de délits observés dans la circonscription ; au quotidien, elle est largement utilisée pour traiter, notamment, le contentieux routier : 58 % de ce type de contentieux fait en effet l’objet d’une CRPC. Conduite sous l’emprise d’un état alcoolique, conduite sans permis, sans assurance ou en récidive d’un très grand excès de vitesse : il s’agit de faits pour lesquels la culpabilité est rarement contestée, qui ne causent normalement pas de victime et qui correspondent à un contentieux de masse, et donc d’une cible privilégiée pour le « plaider-coupable ».

Aujourd’hui, l’usage de cette procédure est devenu indispensable dans nos tribunaux correctionnels, et il est crucial de préserver l’efficacité de ce mode de poursuites qui contribue à désengorger les juridictions, tout en apportant une réponse pénale effective et relativement rapide à des faits bien réels.

Nous saluons donc les modifications proposées par M. le rapporteur, notamment en ce qui concerne la suppression de l’article 1er qui tendait non seulement à restreindre le champ d’application de la CRPC, en limitant cette dernière aux délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure à trois ans, mais également à exclure les cas de récidive.

Ces exclusions auraient conduit à ne plus pouvoir traiter avec cette procédure de nombreuses affaires simples et sans grande gravité, ce qui eût été naturellement très préjudiciable.

En commission, nous avons eu un débat intéressant sur l’article 3 de la proposition de loi et la possibilité pour le juge du siège de diminuer la peine.

Ce pouvoir d’appréciation du juge qui n’aurait pu que diminuer la peine posait problème.

Le juge, avec le refus d’homologation, peut déjà faire recommencer le débat ; mais là, on lui aurait donné un nouveau pouvoir d’appréciation, qui altère l’esprit de la CRPC et me paraît compliquer les relations du procureur de la République avec le prévenu. Je suis donc en accord avec la décision de la commission des lois, qui a finalement préféré ne pas modifier le droit en vigueur sur ce point.

J’ajouterai un mot concernant la présence du procureur à l’audience d’homologation. L’intérêt pratique de la CRPC serait considérablement amoindri si le magistrat du parquet était tenu d’assister à la présentation du prévenu devant le juge chargé de l’homologation. En effet, cette présence représente une contrainte temporelle supplémentaire pour les parquetiers, qui va à l’encontre de l’objectif de désencombrement des juridictions en accélérant les procédures.

De surcroît, la présence du procureur aurait eu pour effet de susciter une discussion devant le juge du siège et de transformer celui-ci en négociateur, ce qui est à l’opposé de sa mission, laquelle consiste à homologuer ou à refuser d’homologuer, et de l’esprit de la procédure. En outre, que va pouvoir dire de plus le parquetier à cette audience, alors qu’il a déjà tout dit au prévenu lors de l’audience de cabinet ?

Là encore, le texte adopté par la commission a opportunément supprimé la présence obligatoire du procureur de la République à l’audience d’homologation.

Enfin, je salue les dispositions introduites à l’article 3 bis, lequel vise à permettre à la victime de faire parvenir ses observations au procureur de la République avant que celui-ci ne s’entretienne avec la personne mise en cause au cours de la première phase de la CRPC.

Actuellement, la victime, lorsqu’elle existe, n’intervient dans le cadre de la CRPC qu’au stade de l’audience d’homologation. Or ses observations pourraient, dans certains cas, permettre au procureur de mieux apprécier les faits commis par la personne mise en cause ou sa personnalité, et par conséquent de mieux adapter les peines proposées lors de l’entretien avec celle-ci.

C’est donc au regard des évolutions positives apportées à la proposition de loi par le rapporteur et la commission que nous voterons le texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a introduit dans notre législation le mécanisme du « plaider-coupable » inspiré du droit américain, afin de diminuer la durée du délai de traitement des affaires correctionnelles. La gauche avait alors contesté cette procédure et s’y était opposée fermement.

De notre côté, nous avons déposé une proposition de loi tendant à la suppression de cette procédure, proposition dont l’exposé des motifs faisait valoir les nombreux griefs que nous avons à l’encontre du CRPC, lesquels figurent d’ailleurs dans l’exposé des motifs du texte dont nous discutons aujourd’hui ; le rapport en fait également état.

D’une part, il est reproché à cette procédure de laisser de trop larges pouvoirs au procureur, un magistrat dont l’indépendance est aujourd’hui plus que jamais contestée, et par ailleurs d’aller à l’encontre des grands principes de la procédure pénale, en particulier celui de la séparation de l’autorité de poursuite et de l’autorité de jugement.

D’autre part, la place donnée à l’aveu sollicité grâce à la menace d’une sanction pénale plus lourde est dénoncée. La détermination de la peine constitue une sorte de « marchandage » entre le parquet et la personne qui reconnaît sa culpabilité en présence d’un avocat, lequel n’a finalement que très peu de marge de manœuvre. En effet, ce dernier sait parfaitement que, si la peine proposée par le parquet est refusée par son client, la peine prononcée à l’issue d’un procès classique pourra être plus lourde.

Si l’article 495-8, alinéa 4, du code de procédure pénale semble constituer un rempart, dans la mesure où il prévoit que la personne ne peut renoncer à son droit d’être assistée par un avocat, on se rend cependant compte, dans la pratique, que celui-ci a souvent un rôle de faire-valoir et qu’il fait littéralement figure d’alibi, comme le dénoncent de nombreux membres de la profession.

Les avocats dénoncent également le rôle très inconfortable dans lequel ils se retrouvent, puisqu’ils ont très peu de temps pour décider d’un accord avec leurs clients.

Il est essentiel pour un avocat, lorsque son client est poursuivi pour un comportement qui ne correspond pas, en réalité, à une qualification juridique, de disposer d’un temps suffisant pour préparer un dossier solide et obtenir éventuellement une relaxe. On comprend alors l’intérêt d’un vrai procès.

Un autre intérêt du procès est qu’il a pour effet, contrairement à la procédure de CRPC, de porter à la connaissance du public les faits précis qui ont conduit au prononcé d’une peine à leur mesure. Or, vous le savez, la procédure de CRPC ne permet pas la publicité autour de la qualification juridique desdits faits. C’est d’ailleurs parfois un avantage pour certains justiciables qui ne souhaitent pas que leurs actes donnent lieu à une telle publicité.

Enfin, la CRPC crée une inégalité entre les justiciables, dans la mesure où elle a pour objet la gestion des flux des dossiers. Le recours à ladite procédure varie donc en fonction de l’engorgement des juridictions.

La commission a fait un travail sérieux et intéressant en adoptant, pour répondre à certaines de ces critiques, plusieurs amendements qui tendent à mieux encadrer le recours à cette procédure.

En particulier, afin d’atténuer la pression pesant sur la personne mise en cause, elle a adopté deux amendements.

Le premier rend caduque la convocation concomitante en audience correctionnelle lorsque la personne mise en cause s’est dûment présentée devant le procureur.

Le second supprime la possibilité de mettre en œuvre la CRPC à la suite d’un déferrement par les services enquêteurs, ce qui est intéressant, car la possibilité de proposer une CRPC même en cas de déferrement conduit à des dérives, comme celle de faire accepter par un prévenu l’exécution immédiate de sa peine alors qu’il aurait pu bénéficier d’un aménagement de peine.

En effet, en cas de déferrement, la personne poursuivie est retenue à l’issue de sa garde à vue pour être présentée au procureur de la République. Elle est donc particulièrement fragilisée par les vingt-quatre ou quarante-huit heures de garde à vue qu’elle vient de connaître, et par l’incertitude de son sort à l’issue de cette dernière.

Certes, la procédure de garde à vue a été réformée et les personnes peuvent aujourd’hui bénéficier de l’assistance d’un avocat tout au long de son déroulement. Mais nous savons tous que ces améliorations ne sont pas suffisantes pour effacer la privation de liberté pendant un ou deux jours et les conditions de cette privation, et il est à craindre que le prévenu ne reconnaisse, par lassitude, des faits qu’il n’a pas commis, ou qu’il ne soit pas en état de mesurer l’incidence de son acceptation d’une telle peine. L’interdiction d’utiliser la CRPC en cas de déferrement nous paraît donc indispensable.

Ensuite, afin de limiter les atteintes au principe de la séparation entre les fonctions de poursuite et de jugement, la commission a précisé le pouvoir du président du tribunal d’accorder ou de refuser l’homologation en inscrivant dans la loi les réserves d’interprétation faites par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004. Néanmoins, cette amélioration notable n’enlèverait rien au fait que, dans cette procédure, nous assistons à un déplacement de la décision relative à la peine : celle-ci n’est plus laissée à l’appréciation du magistrat du siège, indépendant et impartial, mais est déterminée en pratique par la partie poursuivante, le ministère public.

Par ailleurs, la critique majeure qui demeure est que cette procédure, même améliorée, reste conçue comme une variable d’ajustement – je l’ai déjà dit et cela a été rappelé – de la gestion des flux, permettant au parquet d’opter pour telle ou telle procédure en fonction de l’encombrement de la juridiction. Ainsi, certains syndicats de magistrats que nous avons auditionnés déplorent le fait que l’utilisation de cette procédure ne se fait plus sur le seul critère de son adaptation à la gravité d’un fait et/ou de la personnalité de son auteur.

Dans la présentation du projet de loi de finances pour 2014, le ministère de la justice envisage même un recours accru à cette procédure et estime qu’il subsiste des leviers d’action susceptibles d’entraîner des améliorations en termes de traitement.

Mes chers collègues, nous voterons ce texte compte tenu du travail réalisé par M. le rapporteur ; je tiens néanmoins à préciser que, s’agissant de la gestion des flux au sein des juridictions, d’autres solutions doivent être envisagées, plutôt que le recours accru à cette procédure. Outre bien sûr la nécessité d’accorder plus de moyens à la justice, la mise en œuvre d’une politique de décroissance pénale par la dépénalisation de certains contentieux – une partie du contentieux routier par exemple, comme le rappelait Mme la garde des sceaux – pourrait être envisagée. La réforme pénale sera l’occasion d’étudier de manière globale ces solutions. Dans l’attente de celles-ci, nous voterons ce texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir failli débattre de la mise à mort ou de la quasi-disparition de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, nous allons finalement discuter des modalités de cette procédure et de l’amélioration de son fonctionnement comme de sa mise en œuvre.

En effet, comme cela a été déjà rappelé plusieurs fois, la CRPC, née en 2004, avait fait l’objet de très fortes réticences – le mot est faible – et d’un a priori extrêmement négatif. Ces très fortes inquiétudes, ces réticences et cet a priori négatif, que j’aurais partagés si j’avais été élue à cette époque, tenaient essentiellement, pour l’ensemble de la gauche, aux risques de déséquilibres entre les différents principes fondamentaux qui guident notre justice.

En effet, il semblait aux élus de gauche, tout d’abord, qu’il y avait une contradiction formelle entre, d’une part, le fait de comparaître en ayant reconnu sa culpabilité et, d’autre part, la présomption d’innocence. Il y avait là aussi, peut-être, une mise à mal du débat contradictoire, avec une concentration des pouvoirs et des décisions entre les mains du parquet, à la fois autorité de poursuite, autorité d’enquête et autorité de jugement. Il y avait en outre un risque de pression forte ou d’extorsion des aveux en poussant les prévenus vers cette CRPC, sans parler de cette crainte de la soustraction du débat à la publicité, au jugement public par le biais d’accords obtenus dans le bureau du procureur.

Toutes ces réserves et ces difficultés ont été de nouveau abordées aujourd’hui, et je ne vais donc pas revenir inutilement dessus.

L’idée initiale était de restreindre très fortement l’utilisation de cette procédure.

Avec un sens de l’écoute et de la mesure auquel je tiens à rendre hommage ici, M. le rapporteur et les auteurs de la proposition de loi eux-mêmes ont entendu les professionnels de la justice et ont pris en compte ce qui s’était réellement passé dans la mise en place de cette procédure : la sagesse de la justice et des professionnels de la justice a permis une utilisation parfaitement mesurée et raisonnable, ainsi qu’un fonctionnement tout à fait efficace de cette procédure, très loin des craintes initialement rapportées.

M. le rapporteur a donc changé son fusil d’épaule – là encore, je lui rends hommage pour avoir su le faire avec modération et efficacité – pour nous proposer finalement des amendements ne remettant pas en cause la procédure elle-même. Au contraire, ils contribuent, d’une part, à inscrire dans la loi le bon fonctionnement et l’utilisation judicieuse de cette procédure, et, d’autre part, à améliorer encore cette dernière par petites touches, de façon à ne pas mettre à mal l’équilibre aujourd’hui atteint.

En effet, 65 000 mesures liées à la procédure de la CRPC sont prises par an – ce n’est pas négligeable – et, selon les années, de 10 à 15 % seulement des décisions du parquet ne sont pas homologuées par le juge du siège.

Le champ d’application de la procédure, alors que l’on avait pensé le restreindre très sérieusement, ne changera finalement pas, car, de fait, cette procédure s’applique aujourd’hui à un contentieux de masse, à un contentieux dans lequel la culpabilité ne dépend pas des aveux, mais est objectivée par des faits matériels ; cela a déjà été rappelé plusieurs fois.

La peine encourue ne changera pas non plus, et là je voudrais souligner – cela a fait un peu débat au sein de la commission – que, si le quantum de peine encourue ne sera finalement pas modifié, restant bien à cinq ans et non à trois ans comme cela avait été initialement proposé, c’est sans doute dû à l’incohérence de notre échelle des peines figurant dans le code pénal, échelle qu’il faut très certainement revoir. Cette incohérence de l’échelle des peines est due à l’accumulation de lois sécuritaires et de lois « tout répressif » adoptées ces dernières années. Il y a donc là très certainement un travail de toilettage à faire…

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

En attendant, le maintien tant du quantum de peine initialement prévu pour la CRPC que de certaines exclusions, notamment liées aux violences, aux atteintes à la personne, délits qui ne doivent pas faire l’objet d’une CRPC, …

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

… est sans doute la meilleure solution. Les droits de la défense ont malgré tout été revus et améliorés dans le texte dont nous débattons aujourd’hui.

Ainsi, le texte exclut le recours à la CRPC après un déferrement ; par ailleurs, grâce à M. le rapporteur, la présence d’un avocat est prévue lors de l’audience devant le procureur, et des délais sont instaurés entre la proposition de peine faite par le procureur et l’acceptation de ladite peine par le prévenu, lequel a donc le temps et la possibilité de s’entretenir avec son avocat, hors présence du procureur, pour accepter ou non la peine proposée.

La pression mise éventuellement sur les prévenus est allégée par les modalités originales de convocation devant le tribunal correctionnel, et par la caducité de ces convocations sur le simple fait de se présenter à la CRPC, sans impliquer pour autant une acceptation de la peine : c’est aussi extrêmement intéressant.

En outre, on constate – et c’est un élément qui n’avait pas été anticipé – que ce dialogue direct du prévenu et du procureur en présence de l’avocat permet sans doute au prévenu de mieux comprendre et de mieux accepter la peine qui lui est proposée.

En revanche, monsieur le ministre, le fait d’inscrire une proposition de peine au greffe avant même d’avoir rencontré le prévenu ne va pas, à mon avis, dans le sens du dialogue, de l’acceptation de la peine et de l’écoute mutuelle et réciproque des arguments des uns et des autres. Si la peine est déjà inscrite au greffe, je crains un amoindrissement de l’effet bénéfique du dialogue et de l’incitation à venir à la CRPC ; d’entrée de jeu, le prévenu aura l’impression que la peine qui lui est proposée n’est pas en rapport avec les faits.

Les droits de la victime n’ont pas été oubliés. Sans la faire participer à la peine, la victime est semble-t-il mieux prise en compte, puisqu’elle a la possibilité de s’exprimer auprès du procureur en amont de ce dialogue entre le prévenu et le procureur.

La possibilité pour le juge du siège de diminuer d’un tiers la peine proposée par le procureur a fait l’objet d’un débat riche et intéressant au sein de la commission. Fallait-il permettre au juge du siège de diminuer la peine proposée par le procureur s’il avait l’impression que cette dernière allait un peu au-delà de ce qui était mérité par le prévenu ? Fallait-il risquer de modifier cet équilibre, en état stable aujourd’hui, en prévoyant simplement que le juge du siège, s’il considère que la peine n’est pas la bonne, n’homologue pas la transaction ? Fallait-il créer un déséquilibre en disant que l’on procède différemment selon que c’est plus ou que c’est moins ?

Après un long débat, la commission n’a finalement pas jugé utile, ou a jugé risqué, voire dangereux, de toucher à cet équilibre, et n’a donc pas retenu la proposition du rapporteur, qui présentait pourtant un intérêt certain. Peut-être y reviendra-t-on plus tard, après réflexion, sachant que, en tout état de cause, aujourd’hui, le jugement rendu en correctionnelle après un échec de la CRPC est en général inférieur. L’équilibre actuel n’est donc pas forcément mauvais ; et il est peut-être délicat d’y toucher alors que l’on modifie déjà d’autres points de cette CRPC.

En conclusion, l’esprit final d’étude et de débat de cette proposition de loi est très différent de celui qui prévalait à l’origine. Je tiens à rendre hommage tant aux auteurs du texte qu’au rapporteur d’avoir su entendre tout ce qui s’est dit sur le terrain, et d’avoir su convaincre tous ceux d’entre nous qui étaient a priori vent debout contre la CRPC : c’est en définitive une bonne mesure, une procédure efficace qui a toute son utilité dans notre arsenal juridique.

Pour l’ensemble de toutes ces raisons, mon groupe soutiendra la proposition de M. le rapporteur et de la commission. §

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. le rapporteur a profondément modifié le texte dont il a la responsabilité, alors même qu’il en était l’un des signataires, en plaçant de côté les idéologies pour retrouver la réalité. Son revirement m’a convaincue…

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

… et j’ai eu le plaisir de convaincre mon groupe.

Ce n’était pas évident, tant la CRPC nous paraissait totalement contraire à l’esprit même du droit pénal français. Comme nombre d’entre vous, mes chers collègues, les écologistes étaient en effet très critiques, voire violemment opposés à cette procédure dérogatoire du droit commun au nom barbare de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », et au charmant diminutif de « CRPC ».

Il suffit de lire l’exposé initial des motifs de cette proposition de loi pour se rendre compte de la virulence des critiques que l’on peut formuler. Je n’y reviendrai pas, cela a déjà été dit : rupture d’égalité, condamnation d’innocents, etc.

On entend encore trop souvent que la CRPC est une imitation du « plaider coupable » américain. Elle permettrait une négociation avec le procureur, et des innocents seraient prêts à se reconnaître coupables afin de limiter la peine que pourrait leur infliger un juge qui serait aveugle.

C’est totalement faux ! La peine doit être écrite avant la présentation du prévenu devant le procureur.

Le prévenu peut évidemment refuser la CRPC, et cette décision ne doit pas lui porter préjudice lors de sa comparution devant le juge. Nous reviendrons sur ce point lors de l’examen de l’un de mes amendements. Il faut absolument veiller à ce que cette volonté du législateur figure dans les textes : refuser la CRPC ne doit entraîner aucun préjudice.

Audition après audition, M. le rapporteur s’est aperçu que les défauts juridiques, voire idéologiques, inhérents à ce mécanisme avaient en bonne partie été corrigés par l’intelligence de nos magistrats. Comme nous avons fait confiance à l’intelligence des territoires lors de nos débats sur les métropoles, nous allons pouvoir reconnaître aujourd’hui l’intelligence de nos magistrats, si tant est que nous l’ayons jamais mise en doute.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui, tel qu’il est issu des travaux de la commission, corrige quelques défauts du mécanisme de la CRPC pour renforcer la liberté de choix du prévenu. Il entérine la double convocation, devant le procureur et devant le tribunal correctionnel, à la fois du point de vue matériel et dans le temps. Cela permettra d’éviter de rallonger inutilement la procédure au cas où la CRPC échouerait. Le texte prévoit aussi la présence accrue de l’avocat et l’information du prévenu sur le droit de dire « non ».

La question la plus intéressante sur laquelle nous avons eu à nous pencher est celle de la place des victimes dans la procédure.

Ce texte ne me semble pas le meilleur véhicule pour révolutionner la place des victimes dans notre code de procédure pénale. Dans notre procédure pénale, c’est l’État, et non pas les victimes, qui mène le procès, et ce au nom du peuple français dans son entier. Toute une philosophie sous-tend ce dispositif : l’État s’interpose entre les citoyens pour éviter qu’ils ne se fassent justice eux-mêmes. De plus, en cas d’infraction pénale, c’est le tissu social dans son entier qui est touché, et non simplement les victimes directes.

Ce point de vue est ancien. Je rappelle que la loi du talion, édictée par Moïse, était une tentative pour encadrer et borner la vengeance privée. À défaut d’interdire cette dernière, la réponse doit être proportionnée : pour un œil, un œil ; pour une dent, une dent. Aujourd’hui, on pourrait la traduire ainsi : pour telle infraction, une peine de prison de telle durée. En soulignant cela, je pense aux victimes, notamment à toutes celles que j’ai accompagnées du mieux que j’ai pu dans leur douleur comme avocate. Leur douleur doit être entendue et leur place doit être reconnue, comme nous le propose le rapport de MM. Béchu et Kaltenbach, Pour une meilleure indemnisation des victimes d’infractions pénales.

Cependant, si nous devons réformer la place des victimes dans notre droit, nous devons le faire dans une loi dédiée. En effet, le sujet est trop important pour être glissé par petites touches dans différents textes. En outre, cela risquerait de produire des distorsions dans les droits des victimes, alors que leurs douleurs sont semblables.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest . Monsieur le ministre, je suis très heureux de vous voir parmi nous ce matin, et j’ai eu comme toujours grand plaisir à vous entendre. J’ai l’impression toutefois que vous n’étiez pas du tout sur cette ligne lors des débats sur la loi de 2004.

M. le ministre délégué acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

C’est bien la preuve que l’on peut évoluer. C’est le cas de certains d’entre nous qui ont participé par le passé à des débats sur le sujet. J’avais alors été impressionné par les diatribes extrêmement violentes contre la CRPC, qui allait nous livrer à l’abominable système américain ; je reconnais que celui-ci est abominable et qu’il ne faudrait pas qu’il remplace le système français ; mais tel n’est pas le cas.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à lire l’exposé des motifs de cette proposition de loi, qui recèle quelques contradictions, il y aurait lieu, sinon de supprimer la réforme de la CRPC, dont les auteurs de ce texte reconnaissent cependant l’utilité, tout du moins d’en limiter l’utilisation et d’en modifier substantiellement la procédure.

Bien entendu, la dénonciation du système anglo-saxon, contraire à nos principes de droit et de procédures pénaux, dont la CRPC serait une pâle copie, ne tient guère. Comme je viens de le souligner, personne ne souhaite ici instaurer la procédure du plea bargaining américain. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous avez remarqué que l’on notait une évolution de tous les pays européens vers une procédure comparable, et ce sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.

La loi du 9 mars 2004, comme tous les textes modificatifs de 2009 à 2011, a été soumise au Conseil constitutionnel. Elle n’a pas été censurée, bien qu’il nous faille être attentifs aux réserves d’interprétation qui figurent dans les décisions du Conseil. C’est peut-être l’occasion d’apporter un certain nombre de précisions.

L’hostilité de certaines organisations professionnelles de magistrats – il serait plus juste de dire la totalité ! – lors de l’élaboration de la loi de 2004 semble, à la lumière des auditions conduites par M. le rapporteur, démontrer l’utilité et la pertinence de cette procédure, employée par les parquets avec mesure, comme étant très adaptée à certaines catégories de contentieux pénal.

Même la loi du 13 décembre 2011, qui suivait les recommandations du rapport Guinchard, a étendu la CRPC à tous les délits, sous réserve de ceux qui sont visés aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal punis d’une peine de plus de cinq ans d’emprisonnement. Cette restriction a d’ailleurs été apportée grâce à l’adoption d’un amendement d’Yves Détraigne et ne pose pas de problème particulier. Vous avez bien démontré que l’élément le plus important est la nature du contentieux, et non le quantum de la peine.

En outre, madame Klès, pour avoir participé, comme M. Alain Vidalies d’ailleurs alors qu’il était député, à l’ensemble de la réforme du code pénal, je précise que nous avions veillé à peser au trébuchet le quantum des peines. Le code pénal, lorsqu’il avait été adopté définitivement, était cohérent !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

J’ignore le nombre exact de délits, mais on en compte sans doute plusieurs milliers : environnement, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Or on s’aperçoit que les tribunaux n’en utilisent que 300 ou 400. Là encore, on peut s’interroger sur l’efficacité du droit pénal, mais c’est une autre question.

L’examen de la proposition de loi est néanmoins l’occasion – et c’est heureux – de faire le bilan d’application de la CRPC. Après tout, cela fait dix ans que la loi a été adoptée. Nous constatons qu’elle est très utilisée et représente environ 15 % des poursuites à partir de 2009, avec un taux d’homologation d’environ 12 % par le tribunal correctionnel. Je relève également, à la suite de nombreux intervenants, que le contentieux routier, pour lequel cette procédure est particulièrement adaptée, en constitue presque 60 % des procédures mises en œuvre.

Si l’on examine le taux d’échec de la CRPC, et bien que le ministère de la justice ait abandonné l’évaluation de ce dispositif depuis 2009 – comme je suis bienveillant, je précise que c’est sans doute en raison de son évolution positive ; il faut y voir la preuve que cet outil fonctionne –, il faut reconnaître qu’il est faible : les CRPC non homologuées ne représentent que 12 %. Encore faut-il indiquer que le refus d’homologation par le tribunal de grande instance ne concerne qu’un peu moins de 3 % des dossiers, le reste étant soit la non-comparution du prévenu, soit le refus de la peine par le prévenu.

Comme le rappelle le rapport de notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat, la procédure de CRPC est entourée de garanties sérieuses tant sur le plan procédural que sur le fond, au rang desquelles figure la présence obligatoire de l’avocat, l’exclusion du champ de cette procédure de certains délits portant une atteinte sérieuse aux intérêts de la société et des victimes.

La publicité de l’audience d’homologation et l’examen réel par le président du tribunal de grande instance des éléments du dossier sont autant de garanties de l’équité du procès. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné le Conseil constitutionnel.

Pour toutes ces raisons qui militent en faveur du maintien de la CRPC, il eut été envisageable de déposer une motion tendant à poser la question préalable. Nous en avons eu l’intention, mais cela aurait été dommage, car cela nous aurait empêchés de débattre. En effet, il ne nous paraît pas souhaitable de restreindre le champ d’application de la CRPC, ni de limiter la peine proposée, ni de permettre une modification par le tribunal de grande instance de la proposition du procureur, qui n’a pas à être tenu d’assister à l’audience. Si la CRPC est refusée, il reprend le dossier.

En revanche – et c’est le sens du texte issu des travaux de la commission des lois –, il y a sans doute lieu, bien que ces règles soient déjà appliquées, d’inscrire dans le droit positif les réserves d’interprétation du Conseil Constitutionnel, notamment à l’égard des victimes.

Les autres dispositions qui correspondent à la pratique des parquets n’ont sans doute pas d’incidence réelle sur l’utilisation de la CRPC, mais demanderaient à notre avis à être approfondies. Par ailleurs, nous soutenons la disposition qui vise à permettre à la victime de faire parvenir ses observations au parquet dès les premiers stades de la procédure.

Nous n’aurions pas voté le texte initial de nos collègues, mais nous ne ferons pas obstacle aux modifications raisonnables qui ont été apportées par la commission des lois à cette procédure de la CRPC, qui permet en définitive à la justice d’être plus efficace. Vous avez raison, monsieur le ministre, cette efficacité n’est pas uniquement comptable ; mais il faut souligner que cette nouvelle procédure accélère le cours de la justice. Après tout, un procès équitable, c’est aussi un procès qui ne dure pas trop longtemps. C’est également l’un des moyens de résoudre un certain nombre de conflits.

On parle beaucoup du statut du parquet. Il existe une solution simple : si l’on veut éviter des problèmes avec la Cour européenne des droits de l’homme, notamment des problèmes d’interprétation, il suffit de scinder le projet de loi que vous nous aviez proposé et de ne plus parler du Conseil supérieur de la magistrature. §

Vous savez très bien que beaucoup d’entre nous ont déjà voté à plusieurs reprises pour que, s’agissant des nominations des magistrats du parquet, l’avis du Conseil supérieur de la magistrature soit conforme. Cette disposition pourrait faire l’objet d’un large consensus du Parlement. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre présence. Nous avons toujours plaisir à dialoguer avec le ministre chargé des relations avec le Parlement. Néanmoins, une fois de plus, je constate que, quel que soit notre plaisir de vous voir siéger au banc du Gouvernement, aucun ministre directement en charge des dossiers n’est là pour discuter avec le groupe du RDSE.

Pour le débat qui aura lieu tout à l’heure, on nous a répondu que nous avions averti trop tard. En ce qui concerne cette proposition de loi, en revanche, cela fait plusieurs mois qu’elle est inscrite à l’ordre du jour de nos travaux.

Mais nous avons pris l’habitude de cette absence de considération envers notre groupe.

Plusieurs orateurs sont déjà intervenus ce matin sur la CRPC, et nous constatons que certains d’entre eux n’ont pas changé d’avis depuis dix ans.

Notre collègue Jean-Jacques Hyestvient d’illustrer cette position. Mes convictions, opposées aux siennes, sont également restées inchangées depuis dix ans, car je maintiens, à titre personnel, un certain nombre de réserves sur cette procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Je note d’ailleurs, monsieur le ministre, que sur le dossier de la CRPC, comme hier sur celui du non-cumul, vous faites partie des nouveaux convertis…

Si cette procédure pose certaines difficultés, elle présente des avantages que nous ne méconnaissons pas, en particulier la rapidité dans le traitement des dossiers. Les données chiffrées que vous avez fournies, monsieur le ministre, sont intéressantes, car elles montrent que cette procédure permet d’« évacuer » – le mot n’est peut-être pas très beau, mais il correspond à la volonté du ministère – le maximum de dossiers, en allant trois, quatre ou cinq fois plus vite.

Dès lors, pourquoi exprimons-nous depuis longtemps des réserves sur la CRPC ?

Je ferai tout d’abord observer que nous sommes un pays de droit romain. Or, depuis de nombreuses années, on nous explique que le droit anglo-saxon a des vertus uniques en matière de respect des droits de la défense, et dans bien d’autres domaines encore. D’ailleurs, depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, nous constatons que le poids de la procédure anglo-saxonne à l’échelon européen est de plus en plus lourd, ce qui constitue un réel problème. Non pas qu’il ne faille pas s’intéresser à ce qui se fait ailleurs, mais notre tradition juridique et celle des pays anglo-saxons sont très différentes.

Ce qui nous inquiète dans la CRPC, monsieur le ministre, c’est la distribution de la peine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Je caricature un peu – comme à mon habitude, direz-vous, donc je vais au-devant de vos critiques –, mais les justiciables ont bien compris le problème. En bref, on vous dit : « Monsieur, vous avez commis tel délit. Vous le reconnaissez. Si vous acceptez la CRPC, cela se passera bien. Sinon, vous irez à l’audience et votre peine risque d’être beaucoup plus lourde. » Telle est la réalité, je l’ai vécue comme professionnel. Il faut donc prendre garde à cette dérive.

Certes, la plupart des professionnels, des syndicats et des auxiliaires de justice affirment que, sur le terrain, cette procédure fonctionne plutôt bien, parce que ne sont dirigés vers la CRPC que des dossiers posant peu de problèmes. C’est certainement vrai. Voilà qui explique l’excellent travail réalisé par notre rapporteur pour rogner les ailes à ma proposition de loi

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Tout à fait, monsieur le président de la commission. C’est ce qui le distingue d’autres groupes, que je ne nommerai pas !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Cela étant, il suffit qu’apparaisse une volonté politique d’utiliser différemment la CRPC pour que cette dernière constitue un véritable danger pour le respect des droits de la défense. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ; dont acte. Cela n’a pas non plus été le cas hier ; dont acte également. Au reste, la plupart de nos magistrats sont démocrates et respectueux des lois de la République et des droits de la défense.

Néanmoins, avec l’accumulation des dossiers, la volonté de les évacuer au plus vite est de plus en plus forte. Ce type de procédure présente donc un risque, c’est une réalité. En outre, Jean-Jacques Hyestet d’autres l’ont mentionné, se pose évidemment le problème des droits de la défense, auquel on ne peut pas être sourd. Pour notre part, nous considérons que l’évolution de ce type de procédure peut être dangereuse, et on ne peut pas ne pas parler de la question de l’échelle des peines.

Cela pose un véritable problème aujourd’hui, car, eu égard aux faits commis, mais aussi à l’évolution de la société, nos concitoyens ne peuvent pas comprendre la nature des peines prononcées et les différences qui existent entre elles. Quand un avocat explique à son client que, pour telle infraction, il risque sept ans ou dix ans de prison – c’est vrai, c’est inscrit dans le Code pénal –, il nous répond que le système est complètement fou ! C’est ce que les avocats entendent tous.

En revanche, certaines infractions ont connu des évolutions dans le sens contraire. Comme d’autres avant moi, monsieur le ministre, je constate que, depuis quelques d’années, il existe une volonté d’écarter des audiences un certain nombre d’infractions économiques. Pour certaines d’entre elles, cela se comprend parfaitement, mais pour d’autres, je ne pense pas que cette évolution ait constitué un progrès pour la démocratie.

Je tenais donc à dire que nous sommes nous tout à fait dans la continuité de nos convictions profondes et que nous acceptons bien volontiers le travail accompli par la commission et son rapporteur, parce qu’il constitue un progrès.

Je me doute que, avec les textes qui sont annoncés en matière de droit pénal, tous ces sujets seront revus à l’aune des grands projets de Mme le garde des sceaux... Nous aurons donc l’occasion d’en débattre de nouveau et de faire connaître à cette dernière, si nous la voyons au Sénat, la position de notre groupe.

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est une procédure qui, lors de son introduction dans notre droit en 2004, soulevait beaucoup de doutes et d’interrogations, voire d’oppositions, qui ont parfois été vives.

Ces doutes émanaient aussi bien des magistrats et des avocats que de nombreux parlementaires. En effet, dans l’esprit de bien des personnes, cette procédure s’éloignait fortement de la conception qui est la nôtre d’un procès pénal équitable.

Néanmoins, au gré des différentes modifications législatives et, surtout, de la pratique des magistrats, force est de reconnaître que cette procédure a finalement convaincu très largement. Ce n’est pas encore entièrement le cas de notre collègue Jacques Mézard, semble-t-il, mais beaucoup ont su faire évoluer leur position.

Il est vrai que la CRPC s’est révélée utile pour juger les nombreux contentieux où la culpabilité du prévenu ne saurait souffrir de contestation, dans la mesure où il la reconnaît d’emblée lui-même. Les chiffres sont connus : la CRPC représente désormais plus d’un contentieux sur dix au pénal. En 2012, cela correspondait à un volume de 65 000 affaires. Le rôle qui lui a été confié afin de permettre un désengorgement des juridictions semble donc relativement réussi.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui introduit de nouveaux aménagements. En la déposant, notre collègue Jacques Mézard et son groupe ont remis cette procédure sur le devant de la scène parlementaire et nous ont permis d’en débattre. Je salue également M. le rapporteur, Pierre-Yves Collombat, coauteur du texte, qui, au fil des auditions, a su faire évoluer sa position.

Les modifications qui nous ont été proposées en commission ont permis de répondre aux différentes critiques sans remettre en cause l’essentiel de cette procédure de CRPC. Comme tous les orateurs l’ont souligné, nous ne pouvons qu’en être satisfaits, car il s’agit bien d’un travail d’amélioration, et non de remise en cause de la proposition de la loi.

Le rapporteur propose ainsi de mieux encadrer la CRPC. Ayant beaucoup travaillé sur la question des victimes, je me réjouis de l’amendement qu’il a proposé tendant à permettre à la victime de faire parvenir ses observations au procureur de la République avant que celui-ci ne s’entretienne avec la personne mise en cause au cours de la première phase de la CRPC.

Cette disposition, voulue par M. le rapporteur, permettra une meilleure appréciation des faits, et c’est positif. Lors de nos débats en commission, elle a été préférée à celle que je défendais avec mon collègue de l’UMP, Christophe Béchu, avec lequel j’ai écrit un récent rapport visant à mieux prendre en compte l’indemnisation des victimes d’infractions pénales. Dans les trente et une propositions que comptait ce document, nous souhaitions permettre aux victimes d’être mieux prises en compte dans toutes les procédures rapides qui ont été mises en œuvre ces dernières années.

Dans le cas de la CRPC, l’amendement que je vous proposerai, mes chers collègues, vise à permettre à la victime, si elle le demande, d’être entendue par le procureur de la République.

J’ai été surpris de l’interprétation tout à fait caricaturale de cet amendement qui a été faite par notre collègue Hélène Lipietz. Il ne s’agit en aucun cas de revenir à je ne sais quelle loi du talion ! Au cours des auditions que nous avons menées, Christophe Béchu et moi-même, nous avons pu constater que les procédures rapides de jugement, si elles permettent d’accélérer les délais de traitement des affaires pénales et de désengorger les juridictions, présentaient toutefois le risque d’écarter la victime du procès pénal. Dans le cas de la CRPC, la victime n’est invitée à faire valoir ses droits qu’au moment de l’audience d’homologation.

Grâce à l’amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat, la victime aura donc la faculté d’écrire en amont au procureur. C’est positif, mais nous considérons que cette possibilité n’est pas suffisante. C’est pourquoi, malgré le vote défavorable en commission, j’ai redéposé l’amendement que j’avais présenté alors, afin de permettre à la victime, si elle en fait la demande, d’être entendue lors de la première phase de la procédure par le procureur de la République, avant que ce dernier ne prenne sa décision sur la ou les peines qu’il prononcera à l’encontre de l’auteur de l’infraction.

Ce n’est pas contradictoire avec la possibilité d’écrire au procureur, bien sûr, mais c’est une faculté supplémentaire qui doit être proposée aux victimes. Trop souvent, celles-ci sont affectées par les faits commis à leur encontre, et elles éprouvent le besoin de s’exprimer. De surcroît, elles pourraient apporter des éléments que l’enquête de police n’aurait pas mis au jour. Pour toutes ces raisons, ma conviction est que la victime doit avoir toute sa place.

J’ajoute que les magistrats ne sont pas opposés à l’ouverture aux victimes de ce droit à être entendues et que, vu le type d’affaires traitées en CRPC, on peut prévoir que son exercice resterait marginal. Pourquoi donc se priver, pour quelques cas, de cette possibilité pour la victime d’être entendue, d’être reconnue et d’être considérée, voire d’apporter au procureur des éléments objectifs ?

Dans les débats qui vont suivre, nous aurons donc la possibilité d’améliorer la prise en compte de la victime dans le procès pénal. Certes, depuis trente ans, en France, beaucoup a été fait pour que la victime soit davantage considérée, reconnue et associée, mais il y a encore des progrès à faire ; en l’occurrence, nous pouvons aller plus loin que ne le propose M. le rapporteur. C’est le sens de l’amendement que je défendrai.

Quoi qu’il soit, le groupe socialiste votera le texte qui nous est proposé, car, sans remettre en question une procédure qui a montré son utilité, nous avons su faire œuvre utile en travaillant à l’améliorer.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Je remercie tous nos collègues qui sont intervenus dans ce débat. Je ne le cache pas, m’entendre dire que je suis « modéré » me remplit de joie…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Sur le fond, je me contenterai de formuler deux remarques susceptibles d’ouvrir des champs de réflexion pour l’avenir.

Premièrement – je serai bref sur ce point, qui a déjà été amplement abordé –, il est vrai que l’échelle des peines ne permet plus vraiment de s’y retrouver. C’est pourquoi, même si l’intention était bonne, nous avons renoncé à tenter de limiter l’usage de la CRPC au moyen du quantum de peine, ce qui n’aurait abouti à rien.

À n’en pas douter, si la CRPC a réussi, c’est parce que son usage a été cantonné à certaines catégories de délits. Notre système s’est autorégulé, ce qui est plutôt un signe de bonne santé. Il a su faire le meilleur usage possible d’une procédure atypique, qui ne s’inscrivait pas dans sa logique profonde.

Deuxièmement, la judiciarisation de la vie sociale fait que nous sommes confrontés aujourd’hui à deux types de délits au moins : d’une part, les délits ou les crimes classiques, qui portent atteinte à ce que la pensée chinoise appelle « l’ordre du ciel », et pour lesquels les questions de culpabilité et d’intention restent décisives ; d’autre part, un ensemble de délits pour lesquels la culpabilité ne fait pas débat, notamment lorsqu’ils reposent sur un fait matériel incontestable – par exemple, si vous êtes contrôlé avec deux grammes d’alcool dans le sang, vos aveux ou vos dénégations ne changeront strictement rien à l’affaire.

N’oublions pas en effet que l’appareil judiciaire joue de plus en plus un rôle de régulateur de la vie sociale, et qu’il devient ainsi un service annexe du ministère des affaires sociales.

Ces disparités expliquent que l’on puisse à la fois vouloir continuer à utiliser la CRPC dans certains cas et penser que son extension à d’autres domaines serait une calamité. Toutefois, la frontière restant assez floue, il me semblerait utile de poursuivre la réflexion sur ce point.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Léon Blum disait que, en politique, on a le choix entre se répéter ou se contredire…

M. le président de la commission acquiesce.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies

Si notre débat de ce matin rappelle que l’instauration d’une procédure nouvelle soulève légitimement des questions de principe, il montre aussi que ces questions peuvent rester pertinentes après plusieurs années de pratique, comme l’a rappelé M. Jacques Mézard. Toutefois, on voit aussi que, parallèlement, une forme de réalisme judiciaire s’est imposée.

Pour ma part, il ne me semble nullement contradictoire de rester vigilants sur les principes – c’est le devoir des parlementaires et du Gouvernement – et de constater dans le même temps les apports de cette procédure, qui, pour l’instant, a été plutôt bien utilisée, notamment grâce aux politiques mises en œuvre par les parquets.

Si les objections qui avaient été soulevées à l’origine par les uns et les autres n’ont pas été confirmées par les faits, il n’en demeure pas moins que le même texte, placé entre des mains mal intentionnées, pourrait conduire à des résultats très différents. Toutefois, le droit ne peut pas être formulé seulement pour assurer une protection contre d’éventuelles intentions malveillantes ! Au final, il me semble que ce débat est légitime et qu’il honore plutôt notre démocratie, que ce soit lors de la création de cette procédure ou aujourd’hui.

Je voudrais ensuite rassurer Jacques Mézard sur la présence de Mme la garde des sceaux au Sénat. Si j’en crois son agenda des derniers jours, c’est plutôt l’overdoseque vous risquiez !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies

En réalité, ce texte devait être examiné à l’occasion d’une autre séance, à laquelle Mme la garde des sceaux ne pouvait absolument pas assister en raison d’un impératif extérieur. J’avais donc été chargé de représenter le Gouvernement, et nous avions préparé ce texte ensemble. Sa date d’examen ayant finalement été modifiée, et faute pour Mme Taubira de disposer d’un ministre délégué, nous en sommes restés à l’organisation qui avait été initialement prévue.

Ne voyez dans cette absence aucun ostracisme à l’égard du Sénat, monsieur Mézard. D’ailleurs, compte tenu de l’ordre du jour prévisible des travaux parlementaires, qui a déjà été assez largement exposé en conférence des présidents, vous aurez de nombreuses occasions de revoir Mme la garde des sceaux, en particulier à partir du mois d’avril prochain.

Sur le fond, le Gouvernement et la garde des sceaux se félicitent du travail de la commission, dont M. Hyest a fourni une bonne synthèse. Il subsiste une divergence d’appréciation importante sur l’amendement n° 12 du Gouvernement, qui vise à communiquer la proposition de peine à la personne concernée au moins dix jours avant sa comparution. Je précise que cette question ne concerne pas seulement le rapport entre la proposition de peine et la personne ayant reconnu sa culpabilité ; elle implique aussi les victimes, dont on a voulu qu’elles soient présentes dans la CRPC comme elles le sont dans l’ensemble des procédures pénales.

Nous discuterons de cette différence d’appréciation lors de l’examen des amendements. Le Gouvernement entend se situer à l’intérieur du cadre juridique qui a été rappelé ce matin, c’est-à-dire respecter les principes historiques et les décisions du Conseil constitutionnel, mais aussi prendre en compte la pratique et l’évolution positive des opinions à l’égard de la CRPC.

Si les craintes initiales ne se sont pas réalisées, rien ne dit qu’elles ne se réaliseront jamais. On peut toutefois compter sur la vigilance du contrôle parlementaire, qui peut d’ores et déjà s’exercer sur la base des chiffres que l’on vous a communiqués. Quelles infractions sont concernées ? Comment cette procédure est-elle mise en œuvre ? Ces sujets sont importants.

La question de la répartition géographique de l’usage de la CRPC mérite également d’être étudiée attentivement. En effet, en matière de droit et de procédure pénale, ce ne peut pas être – passez-moi l’expression, mesdames, messieurs les sénateurs – au petit bonheur la chance. Les chiffres dont nous disposons, s’ils montrent des disparités que l’on ne saurait nier, ne sont pas non plus alarmants. La vigilance doit toutefois rester permanente afin de préserver cet acquis.

Cette procédure constitue aussi un progrès en termes de management de la justice. Il serait hypocrite de prétendre que ce point est totalement absent de nos préoccupations. Nous essayons de réaliser des efforts de maîtrise des dépenses en ce qui concerne le fonctionnement de la justice, mais aussi d’améliorer la rapidité de celle-ci, comme certains d’entre vous l’ont souligné. En effet, la longueur des débats et des procédures est l’une des spécificités de notre système judiciaire, et les justiciables eux-mêmes souhaitent bien souvent des décisions plus rapides.

M. Jacques Mézard soulignait qu’il était facile de convaincre une personne de choisir cette procédure. C’est une réalité que plusieurs d’entre nous ont vécue – j’ai, en effet, comme certains parmi vous, exercé la profession d’avocat. Néanmoins, on a pu voir aussi que les réactions des personnes concernées étaient différentes, de même que leurs motivations.

Vient aussi un moment où il faut sanctionner, et il est alors préférable que la sanction ne tourne pas à l’opprobre public. À cet égard, la CRPC permet aussi, dans certains contextes, une forme d’humanité. Dans la pratique, elle est donc vécue non pas comme une échappatoire, mais comme une réponse juste à une situation pénale donnée, l’essentiel restant tout de même la reconnaissance de culpabilité, dont le cadre juridique a été imposé par la pratique. Aujourd’hui, en faisant le bilan de cette procédure et en voulant encore améliorer son cadre juridique, vous en consacrez, d’une certaine façon, l’existence dans notre périmètre institutionnel.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le Gouvernement est favorable à ce texte, et il souhaite même aller plus loin que la commission avec l’amendement que je présenterai dans un instant sur le délai de dix jours.

Nous sommes attachés à cette proposition de loi et à sa vie parlementaire future. Elle fera donc partie des textes qui seront réinscrits à l’ordre du jour, soit sur l’initiative du groupe qui en est à l’origine, soit sur celle du Gouvernement. Nous sommes parties prenantes à la discussion et souhaitons parvenir à un texte qui soit conforme à la volonté conjointe du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

(Supprimé)

À l’article 495-7 du code de procédure pénale, les mots : « ou déférée devant lui en application de l’article 393 du présent code » sont supprimés.

L'article 1 er bis est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 12, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’article 1er bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 495-7 du code de procédure pénale, il est inséré un article 495-7-1 ainsi rédigé :

« Art. 495-7-1 . – La convocation établie en application de l’article précédent indique que la personne pourra, au moins dix jours avant sa comparution devant le Procureur de la République, consulter par l’intermédiaire de son avocat le dossier de la procédure, dans lequel figurera la proposition de peine envisagée. Elle précise également que la personne doit se faire assister d’un avocat et qu’elle peut à cet effet demander la désignation d’un avocat commis d’office. »

La parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

J’ai déjà évoqué les dispositions de cet amendement. D’aucuns se demandent comment cette proposition de peine pourrait figurer dans le dossier dès lors que nous sommes à un stade de la procédure où aucun contact direct n’a encore eu lieu entre le procureur et la personne concernée. Nous devons entendre cet argument, puisque la procédure repose sur une forme d’individualisation de la sanction.

D’autres considèrent au contraire que cette proposition permet, dès le départ, de rassurer sur le cadre dans lequel va se dérouler la rencontre avec le procureur. L’avocat peut ainsi dûment informer la personne intéressée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai entendu vos observations sur l’état de notre droit pénal et les peines qui figurent dans notre code pénal. Celui qui reçoit cette proposition sait ce qu’il a fait, puisque c’est la raison même de sa convocation. Par conséquent, la première chose qu’il fait, a fortiori à l’heure d’Internet – mais c’était déjà le cas avant –, c’est de se précipiter sur le code pénal. Dans certains cas, sa première réaction à la vue de ce qu’il risque sera de rédiger immédiatement son testament ou de fuir ! Il se dira qu’il ne lui reste plus qu’à liquider ses biens…

J’ai donné un exemple tout à l'heure : dix ans de prison pour le vol d’une bouteille de Coca-Cola dès lors que celui-ci est commis à deux, c'est-à-dire en groupe. On imagine la réaction du prévenu lorsqu’il découvre le quantum de la peine encourue… Cela justifie qu’une proposition soit formulée en amont.

L’amendement du Gouvernement vise donc à répondre à la critique que vous formulez tous, à juste titre : il faudra bien que l’on revisite un jour le code pénal, dans la mesure où il existe aujourd'hui une rupture entre les dispositions pénales et les sanctions prononcées.

J’ai souligné également qu’il serait possible d’informer la victime ; c’est un point important. Cette dernière pourra elle aussi savoir ce qui va se passer. Cela lui permettra de ne pas se sentir écartée de cette procédure si particulière, de ne pas avoir le sentiment d’intervenir de manière trop tardive. Ce sentiment pourrait en effet expliquer une partie des échecs de la procédure.

La transparence que nous proposons sera rassurante à la fois pour le prévenu et pour son avocat. En effet, l’étape qui suit la réception de la convocation, c’est la rencontre entre le prévenu et son avocat. Je pense que la connaissance de la peine envisagée sera un plus pour l’avocat, dont le rôle est d’expliquer à une personne totalement affolée que la peine prévue par le code pénal ne correspond absolument pas à ce qu’elle risque réellement, la discussion avec le procureur s’engageant sur une autre base.

L’individualisation – vous voulez respecter ce principe, comme tout le monde – suppose que le prévenu reçoive une proposition individuelle, au lieu d’avoir le quantum de peine, c'est-à-dire le maximum, puisqu’il n’y a pas de minimum, pour seule information. Si aucune proposition ne lui est faite, cela crée un rapport extrêmement anxiogène à la procédure.

Le Gouvernement s’appuie également sur l’expérience. Dans certains endroits, l’information sur la peine encourue est déjà transmise verbalement par le parquet, et cela fonctionne plutôt bien. Nous ne proposons pas quelque chose de dramatique. Il s'agit d’une amélioration. Dans la mesure où il souhaite que cette proposition de loi devienne un jour notre droit positif, le Gouvernement a souhaité ouvrir ce débat d’une manière déterminée.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le ministre, j’en suis mortifié, mais je ne peux pas émettre un avis favorable sur cet amendement.

L’argument que vous venez d’exposer vaut pour toutes les procédures, quelles qu’elles soient : la peine mentionnée dans le code pénal est toujours supérieure à celle que risque réellement le prévenu. Par conséquent, pourquoi votre critique se limite-t-elle à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ?

Je voudrais vous expliquer la logique de notre raisonnement, qui ne repose pas sur des a priori. Qu'on le veuille ou non, la cheville ouvrière du dispositif, c’est le procureur. Cela peut ne pas plaire, mais c’est comme ça. Nous voulons mettre le procureur dans une situation lui permettant de proposer la peine la plus adaptée et de l’individualiser le plus possible. Cela suppose qu’il ait entendu la victime au préalable : la victime ne doit pas apparaître à la fin de la procédure.

Si nous souhaitons que la victime puisse présenter ses observations d’emblée, ce n’est pas simplement pour lui faire du bien. C’est également pour donner au procureur des informations qu’il n’a peut-être pas, par exemple sur la manière dont les faits ont été commis ou – cela compte en cas de harcèlement, par exemple – sur la nature des relations entre la victime et le prévenu. Ces informations peuvent être très importantes.

Votre proposition part d’une bonne intention, mais nous craignons que le procureur ne s’engage sur une peine avant d’avoir vu le prévenu. Or il faut qu’il dispose de tous les éléments : il doit savoir à quoi ressemble le prévenu, comment il réagit, quel est son type de personnalité, etc. À défaut, on pourra légitimement reprocher à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité de s’apparenter à un marchandage : le prévenu se dira qu’il a gagné tant d’années par rapport à ce qui était prévu.

Dans cette procédure, tout tourne autour du procureur : le magistrat se contente de baliser, de s’assurer que la décision n’est pas contraire au droit. C'est la raison pour laquelle, dans un premier temps, j’étais plutôt favorable à la possibilité pour le magistrat de réduire la peine. Cependant, mes collègues m’ont convaincu que ce n’était pas une bonne idée. Il faut laisser le procureur assumer la responsabilité de ce qu’il a proposé, dans les limites de la loi, bien entendu ; c'est ici qu’intervient le magistrat.

Nous avons eu un long débat sur votre proposition, monsieur le ministre, et mes collègues m’ont convaincu. À nos yeux, il serait contre-productif que le procureur soit obligé de s’engager – par écrit, qui plus est – sans avoir tous les éléments d’information. Or la rencontre avec le prévenu constitue l’un des principaux éléments d’information.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Je suis d'accord pour que l’on indique au prévenu qu’il doit se faire assister d’un avocat. La seule chose qui me gêne dans l’amendement, c’est l’idée que le dossier de la procédure doive comporter la proposition de peine envisagée.

Je partage l’opinion de notre rapporteur. Par définition, c’est le dialogue du procureur avec l’auteur de l’infraction qui permet au premier de proposer une peine. L’enjeu, c’est la personnalisation de la peine. Or comment voulez-vous que le procureur puisse individualiser la peine s’il se contente de consulter le dossier ? Le même problème se pose en ce qui concerne l’adaptation de la peine. Le procureur peut par exemple proposer une peine de détention avec sursis, assortie de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général.

Je comprends votre intention, monsieur le ministre, mais votre dispositif priverait la procédure d’une partie de son efficacité et de sa justification. C'est pourquoi il ne me semble pas pertinent. Ou alors, il faudrait prévoir deux convocations : une première pour que le procureur indique au prévenu la date de son audition, et une seconde pour qu’il l’informe de la peine envisagée. Dans ces conditions, est-ce que la procédure aurait encore un intérêt ?

Je ne voterai pas cet amendement en l’état. Cependant, je serais prêt à le voter si M. le ministre le rectifiait en lui ôtant le membre de phrase prévoyant que le dossier de la procédure comporte la proposition de peine envisagée.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je ne reprendrai pas les arguments développés par notre rapporteur et par Jean-Jacques Hyest. Je voudrais toutefois souligner que consigner par écrit une proposition de peine empêcherait, me semble-t-il, de prononcer une peine plus lourde.

Or le procureur peut estimer, à l’issue de son dialogue avec le prévenu, que sa proposition initiale ne convient pas, au vu des circonstances ou de la personnalité du prévenu. L’individualisation de la peine ne consiste pas forcément à la diminuer. J’ai du mal à comprendre comment votre système pourrait fonctionner dans ce cas, monsieur le ministre.

C’est le rôle de l’avocat de rassurer le prévenu en amont de la convocation. Je partage l’interrogation de Jean-Jacques Hyest sur la nécessité ou non d’avertir le prévenu que son avocat doit intervenir ; il me semble préférable que le prévenu reçoive cette information. Il appartient à l’avocat d’expliquer à son client qu’il ne risque pas réellement la peine inscrite dans le code pénal. C’est le rôle de l’avocat, non celui du parquet.

Quid de la victime ? La force de l’écrit est telle que, si elle voit qu’une proposition de peine est formulée d’entrée de jeu, elle aura l’impression que le jugement a été rendu avant même qu’elle n’ait été entendue.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

On casserait ainsi toute la logique de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. C'est pourquoi je n’arriverai pas, moi non plus, à voter votre amendement, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Stéphane Mazars, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Je partage l’avis de mes collègues. Il est important d’informer le prévenu qu’il doit se faire assister d’un avocat et qu’il peut à cet effet demander la désignation d’un avocat commis d’office, mais cette information figure déjà dans la convocation remise au prévenu dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. De ce point de vue, les dispositions de l’amendement n’apportent rien de nouveau par rapport à la situation actuelle.

Quant à l’idée que les réquisitions devraient être versées au dossier et portées à la connaissance de l’avocat avant même l’audition du prévenu, je n’y souscris pas, moi non plus.

En effet, les réquisitions sont prises lors la comparution du prévenu, en présence de son avocat, dans le bureau du procureur de la République. C’est à ce moment que l’avocat peut fournir à ce dernier les éléments – sur la personnalité du prévenu, notamment – qui lui permettront d’adapter au mieux ses réquisitions. Il faut privilégier ce moment, et non demander au procureur de la République de se prononcer en amont sur la peine qu’il envisage de proposer.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

On voit bien qu’il y a deux approches sur cette question, ce qui est assez naturel. Cet amendement du Gouvernement est inspiré par la pratique actuelle et par les réactions qu’elle suscite chez un certain nombre de justiciables, ainsi que parmi les procureurs.

Néanmoins, si l’on remonte à la justification de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, on en arrive naturellement à ce qui vient d’être dit : le moment privilégié, c’est la rencontre entre le procureur et le prévenu. Je comprends donc vos réticences à l’idée que le procureur formule une proposition de peine avant cette rencontre.

Je demande à ceux qui s’opposent à cet amendement de prendre le temps d’y réfléchir. Le fait d’indiquer d’emblée au prévenu la proposition de peine envisagée apporterait un élément sécurisant dans une procédure inquiétante. Cette procédure s’en trouverait donc améliorée.

Cependant, sur le plan des principes, l’argument de la nécessaire individualisation de la peine est un argument majeur. Je reconnais qu’il est difficile pour un procureur de formuler une proposition de peine avant d’avoir eu un lien direct avec le prévenu.

Le Gouvernement a souhaité ouvrir le débat ; celui-ci n’est pas clos, mais, au vu de la force des arguments qui viennent d’être exposés, je retire cet amendement, monsieur le président.

Après les mots : « mesures d’aménagement », la fin de la troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 495-8 du code de procédure pénale est ainsi rédigée : « prévues par les articles 132-25 à 132-28 du code pénal ». –

Adopté.

La deuxième phrase du second alinéa de l’article 495-9 du même code est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :

« Après avoir vérifié la réalité des faits et leur qualification juridique, ainsi que la régularité de la procédure et le caractère justifié des peines proposées par le procureur de la République au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, il peut décider d’homologuer celles-ci. Il peut refuser l’homologation s’il estime que la nature des faits, la personnalité de l’intéressé, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire, ou si les déclarations de la victime convoquée en application de l’article 495-13 apportent un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l’infraction a été commise ou sur la personnalité de son auteur. »

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Remplacer le mot :

celles-ci

par les mots :

ces peines

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Cet amendement vise à introduire une rédaction plus conforme à l’objet de l’article, qui tend à homologuer les peines.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Avis favorable.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2, seconde phrase

Supprimer le mot :

ordinaire

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Il s’agit d’un amendement de coordination avec le travail effectué en commission. Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, on ne peut pas, hélas, modifier le statut de la victime au sein de notre droit pénal, au détour d’une loi, même si j’ai vraiment conscience du problème posé par le statut de la victime.

Contrairement à ce qu’a cru comprendre M. Kaltenbach, je n’ai pas du tout voulu dire que les victimes souhaitaient l’application de la loi du talion, qui constitue pourtant une avancée, je le répète, en ce que le désir de vengeance de la victime est satisfait par la réparation équitable du préjudice qu’elle a subi. À cet égard, j’insiste sur le fait que les victimes ne sont pas toujours animées d’un esprit de vengeance ; ce qui importe pour elles, c’est plutôt la reconnaissance de leur statut de victime et la compréhension des faits qui leur sont arrivés.

Par conséquent, je propose de supprimer le mot « ordinaire », qui n’apporte pas grand-chose au présent texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Cet amendement ayant été longuement discuté en commission, Mme Lipietz l’a déjà rectifié. En l’espèce, il s’agit d’une modification rédactionnelle, sur laquelle la commission ne peut qu’émettre un avis favorable.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

L'amendement est adopté.

L'article 3 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 6, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La dernière phrase du second alinéa de l’article 495-9 du code de procédure pénale est complétée par les mots : « à compter de la comparution devant le procureur ».

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Cet amendement vise à préciser le droit existant, puisque, comme je l’ai indiqué dans son objet, les spécialistes du droit pénal discutent du point de départ du délai mentionné à l’article 495-9 du code de procédure pénale, qui est l’un des éléments les plus importants. Il me paraissait nécessaire de profiter de l’examen de cette proposition de loi pour régler cette question.

Par ailleurs, je souscris tout à fait au sous-amendement du Gouvernement, qui corrige une erreur matérielle affectant mon amendement, puisque le délai est prévu non par le second, mais par le premier alinéa de l’article 495-9 du code de procédure pénale.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Le sous-amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, alinéa 3

Remplacer les mots :

dernière phrase du second

par les mots :

seconde phrase du premier

La parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ce sous-amendement a déjà été présenté par Mme Lipietz !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Le Gouvernement est d’accord avec l’objet initial de l’amendement n° 6, et son sous-amendement vise seulement à corriger une erreur matérielle, c’est-à-dire à indiquer que ce délai est prévu non par le second, mais par le premier alinéa de l’article 495-9 du code de procédure pénale.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. L’amendement n° 6 étant rendu encore plus excellent par la correction du Gouvernement, nous ne pouvons qu’y être favorables.

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 6, sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 13.

Le sous-amendement est adopté.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.

L'amendement n° 1, présenté par M. Kaltenbach, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la première phrase de l’article 495-13 du code de procédure pénale, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Elle est entendue, à sa demande, accompagnée le cas échéant de son avocat, par le procureur de la République avant que celui-ci ne propose à l’auteur des faits d’exécuter une ou plusieurs peines encourues. »

La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Cet amendement, que j’ai déjà évoqué lors de la discussion générale, vise à insérer un article additionnel après l’article 3 de la proposition de loi. Il est l’émanation de l’une des propositions du rapport d’information relatif à l’indemnisation des victimes d’infractions pénales, que j’ai rédigé avec Christophe Béchu.

En effet, lors des auditions, nous avons constaté que, bien souvent, les victimes étaient mécontentes d’être écartées des procédures rapides de jugement qui se sont développées ces dernières années.

S’agissant de la CRPC, la victime n’est invitée à faire valoir ses droits qu’au moment de l’audience de l’homologation, alors que l’essentiel a été décidé en amont, d’où l’insatisfaction que nous constatons.

Par conséquent, nous proposons, au travers de cet amendement, d’aménager la procédure de CRPC afin de permettre à la victime, si elle en fait la demande, d’être entendue lors de la première phase de la procédure par le procureur de la République, avant que ce dernier ne prenne sa décision.

Il ne me semble pas opportun de permettre à la victime d’être présente tout au long de l’entretien entre le procureur de la République, l’auteur des faits et son avocat. Par ailleurs, l’amendement n’a pas pour objet de préciser si la victime doit être entendue en même temps que l’auteur des faits ou séparément : il convient de laisser au procureur de la République le soin d’en apprécier l’opportunité au regard des circonstances de l’espèce.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Nous savons que M. le rapporteur a fait adopter en commission un amendement tendant à prévoir que la victime pourra s’adresser par écrit au procureur. Cette mesure est bien sûr positive, mais rien ne remplace une audition, d’autant que, comme l’a dit Mme Lipietz, les victimes souhaitent comprendre ce qui s’est réellement passé et être reconnues, sans pour autant être animées par un désir de vengeance. Le fait, pour celles-ci, d’être entendues par le procureur de la République contribue à la reconnaissance que nous leur devons. Cela peut également permettre à ce dernier de prendre une décision en pleine connaissance de cause.

J’ajoute que la mise en place, à côté de la procédure écrite, d’un entretien devant le procureur ne surchargera pas ce dernier de travail, pas plus que cela n’engorgera les tribunaux, puisque l’enjeu des affaires traitées en CRPC est faible et que les victimes ne se précipiteront pas pour demander à être entendues. Toutefois, lorsque l’une d’elles formulera une demande, le procureur pourra l’entendre et en tenir compte.

C’est la raison pour laquelle j’ai maintenu cet amendement malgré le peu de succès qu’il a obtenu lors du débat en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Je voudrais tout d’abord rappeler que la victime est aussi présente au moment de l’homologation et que, sur notre initiative, elle peut faire valoir préalablement ses conclusions et ses remarques concernant le dossier.

Toutefois, il ne faudrait pas que la rencontre du prévenu avec le procureur devienne une confrontation avec les victimes. Cela peut paraître aberrant ou contraire à nos principes, mais le pivot de cette procédure, je le répète, c’est le procureur. Nous voulons qu’il soit le mieux informé possible.

Certes, il faut aider la victime, mais le but d’un procès est tout de même de rendre la justice, c’est-à-dire de juger le prévenu dans les meilleures conditions possible. La tendance actuelle est de préconiser la plus grande sévérité afin de protéger la victime. C’est effectivement important, mais il ne faut pas oublier que l’on juge quelqu’un.

Par conséquent, nous estimons que la possibilité, pour la victime, d’avancer tout de suite un certain nombre d’arguments permettant au procureur d’avoir une meilleure appréciation de la situation et des protagonistes respecte l’équilibre global du dispositif.

Il s’agit non pas de déséquilibrer ce processus assez délicat, mais de faciliter, pour certains types de délits qui sont assez mineurs, même s’ils sont mal vécus, le traitement de ces dossiers dans les plus brefs délais, tout en garantissant le respect des droits des parties.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Ce débat resurgit chaque fois que l’on évoque la place de la victime dans la procédure pénale. À ce propos, je souhaiterais formuler une observation générale.

Nos concitoyens seraient effarés si nous leur présentions un petit exposé de droit comparé sur le rôle de la victime dans la procédure pénale, car ils sont absolument persuadés que nous avons beaucoup de progrès à faire en la matière et que la France est un pays arriéré dans lequel les droits de la victime ne sont pas reconnus, contrairement à ce qui se passe partout ailleurs, où la victime est placée au premier plan. Or c’est l’inverse !

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Effectivement. La plupart des pays considèrent que le but de la procédure pénale est la protection de la société, défendue par le parquet. Ce dernier poursuit un individu n’ayant pas respecté la règle et prononce contre lui une sanction au nom, non de la victime en tant que personne privée, mais de la société tout entière. Ce principe est appliqué partout.

Or la France est le seul pays où, au cours de la procédure pénale, des droits sont accordés à la victime personne privée, y compris la possibilité d’interjeter appel et d’intervenir avant que la sanction ne soit prononcée. De ce point de vue, je vous invite tous à faire ce travail pédagogique, mesdames, messieurs les sénateurs, afin que nos concitoyens acquièrent une vision exacte, au sein de notre procédure pénale, de la place de la victime. Il conviendrait aussi, plus généralement, d’éclairer les médias sur cette spécificité française méconnue de l’opinion publique et d’éviter de culpabiliser sur l’état de notre droit, car il est très largement protecteur.

La proposition qui consiste, à ce stade de la procédure pénale, à réintroduire la victime, me paraît donc disproportionnée compte tenu de la nature des infractions. Par conséquent, le Gouvernement partage totalement l’opinion et les arguments de M. le rapporteur. Ce serait prendre un risque affectant l’efficacité de la procédure elle-même que d’adopter une telle mesure.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Comme je l’ai expliqué tout à l’heure lors de la discussion générale, je suis tout à fait consciente de la nécessité de revoir, pas forcément dans un sens misérabiliste ou en fonction des gros titres des journaux, d'ailleurs, la place des victimes dans notre procédure pénale.

Il faut revoir la place de toutes les victimes, quelles qu’elles soient. Celles-ci sont présentes à chaque étape de la marche de la justice. Certaines ne voient pas leur plainte aboutir. D’autres, jusque dans les procès d’assises, sont – heureusement ! – prises en compte et défendues, à côté de la société.

Le problème de cet amendement, c’est qu’il tend à distinguer trois niveaux différents de victimes.

Tout d’abord, certaines victimes auraient la « chance » de voir leur cas présenté devant un tribunal correctionnel. Elles pourraient s’y rendre assistées d’un avocat, en audience publique – c’est très important – ou à huis clos si elles le désirent, pour exprimer leur ressenti, leur douleur, ce qu’elles ont vécu et ce qu’elles vivent toujours. Voilà pour les belles victimes !

Ensuite, d’autres victimes seraient entendues par M. le procureur de la République, comme le propose M. Kaltenbach.

Enfin, viendraient les victimes que l’on oublie souvent, celles dont les affaires ont été classées sans suite. Dieu sait si elles sont nombreuses ! Or ce classement est décidé sans que le procureur de la République auditionne ces victimes, qui ne sont d’ailleurs même pas reconnues comme telles. Elles peuvent simplement saisir le tribunal par citation directe, à la place du parquet.

Je le répète, c’est la place globale de la victime dans le code de procédure pénale qu’il faut revoir. C’est pourquoi je ne peux pas voter cet amendement, même si l’initiative de notre collègue Kaltenbach va sans nul doute dans le bon sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Stéphane Mazars, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Pour ma part, je souscris aux propos de M. le rapporteur et de M. le ministre, ainsi qu’aux considérations que Mme Lipietz vient d’exposer.

La situation de la victime est déjà améliorée via le présent texte, puisque des observations pourront être formulées par écrit et consignées dans le dossier.

N’oublions pas non plus que la victime a un rôle important à jouer lors de l’audience d’homologation : à ce stade, elle peut se constituer partie civile, notamment par l’intermédiaire d’un avocat.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Cette pratique est d’ailleurs courante. La victime peut ainsi demander des dommages et intérêts, en invoquant la situation dans laquelle elle a été placée. Via la réparation de ses dommages, ses intérêts sont défendus à tous les stades de la procédure, notamment – cela importe au premier chef pour elle – lors de l’homologation par le juge du siège de l’accord intervenu sur l’action publique, entre le ministère public et le prévenu.

Adopter une telle disposition reviendrait à alourdir la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et à s’écarter de l’esprit même du dispositif.

C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je vais m’efforcer de résumer la question de manière plus simple et peut-être un peu plus intelligible, …

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

… pour celles et ceux qui nous écoutent ou qui nous lisent, car le commun des citoyens n’est pas nécessairement familier des termes juridiques que nous employons.

Je rappelle que le présent texte accorde de nouveaux droits à la victime : son article 3 bis précise que cette dernière peut adresser ses observations au procureur de la République. Elle peut se faire entendre par ce biais. Il ne s’agit en aucun cas de créer, pour le procureur, une obligation de recevoir la victime.

À mon sens, le procureur est, en tant que magistrat, parfaitement fondé à convoquer la victime pour l’entendre, s’il l’estime nécessaire après avoir reçu ses observations. Au demeurant, toute décision du procureur est susceptible d’appel. Toute victime qui jugerait ses droits lésés se doit de recourir aux services d’un avocat et d’étudier avec lui quelle procédure, par exemple quel type d’appel, elle a à sa disposition pour avancer.

Je le répète, avec le présent texte, les victimes pourront adresser leurs observations. Cela étant, c’est une chose de créer un droit pour la victime, c’en est une autre d’imposer une obligation au procureur !

C’est pourquoi je m’opposerai, moi aussi, à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

En l’espèce, nous discutons d’une procédure qui a fait ses preuves et qu’il convient d’améliorer, sans l’alourdir. Elle permet déjà au procureur et au juge de résoudre des affaires qui, auparavant, traînaient en longueur. Même lorsqu’elles aboutissaient, les peines infligées n’avaient plus de sens, tant l’affaire était ancienne, voire oubliée.

La procédure actuelle est relativement rapide. Elle respecte les droits de toutes les parties, la victime y compris, comme la plupart des orateurs l’ont déjà souligné. Il ne faut donc pas la complexifier plus que de raison.

L'amendement n'est pas adopté.

Après la première phrase de l’article 495-13 du code de procédure pénale, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Elle peut adresser ses observations au procureur de la République. » –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 14, présenté par Mmes Lipietz, Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :

Après l’article 3 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le second alinéa de l'article 495-14 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Lorsque la personne n'a pas accepté la ou les peines proposées ou lorsque le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui n'a pas homologué la proposition du procureur de la République, le dossier est expurgé de toutes les pièces relevant spécifiquement de la procédure mentionnée aux articles 495-8 à 495-13 avant d'être transmis à la juridiction d'instruction ou de jugement, et ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant cette juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de cette procédure. »

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Il y a un mois, lorsque nous avons commencé à étudier ce texte, j’avais songé à déposer un semblable amendement. J’ai ensuite examiné l’article 495-14 du code de procédure pénale, qui m’a paru satisfaisant dans la mesure où il indique que les procès-verbaux des CRPC ayant échoué ne peuvent être transmis à la juridiction, en précisant que ni le ministère public ni les parties ne peuvent en faire état devant cette juridiction.

De fait, s’il n’accepte pas la reconnaissance préalable de culpabilité, un prévenu peut craindre que son choix soit connu au sein du tribunal, partant que ce dernier lui en tienne rigueur et juge son affaire plus sévèrement. Les avocats mettent d’ailleurs souvent leurs clients en garde, en leur indiquant que, s’ils font appel, ils sont susceptibles d’encourir une peine plus lourde. Aussi cette disposition m’a-t-elle semblé, dans un premier temps, très protectrice des prévenus.

Toutefois, il y a huit jours, j’ai assisté à une audience en correctionnelle, ce qui ne m’était pas arrivé depuis fort longtemps. Le magistrat rapporteur, qui se trouvait être le président du tribunal correctionnel, a déclaré : « Voilà un dossier qui nous arrive après une CRPC. » Il m’est alors apparu que l’article 495-14 du code de procédure pénale n’était pas si protecteur que cela, puisque le rapporteur ou le président du tribunal correctionnel peut faire mention de la CRPC.

En conséquence, j’ai déposé cet amendement, qui tend à empêcher de manière absolue – si tant est que l’absolu existe en la matière –, ou du moins avec la plus grande clarté, qui que ce soit d’évoquer, au cours d’une procédure pénale, l’échec d’une éventuelle CRPC.

Certes, on m’opposera cet argument, que j’ai déjà entendu : au sein des petits tribunaux, tout se sait ! Toutefois, a contrario, au sein des grandes juridictions, la tenue d’une CRPC ne s’ébruite pas nécessairement.

Enfin, les procès-verbaux ne sont pas les seuls documents visés. Il faut également tenir compte de la cote, c’est-à-dire de la première page du dossier, sur laquelle tout le déroulement de la procédure est résumé dès l’instant où le tribunal s’est saisi de l’affaire. Cette cote ne devrait pas non plus indiquer qu’une CRPC a eu lieu. Je le répète, il faut éviter à tout prix que cette procédure ne soit employée comme un instrument de pression sur les prévenus. Elle doit constituer un moyen de reconnaissance préalable de culpabilité, et rien de plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Madame Lipietz, permettez-moi de vous rappeler l’état du droit actuel, c’est-à-dire l’article 495-14 du code de procédure pénale, tel qu’il est aujourd’hui rédigé : « Lorsque la personne n’a pas accepté la ou les peines proposées ou lorsque le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui n’a pas homologué la proposition du procureur de la République, le procès-verbal ne peut être transmis à la juridiction d’instruction ou du jugement, et ni le ministère public ni les parties ne peuvent faire état devant cette juridiction des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure. »

M. Stéphane Mazars acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Dans l’affaire que vous citez, le magistrat n’aurait peut-être pas dû faire mention de ce qu’il avait lu sur la cote du dossier.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Cela étant, le terme « expurgé », qui est utilisé dans votre amendement, n’appartient guère au registre juridique.

En outre, dans la plupart des tribunaux, comment voulez-vous que la tenue d’une CRPC ne s’ébruite pas ? Sans compter que le prévenu peut avoir de bonnes raisons de refuser cette procédure.

Pour l’ensemble de ces motifs, la commission ne peut suivre votre proposition, qui n’apporterait strictement rien. Gardons à l’esprit que l’enjeu est le suivant : dans le cadre ou après l’échec d’une CRPC, tout prévenu a droit au procès le plus équitable possible.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

M. le rapporteur a rappelé avec raison les dispositions du droit positif, à savoir l’article 495-14 du code de procédure pénale.

Cet article répond déjà totalement à la préoccupation générale exprimée au travers de cet amendement, …

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

... en garantissant que le contenu d’une CRPC ayant échoué ne figure pas dans le dossier pénal.

Madame Lipietz, l’adoption de votre amendement empêcherait de mentionner l’existence même de cette CRPC dans le dossier.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Il ne s’agit cependant pas d’une procédure cachée. Au reste, la première garantie du droit pénal, c’est la transparence.

Imaginons un instant que votre amendement soit adopté. Une CRPC a eu lieu, et on ne le dit pas. Or, si l’une ou l’autre des parties l’apprend a posteriori, elle se demandera pourquoi cette procédure a été tenue secrète ! La CRPC n’a rien de honteux. Par définition, certains savent d’ailleurs qu’elle a existé : l’intéressé, le parquet, voire la victime, selon le stade auquel elle a échoué.

Étant donné ce qu’est aujourd’hui la CRPC, rien ne peut justifier de la rendre secrète. Je le répète, on se contente à l’heure actuelle de mentionner son existence, et on ne reprend pas le dossier. Les protections sont donc déjà très étoffées.

En conséquence, le Gouvernement souscrit totalement aux propos de M. le rapporteur et émet également un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Monsieur le ministre, par cet amendement, je reprends textuellement l’article 495-14 du code de procédure pénale. Il n’y a donc aucun risque que l’on apprenne, a posteriori, la tenue d’une CRPC ! Le problème se pose simplement dans les deux cas suivants : d’une part, lorsque le prévenu n’a pas accepté la ou les peines proposées, de l’autre, lorsque le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué n’a pas accordé l’homologation.

Lorsqu’une CRPC aboutit, elle est rendue publique et tout le monde en est informé, ce qui ne pose aucun problème. La rédaction actuelle de l’article est alors pertinente.

La seule phrase problématique est la suivante : « Le procès-verbal ne peut être transmis à la juridiction de l’instruction ou de jugement ». Cet amendement tend à remplacer par : « Le dossier est expurgé de toutes les pièces relevant spécifiquement de la procédure mentionnée aux articles 495-8 à 495-13 avant d’être transmis à la juridiction d’instruction ou de jugement ». Cette phrase exceptée, l’article reste strictement le même ! Il s’agit simplement de remplacer une dizaine de mots par une vingtaine d’autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je souhaite faire remarquer à ma collègue que, dans le cas qu’elle évoque, la procédure de CRPC aura bien eu lieu et qu’un certain nombre de personnes en auront eu connaissance. On ne contrôle pas systématiquement la parole des uns ou des autres, et il pourrait donc y être fait allusion en cours de procès, sans que rien ne permette de vérifier l’exactitude des faits. Autrement dit, on pourrait dire tout et n’importe quoi à propos de cette procédure, sans rien pouvoir vérifier. En suivant Mme Hélène Lipietz, nous ajouterions donc de la complexité.

La justice est un tout. Cette procédure existe. Si certains magistrats, ou d’autres acteurs, se permettent d’enfreindre la loi en faisant allusion à des pièces qu’ils n’ont pas le droit d’évoquer, charge aux avocats de défendre leurs clients ainsi injustement mis en cause.

Non, il ne faut pas expurger le dossier. La justice est un tout !

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Stéphane Mazars, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Je ne voterai pas cet amendement. Dans la situation examinée, tout le monde sait qu’une procédure de CRPC a eu lieu, puisque le prévenu a reçu une convocation, souvent délivrée par les services d’enquête à l’issue d’une convocation au commissariat ou à la gendarmerie. Ces services disposent donc de l’information. La victime a, quant à elle, reçu un avis à victime de manière à faire valoir ses droits durant l’audience d’homologation. Elle peut par ailleurs, désormais, écrire au procureur de la République en amont.

Tout le monde sera donc informé de cette procédure, qui n’est pas honteuse et qui n’aura pas abouti à une décision exécutoire, mais peu importe. Ce qui est en revanche important, c’est de préserver les éléments qui ont conduit à son échec. Voilà la raison d’être de cet article, et le sens du droit existant aujourd’hui. Objectivement, le reste n’a aucun intérêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Je retire mon amendement, monsieur le président !

L’article 495-15-1 du même code est ainsi rédigé :

« Art. 495-15-1 . – Lorsque le procureur de la République convoque devant lui une personne afin de lui proposer une peine conformément aux dispositions de la présente section, il peut simultanément lui faire remettre une convocation en justice en application de l’article 390-1. La saisine du tribunal correctionnel résultant de cette convocation est caduque si la personne se présente à la convocation devant le procureur. La personne en est informée lorsque la convocation en justice lui est remise. La date de comparution à l’audience du tribunal correctionnel résultant de la convocation faite en application de l’article 390-1 doit être fixée au moins dix jours après celle à laquelle la personne est convoquée devant le procureur. »

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 7, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Supprimer les mots :

devant lui

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Il s’agit d’un amendement rédactionnel. Il est évident que la comparution prend place devant le procureur.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Favorable.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 8 rectifié, présenté par Mme Lipietz, M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

lui faire remettre

par les mots :

y joindre

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Il s’agit également d’un amendement rédactionnel.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Favorable.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 9, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2, deuxième phrase

Supprimer les mots :

à la convocation

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Il s'agit encore d’un amendement rédactionnel.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Favorable.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L'amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 2, dernière phrase

Après les mots :

au moins dix jours

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

après la date de comparution devant le procureur.

La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Cet amendement tend à compléter la définition du délai en le faisant courir à partir de la date de comparution devant le procureur.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué

Favorable.

L'amendement est adopté.

L'article 4 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité des présents.

(Non modifié)

La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Nous sommes partis d’une réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, et nous avons procédé à quelques aménagements utiles, en tenant compte des réserves émises par le Conseil constitutionnel lors du vote initial de cette procédure, mais aussi en tenant compte de la pratique.

D’autres voies alternatives au procès que la CRPC existent, comme la composition pénale. C’est heureux, à mon sens, en ce que cela diminue parfois la pression et contribue aussi bien à responsabiliser les prévenus qu’à assurer la justice. J’avais défendu la CRPC à l’époque où elle a été créée et je me réjouis que, aujourd’hui, chacun reconnaisse qu’elle a sa place dans notre système judiciaire.

En outre, et c’est maintenant une habitude vertueuse du Sénat, grâce à la proposition de loi de nos collègues, il nous est possible d’établir un bilan après dix ans d’application. C’est tout à fait positif, car parfois, on modifie la loi avant d’en avoir fait le bilan !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

C’est en effet très fréquent. Aujourd’hui, on dresse un bilan et on identifie des éléments à améliorer, concernant les droits de la victime, notamment.

Le groupe UMP votera donc cette proposition de loi, telle qu’elle a été amendée.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Nous voterons également cette proposition de loi, telle qu’elle est issue de nos débats. Au risque de briser cette belle unanimité, je souhaite affirmer toutefois que, à nos yeux, cette procédure n’est pas la meilleure solution.

Notre vote ne vaut donc pas adhésion au principe de la CRPC. Il doit permettre de poursuivre la réflexion sur cette procédure, qui doit encore évoluer en intégrant les garanties proposées, dont toutes n’ont pas été acceptées ici.

M. Hyest disait que l’équité d’un procès reposait également sur la rapidité avec laquelle il est mis en œuvre. Les procès sont parfois trop tardifs, en raison, d’ailleurs, de problèmes d’organisation ou de personnel, et d’encombrements. Je reste persuadée que les réformes à venir, sur lesquelles nous travaillerons dans les mois qui viennent, doivent contribuer à améliorer également ces éléments.

Si la CRPC doit être maintenue, et même si elle intègre les améliorations dont nous venons de débattre, il ne faut pas qu’elle devienne un outil de managementde la justice. Notre groupe sera vigilant à ce sujet, vous le savez, et il saura rappeler ce principe dès que des dérives apparaîtront.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Je souhaite remercier le RDSE de nous avoir proposé ce texte et surtout d’avoir su le faire évoluer. En effet, cela nous a obligés à nous remettre en question et à repenser nos a priori. Je ne suis, cependant, pas encore tout à fait rassurée quant au chantage auquel cette procédure peut donner lieu.

Mes chers collègues, je souhaite également remercier l’inspirateur des amendements rédactionnels que vous avez eu la gentillesse d’adopter, à savoir mon professeur de droit pénal, M. Jacques-Henri Robert. Celui-ci m’avait fait aimer cette discipline en première année à l’université. Il est parfois bon de rappeler que nous ne nous sommes pas construits seuls et que nous devons beaucoup à nos enseignants. En l’occurrence, je lui transmets tous mes remerciements.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Sans allonger les débats, je souhaite rappeler, ainsi que cela a déjà été dit et répété de ce côté de l’hémicycle, que le regard favorable que nous avons porté sur le texte initial, puis sur son évolution, s’explique surtout par l’utilisation que les professionnels de la justice ont faite de cette procédure. Celle-ci a en effet été cantonnée à un certain type de délinquance et de délits, sans s’étendre au-delà. Nous resterons très attentifs à ce qu’il en soit toujours ainsi, en travaillant sur les réformes de la justice à venir.

En tout cas, je le répète, le groupe socialiste votera cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des présents.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

J’ai reçu avis de la démission de M. Philippe Adnot, comme membre de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

J’informe le Sénat que la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’elle propose pour siéger à la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, en remplacement de M. Philippe Adnot, démissionnaire.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Monsieur le président, nos travaux de ce matin doivent se terminer à treize heures. Cela signifie que, compte tenu de la manière dont a été arrêté le déroulement du débat à venir, l’opposition ne pourra pas s’exprimer.

En effet, tous les orateurs de la majorité sont en tête de la liste. Les temps de parole combinés atteignent en principe cinquante-quatre minutes, soit entre une heure et une heure dix. Les trois orateurs de l’opposition interviendront ensuite, pour trente-quatre minutes.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

En outre, je viens d’alerter ainsi le ministre, qui a le droit d’intervenir à n’importe quel moment du débat. S’il utilise ce droit, il est certain que nous passerons à l’as, si j’ose dire !

Monsieur le président, ce fonctionnement n’est pas satisfaisant. Vous savez que la classe politique est mise en cause au niveau national et que des articles plutôt désagréables pour le Sénat ont été publiés durant la dernière quinzaine. Quel exemple donnons-nous aujourd’hui ? Ces niches parlementaires sont, certes, compliquées à organiser, mais, en l’occurrence, la majorité s’apprête à ne pas donner la parole à l’opposition. Nous allons tout simplement disparaître !

Je crois que vous ne pouvez rien y faire, mais je voulais rappeler que c’est ainsi que les choses vont se passer, à moins que certains orateurs de la majorité acceptent que nous nous intercalions parmi eux, afin de donner un peu de place à l’opposition. Ce pourrait être un comportement correct.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Pour ma part, je ne fais qu’appliquer les décisions de la conférence des présidents.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur Poniatowski, je comprends tout à fait votre sentiment, mais nous avons l’occasion de nous trouver les uns et les autres dans la même situation, puisque l’ordre du jour des temps réservés aux groupes est fixé librement par chacun de ces derniers. Aujourd’hui, un groupe a utilisé ses quatre heures pour inscrire un texte et un débat, dans l’ordre qu’il a souhaité.

Par ailleurs, vous savez que l’ordre de parole entre les différents groupes est fixé en vertu d’une règle qui s’applique à tout le monde : la règle du tourniquet.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Je le reconnais, monsieur le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Votre groupe parlera nécessairement lorsque ce débat se poursuivra, lors d’un nouveau temps réservé, où il sera loisible au groupe concerné de l’inscrire, en toute liberté. La conférence des présidents respecte en effet strictement les demandes des groupes pour les temps réservés.

Une réflexion pourrait être menée à ce sujet. M. le président du Sénat a d'ailleurs décidé de réunir prochainement les membres du bureau et de la conférence des présidents. Il a demandé que des propositions lui soient soumises. Nous pourrions proposer de remplacer le tourniquet par un système dans lequel on donnerait tour à tour la parole aux groupes minoritaires et majoritaires.

Aujourd’hui, la règle est ce qu’elle est, et elle est strictement appliquée. Nous en subissons tous les avantages comme les inconvénients.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Je comprends parfaitement les observations de notre collègue Ladislas Poniatowski. Je tiens à le rassurer quant aux intentions du groupe du RDSE ; je ne pense d’ailleurs pas que nous ayons de grandes divergences de vues sur l’énergie.

Pour ce qui concerne l’ordre de passage des orateurs, nous sommes tout à fait disposés à renoncer à prendre la parole en troisième position pour permettre au groupe UMP de s’exprimer. Il serait en effet de très mauvais goût que le débat fût tronqué. Néanmoins, nous ne pouvons, pour ce qui nous concerne, faire plus.

Je l’ai déjà relevé, le ministre chargé de ce dossier n’est pas là. Pourtant, ce débat est important ; il y a beaucoup de choses à dire sur cette question, d’autant que nous avons appris ce matin la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim en 2016. Cette annonce justifiait plus encore un véritable débat.

Debut de section - Permalien
Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Je formulerai trois observations.

Premièrement, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Philippe Martin. Lorsque M. Mézard a demandé l’inscription de ce débat ce matin, j’ai immédiatement averti la Haute Assemblée que le ministre de l’environnement ne pourrait être présent, car l'Assemblée nationale examine en ce moment deux propositions de loi relevant de sa compétence, et j’ai précisé qu’il serait remplacé par le ministre chargé des relations avec le Parlement.

Deuxièmement, le Gouvernement ne peut rien à l’organisation des travaux du Sénat, qui est interne à votre assemblée. Je n’ai donc pas d’appréciation à apporter.

Troisièmement, enfin, le Gouvernement ne pourra s’exprimer qu’à la fin du débat. Compte tenu de l’horaire, il est clair que je ne pourrai intervenir, ce que je regrette. Toutefois, même si j’avais eu le droit de modifier l’ordre de passage des intervenants, je ne l’aurais pas fait, car il importe que les parlementaires s’expriment en premier.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L’ordre du jour appelle le débat sur la production énergétique en France : avenir de la filière du nucléaire et nouvelles filières de production d’énergie, organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Stéphane Mazars, au nom du groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE auquel j’appartiens est très attentif aux questions relatives à l’énergie.

Il a suivi l’année dernière avec vigilance le débat sur la transition énergétique. Il s’intéresse aujourd’hui activement au travail de préparation du projet de loi sur la transition énergétique. Il veille à susciter, dès qu’il le peut, un large débat sur ces questions, notamment dans cette enceinte. C’est, d’ailleurs, la troisième fois en moins d’un an que nous débattons ici, en séance publique, de l’énergie, et ce sur notre initiative.

En effet, il est, selon nous, de la responsabilité du Parlement et des politiques de s’emparer de cette question et de prendre les décisions structurantes, indispensables pour l’avenir de notre pays, son indépendance, la compétitivité de nos entreprises et le bien-être de nos concitoyens. Il ne peut être question de laisser les décisions aux experts, techniciens ou technocrates, particulièrement nombreux dans ce domaine, même si leur compétence n’est pas en cause, loin de là. Il nous revient aussi de maîtriser le calendrier et de déterminer le rythme des évolutions.

En effet, il nous faut faire face à l’importance des enjeux et répondre à la prise de conscience par nos concitoyens de la rareté des matières premières non renouvelables, notamment celles qui sont utilisées pour les énergies fossiles. Cette rareté est devenue une réalité. Elle est en partie la cause du montant élevé de notre facture énergétique, qui atteint aujourd’hui 70 milliards d’euros environ, soit pratiquement le montant de notre déficit extérieur. Les trois quarts de cette facture sont dus aux hydrocarbures.

Les conséquences de cette dépendance aux énergies fossiles, qui a un impact pratiquement irréversible sur le réchauffement climatique, sont également mieux connues.

Le dernier rapport du GIEC, le fameux groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, paru au mois de septembre dernier, fournit des analyses nombreuses et approfondies à ce sujet. Les travaux de l’ONERC, l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, un organisme créé, je le rappelle, sur l’initiative du Sénat, sont également très éclairants. Les récentes intempéries connues en France, en Europe et ailleurs témoignent aussi cruellement de ces dérèglements climatiques.

La recherche et le développement de solutions alternatives à nos modèles de croissance économique et, surtout, à nos manières d’utiliser les ressources énergétiques sont donc plus que jamais prioritaires. Nous devons tendre vers une économie de plus en plus décarbonée pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que l’augmentation de la température à la surface du globe.

Nous le savons, le monde globalisé dans lequel nous vivons aujourd’hui doit évoluer et trouver collectivement les meilleures façons de permettre à tous les habitants de la planète de vivre mieux, sans épuiser à tout jamais le patrimoine naturel dont ils disposent, en particulier en matière énergétique.

Dans ce contexte, l’indépendance énergétique de la France est un objectif incontournable reposant sur deux piliers, qui sont aussi deux filières d’excellence : le nucléaire et les énergies renouvelables. S’y ajoute, en contrepoint, la nécessité d’une plus grande efficacité énergétique.

Dans les trois cas, ce sont des emplois et des technologies, de l’activité et de l’innovation, des leviers pour le développement économique, y compris local. Ces filières stratégiques sont en effet des secteurs véritablement porteurs pour l’avenir de nos territoires, de nos concitoyens et de notre pays.

Le Sénat doit en être pleinement conscient et jouer un rôle déterminant dans les choix qui seront faits, lesquels vont nous engager pour les prochaines années.

Le chantier de la transition énergétique est donc crucial. Il doit aboutir à un mix énergétique crédible et adapté aux ressources de notre pays, incluant, bien entendu, l’électricité nucléaire, mais aussi l’utilisation de la géothermie, de la biomasse, des courants marins, du vent, du soleil.

Certes, beaucoup d’incertitudes sur les défis auxquels nous devrons faire face demeurent. À quel rythme s’épuiseront les ressources fossiles ? Comment évoluera notre consommation électrique ? Quels gains de productivité peut-on raisonnablement attendre des différentes filières des énergies renouvelables ?

Toutefois, il est certain que nous ne devons pas nous priver de l’avantage compétitif incontestable que représente notre filière nucléaire.

Bien sûr, il faut adapter nos centrales et prendre en compte le coût des investissements en matière de sûreté, de démantèlement, de traitement des déchets et de recherche. Cependant, nous ne devons pas pénaliser inutilement nos entreprises et nos concitoyens. Nous devons aussi être au rendez-vous des objectifs que nous nous sommes fixés pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et qui nous engagent sur le plan européen.

Certes, comme l’a souligné la Cour des comptes dans un rapport rendu public la semaine dernière, nous avons jusqu’à présent respecté les grandes lignes du paquet énergie-climat, mais ce sera de plus en plus difficile dans les années qui viennent.

Ce paquet repose sur trois objectifs pour 2020 : 20 % de réduction des gaz à effet de serre, 20 % d’énergies renouvelables, 20 % de gains d’efficacité énergétique.

La Commission européenne a même annoncé hier qu’elle souhaitait aller encore plus loin, avec une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 et au moins 27 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie.

Or, comme le souligne la Cour des comptes, si la part des énergies renouvelables est passée de 9, 6 % en 2005 à 13, 1 % en 2012, les 20 % seront « difficiles à atteindre » à l’horizon 2020. Pour ce faire, l’accroissement de la production d’électricité renouvelable devra être six fois plus important dans les six années qui viennent que sur la période 2005-2011, et sept fois plus important encore pour la chaleur renouvelable. Cela suppose des investissements substantiels.

La Cour des comptes relève en particulier la nécessité de renforcer les réseaux pour raccorder ces nouvelles sources d’énergie. Or les coûts estimés par RTE et ERDF s’élèvent au total à 5, 5 milliards d’euros.

Cette institution préconise aussi de revoir les méthodes de soutien et de financement de la politique de développement des énergies renouvelables, comme elle l’avait déjà fait dans son rapport de juillet 2013. Dans ce document, elle recommandait que soient réalisés des arbitrages entre les filières pour privilégier « les plus efficientes » d’entre elles, c'est-à-dire l’éolien et la chaleur renouvelable, plus que le photovoltaïque ou l’électricité géothermique. Pour ces deux dernières filières, en effet, elle estime qu’une partie substantielle des moyens importants consacrés au soutien à la production devrait plutôt être réorientée vers la recherche.

Le débat actuel sur le projet de loi de transition énergétique doit porter cette ambition et se donner comme obligation de mettre en place les conditions d’une véritable révolution énergétique dans notre pays. Il nous faut, filière par filière, tout mettre en œuvre pour soutenir nos entreprises et relocaliser les emplois perdus au cours des dernières années.

Oui, tous les secteurs des énergies renouvelables ont souffert, au cours des dernières années, d’un manque de soutien et sont en attente de mesures fortes de la part du Gouvernement. Plusieurs annonces, appels à projets ou à manifestations d’intérêt, assouplissements législatifs ou réglementaires sont néanmoins allés en ce sens au cours des derniers mois, ce dont nous nous réjouissons.

Toutefois, il reste encore un cap stratégique à fixer et des objectifs ambitieux à déterminer. C’est le cas pour l’éolien, la petite hydroélectricité, les énergies marines, la biomasse, mais aussi le photovoltaïque ou la géothermie.

Dans les futures décisions, il faudra veiller à ne plus commettre les mêmes erreurs que par le passé ; je pense, notamment, au photovoltaïque. La politique menée a malheureusement été un échec pour nos entreprises et nos emplois ; nous avons ouvert les portes de notre pays toutes grandes aux panneaux photovoltaïques étrangers.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Ceux qui veulent encore croire à cette énergie, à laquelle nombre de rapports promettent un bel avenir, doivent se débattre avec une politique tarifaire inconséquente et des procédures d’appels d’offres qui n’aboutissent pas.

Le Gouvernement a récemment annoncé des mesures de relance de la filière, mais j’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait qu’il y a véritablement urgence. On ne peut plus continuer à laisser sans réponse les acteurs de ce secteur qui participent aux appels d’offres avec des projets économiquement viables.

Face à ces défis, nous pensons que, au-delà des arbitrages gouvernementaux, les collectivités territoriales ont un rôle à jouer. Elles peuvent être les catalyseurs du développement de la part des énergies renouvelables dans notre système énergétique, notamment pour la production d’électricité.

Aussi, il convient qu’elles puissent exercer cette compétence d’une manière optimale, car elles sont les mieux placées pour favoriser la mise en œuvre de solutions à la fois adaptées aux besoins et intégrées, par exemple, en joignant la question du traitement des déchets à celle de la production de réseaux de chaleur ou d’électricité.

Comme l’ont bien montré les travaux menés dans le cadre du débat national, le processus de la transition énergétique suppose des changements très importants dans les comportements et les technologies, et la question posée est bien celle de savoir de quelle manière il est possible d’enclencher ces changements.

Nous le savons, les outils existent : les normes, la tarification, la fiscalité. Toutefois, il faut une volonté pour les mettre en œuvre et les prévoir dans la durée.

Les normes, par exemple, peuvent avoir un impact fort dans le domaine du bâtiment, de l’automobile ou de l’industrie. Ce n’est pas tout de le dire, encore faut-il agir, et à bon escient !

De ce point de vue, si tout le monde convient que la rénovation thermique des bâtiments est l’une des sources les plus prometteuses d’économies d’énergie et, plus encore, d’emplois, on ne peut que constater le retard pris dans les décisions sur les décrets et arrêtés d’application relatifs à la formation, par exemple.

Ce retard n’est pas admissible, tant il y a urgence et tant les retombées sont importantes pour nos entreprises, l’emploi, la vie quotidienne de nos concitoyens et aussi, bien sûr, notre bilan énergétique.

Deux autres outils doivent être utilisés avec discernement.

Il s’agit, tout d’abord, de la tarification. Celle-ci n’est pas un outil simple à manier, mais, adaptée aux enjeux, elle doit permettre de faire évoluer les comportements et de promouvoir une autre composition du mix énergétique. L’expérience allemande en matière de tarification des énergies renouvelables doit d’ailleurs être un élément de réflexion dans ce débat.

Ensuite, le second outil est la fiscalité : celle-ci peut être efficace et, même, très efficace, dès lors, toutefois, qu’elle est accompagnée, afin d’éviter certains de ses effets pervers. C’est un domaine où les marges sont grandes, mais délicates à mettre en œuvre ; je pense à la fiscalité sur le gazole, les agrocarburants, mais aussi aux dispositifs de soutien aux nouvelles filières, comme le photovoltaïque, un domaine dans lequel nous avons malheureusement eu une politique bien trop erratique et insuffisamment réfléchie.

Le processus de la transition énergétique suppose donc de favoriser les énergies les plus compétitives, ainsi que celles qui nous permettront de remplir les objectifs fixés à l’échelle européenne. Cela signifie en particulier qu’il faut enclencher avec plus de volontarisme le développement des boucles énergétiques locales, que ce soit pour l’électricité, la chaleur ou le gaz.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le chantier de la transition énergétique est crucial. Il doit aboutir à un mix énergétique crédible et adapté aux ressources de notre pays. Il doit permettre à tous les acteurs concernés d’y participer, ce qui nous met dans l’obligation de créer les conditions les plus favorables à l’objectif d’indépendance énergétique, indispensable pour l’avenir de nos territoires et de nos concitoyens.

Le débat national sur la transition énergétique qui s’est achevé a permis une très forte mobilisation de l’ensemble des acteurs économiques, syndicaux, politiques et associatifs de notre pays sur un sujet d’importance majeure pour les trente prochaines années. Il a eu le grand mérite de faire apparaître un fort consensus sur la volonté de faire de la France un acteur déterminant en matière d’innovation énergétique. La préparation de la conférence mondiale sur le climat de 2015, qui se tiendra à Paris, nous impose également de viser l’exemplarité dans ce processus de la transition énergétique.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi d’excuser ma collègue Mireille Schurch, qui a dû s’absenter.

C’est un vaste sujet dont le Sénat est saisi ce matin. Nous nous efforcerons, en sept minutes, d’y apporter notre contribution, en plaçant la question de la production d’énergie au cœur de la transition énergétique et en gardant à l’esprit la dimension européenne et internationale de ce secteur.

Vous nous pardonnerez, dès lors, de ne pas nous focaliser sur la seule production nationale d’électricité, afin d’éviter de tomber dans une opposition stérile entre énergies renouvelables et énergie nucléaire. Au contraire, les enjeux pour nos citoyens se situent au-delà, dans le choix ou non d’une maîtrise publique de la politique énergétique, d’une association des salariés et des usagers, afin de garantir le droit à l’énergie pour tous et l’acceptabilité des choix qui sont faits. Il n’est pas inutile que chacun clarifie sa position sur ces points.

En 2011, les sénateurs de gauche avaient voté en faveur d’une proposition de résolution de notre groupe dans laquelle il était écrit : le Sénat « affirme que les activités de production, de transport, de distribution et de commercialisation doivent être entièrement publiques et placées sous le contrôle de la puissance publique, dans le cadre d’un pôle public de l’énergie qui associe les citoyens et les travailleurs du secteur énergétique. »

Trois ans plus tard, ces prises de position semblent oubliées, et le Gouvernement n’a pas jugé utile de revenir sur les lois de libéralisation et de privatisation du secteur énergétique, portées par la droite.

Ensuite, aborder la question de la politique énergétique au travers des filières industrielles de production, c’est également parler des réseaux de distribution et de transport énergétiques.

À ce sujet, il serait illusoire de penser que la transition énergétique se fera par une production délocalisée de l’énergie, que chaque territoire pourrait produire pour ses besoins locaux. Les contraintes techniques en termes de sécurité et d’indépendance énergétique s’y opposent.

Enfin, pour se prononcer sur les filières de production, il faut également organiser les moyens d’une moindre consommation énergétique. Des efforts doivent être consentis dans la rénovation des logements, mais ceux-ci ne doivent pas peser sur les ménages qui n’ont d’autres choix que de vivre dans des logements énergivores.

De plus, il est important d’inclure le secteur des transports de personnes et de marchandises dans le débat, y compris pour dresser un bilan carbone des énergies renouvelables.

En France, les transports constituent le premier secteur d’activité responsable de la consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. La mondialisation de l’économie est un facteur clef de l’explosion des émissions gaz à effet de serre.

Au-delà de la question de l’avenir des différentes filières, que j’aborderai dans quelques instants, il nous semblait essentiel de rappeler que l’énergie n’est pas une marchandise et que la politique énergétique doit faire partie d’une réflexion plus globale sur la politique économique et les limites évidentes du modèle de la concurrence libre et non faussée dans une économie mondialisée.

Alors que les prévisions du GIEC sur le réchauffement climatique nous commandent de réduire de 50 % les émissions planétaires de CO2 d’ici à 2050, et même de 80 % dans les pays industrialisés les plus développés, nous sommes très loin, même en Europe, de nous diriger vers le respect de ces objectifs.

Cet impératif absolu semble d’ailleurs avoir disparu du débat public. L’expérience allemande, avec une production énergétique issue du charbon en augmentation, doit nous conduire à réfléchir sur les solutions de substitution au nucléaire. Le réchauffement climatique menace l’avenir de nos sociétés humaines et implique un recul massif de l’utilisation des énergies fossiles.

La production énergétique en France doit donc s’articuler autour d’un objectif de diversification complémentaire des sources d’énergie. Le développement des énergies renouvelables, comme relais des énergies utilisant les ressources fossiles, ne saurait, à ce jour, exclure le recours à un nucléaire mieux sécurisé dans un mix énergétique rééquilibré.

Le recul des énergies émettrices de CO2 entraînera forcément une augmentation notable de la part de production d’électricité décarbonée dans le bilan énergétique global.

Les productions énergétiques, qu’elles soient thermiques, électriques ou chimiques, ne répondent pas aux mêmes usages et ne sont pas interchangeables.

L’électricité, par exemple, possède une grande souplesse d’utilisation. Cependant, nous ne savons pas la stocker et c’est là un enjeu d’avenir. Il est nécessaire de renforcer les recherches dans les batteries, le pompage-returbinage ou l’utilisation de l’hydrogène. À ce titre, nous serons très attentifs aux propositions annoncées par le Gouvernement pour le développement de la filière hydrogène.

La production hydraulique, stockable et très souple, peut sans doute encore progresser, mais chacun comprend que les sites disponibles sont limités. Cette source d’énergie est un atout majeur de la France, et nous réaffirmons ici, devant le Gouvernement, notre condamnation la plus ferme de l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques. Ce serait une erreur stratégique, aussi bien pour la production énergétique que pour notre patrimoine naturel en eau. Par ailleurs, nous pensons que l’hydrolien, avec les forces marémotrices, est une voie à développer.

Au-delà de cette production hydraulique historique, le solaire et l’éolien sont à ce jour les filières les plus avancées. Elles présentent l’inconvénient majeur, contrairement au nucléaire et à l’hydraulique, d’être des énergies à faible densité et, surtout, à caractère intermittent, ce qui rend obligatoires des installations thermiques à flamme de puissance équivalente.

Il faut encore créer une filière technologique localisée, que ce soit dans l’installation, la maintenance ou la fabrication des matériaux nécessaires à ces productions énergétiques. Il est donc essentiel d’appuyer la création de véritables filières industrielles françaises dans les secteurs du photovoltaïque et de l’éolien. Il nous paraît en effet contradictoire et contre-productif de défendre les énergies renouvelables et d’importer, avec un bilan carbone très lourd, des panneaux de Chine. Nous devons donc développer la recherche dans ces productions énergétiques et les formations professionnelles, pour que la transition énergétique soit également créatrice d’emplois et de savoir-faire français.

Cependant, il serait illusoire de faire croire que l’on peut aujourd’hui se passer à court terme du nucléaire de fission, énergie à forte densité. La production d’un réacteur est équivalente à celle de 2 000 éoliennes ou à celle de 10 millions de panneaux photovoltaïques de dix mètres carrés. Son coût au kilowatt, plus faible mais très capitalistique, est peu dépendant de celui de la matière première et, surtout, il est exempt de production de CO2. En revanche, cette production énergétique présente des risques incommensurables : les déchets et l’accident nucléaire.

Or, sur ce dernier point, la sécurité d’une installation nucléaire repose, en dernier ressort, sur les compétences individuelles et collectives des salariés et sur leur esprit de responsabilité à tous les niveaux. D’où l’exigence de salariés hautement qualifiés, reconnus par un salaire et un statut.

La sous-traitance, le recours aux salariés détachés, en plus de faire courir des risques en termes de sécurité, imposent aux travailleurs des conditions de travail inacceptables, qui mettent leur santé et leur vie en danger.

Enfin, la détermination de la production énergétique appelle un contrôle et une participation démocratique, dans le domaine de la décision comme dans celui de l’expertise. Cela nécessite un potentiel scientifique, technique et industriel de haut niveau.

Il faut donc changer de cap, reprendre les rênes de la politique énergétique et porter un projet au niveau national comme à l’échelon européen, un projet politique et non comptable, un projet au service des peuples et non des marchés, un projet qui, seul, permettra de relever le défi immense d’une transition énergétique réussie.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du dernier Congrès mondial de l’énergie, qui s’est tenu en octobre dernier, un expert estimait que le monde devrait investir 30 000 milliards d’euros dans les vingt prochaines années pour subvenir aux besoins en énergie d’une population en croissance aussi bien démographique qu’économique.

En France, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, évaluait à 105 000 le nombre d’emplois dans les énergies renouvelables en 2010, contre 63 000 seulement quatre ans auparavant. Ce nombre a baissé à 99 700 en 2011, principalement en raison de la crise du secteur photovoltaïque, mais la même agence estime que 825 000 emplois pourraient être créés d’ici à 2050 grâce à la transition énergétique.

C’est dire la fragilité de cette croissance, mais aussi les perspectives considérables qu’offrent les filières d’énergies renouvelables si l’on sait conforter leurs fondamentaux.

La France dispose d’atouts : de grandes entreprises parmi les leaders de leurs secteurs respectifs, un territoire relativement vaste par rapport aux autres pays européens, d’importantes ressources naturelles, notamment dans la biomasse ou le secteur prometteur des énergies marines.

Le Gouvernement a bien compris l’importance de l’approche « filière ». Ainsi, à la demande du ministre du redressement productif et du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, un contrat de filière « énergies renouvelables » a été présenté par M. Jean-Louis Bal lors du comité stratégique de filière des éco-industries, qui s’est tenu le 9 octobre dernier. Il prévoit la création de 125 000 emplois supplémentaires d’ici à 2020 et une balance commerciale positive pour les équipements destinés à la production des énergies renouvelables.

Le tissu d’entreprises de taille intermédiaire devra bénéficier de relations équitables avec les grands groupes, ainsi que d’une réelle visibilité sur les orientations politiques pour le développement du système énergétique français.

Le comité définit enfin une politique de soutien à l’offre, afin de favoriser la compétitivité des produits et services français à l’exportation.

Cela dit, la coopération au niveau européen, comme l’a rappelé le Président de la République la semaine dernière, est essentielle dans des secteurs où l’effort de recherche, mais aussi les économies d’échelle sur les chaînes de production, sont déterminants.

Jusqu’à présent, on a eu trop souvent l’impression que chaque État, mais aussi chaque entreprise, suivait sa propre stratégie. Or je crois que les États, dans un secteur stratégique où les règles du marché ne suffisent pas, à elles seules, à émettre les bons signaux, doivent donner une impulsion. C’est tout particulièrement vrai en France, où l’État est actionnaire de plusieurs des principales entreprises du secteur de l’énergie, qui font elles-mêmes partie des leaders mondiaux.

Les tentatives de coopération franco-allemande sont restées – il faut bien le reconnaître – très limitées dans le domaine du nucléaire. Toutefois, les énergies renouvelables sont un secteur en pleine expansion, sur lequel l’ensemble des pays ont, sinon des stratégies communes, à tout le moins une volonté partagée d’avancer. Une alliance peut donc être un jeu dont chacun sortira gagnant. AREVA vient ainsi d’annoncer son alliance avec la grande entreprise espagnole Gamesa pour construire des éoliennes en mer.

Dans le photovoltaïque, beaucoup disent que la cause est perdue. Selon eux, nous devrions simplement nous adapter à une division mondiale du travail, les Européens se limitant à installer des panneaux, tandis que les modules seraient construits en Asie. Cette analyse oublie qu’il reste des progrès à réaliser concernant la performance des panneaux comme l’industrialisation de la production.

Ainsi le président du grand institut de recherche allemand Fraunhofer a-t-il déclaré la semaine dernière qu’il travaillait à la création d’un consortium avec l’Institut national de l’énergie solaire de Chambéry et un institut suisse. De son côté, Thomson Energy a annoncé le 20 janvier dernier le lancement d’une production de panneaux photovoltaïques en France, avec 95 % de composants européens.

La baisse des coûts de production, en permettant d’ici à quelques années un développement sans subvention du photovoltaïque, rendra cette industrie encore plus stratégique pour l’Europe. Il sera essentiel alors que l’industrie puisse prendre le relais de la recherche pour produire la prochaine génération de panneaux solaires.

C’est une question d’emploi, mais aussi d’indépendance énergétique. On a coutume d’opposer les énergies renouvelables, produites sur notre sol, aux hydrocarbures que nous importons, mais le gain en autonomie n’est que partiel si les panneaux proviennent en totalité d’un nombre restreint de pays.

Cela dit, la production d’énergie n’est que l’un des aspects sur lesquels nous devons travailler. Une filière énergétique doit envisager aussi ce que l’on fait de l’énergie produite jusqu’à son utilisation par un consommateur domestique ou professionnel. C’est l’enjeu bien connu de l’électricité solaire ou éolienne produite de manière intermittente, généralement à un moment où l’on n’en a pas besoin.

Il faut d’ailleurs préciser que l’électricité nucléaire, pas plus que les énergies renouvelables, ne peut constituer une réponse unique aux besoins des consommateurs. Difficile à moduler rapidement, l’électricité nucléaire ne peut pas répondre elle toute seule aux pointes de consommation qui affectent certains moments de la journée.

La réponse idéale est le stockage de cette électricité. Des stations de transfert d’énergie par pompage, ou STEP, ont permis de stocker une partie de l’électricité pour l’aider à s’adapter à la courbe de consommation. Leur modèle économique semble difficile à trouver en ce qui concerne les énergies renouvelables, mais la France dispose d’une expérience de trente années en la matière.

A-t-on bien exploré toutes les possibilités en matière de stockage d’électricité ? Il me semble que la question mérite d’être posée.

Si l’impossibilité de stocker l’électricité renouvelable constitue éventuellement le point d’achoppement de la transition énergétique, une rupture technologique dans ce domaine pourrait, au contraire, enclencher une conversion massive de notre système énergétique.

La France dispose notamment d'un potentiel scientifique et industriel de premier ordre pour mettre en place une filière de l’hydrogène, comme l’ont rappelé nos collègues Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski lors de la présentation de leur rapport sur ce sujet devant l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Le grand intérêt de l’hydrogène réside dans sa flexibilité. Non seulement il permet de stocker de l'énergie, mais il peut également être injecté dans les réseaux de gaz ou utilisé par l’industrie. Pourquoi ne pas mettre plus l’accent sur la structuration d’une « filière hydrogène », piste qui est suivie activement par des pays tels que l’Allemagne, le Japon ou la Corée ?

L’Allemagne expérimente, par exemple, la méthanation, qu’il ne faut pas confondre avec la méthanisation. La méthanation consiste à transformer en méthane l’hydrogène produit grâce à l'électricité d'origine renouvelable. Cette technique offre un potentiel considérable, car elle permettrait d’utiliser à grande échelle les réseaux de distribution de gaz pour « écouler » l’électricité produite de manière intermittente.

La production d’énergie ne doit pas être un but en soi : c’est un moyen d'assurer des services tels que l’éclairage, le chauffage, les transports. La question des filières doit donc embrasser l’ensemble des services en aval qui permettent de consommer moins et, surtout, de consommer mieux.

La France dispose d’acteurs innovants, qui sont parfois des leaders dans des secteurs tels que l'efficacité énergétique, l'effacement de consommation, les systèmes de contrôle de la consommation, les réseaux intelligents et les composants.

Le photovoltaïque, par exemple, ce ne sont pas seulement des modules de silicium, ce sont aussi des onduleurs et une connectique, pour lesquels la France dispose de spécialistes qui peuvent se positionner à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

Les filières ne se développeront toutefois que si elles bénéficient d’un encadrement adéquat. Deux points doivent être abordés à ce sujet : la réglementation et l’accompagnement.

La réglementation constitue une difficulté récurrente pour le développement des énergies renouvelables. Non seulement le cadre réglementaire est perçu comme instable, mais les annulations fréquentes de textes réglementaires par le Conseil d’État posent une véritable difficulté aux professionnels, qui ont besoin d’une visibilité de long terme pour planifier leurs investissements, embaucher et obtenir des financements auprès des banques.

L’accompagnement doit donc faire l’objet d’une attention particulière.

Les entreprises allemandes bénéficient de conditions de refinancement intéressantes auprès de la banque publique KfW. Dans notre pays, une institution telle que Bpifrance doit jouer le même rôle et devenir la banque de la transition énergétique.

L’accompagnement à l’export sera déterminant. L’industrie nucléaire française ne doit pas être la seule à bénéficier d’une forte image de marque à l’étranger : il faut parvenir donner la même visibilité aux acteurs des énergies renouvelables. La multiplicité des acteurs, qui n’ont pas toujours la dimension suffisante, justifie que les pouvoirs publics mènent une politique de promotion active dans le cadre de la « diplomatie économique » promue par le ministre des affaires étrangères.

Mes chers collègues, le Président de la République a utilisé la métaphore de « l’Airbus de la transition énergétique ». Je souhaiterais, en conclusion – car j’ai volontairement réduit mon propos de quelques minutes, pour tenir compte des observations de M. Ladislas Poniatowski

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

La transition énergétique ne consiste pas seulement à construire des filières industrielles nouvelles, riches en emplois pour nos territoires, ce qui est déjà très appréciable, mais aussi à garantir la durabilité des filières existantes en leur permettant de réussir leur conversion aux énergies nouvelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Mes chers collègues, si nous parlons souvent, avec raison, de la problématique énergétique, nous l’abordons rarement sous le seul aspect de la production énergétique en France. Nous débattons plutôt des questions relatives à l’énergie soit sous l’angle des conséquences écologiques de nos choix, soit sous celui de la sécurité des approvisionnements, soit encore sous celui des économies d’énergie. Ainsi, trop souvent, nous nous perdons dans un dédale de sophistications, ignorant par là même qu’il n’existe qu’une seule solution alternative : limiter notre consommation en énergies fossiles.

En effet, c’est seulement en limitant notre consommation en énergies fossiles que nous réduirons notre dépendance énergétique, rétablirons notre balance commerciale et contribuerons à diminuer les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Ne souhaitant pas anticiper outre mesure sur la proposition de résolution relative à la transition énergétique que le groupe UMP présentera le 26 février prochain, je dirai simplement que le basculement de notre consommation en énergies fossiles vers la consommation électrique doit être le fil rouge de toutes les politiques publiques de l’énergie que nous élaborerons dans l'avenir.

En ce qui concerne la stricte question de la production énergétique en France, nous devons tenter de répondre à la question : quel mix énergétique voulons-nous pour notre pays ? Une heure et demie, on en conviendra, c'est bien peu pour y répondre…

J’évoquerai d’abord les nouvelles filières de l’énergie, que l’on catalogue hâtivement comme « énergies renouvelables », alors qu’elles n’en relèvent pas nécessairement. Ces énergies sont en effet très différentes les unes des autres : certaines sont renouvelables, d’autres non ; certaines sont neutres en dioxyde de carbone, d’autres non ; certaines sont chères, d’autres non. Il s’agit donc de savoir jusqu’où on peut développer ces filières énergétiques.

Commençons par l'hydroélectrique, grand ou petit. Ce mode de production n’est pas nouveau ; il constitue même l'un des socles de notre production. C'est une énergie propre ; son coût est faible et l'énergie est disponible en quelques heures.

Le seul problème tient à ce que son potentiel de croissance est très limité. Une étude menée en 2011 par l’Union française de l’électricité a dressé un inventaire précis des sites de production encore inexploités. Elle révèle l’existence d’un potentiel représentant environ 10, 6 térawattheures, ce qui correspond à une augmentation potentielle de 16 % de la production hydroélectrique annuelle française.

Cela signifie qu’il faudra compter sur les centrales thermiques à combustible renouvelable, utilisant donc ce qu’on appelle la biomasse, c'est-à-dire le biogaz produit à partir des déchets organiques ou ménagers, le bois énergie et les biocarburants. Ce type de production électrique n’est pas« renouvelable » au sens strict du terme, dans la mesure où le combustible n’est pas illimité, à l'exception peut-être des déchets de l’activité humaine. En tout état de cause, le potentiel de cette production est largement sous-exploité, sa faisabilité technique est avérée, le combustible est peu cher et quasiment illimité.

Cette technologie présente cependant deux inconvénients.

D’une part, il ne faut pas que cette filière nuise au développement des biocarburants, qui utilisent eux aussi des matières organiques issues du secteur agricole.

D'autre part et surtout, comme le montrent très bien les études de l’ADEME, l’utilisation du biogaz donne lieu à l’émission de nombreux polluants tels que l'oxyde d’azote, le monoxyde de carbone, des composés organiques volatils, des hydrocarbures imbrûlés, des particules diverses et des hydrocarbures aromatiques polycycliques.

Pour mémoire, la biomasse représente environ 1 % de notre électricité, à raison d'une quantité de 6 térawattheures.

Je souhaite dire un mot sur la géothermie, qui est, pour l’instant, très sous-exploitée. Nous savons qu’il existe des sites dans notre pays, comme l’Alsace ou la région parisienne, où cette technologie peut se développer.

Nous faisons aujourd’hui encore des progrès significatifs pour conserver la chaleur issue du sol qui est ensuite transformée en électricité.

Cependant, cette technologie connaît encore à court terme des limites. En effet, soit les forages sont peu profonds et, dans ce cas, l’énergie se fait rare. Soit les forages sont profonds et sont alors plus efficaces, mais aussi plus coûteux, d’autant qu’il existe un risque sismique.

Je ne fais que mentionner l’énergie marémotrice parmi les sources de production électrique d’importance marginale.

J’en viens aux énergies éolienne et solaire. Celles-ci sont sans conséquence sur l’environnement, en dehors de leur impact esthétique. Elles sont renouvelables. Le seul problème de ces deux énergies réside dans leur coût. Nous sommes quelques-uns à avoir travaillé récemment au sein d'une commission d'enquête sur ces questions, et nous en savons quelque chose !

Avec l’éolien, la somme des coûts de production et d’exploitation varie entre 0, 06 et 0, 125 euro le kilowattheure. Pour le photovoltaïque, ce coût se situe entre 0, 12 et 0, 25 euro. Je ne parle pas ici du prix de vente, dont on sait qu’il est artificiellement gonflé. Malgré ces coûts, ces deux types d’énergie ont un avenir certain. En outre, ces coûts diminuent : le prix du watt a diminué de 43 % ou de 45 % entre janvier 2011 et janvier 2012 selon que l'on utilise des modules monocristallins ou polycristallins.

Pour l’éolien, l'équation peut être posée de manière simple : en moyenne, une éolienne française produit actuellement 1, 5 mégawattheure ; or les éoliennes produisent un mégawatt supplémentaire tous les cinq à six ans ; il existe donc un énorme potentiel d’accroissement. Mais l'équation comporte aussi d’autres paramètres.

La production éolienne représente un peu moins de 3 % de notre production électrique, avec environ 4 000 éoliennes. Pour atteindre 15 % de production issue de l’éolien, c’est 20 000 éoliennes qu’il faudrait installer sur le territoire national, ce qui représente environ 1 000 éoliennes par région… Je ne suis pas sûr que les Français soient prêts à l'accepter, même s'ils tolèrent un peu mieux l'éolien offshore.

Reste le nucléaire, qui est incontournable. C'est une énergie peu chère, qui ne rejette pas de gaz à effet de serre. Elle pose deux difficultés : le stockage des déchets et son caractère non renouvelable.

J’entends ceux qui nous disent qu’il ne faudrait pas être aveuglé par le poids économique du nucléaire en France, par les emplois qu’il maintient sur le territoire, par son effet sur la balance commerciale, par la vitrine technologique que cette filière incarne pour la France… Ils se trompent : tout cela est bon et même très bon pour la France !

À court terme, mes chers collègues, nous n’avons que le nucléaire et les combustibles fossiles. À moyen terme, et seulement à ce moment-là, le nombre de réacteurs pourra baisser.

Malheureusement, puisqu’il fallait au Président de la République faire la preuve de son « écolo-compatibilité », celui-ci a annoncé la fermeture de la centrale de Fessenheim pour 2016. Il devait faire une annonce, prendre une vielle centrale comme bouc émissaire, et peut-être aussi faire plaisir à un voisin.

Mais aucun élément, ni dans les travaux de l’Autorité de sûreté nucléaire, ni dans ceux de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, ne donne raison au Président et à son Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Évidemment, il y a le risque sismique en Alsace. Mais ce point donne aussi lieu à débat entre les pro-nucléaires et les autres.

Vous l'avez compris, mes chers collègues, l'UMP est très clairement opposée à la fermeture de la centrale de Fessenheim. Il ne s'agit pas d'une opposition de principe. Nous pensons simplement que le politique n’a pas à se substituer aux experts et qu’il faut faire confiance à des organismes tels que l'Autorité de sûreté nucléaire, notamment.

Quant au second objectif qu’a énoncé le Président de la République, aller plus loin, c'est-à-dire jusqu’à faire passer la part du nucléaire de 75 % à 50 % d'ici 2030, l'UMP y est totalement hostile. C'est techniquement infaisable, économiquement irréaliste et, surtout, insupportable pour les Français, qui ne sont absolument prêts à voir leur facture d'électricité doubler.

Mes chers collègues, en résumé, nous considérons que la France n’a pas les moyens d’abandonner à court, moyen ou long terme, les filières du nucléaire ni, d'ailleurs, les nouvelles filières de production d’énergie. §

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’importe si nous ne sommes plus guère nombreux dans l’hémicycle : le groupe écologiste se réjouit de chaque occasion de débattre des questions énergétiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Il n’y a pas de débat ! En tout cas, c’est un débat tronqué !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Mon cher collègue, il y a tout de même un échange de points de vue. Permettez que j’utilise les six minutes qui me sont accordées pour présenter le nôtre.

Comme M. Poniatowski l’a souligné, des objectifs ont été fixés par le Président de la République qui font l’objet d’un contrat conclu avec la Nation. Ces objectifs, qui dessinent le cadre dans lequel nous nous situons, sont les suivants : division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990 ; réduction de la part du nucléaire dans le mixélectrique, appelée à passer de 75 % à 50 % d’ici à 2025 ; réduction de 50 % de la consommation finale d’énergie d’ici à 2050 et de 30 % de la consommation d’énergies fossiles d’ici à 2030.

Le Président de la République, lors de la conférence environnementale, a clairement réaffirmé ce troisième objectif, qui est tout aussi important que les deux premiers. J’insiste : il s’agit bien de réduire la consommation d’énergie dans notre pays.

Les écologistes soutiennent sans réserve ces objectifs, constamment rappelés par le Président de la République. Ceux-ci visent à sortir la France de l’impasse du tout-nucléaire, absurdité économique et environnementale manifeste. Ils doivent aussi nous permettre de réduire notre empreinte carbone et d’élaborer enfin une politique industrielle et de l’emploi qui soit innovante sur le plan énergétique. Atteindre ces objectifs exige cohérence et réalisme.

Notre débat de ce matin porte notamment sur l’avenir de la filière nucléaire. Notre parc actuel de centrales est vieillissant et – fait assez rarement signalé – les travaux nécessaires à sa prolongation et à sa mise en conformité avec les normes de sécurité post-Fukushima vont coûter extrêmement cher : entre 55 et 80 millions d’euros, selon les estimations actuelles, pour le parc existant.

Surtout, nous savons avec une certitude un peu plus forte qu’en 2012, lorsque la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques a mené ses travaux sous la présidence de M. Poniatowski, que le prix du mégawattheure produit par un EPR ne sera jamais compétitif – je dis bien jamais !

J’en veux pour preuve les plans financiers de la centrale d’Hinkley Point, en Grande-Bretagne : le prix du mégawattheure, garanti pour plus de quarante ans, est supérieur à 100 euros, alors que – mes chiffres, en l’occurrence, ne concordent pas nécessairement avec ceux de M. Poniatowski – le mégawattheure issu de l’éolien terrestre coûte 80 euros et celui issu du photovoltaïque, 90 euros, aux termes des dernières propositions.

Je le répète, même parvenu à maturité, ce qui devrait se produire en Angleterre, l’EPR coûte trop cher ! Quant au mégawattheure produit par la centrale de Flamanville, il doit être le plus cher de l’histoire ; le chantier a vu son coût passer de 3 milliards à 8, 5 milliards d’euros, alors même qu’il n’est pas achevé. J’ajoute que, en Finlande, la dérive des coûts est à peu près identique.

Le nucléaire a concentré et concentre encore une écrasante majorité du budget de la recherche française. Cette situation nous a fait perdre beaucoup de temps : de fait, nous avons pris un retard économique considérable dans le développement des filières renouvelables, ce qui a des conséquences négatives sur l’emploi.

C’est sur un discours faux que s’est construit le leurre d’une électricité bon marché, puisque le mégawattheure est vendu à un prix inférieur à son coût réel, comme l’a montré notre commission d’enquête de 2012.

Aussi est-il temps de tourner la page de ce choix énergétique qui affaiblit économiquement la France et de réfléchir collectivement à une sortie du nucléaire en bon ordre, en réorientant massivement les investissements sur les filières renouvelables.

Le rapport de la commission d’enquête faisait état de chiffres de la Fédération européenne des producteurs d’électricité – ce ne sont donc pas des chiffres « écolos » – dont il résulte que le nucléaire se marginalise en Europe, bien au-delà de l’Allemagne. De fait, dans les dix prochaines années, 250 milliards d’euros d’investissements sont prévus dans les filières renouvelables, contre seulement 16 milliards, soit quinze fois moins, pour le nucléaire.

Mes chers collègues, il est temps que la France soit économiquement présente sur les marchés des filières renouvelables !

En ce qui concerne les gaz de schiste, je rappellerai seulement la phrase prononcée en juin 2012 par le président-directeur général d’ExxonMobil à propos des perspectives d’exploitation de ces hydrocarbures dans le monde : « Nous sommes en train d’y laisser notre chemise ! » Je crois que c’est une bonne manière de conclure le débat. Les Polonais, notamment, commencent à déchanter.

Plus que jamais, les écologistes appellent à définir une politique forte et cohérente pour le développement des filières renouvelables. Le potentiel industriel et de création d’emplois est considérable, comme les précédents orateurs l’ont déjà fait observer.

Monsieur le ministre, nous attendons avec une grande impatience des précisions supplémentaires au sujet du « géant franco-allemand de la transition énergétique » dont le Président de la République a annoncé la création sur le modèle d’EADS. Les activités de ce groupe concerneront-elles principalement le photovoltaïque, ou bien seront-elles plus larges ? Il manque encore une partie de la réponse.

Dans ce débat, les désaccords entre les uns et les autres sont connus. Je voudrais dire quelques mots de la « filière hydrogène », au sujet de laquelle certaines convergences peuvent se faire jour entre nous ; elles sont rares, donc précieuses !

Un rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, intitulé « L’hydrogène : vecteur de la transition énergétique ? », a été remis à Arnaud Montebourg cette semaine. Nous pouvons tous convenir, je pense, que l’application power-to-gas représente un potentiel immense. Cette technologie consiste à transformer l’électricité en hydrogène avant de la réinjecter dans le réseau – le taux d’injection d’hydrogène dans le réseau est compris entre 5 % et 20 %. Quoi qu'il en soit, il faut développer cette technique et, dans cette perspective, il est temps de lancer des expérimentations grandeur nature.

C’est d’autant plus vrai que cette application est aussi un facteur de stabilisation du prix. En effet, on ne dit pas suffisamment que les variations considérables du prix de l’électricité, avec des prix souvent négatifs qui fragilisent l’ensemble des filières, sont l’une des grandes difficultés actuelles.

De même que nous connaissons tous la nécessité d’encourager massivement le développement des énergies renouvelables, de même nous savons que les économies d’énergie joueront un rôle central dans la réussite de la transition énergétique. Celle-ci passe par des avancées telles que l’effacement, l’intelligence des réseaux, le mécanisme de capacité à l’échelle européenne. Du reste, il est clair que ceux qui ne veulent pas de la transition énergétique s’attaquent précisément, aujourd'hui, à ces différents instruments en essayant de les rendre aussi peu performants que possible.

Le projet de paquet énergie-climat pour 2030, présenté hier par la Commission européenne, est décevant. La France accueillera, en 2015, la conférence Climat, qui doit nous permettre de parvenir, enfin, sur les questions climatiques, à un accord qui soit à la hauteur des enjeux. Dans cette perspective, elle doit se mobiliser, et cette mobilisation doit prendre corps dès les prochaines semaines, pour relever le niveau d’ambition des décisions qui seront prises au Conseil européen de mars prochain.

C’est pourquoi notre pays doit se montrer tout à fait exemplaire dans le respect de ses propres engagements en matière de transition énergétique !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, je cède mon tour de parole à M. Deneux.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Avant de vous donner la parole, monsieur Deneux, je vous rappelle que je devrai impérativement suspendre la séance à treize heures au plus tard, la séance des questions d’actualité au Gouvernement commençant à quinze heures.

Vous avez la parole, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel Deneux

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regrette les conditions dans lesquelles ce débat est organisé ; et je déplore toutes les conséquences qui pourraient résulter du fait d’avoir bâclé un débat au Sénat.

Même si le débat n’aura pas vraiment lieu, je suis ravi que la question de la politique énergétique ait été inscrite à l’ordre du jour de nos travaux. La France va-t-elle respecter les engagements qu’elle a pris dans ce domaine ? Serons-nous exemplaires demain, comme nous l’avons été par le passé ? Telles sont les questions qui se posent.

Nous avons pris des engagements en 2008. À mi-chemin du délai prévu pour les atteindre, nous ne sommes malheureusement pas à mi-chemin de leur réalisation.

Je constate que notre échange tombe à point nommé puisque la Commission européenne a présenté hier le paquet énergie-climat pour 2030, et je m’en félicite.

Avant tout, je veux rappeler que nous nous sommes engagés à diminuer de 20 % notre consommation d’énergie d’ici à 2020. La tâche n’est pas des plus simples ! Certes, la meilleure énergie, et la moins coûteuse, est toujours celle que l’on ne consomme pas ! Il reste que la concrétisation de cet objectif suppose de la pédagogie, des investissements importants et des innovations technologiques.

La pédagogie est de notre responsabilité politique : nous devons mieux informer les consommateurs, mieux éduquer nos enfants, rendre l’État et les collectivités territoriales exemplaires en matière de consommation.

S’agissant de l’objectif de porter à 23 % la part des énergies renouvelables, force est de constater que l’année 2013 a marqué un recul significatif des mises en service, pour l’éolien comme pour le photovoltaïque. Il est clair que l’objectif ne sera pas atteint, et cela pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles je tiens à citer l’absence d’une simplification administrative pourtant très attendue.

Il faut rassurer les opérateurs et leur redonner confiance en définissant clairement les perspectives.

M. le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a lancé un appel d’offres pour le développement de compteurs intelligents. La mise au point de tels compteurs est en effet nécessaire à l’application de la politique que nous souhaitons en matière de précarité énergétique et d’encouragement à une consommation intelligente des ménages.

En ce qui concerne notre politique nucléaire, le Président de la République a pris une position. Où en sommes-nous de la réalisation de sa promesse ?

Celle-ci pourrait être bonne, à condition qu’elle soit mise en œuvre de manière mesurée et raisonnable. En vérité, tout dépend de la durée de la période de transition et de l’objectif de réduction que l’on se fixe. Ne reproduisons pas ce qui se passe en Allemagne, pays souvent cité en exemple par les opposants farouches au nucléaire !

Il faut trouver, pour chaque territoire, le bon mixénergétique, en partant de ce qui existe et en fonction des sommes que l’on s’engage à mobiliser. En France, pour l’instant, il n’y a pas de réponse possible à la démobilisation du volume d’énergie nucléaire.

L’électricité nucléaire soutient le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi la compétitivité de notre économie, qu’il est nécessaire d’encourager.

À cet égard, il faut rappeler que certains pays, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni, développent l’utilisation des gaz de schiste. En France, nous avons décidé de ne même pas connaître la richesse ou la pauvreté de notre sous-sol ; nous l’avons même inscrit dans la loi. Il faut adapter notre réglementation pour que nous puissions au moins évaluer nos réserves, afin de savoir de quoi nous parlons.

Au lieu de cela, nous restons dans notre ignorance, par peur de la connaissance et du progrès. Notre société est toujours en avance d’une crainte, mais trop souvent en retard d’une idée : ce n’est pas digne de la France ! Une polémique, fût-elle médiatique, n’a jamais remplacé une politique éclairée par des connaissances scientifiques reconnues.

Les parlementaires que nous sommes gagneraient à s’interroger, d’une manière pragmatique, sur le calendrier de la future loi de programmation pour la transition énergétique. Le Gouvernement promet son adoption avant la fin de cette année ; je crains que cette prévision ne soit trop optimiste. Encore faudra-t-il que ce texte contienne les bonnes mesures.

Mes chers collègues, il s’agit d’un virage important : il faut prendre le temps de le négocier si nous voulons être efficaces !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, je demande la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Je vous la donne bien volontiers, mon cher collègue, mais je vous prie d’être bref, car il est presque treize heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le président, je tiens à dénoncer ce faux débat.

Il n’a échappé à personne que le groupe écologiste a manipulé cette matinée en faisant volontairement durer l’examen de la proposition de loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

En effet, nos collègues ont déposé pas moins de huit amendements dans le but de retarder l’ouverture du débat sur la production énergétique en France. Résultat : le Gouvernement est empêché de répondre aux questions des orateurs.

Je pense que la commission des lois a été complice de ce procédé assez lamentable visant à occulter le débat.

En tout cas, mes chers collègues, je vous donne rendez-vous le 26 février pour reprendre nos discussions sur la politique énergique !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Monsieur le président, je demande à répondre à M. Bizet !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Monsieur le président, je considère que les accusations de manipulation lancées par M. Bizet sont totalement inacceptables. J’ignore ce que notre règlement prévoit en pareil cas, mais je trouve les propos de notre collègue absolument inadmissibles. Le terme « lamentable » a été employé ; j’aurais pu le reprendre.

Je rappellerai simplement que la quasi-totalité des amendements défendus par Hélène Lipietz ont été adoptés. Ils ont donc permis l’amélioration de la proposition de loi portant réforme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui a ensuite été adoptée à l’unanimité.

Considérer que faire adopter des amendements est une manière de faire traîner les débats est absurde et… lamentable !

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Monsieur Dantec, monsieur Bizet, chacun d’entre vous aura pu faire valoir son point de vue.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Je rappelle au Sénat que la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe a présenté une candidature pour la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.

La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Philippe Darniche membre de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, en remplacement de M. Philippe Adnot, démissionnaire.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures, pour les questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.