Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes tous légitimement attachés aux établissements publics de santé. Je ne connais personne parmi nous, qui se soit réjoui un jour qu’un hôpital, une maternité de proximité ou encore un service phare d’un établissement hospitalier ferme ou fusionne, et cela bien évidemment au-delà de nos divergences politiques.
Je pense par exemple à notre collègue Catherine Procaccia qui, avec Laurence Cohen, Christian Favier et la députée Europe Écologie les Verts, Laurence Abeille, s’est mobilisée contre la fermeture annoncée de l’hôpital de santé des armées de Bégin. Je pense encore à l’adoption d’un vœu par le conseil municipal de Paris et son maire, Bertrand Delanoë, s’opposant à la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu, que j’ai personnellement visitées. Je pense aussi au député socialiste du Cantal, Alain Calmette, qui s’est mobilisé contre le projet de fermeture du service de réanimation du centre médico-chirurgical de Tronquières à Aurillac, ou au député socialiste de l’Orne, Joaquim Pueyo, qui a obtenu ce que nous demandons ici aujourd’hui, à savoir un moratoire sur le fonctionnement du service de radiologie et d’échographie du site hospitalier de Domfront.
La liste pourrait être encore plus longue, si je prenais le temps de mentionner dans le détail celles et ceux, députés, sénatrices et sénateurs, qui, à l’instar de nos collègues Jean-Vincent Placé ou Marie-Noëlle Lienemann, ont proposé l’instauration d’un moratoire sur les fermetures d’établissements. Je pense encore, sans chercher à dresser une liste exhaustive, à notre collègue Aline Archimbaud, qui s’est mobilisée avec nous activement contre la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu ou contre la fermeture de la maternité des Lilas. Or comment croire que toutes ces luttes locales, portées par les agents, les salariés, les collectifs d’usagers n’auraient pas de lien entre elles ?
Nous avons tous vécu, à un moment ou à un autre, les difficultés, voire l’impossibilité de se faire entendre par ceux qui ont les pouvoirs de décision. Nous avons aujourd’hui la possibilité de nous réunir et de montrer, au-delà de nos divergences politiques, que nos réactions et nos oppositions aux projets de restructuration problématiques dans nos départements ne sont pas des actes égoïstes ou électoralistes, mais qu’elles sont animées par des exigences légitimes en matière d’accès à des soins de qualité, à des tarifs opposables.
En votant cette proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement, vous vous donnerez un outil pour imposer un véritable débat sur les propositions alternatives à tout affaiblissement du service public hospitalier.
Vous-même, madame la ministre, lorsque vous étiez secrétaire nationale du parti socialiste, demandiez, dans un communiqué de presse en date du vendredi 1er avril 2011, « un moratoire sur toutes les décisions de fermeture de services hospitaliers », précisant, ce que nous partageons, « l’hôpital ne peut pas être géré comme une entreprise commerciale ». Malheureusement, depuis, les choses n’ont pas réellement changé, les fermetures ou les regroupements de sites et de services ont continué, ce qui explique que nous soyons encore nombreuses et nombreux, localement, à nous mobiliser ; et pour cause, nous savons toutes et tous les conséquences que ce genre d’événements peuvent avoir : dévitalisation de nos territoires, éloignement des soins, accroissement des inégalités sociales et territoriales en santé et même parfois, émergence de risques sanitaires et médicaux.
Je note d’ailleurs que c’est notamment sur cette base qu’a été votée au Sénat l’expérimentation des maisons de naissance. Les auteurs de cette proposition de loi mettent justement en avant le choix de ne pas accoucher dans des structures de tailles inhumaines et surmédicalisées, argument que nous partageons, même si nous regrettons que le Gouvernement et l’opposition aient fait le choix, au final, de financer sur des fonds publics, devenus trop rares en période d’austérité budgétaire, des structures libérales, pratiquant des dépassements d’honoraires.
Ce n’est pas la conception que nous nous faisons, au sein du groupe CRC, de l’égalité d’accès aux soins. La sélection par l’argent doit être combattue par tous les moyens, et les financements publics doivent être réservés aux seules structures qui appliquent les tarifs opposables et respectent le tiers payant.
Aussi, mes chers collègues, l’adoption de cette proposition de loi nous paraît être non pas, comme nous avons pu l’entendre, une réponse dogmatique, puisque l’exigence d’un gel des restructurations, je viens de le démontrer, a été portée par toutes les tendances politiques, mais en réalité une réponse concrète à une situation d’urgence bien souvent. C’est une réponse immédiate mais temporaire, puisque le moratoire peut prendre fin si l’Agence régionale de santé fait la démonstration explicite que la fermeture du service ou de l’établissement public de santé est compensée par la création d’une offre au moins équivalente, c’est-à-dire qui réponde aux mêmes besoins de soins et respecte le tiers payant et les tarifs opposables.
Ne nous y trompons pas : chaque fois qu’un établissement public, une maternité ou un service hospitalier ferme ou disparaît d’un territoire, c’est systématiquement au profit direct ou indirect des cliniques commerciales ou des professionnels libéraux, qui, eux, pratiquent des dépassements d’honoraires et une discrimination par l’argent.
Je ne reviendrai pas sur la démonstration qu’a faite en commission Mme la rapporteur sur l’absence d’études préliminaires aux mécanismes de fusions pratiqués depuis plusieurs années. Toutefois, comment ne pas rappeler que l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dans un rapport récent en date de mars 2012, a pointé les risques occasionnés par ces fusions – ce n’est pas nous qui l’inventons – : « L’expérience enseigne, en outre, que les processus de fusion sont en eux-mêmes sources de surcoûts ou de dysfonctionnements ».
Pourtant, en dépit de ce risque et d’autres conséquences importantes pour nos concitoyens, le rythme de ces fusions d’établissements ou de services ne s’est pas ralenti. Toujours selon le rapport de l’IGAS, « sur le seul périmètre des établissements publics de santé, 90 fusions depuis 1995, principalement entre deux établissements de taille petite ou moyenne : en quinze ans, ce sont ainsi 9 % des établissements publics de santé qui ont fusionné entre eux ».
Si l’IGAS considère que « ces opérations ne semblent pas être le fruit d’une politique nationale », nous y voyons, pour notre part, la conséquence directe des politiques de rigueur budgétaire menées depuis plusieurs décennies.
L’instauration d’une tarification à l’activité, destinée à se substituer intégralement aux dotations globales a entraîné une concentration de l’offre de soins dans certains territoires. Selon un rapport de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, sur les quatre pathologies étudiées – accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, chirurgie du cancer du côlon, chirurgie de la hanche –, on note une augmentation de réadmissions à trente jours. La question que l’on doit se poser est la suivante : ne peut-on pas l’imputer au moins pour une part à la T2A, qui incite au raccourcissement des séjours ou à la convergence tarifaire, qui, sous prétexte de réduire les dépenses hospitalières, a eu pour effet d’imposer aux établissements publics de santé les tarifs pratiqués par les cliniques commerciales ? Alors même que, tout le monde le sait, les tarifs des établissements publics de santé et des cliniques lucratives ne sont pas comparables, dans la mesure où les cliniques externalisent certains actes et n’intègrent pas les honoraires des médecins.
Certes, vous avez, madame la ministre, mis officiellement un terme à cette convergence, ce dont je vous remercie, et avez rompu avec la pratique scandaleuse du gel des dotations destinées au financement des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation, les MIGAC. Cependant, force est de constater que, dans le même temps, vous avez ordonné une campagne tarifaire de fixation des prix particulièrement austère, peut-être la plus dure menée depuis des années, pesant lourdement sur les budgets des établissements publics de santé.
C’est une réalité, la baisse des tarifs a été plus importante pour les hôpitaux que pour les cliniques commerciales, au point que nous sommes en droit de nous demander si la convergence tarifaire ne continue pas sous une autre forme. Comment ne pas voir aussi que l’insuffisance de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, et les baisses tarifaires poussent à l’accroissement des actes inutiles et redondants justement dénoncés dans un certain nombre de rapports récents ? Là encore, l’austérité budgétaire peut-être contre-productive.
Mes chers collègues, j’ai conscience que cette proposition de loi ne peut à elle seule suffire à stopper l’hémorragie et la « casse » du service public hospitalier auxquelles nous assistons depuis des années.
Bien entendu, il faudrait aller plus loin. Certaines personnes auditionnées par Mme la rapporteur, tout en soutenant le présent texte – je songe notamment aux représentants d’organisations syndicales ou du collectif « Notre santé en danger » – ont regretté qu’il ne soit pas plus ambitieux, qu’il ne mette pas un terme immédiat aux fermetures ou qu’il n’abroge pas la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST. D’autres acteurs, comme l’Association des médecins urgentistes de France, l’AMUF, tout en l’accueillant avec satisfaction, auraient souhaité qu’outre l’instauration d’un moratoire il limite quantitativement le nombre de suppression de lits au sein de chaque service.
Je souscris à ces critiques, bien qu’étant, avec ma collègue Laurence Cohen, à l’origine de cette proposition de loi. Je rappelle cependant que l’examen des propositions de loi dans le cadre des niches parlementaires est un exercice particulier, présentant de fortes contraintes : il s’agit de rédiger des textes courts, susceptibles d’être débattus et adoptés en moins d’une demi-journée. En outre – tous nos concitoyens ne le savent pas –, les parlementaires sont soumis au couperet de l’article 40 de la Constitution, qui interdit aux députés et sénateurs d’engager des dépenses publiques supplémentaires.
Compte tenu de ces deux contraintes, cette proposition de loi nous semble – avec d’autres, élus locaux, associations, collectifs d’usagers, organisations syndicales ou ordres professionnels – une mesure d’urgence et une disposition utile.
Ce texte est utile pour les luttes locales auxquelles j’ai fait référence. Ceux qui les mènent trouveront ici un outil pour se faire entendre, pour aboutir à des résultats. Il est utile, bien entendu, pour l’égalité sociale et territoriale en matière de santé. Mais il ne nous dispense pas de mener, collectivement, une réflexion plus large. Du reste, ce débat dépassera sans doute le strict cadre du présent texte et des mesures qu’il contient.
Ayons ce débat ! Au groupe CRC, nous sommes par exemple convaincus qu’il faudrait interdire au plus vite l’exercice libéral au sein des établissements publics de santé. Cette faculté offerte aux médecins d’organiser une sorte de « coupe-file » n’est pas tolérable, puisqu’elle permet aux patients qui en ont les moyens de bénéficier des structures et des interventions des établissements publics de santé sans délai, tandis que d’autres, plus modestes, sont contraints d’attendre !
Par ailleurs, nous sommes convaincus qu’il faut rénover le financement actuel des établissements publics de santé, mettre un frein immédiat au gel des tarifs et ne plus chercher à les aligner sur ceux des cliniques commerciales qui, je l’ai déjà rappelé, sélectionnent leurs clients et leurs actes.
Ce raisonnement nous conduit à exiger que les fonds publics ne soient mobilisés que pour les structures accueillant les patients sans dépassement d’honoraires et appliquant le tiers payant.
Je le dis très clairement : les dotations qui servent à financer les services publics devraient être calculées et pondérées en fonction des réalités sanitaires et sociales des départements. La tarification à l’activité doit, à tout le moins, être associée à des financements spécifiques, via une forme de dotation d’établissement tenant compte des inégalités de santé.
Sénateur du Pas-de-Calais, département auquel appartient le territoire de santé de Lens-Hénin, classé 348e sur 348 – dernier de la classe pour notre pays ! –, où les patients arrivent « cassés » à l’hôpital parce qu’ils ont hélas tardé à se soigner, je suis particulièrement sensible à cette exigence de péréquation positive hospitalière.
À cet égard, je dirai un mot du futur pôle hospitalier de la Gohelle, dont Mme la ministre visitera demain un service.
Les élus communistes, qui ont historiquement soutenu la création d’un centre hospitalier universitaire, CHU, défendent des exigences beaucoup plus fortes que celles qui sont inscrites dans le projet en matière de recherche universitaire.