Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 22 janvier 2014 à 14h30
Moratoire sur les fermetures de service et d'établissements de santé — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme je l’ai souligné en commission des affaires sociales, cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe CRC tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de services et d’établissements de santé ou leur regroupement est, pour notre groupe, une réponse inadaptée à une vraie question, une vraie problématique, celle de la prise en charge des besoins de santé de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national. Cette prise en charge ne peut du reste, tout le monde en convient, se limiter aux seules structures hospitalières.

Le Gouvernement, depuis l’élection du Président de la République, François Hollande, travaille dans cette direction. Le chantier est très vaste du fait, notamment, des défis d’adaptation auxquels notre système de santé doit sérieusement faire face. Je rappelle, à ce niveau, que l’adaptabilité est un principe fondamental du service public. Le service public hospitalier ne saurait y échapper, et c’est tant mieux ! L’offre hospitalière doit s’adapter en permanence car c’est aussi la demande des patients.

Parmi ces défis, soulignons ceux qui sont liés au vieillissement de la population et à la perte d’autonomie, ainsi qu’aux maladies chroniques pour lesquelles la branche maladie de la sécurité sociale consacre environ 65 % de son budget. Ces maladies relèvent, pour reprendre les propos récents des professeurs Bernard Granger et André Grimaldi, d’une « médecine intégrée – biomédicale, pédagogique, psychologique et sociale – et coordonnée entre les professionnels et entre la médecine de ville et l’hôpital ».

Mais il faut aussi tenir compte des progrès scientifiques et des innovations technologiques entraînant des mutations en termes de réponses thérapeutiques à de nombreuses pathologies, ce qui induit des remodelages de services hospitaliers. Je pense, par exemple, aux services de chirurgie vasculaire avec le développement de l’angioplastie. De même, d’une manière générale, la diminution des techniques invasives n’est pas sans incidence sur la structuration et l’organisation de services de soins comme des plateaux techniques.

Enfin, les défis sont liés au rattrapage du retard de notre pays en matière de chirurgie ambulatoire et d’hospitalisation à domicile, et, bien sûr, à la recherche du maximum de sécurité pour les patients et les parturientes.

Comme notre collègue Gérard Roche, par ailleurs médecin aguerri, le disait la semaine dernière en commission – il vient d’ailleurs de le répéter –, ce qui compte en médecine, c’est la qualité, la qualité des actes étant étroitement liée à celle des acteurs les effectuant. J’ajouterai à cela les moyens techniques mis en place, ainsi que la formation initiale et continue de ces acteurs. Ce qui compte enfin, mais cela va de pair, c’est la pertinence des actes exécutés.

Mes chers collègues, on sent bien que, pour répondre à la complexité de ces défis, il ne suffit pas de décréter, de manière brutale, d’ailleurs, un moratoire sur la fermeture de lits d’hospitalisation.

C’est notamment pour faire face à cette complexité, madame la ministre des affaires sociales et de la santé, que vous avez annoncé, en présentant « la stratégie nationale de santé » poursuivie par le Gouvernement, la nécessité de « refonder notre système de santé ». Certaines mesures de préfiguration de cette refondation ont déjà été adoptées dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et d’autres prendront place dans la future loi de santé publique annoncée.

En matière de politique de santé publique, on ne peut pas se contenter d’avoir une vision en silo, terme que j’emprunte volontiers à notre collègue Jean-Claude Lenoir, lui-même l’ayant emprunté à Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, à propos d’une autre politique tout aussi compliquée à mettre en œuvre.

La vision doit être globale, ce qui accroît les difficultés lorsqu’il s’agit de la transcrire en phases opérationnelles.

Une déclinaison doit effectivement s’opérer au niveau des parcours de soins – du médecin de ville jusqu’à la prise en charge en post-hospitalisation –, de la territorialisation du service public hospitalier, du renforcement des structures existantes et de la création de structures nouvelles au bénéfice de la médecine de premier recours – centres de santé, maisons de santé, etc. – et pour lutter contre les déserts médicaux ruraux, périurbains et, souvent, urbains.

Par ailleurs, l’organisation territoriale des urgences doit tenir compte des spécificités géographiques de notre pays et des habitudes – ou habitus, pour reprendre un terme cher à Bourdieu – culturelles de nos concitoyens : modes de déplacement, lieux d’habitation éloignés des lieux de travail induisant l’accroissement du trafic routier, avec risques d’accidents graves, eux-mêmes également liés à la consommation excessive d’alcool ou à la prise de produits toxiques tels que les drogues, lieux de vacances à la montagne l’hiver, sur le littoral l’été, conduisant à des concentrations fortes de population pendant des périodes de plus en plus fractionnées…

En outre, il convient d’adapter les structures d’hospitalisation, d’hébergement, de soins de cure et de réadaptation et de prendre en considération les réseaux de soins et les spécificités en matière de soins psychiatriques, ainsi que l’évolution des équipements et des plateaux techniques et, souvent, leur implantation voire leur mode de gestion.

Enfin, il est nécessaire de se pencher sur la pénibilité des conditions de travail des personnels non seulement soignants et non soignants, mais aussi médicaux, des structures de soins.

La multiplicité des acteurs concernés et souvent les « conservatismes » à faire bouger signent l’énormité du travail à accomplir. Notre gouvernement et, en premier lieu, vous-même, madame la ministre, vous êtes attaqués avec courage et détermination à cette lourde tâche. §

J’insiste sur le fait que le Gouvernement ne conduit pas de politique de fermeture des hôpitaux. Quand, pour des raisons que j’ai rappelées assez longuement, une recomposition de l’offre hospitalière s’impose, elle prend avant tout la forme de coopérations à objectifs qualificatifs entre établissements, vous venez de le rappeler à l’instant, madame la ministre, et, le cas échéant, de regroupements juridiques sous la forme d’une direction commune ou d’une fusion. Par ailleurs, les instances des établissements publics de santé sont nécessairement consultées sur les projets de remodelage et de restructuration.

Pour revenir plus particulièrement à votre proposition de loi, madame la rapporteur, je souhaite formuler quelques observations supplémentaires.

Premièrement, il m’apparaît surprenant que ce soit surtout au travers du prisme de l’emploi, dont il n’est pas question pour moi de réfuter l’importance, que votre proposition de loi se positionne en priorité pour ce qui concerne la défense de l’hôpital public. On pourrait penser que, justement, parce que l’hôpital n’est pas une entreprise et que la santé n’est pas une marchandise, ce qui est également notre conviction, il ne faut pas se contenter de répondre par une « défense pied à pied de l’existant » aux questions posées par l’obligation de prendre en charge, d’une manière adaptée, les besoins en matière d’hospitalisation de nos concitoyens, lorsque cela est nécessaire.

Ce type de défense conduit trop souvent à nier la nécessité de construire des projets alternatifs, pertinents et cohérents sur le triple plan médical, territorial et financier, cette dernière dimension ne devant pas être occultée si l’on est attaché à la sauvegarde de notre système social, qu’il faut bien continuer de financer nonobstant la sévérité de la crise économique qui frappe notre pays.

Ainsi, votre type de défense, madame la rapporteur, nous paraît décalé.

Deuxièmement, s’agissant de votre critique de la loi HPST, nous en partageons de nombreux volets, ce qui nous avait conduits à l’époque de son examen par le Sénat à déposer plus de 450 amendements, pour en gommer les aspects les plus critiquables, voire les plus dangereux.

La loi de santé publique en préparation aura bien évidemment à connaître de ces aspects et à y apporter des réponses, que, je l’espère, nous adopterons ensemble. En prenant certains décrets, le Gouvernement s’est déjà attelé à cette tâche, vous venez de le souligner, madame la ministre.

Troisièmement, j’en viens, madame la rapporteur, à votre opposition radicale au financement des hôpitaux par la tarification à l’activité, la T2A, dont vous avez fait état en commission des affaires sociales, et qui justifie aussi, m’a-t-il semblé, votre proposition de loi.

Je vous rappelle que la MECSS, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, de la commission des affaires sociales du Sénat a rédigé l’année dernière un rapport d’information intitulé Refonder la tarification hospitalière au service du patient. Ce rapport a été adopté à l’unanimité des groupes politiques du Sénat. Il contient 38 propositions, qui peuvent permettre d’apporter des réponses adaptées à la nécessité d’un financement diversifié de l’activité hospitalière pour chacune de ses facettes. Il n’a pas préconisé de supprimer la T2A – ce serait une erreur – ni de la « fétichiser », ce qui en serait une autre. Elle doit rester un outil à utiliser prioritairement pour le financement d’activités programmées, standardisées, connaissant peu de variabilité de coût, comme mon collègue Alain Milon et moi-même l’écrivions dans ce rapport.

Nous avancions également d’autres propositions concernant ces questions de financement, y compris celles qui ont trait aux investissements immobiliers, l’une des causes principales des lourds déficits relevés par la Cour des comptes pour les CHU et les grands hôpitaux.

Certaines propositions ont déjà été reprises par le Gouvernement. Par exemple, la convergence tarifaire en MCO, médecine chirurgie obstétrique, entre les hôpitaux et les cliniques privées a été supprimée, conformément à ce que nous proposions. D’autres mesures suivront, j’en suis persuadé. Bien évidemment, ce n’est pas le moratoire que vous nous proposez qui résoudra le problème complexe que pose le financement des hôpitaux publics.

En guise de conclusion, je reprendrai quelques observations pertinentes formulées par le nouveau directeur général de l’AP-HP, que nous avons auditionné ensemble, madame la rapporteur : « L’hôpital doit être vivant, il doit pouvoir bouger » ; « l’inertie joue contre l’hôpital » ; « il faut pouvoir fermer des sites, en ouvrir d’autres, rapprocher les équipes » ; et enfin « la vitesse d’adaptation est fondamentale pour le service public hospitalier ».

Pour toutes ces raisons, et parce que le Gouvernement est engagé dans une politique visant à garantir à chaque Français des soins de proximité de qualité sur l’ensemble du territoire, mon groupe votera contre la proposition de loi qui nous est présentée. §

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