Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 22 janvier 2014 à 14h30
Exercice par les élus locaux de leur mandat — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marylise Lebranchu :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons ce soir pour la deuxième lecture d’une proposition de loi importante, issue des travaux des états généraux de la démocratie territoriale et dont l’objet principal est d’améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux.

Depuis l’examen du texte en première lecture au Sénat, voilà tout juste un an, plusieurs textes importants pour notre vie démocratique ont été adoptés. Je pense notamment à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

Demain, il y aura plus de diversité parmi nos élus, qui représenteront mieux la société. Grâce à la proposition de loi de Jacqueline Gourault et de Jean-Pierre Sueur, la vitalité démocratique de notre pays sera renforcée et nos citoyens pourront s’engager plus facilement dans la vie publique.

Nos élus locaux accomplissent une noble et difficile tâche. Chaque jour, ils mettent leur énergie au service de l’intérêt général. Dans une société de plus en plus impersonnelle et dématérialisée, où le lien social se distend, les élus locaux sont les garants de la continuité républicaine. Ils font face à des contraintes de plus en plus lourdes. L’argent public est rare, les normes sont multiples, la demande sociale est croissante…

Le choix de représenter ses concitoyens et de se mettre au service de l’intérêt général, beaucoup le font en conscience, par devoir, mais aussi parfois par défi. Pourtant, nous le savons bien, ce n’est pas un choix facile. Tout le monde ne concourt pas à égalité dans cette grande bataille démocratique.

À cela, il y a d’abord des raisons financières. Faut-il rappeler ici que 80 % des élus municipaux ne perçoivent aucune indemnité ? Leur investissement auprès des habitants, de jour comme de nuit, est bien souvent bénévole. Nous l’avons vu récemment, avec les tragiques événements survenus dans le sud de la France.

C’est un engagement lourd. La majorité des élus, notamment dans les petites communes et communautés de communes, sont obligés de garder une activité professionnelle à côté de leur mandat. Cela explique que les élus soient majoritairement fonctionnaires, statut qui offre la possibilité de retrouver son emploi au terme du mandat, retraités ou membres de professions libérales.

Je trouve choquant d’entendre des candidats à des élections annoncer par avance qu’ils renonceront à leur indemnité s’ils sont élus : c’est envoyer le message que, au fond, les élus n’ont pas besoin d’être rémunérés, en oubliant que certains d’entre eux, amenés à renoncer à leur activité professionnelle, n’ont aucune autre source de revenu que leur indemnité. Une telle attitude ne rend donc pas service à la démocratie, et j’espère que de telles déclarations ne se multiplieront pas. La représentation de nos concitoyens ne doit pas être réservée aux plus aisés, aux héritiers ou aux membres de professions suffisamment rémunératrices pour leur permettre de consacrer bénévolement du temps à l’exercice d’un mandat. La société est complexe, multiple : chacun doit pouvoir accéder aux mandats électifs.

Il nous incombe à tous de souligner que la vie de l’élu n’est pas facile, qu’elle suppose des sacrifices, qu’elle ignore souvent la sécurité et qu’elle est parfois marquée par la précarité.

Dans le climat actuel de défiance qui entoure l’action publique – à cet égard, les résultats de quelques récents sondages sont assez alarmants –, les élus doivent aussi faire face à toutes sortes de suspicions. Parce qu’ils incarnent l’autorité publique, les élus locaux sont en première ligne pour affronter les critiques de leurs concitoyens. Ils doivent donc être exemplaires en tous points, et ils le sont.

Le Président de la République a fait le choix clair d’une refondation profonde de notre vie politique. Nous devons aux Français l’exemplarité. Avec les réformes relatives à la transparence de la vie publique, à la lutte contre l’évasion fiscale, à l’instauration de la parité pour les conseillers départementaux, à la fin du cumul, nous avons déjà beaucoup fait. M. le Premier ministre le rappelait lors du dernier Congrès des maires : « partout où l’échelon communal retrouve les moyens d’agir, c’est la République qui progresse », car le maire est « la démocratie en personne ».

J’aimerais m’arrêter sur l’un des points qui alimenteront nos débats.

Depuis plusieurs années, le Sénat propose de modifier la définition de la prise illégale d’intérêt applicable à toute personne publique, au motif que celle-ci serait encore trop floue. Je sais toute l’importance que la Haute Assemblée accorde à ce sujet difficile, sur lequel elle travaille depuis plus de dix ans. Néanmoins, je tiens à dire ici, au nom de Mme la garde des sceaux et de l’ensemble du Gouvernement, que modifier cette définition n’est sans doute pas la meilleure solution.

En effet, en dix ans, la jurisprudence s’est stabilisée. Un changement législatif aurait pour conséquence immanquable de susciter de nouveaux débats d’exégèse médiatique et de bouleverser la jurisprudence que les élus connaissent bien.

Au-delà, il nous semble que légiférer dans ce domaine est peu lisible pour nos concitoyens. Chaque année, moins de trente condamnations concernent des élus, alors que ceux-ci sont au nombre de 618 384 : c’est très peu, et encore les citoyens ont-ils, dans la majorité des cas, rendu une forme de justice à l’élu mis en cause.

Dès lors, il n’y a pas lieu de protéger les élus contre de prétendues poursuites abusives.

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