Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à cet instant, une formule me vient à l’esprit : tout ça pour ça !
Un an après l’examen du premier texte qui devait nous conduire au big-bang, à l’âge d’or des collectivités territoriales, nous nous retrouvons aujourd'hui, presque en catastrophe, au milieu de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour examiner les conclusions du rapport de la commission mixte paritaire, celle-là même qui devait trouver ce fameux compromis entre nos deux assemblées !
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce compromis est assez relatif. Le Gouvernement n’a trouvé un soutien que de justesse : sept voix, dont sept voix UMP ! Un grand nombre des votes ont été acquis à une majorité de sept voix contre six et une abstention ! C’est dire le faible assentiment, le peu d’enthousiasme et d’adhésion que suscite ce texte pour lequel vous avez fait le choix de vous appuyer, messieurs les ministres, sur l'Assemblée nationale, au détriment du Sénat. Vous avez fait le choix du passage en force, du passage aux forceps.
Les associations d’élus ont donc réagi, contrairement à ce qui a été affirmé ce matin. Beaucoup d’entre elles ont témoigné de leur déception et de leur mécontentement, qu’il s’agisse des représentants des petites villes de France, de l’ARF, l’Association des régions de France, ou de l’ADF !
De plus, les conclusions du rapport retiennent très largement la rédaction de l'Assemblée nationale : à près de 90 %. C’est à croire, mes chers collègues, que les heures passées ici à siéger ont été vaines et que la chambre représentant les collectivités est priée de se faire moins bruyante, moins pertinente, moins inventive !
On a parlé du bilan ; il appelle des commentaires.
Concrètement, qu’elle ait lieu en 2012 ou 2015, la suppression de la clause de compétence générale pour les départements et les régions et, par prolongement, l’encadrement des financements croisés suscitent et susciteront toujours les mêmes nombreuses inquiétudes, en particulier dans les secteurs ruraux.
Si l’on met en parallèle les difficultés financières des collectivités, avec la suppression de la taxe professionnelle, les compensations incomplètes des compétences sociales transférées et le gel des dotations d’État durant les trois prochaines années, bref un désengagement quasiment général de l’État, ce faux consensus ne saurait évidemment nous satisfaire.
Je l’ai souvent dit, cette réforme affaiblira la proximité, réduira les partenariats entre les niveaux de collectivités, détruira les réseaux, diminuera mécaniquement les capacités d’initiative, fera régresser la démocratie territoriale et la solidarité.
Sur la question des compétences, la commission mixte paritaire a adopté une clause de rendez-vous avant la fin de la deuxième année qui suivra l’entrée en vigueur de l’article 35, soit d’ici à la fin de l’année 2017. Un comité aura donc la charge de remettre un rapport ; dont acte ! Mais pouvons-nous espérer que cette clause de rendez-vous ne connaîtra pas le même sort que la clause de revoyure relative à la réforme de la taxe professionnelle ?
Pour ce qui concerne les communes nouvelles, cela a déjà été dit, toutes les ambiguïtés demeurent. L’article 8 a-t-il une utilité ? Ne constitue-t-il pas un doublon ? N’est-il même pas en opposition avec la philosophie de l’intercommunalité qui préside à l’ensemble de ce texte ?
J’en viens enfin au cœur de la réforme, à savoir le conseiller territorial, cet « ovni » de la démocratie, une démocratie revue par Nicolas Sarkozy. Cela n’aura échappé à personne, l’unique motivation du texte est bien là, quel que soit le prix à payer en termes de démocratie et de lien social. Ce conseiller territorial n’est en rien un élément de modernité : il n’engendre que confusion et incertitude.
Mes chers collègues, le constat est lourd. Oubliés, les objectifs initiaux de simplification de l’organisation territoriale, d’une plus grande lisibilité pour le citoyen et d’une meilleure gestion de l’argent public. En revanche, bien sont réelles les victimes à venir. Victime, la démocratie de proximité ; victime, l’échelon départemental, dont l’assouplissement et l’extinction sont inscrits dans l’avenir ; victime, l’action publique, réduite, abandonnée ou livrée au privé ; victimes, surtout, les territoires ruraux, où le dynamisme économique n’est pas spontané et où les conseils généraux jouent donc un rôle de ciment, d’initiative et de soutien.
Dans ce projet, c’est bien une révolution masquée qui s’avance, avec l’affaiblissement généralisé de l’État, l’effacement programmé des collectivités territoriales et la destruction de l’action publique. La notion de service disparaît au profit de celle de performance. Il faudra un jour reconstruire l’État sur un autre modèle, plus démocratique, plus fluide, plus efficace et plus solidaire.