Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la décentralisation et la déconcentration, en donnant aux régions la possibilité d’être elles-mêmes, d’être fidèles à leurs traditions, à leurs langues, à leur culture, et en créant un équilibre harmonieux entre le pouvoir central et les collectivités locales, feront disparaître les causes de conflit. Loin d’affaiblir l’unité nationale, elles la renforceront. »
Comment, en cet instant, ne pas entendre les paroles prononcées par Gaston Defferre en 1981, ou celles de Pierre Mauroy, ici même, voilà quelques semaines ?
Au moment de dresser le bilan de ces dix mois de discussion, il convient de nous poser les bonnes questions, de faire disparaître les causes de conflit et de renforcer l’unité nationale.
Le Sénat assure, en vertu de l’article 24 de la Constitution, la représentation des collectivités territoriales, ce qui lui a valu le privilège d’examiner cette réforme avant l’Assemblée nationale – nous ne nous lasserons pas de le répéter, puisqu’il reste si peu de son travail dans le texte final.
Dix mois se sont donc écoulés depuis le début de l’examen de ce texte. Ils ont été riches en rebondissements : on nous a maintes fois promis que le temps viendrait d’un débat approfondi sur les compétences respectives des collectivités et sur les modes de scrutin préservant la parité, la proportionnelle et l’identité des territoires et des collectivités qui les représentent.
Simplifier le millefeuille institutionnel français, clarifier les compétences des uns et des autres en conjuguant efficacité et transparence, réformer la fiscalité locale dans un souci de justice et de solidarité : il ne reste rien de ces nobles ambitions. À vrai dire, personne n’y retrouve ses petits ! Il suffit, pour s’en convaincre, de demander à tour de rôle aux défenseurs des départements, puis des régions ce qu’ils pensent de l’équilibre général du texte et de ses conséquences pour ces collectivités.
Il est amusant de voir à quel point les champions des départements craignent que ce texte n’affaiblisse le poids des départements au profit des régions. Il est non moins amusant de constater que, de façon parfaitement symétrique, les défenseurs des régions considèrent que ce sont les départements qui ont gagné… Tous, en revanche, ont bien compris que les communes, aux premières lignes de la réforme, paieront les conséquences de l’affaiblissement et de ceux-ci et de celles-là.
Pourtant, personne n’a l’air de s’en soucier. Il faut dire que tout le monde sait que ce projet de loi, comme celui portant réforme des retraites, plus encore que le texte qui a créé la Société du Grand Paris, risque de ne pas être appliqué, tout simplement parce qu’il est inapplicable.
Au fond, chacun dans cette enceinte espère que la gauche aura la sagesse de revenir sur ce galimatias indigeste en 2012. Pour s’en convaincre, il suffit de circuler dans les couloirs du Sénat ou de voir ce qui se passe dans les commissions, par exemple au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, où ce ne sont que haussements d’épaules, bons mots et soupirs entendus.
Parmi toutes les familles composant la droite, on doute de l’intérêt du présent texte. Reste que tout se passe comme si le contenu de ce dernier importait peu. C’est parce que tout autre chose est en jeu : c’est une histoire de pouvoir et de rapport de force, sans que l’on sache bien d’ailleurs si l’on se trouve chez Shakespeare ou chez Nanni Moretti.