Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi de considérer cette réforme du point de vue des atouts et des difficultés des territoires ruraux.
Le texte relatif à la réforme des collectivités locales sur lequel nous allons voter est bien autre chose que le fruit du travail, censément laborieux, de la commission mixte paritaire et l’aboutissement d’un intense débat parlementaire.
Pour moi, il est le résultat bancal du choix de deux philosophies qui sont imperméables, voire hermétiques l’une à l’autre : d'une part, celle de la défiance envers la démocratie locale, celle qui considère les élus, dont je rappelle que le plus grand nombre sont bénévoles, comme une charge, voire comme un obstacle au développement, celle aussi qui passe par pertes et profits la parité ; et, d'autre part, celle qui constate l’utilité quotidienne des élus de terrain, car ceux-ci apportent des solutions sur mesure aussi bien à nos concitoyens les plus en difficulté qu’à celles et ceux qui ont la volonté et les talents de développer au plus près des réalités les atouts économiques des territoires, qu’il s’agisse des bassins de vie et des pays ou des ressources agricoles, artisanales, énergétiques, écologiques ou culturelles.
Or au Sénat, comme nous l’avons constaté lors de l’examen de ce texte en deuxième lecture, notamment lors du débat sur la clause de compétence générale, nous sommes bien une majorité à penser que c’est précisément cette philosophie de l’action de proximité, du lien social, de la solidarité et de la cohésion territoriale qu’il faut mettre en avant.
En ce qui concerne cette question de la clause de compétence générale, la commission mixte paritaire est parvenue à un compromis qui ne saurait me satisfaire.
En effet, le projet de loi pose un principe avec lequel je ne suis pas d’accord : la fin des financements croisés par les régions et les départements avec ceux des communes. Certes – et la gauche a travaillé sur ce sujet – le texte prévoit des dérogations, notamment dans des domaines où ces financements sont indispensables, comme la culture, le sport et le tourisme.
Ainsi, en considérant les mécanismes qui existent comme des exceptions, on ferme des portes et on confirme pour l’avenir un principe général très restrictif.
Une autre dérogation, de nature temporelle, est également apportée : l’essentiel de la réforme ne s’appliquera qu’à partir de 2015. Or, on le sait, il peut se passer bien des choses d’ici à cette date !
J’imagine bien les arguments développés par certains en 2012 : ils auront beau jeu de dire que, au moment où ils parlent, on ne peut leur imputer une politique de régression de la vie publique locale qui ne produira pas encore ses effets les plus contraignants. Toutefois, je prends le pari que les mêmes reprocheront à ceux qui voudraient revenir sur cette réforme de vouloir augmenter les charges pesant sur les contribuables, alors même que celles-ci n’auront pas été allégées et qu’il ne serait pas question pour les adversaires de ce projet de loi de les augmenter.
La manœuvre – la ficelle, pourrait-on dire –, est un peu grosse. N’en doutez pas, chers collègues de la majorité : les élus territoriaux n’en seront pas dupes.
L’impression finale est que la majorité a fait machine arrière, sans vouloir le reconnaître, et qu’elle s’est trouvé une porte de sortie, alors que les principales menaces demeurent. Ses motivations, nous les avons appréciées tout au long de nos travaux et depuis l’annonce du projet : il s’agit de réduire les niveaux de démocratie, d’expression et de discussion, notamment là où les débats sont de plus en plus vifs, c’est-à-dire là où les services publics reculent, en particulier dans les territoires ruraux. Ceux-ci sont essentiellement structurés par les départements. Or ces derniers sont les premiers visés par cette réforme et ils en seront les premières victimes, sans attendre vos éternelles clauses de revoyure, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État.
Les territoires ruraux représentent l’avenir, bien au-delà de ce qu’ils sont pour eux-mêmes. Ils sont notamment le futur de nombre d’urbains et de périurbains victimes des grandes concentrations – un rôle que la ville a pu autrefois jouer pour les ruraux. Certes, ils sont touchés par les évolutions économiques induites par le libéralisme, mais ce n’est pas une raison pour les soumettre à une véritable régression institutionnelle. Bien au contraire ! Et parce que vous faites le choix de sacrifier leur avenir, je voterai, comme les autres membres du groupe socialiste, contre cette réforme.