Intervention de Jean-Claude Carle

Commission spéciale formation professionnelle — Réunion du 15 septembre 2009 : 1ère réunion
Examen du rapport — Examen des amendements - adoption du texte de la commission spéciale

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, rapporteur :

a déclaré que le projet de loi soumis à l'examen de la commission spéciale porte sur un sujet essentiel et qui est considéré comme tel par le Président de la République. Malgré la brièveté des délais impartis, le Sénat s'est doté des moyens de s'approprier ce texte en créant une commission spéciale réunissant les sénateurs intéressés par ses différents aspects. Dépasser les cloisonnements si préjudiciables à la formation, et singulièrement le clivage entre formation initiale et formation professionnelle, impliquait de réunir les spécialistes de l'éducation, du droit social et du monde de l'entreprise. Par ailleurs, il a été procédé à une soixantaine d'auditions de tous les acteurs du système de formation professionnelle. Trois ministres, l'ensemble des partenaires sociaux signataires de l'accord interprofessionnel du 7 janvier 2009, ainsi que l'association des régions de France, ont été entendus en réunion plénière.

Rendre le système de formation professionnelle plus juste et plus efficace est une nécessité. La formation professionnelle mobilise 27 milliards d'euros sur la base de l'obligation légale de financement instituée par la loi de 1971, inspirée par le président Jacques Delors, que la mission commune d'information du Sénat sur la formation professionnelle avait pu entendre sur cette question. Cependant, son efficacité est de plus en plus remise en cause.

Le système apparaît comme particulièrement injuste car il entretient les inégalités au lieu de les résorber comme il le devrait. Moins on est qualifié et moins on bénéficie de la formation professionnelle. Le cadre a une chance sur deux d'accéder à la formation, l'ouvrier une chance sur sept.

De même, plus l'entreprise est petite et ses emplois fragiles, et moins ses salariés bénéficient de la formation. Pire encore, un chômeur a moins accès à la formation qu'un salarié. D'autres inégalités sont criantes, en fonction de l'âge notamment.

Par ailleurs, la formation professionnelle est caractérisée par les trois C évoqués dans le rapport de la mission commune d'information du Sénat en 2007, dont Bernard Seillier était rapporteur : cloisonnement, complexité, corporatismes.

Le cloisonnement d'abord. Chacun des acteurs a tendance à préserver son pré carré plutôt que de travailler avec les autres. La formation initiale est soigneusement séparée de la formation professionnelle, l'orientation est confiée à une multitude de structures qu'il est difficile de faire travailler ensemble, les principaux acteurs de la formation ont encore tendance à s'arc-bouter sur leurs compétences qu'ils préfèrent exercer de manière séparée plutôt que partagée et, enfin, la logique de branche a du mal à prendre en compte la nécessité d'avoir une vue transversale des métiers et des secteurs professionnels dans un monde où la mobilité devient pourtant beaucoup plus importante que par le passé.

La complexité, ensuite. Les circuits du financement de la formation professionnelle sont particulièrement difficiles à comprendre, à part pour quelques initiés. Il est extrêmement ardu de s'orienter au milieu de la multitude d'organismes collecteurs, parmi lesquels figurent les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca), les organismes paritaires agréés du congé individuel de formation (Opacif), les fonds d'assurance formation (Faf), les organismes de collecte de la taxe d'apprentissage (Octa) et autres. De même, l'offre de formation est constituée d'un nombre considérable d'organismes, 50 000 environ, dont certains n'ont aucune ou presque aucune activité. L'inflation des diplômes, titres et qualifications n'est pas non plus un gage de simplicité. Si l'on persévère sur les tendances actuelles, le chiffre de 12 ou 13 000 diplômes pourrait bientôt être atteint.

Le corporatisme, enfin. La formation professionnelle mobilise des fonds considérables et chacun veut rester maître chez lui, privilégiant trop souvent des intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général.

Au cours des deux dernières années, de très nombreux rapports et études ont mis en évidence l'urgence d'une réforme de ce système, qu'il s'agisse du rapport de la mission commune d'information du Sénat, de celui de l'Inspection générale des affaires sociales ou de celui de la Cour des comptes.

Pour préparer cette réforme, le Gouvernement a mis pleinement en oeuvre la loi sur la modernisation du dialogue social. Il a créé un groupe de travail multipartite présidé par Pierre Ferracci, qui a permis de dégager des éléments de consensus tout en ne masquant pas les divergences des différents acteurs sur certaines questions, puis il a saisi les partenaires sociaux d'un document d'orientation qui leur a permis d'entamer une négociation qui a conduit à l'accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 puis à l'élaboration du projet de loi.

Ce projet de loi a deux objectifs principaux : d'abord, une volonté de réduire les inégalités d'accès à la formation professionnelle et de sécuriser les parcours ; ensuite, la recherche d'une plus grande efficacité et d'une plus grande transparence du système.

La sécurisation des parcours professionnels se manifeste par la création d'un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), qui devra permettre de mieux diriger les fonds de la formation vers ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les demandeurs d'emploi et les salariés les moins qualifiés. Elle passe aussi par la création de la préparation opérationnelle à l'emploi, qui permettra à des demandeurs d'emploi de bénéficier d'une action de formation pour se préparer à occuper un emploi correspondant à une offre identifiée auprès de Pôle emploi. La sécurisation se retrouve encore dans les dispositifs qui attachent le droit à la formation directement à la personne et non à un statut. C'est la portabilité du droit individuel à la formation, qui doit permettre de conserver ses droits à formation en cas de changement d'employeur, ainsi que la possibilité de faire prendre en charge des formations réalisées hors temps de travail au titre du congé individuel de formation. La réduction des inégalités passe également par l'extension du contrat de professionnalisation aux publics les plus éloignés de l'emploi, avec la mise en place de conditions particulières pour ces publics.

La rationalisation des dispositifs et le renforcement de la transparence s'effectuent au travers de la réforme des organismes paritaires collecteurs agréés (Opca). Ceux-ci seront regroupés par l'augmentation très forte du seuil de collecte, qui passera de 15 à 100 millions d'euros dans les deux années à venir. Par ailleurs, les conditions de leur agrément prendront désormais en compte les services qu'ils apportent aux entreprises et plus seulement leur capacité financière. C'est une évolution essentielle qui correspond aux préconisations de la mission commune d'information du Sénat. Les Opca doivent se recentrer sur le conseil, l'assistance et l'ingénierie pour les entreprises, et notamment les plus petites.

Il faut également noter plusieurs dispositions destinées à renforcer les contrôles sur le maquis des organismes de formation, ce qui permettra une plus grande transparence dans ce secteur.

La gouvernance du système est également modifiée avec l'article 20 du projet de loi sur le plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF), pour lequel le Gouvernement propose une contractualisation entre la région et l'Etat.

Ce texte aurait pu être l'occasion d'une réforme plus ambitieuse. On peut ainsi se demander par exemple si l'obligation légale de financement est aujourd'hui aussi indispensable qu'il y a quarante ans alors que nombre d'entreprises savent très bien que la formation est un investissement nécessaire et bénéfique pour l'employeur autant que pour le salarié. Les dispositifs auraient également pu être davantage décloisonnés. Le système des trois cotisations étanches que sont le plan de formation, la professionnalisation et le congé individuel de formation n'est pas forcément nécessaire.

Cependant, il paraît peu réaliste, dans le contexte actuel, de tenter de refondre entièrement le système. La vraie question est donc de savoir si ce texte marque un progrès, ce qui est difficilement contestable si l'on est de bonne foi. Ce projet de loi marquera une vraie amélioration du système de formation professionnelle.

a alors noté que des améliorations peuvent être apportées par rapport au texte existant, précisant que les amendements qu'il propose reposent sur les 3 P : la personne, les partenariats, la proximité.

Ces amendements peuvent être regroupés en cinq thèmes :

- la réforme ne saurait être efficace que si elle porte sur la formation tout au long de la vie et donc aussi sur la formation initiale et sur son articulation avec la formation professionnelle. Cette articulation s'effectue au niveau de l'orientation. Une bonne orientation, c'est d'abord une bonne information ; or, aujourd'hui, l'information est réservée à ceux qui savent (ceux dont les parents sont dans le milieu éducatif) et à ceux qui ont (les plus aisés qui se tournent vers des structures privées). Ceci est inacceptable et certains des amendements proposés tendent à rationaliser l'orientation, renforcer le délégué interministériel à l'orientation, préparer un vrai rapprochement des multiples structures en charge de l'information sur l'orientation. Ces propositions ont été formulées ailleurs et parfois sous des formes beaucoup plus radicales. Il est important de donner un signal de la détermination du Sénat à ce que les choses changent ;

- le renforcement des dispositifs mis en place par le texte est également nécessaire en ce qui concerne le FPSPP. Ce fonds doit permettre d'aider fortement ceux qui en ont le plus besoin. Il est nécessaire de définir clairement les publics prioritaires et d'encadrer la manière dont les fonds seront prélevés sur les entreprises afin de favoriser le développement de la professionnalisation.

Sur le droit individuel à la formation (Dif), une plus grande simplicité et cohérence sont souhaitables. Dans le texte, un salarié qui change d'entreprise et qui conserve son Dif doit l'utiliser dans les deux années suivantes, sauf à en perdre le bénéfice. Or, l'employeur peut refuser l'utilisation pendant deux ans. Il est proposé de permettre au salarié de prendre ce Dif même sans accord de l'employeur s'il le prend hors du temps de travail ;

- un troisième axe est la formation de la jeunesse. L'Assemblée nationale a déjà prévu des dispositions spécifiques qu'il est proposé de compléter, notamment par des mesures inspirées par la mission du Sénat sur la politique en faveur des jeunes ou la commission spéciale présidée par Martin Hirsch. Ainsi, l'apprentissage pourrait être conforté en prévoyant une augmentation progressive de la part de la taxe d'apprentissage qui lui est réservée. Conformément au rapport de Laurent Hénart, auditionné la semaine dernière, il paraît également souhaitable de supprimer l'agrément préfectoral nécessaire pour accéder à l'apprentissage dans le secteur public. Avec Christian Demuynck, qui a beaucoup travaillé sur cette question, il sera également proposé d'interdire les stages hors cursus pour mettre fin aux abus qui permettent à certains employeurs de faire travailler sur de vrais postes de production des jeunes auxquels ils ne proposent pas de contrat de travail ;

- concernant le financement du système, il est proposé de compléter la réforme en prévoyant notamment la signature de conventions d'objectifs et de moyens entre l'Etat et les Opca, notamment pour qu'une partie des frais de gestion soit liée au respect d'objectifs en matière de service aux entreprises. Il sera également proposé que des personnalités extérieures participent au conseil d'administration des Opca ;

- le dernier axe concerne la gouvernance. Deux réformes principales peuvent être adoptées : renforcer le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, qui paraît le mieux placé pour définir les grandes orientations et procéder aux évaluations ; compléter le PRDF ensuite. La contractualisation prévue par le texte actuel est nécessaire, mais il faut qu'elle associe les trois partenaires que sont la région, l'Etat et les partenaires sociaux et les obliger à tous travailler ensemble pour entrer dans la logique des compétences partagées. Cette réforme est essentielle.

Concluant son propos, le rapporteur a fait part de sa détermination à faire en sorte que le Sénat prenne toute sa part dans la modernisation de la formation professionnelle en France et qu'il marque ce texte de son empreinte comme il sait le faire sur les sujets essentiels.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion