Intervention de Martial Bourquin

Réunion du 27 janvier 2014 à 16h00
Consommation — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la présentation générale d’Alain Fauconnier, sinon pour rappeler qu’en examinant ce texte, qui comprend plus de cent soixante-dix dispositions, nous nous sommes efforcés non seulement de perfectionner tous les dispositifs, mais aussi de les relier les uns aux autres pour essayer d’anticiper leur effet global et la liberté de choix.

Si la fragilité et la liberté de choix du consommateur sont des préoccupations majeures, il nous fallait également prendre en compte les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises, tout particulièrement celles qui respectent leurs salariés et les consommateurs, dans un environnement économique et financier, qui, sur le terrain, suscite des attentes auxquelles nous apportons des réponses concrètes.

Dans cet esprit, je vous présenterai rapidement les enjeux de cette deuxième lecture pour ce qui concerne les principales dispositions du projet de loi que je suis chargé de rapporter.

S’agissant tout d’abord de l’action de groupe, l’une des deux dispositions phare du projet de loi, avec le registre national des crédits aux particuliers, le Sénat avait sensiblement ajusté le dispositif en première lecture, sur mon initiative et celle de notre collègue Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis de la commission des lois.

En commission, nous avions ainsi adopté dix-huit amendements, parmi lesquels certains visaient à préciser la procédure de médiation. Surtout, un amendement que j’avais proposé à la commission tendait à détailler et à encadrer les conditions d’engagement d’une action de groupe simplifiée.

En séance publique, dix amendements de la commission des lois avaient été adoptés ; sur certains d’entre eux, le Gouvernement s’en était remis à la sagesse du Sénat. La Haute Assemblée avait, notamment, modifié la procédure d’action de groupe en matière de concurrence en permettant l’engagement d’une telle action avant que la décision de l’autorité de la concurrence ne soit devenue définitive.

En deuxième lecture, les députés ont sensiblement ajusté le dispositif, adoptant une quinzaine d’amendements en commission ou en séance publique.

Ils ont maintenu plusieurs dispositions introduites par le Sénat, en particulier pour ce qui concerne la médiation. Ils ont poursuivi l’amélioration de la procédure d’action de groupe en matière de concurrence, dans l’esprit qui avait prévalu lors de l’examen du texte au Sénat, en permettant au juge de prononcer la responsabilité du professionnel sur le fondement d’une décision d’une autorité de la concurrence non définitive, si les recours ne portent pas sur l’établissement des manquements. Ils sont enfin revenus sur certains ajouts de la Haute Assemblée.

Les députés ont ainsi rétabli le dispositif qu’ils avaient initialement retenu concernant l’action de groupe simplifiée, sans tenir compte des remarques que nous avions formulées en première lecture.

Sur mon initiative, la commission des affaires économiques est revenue au dispositif de l’action de groupe simplifiée tel qu’il a été adopté par le Sénat en première lecture, sous réserve d’un ajustement permettant de prendre en compte une critique du rapporteur de l’Assemblée nationale. Ce dispositif nous paraît plus précis et plus sûr juridiquement que celui qui a été adopté par les députés.

J’en viens au chapitre V du projet de loi. Je souhaite insister sur le volet du texte consacré au rééquilibrage des forces entre les entreprises. De façon assez solennelle, je voudrais faire observer qu’il s’agit ici d’élaborer un cadre juridique dont l’objectif concorde parfaitement avec l’impératif de renforcement de la compétitivité de notre économie. En effet, le rapport de Louis Gallois démontre que le rééquilibrage des forces et la pacification des relations entre les entreprises sont l’une des clefs de notre redressement. Un juste équilibre et la pacification, c’est aussi le « cœur de métier » du travail de législateur. Plus la loi est fluide, plus elle est applicable et plus elle est efficace.

S’agissant de l’article 61 relatif au renforcement des sanctions en matière de délais de paiement, je rappelle qu’en première lecture le Sénat a supprimé le régime dérogatoire introduit par les députés en faveur des factures récapitulatives, en particulier pour l’achat de matériaux de construction.

Prendre du recul et décider n’est pas une tâche facile, mais nous avons estimé, ici, au Sénat, qu’une telle mesure pénaliserait les fournisseurs de matériaux de construction au profit, parfois, des promoteurs immobiliers. En effet, les fournisseurs sont souvent des petites et moyennes entreprises ou des très petites entreprises, qui devraient trouver des financements complémentaires pour faire face à des besoins accrus de trésorerie, ce qui est presque actuellement une mission impossible dans le contexte actuel de restriction du crédit.

Au final, je constate que l’Assemblée nationale, après avoir voté une dérogation, ce qui, vous en conviendrez, est souvent plus gratifiant que de tenir une ligne de rigueur, a approuvé la position prise par le Sénat.

Je rappelle, mes chers collègues, que les délais de paiement représentent un manque à gagner de 11 milliards d’euros par an pour les PME et TPE et qu’une entreprise sur quatre, en France, est en difficulté en raison de délais de paiement trop longs. Or plus nous prévoyons d’exceptions à la règle, plus nous fragilisons les plus petites d’entre elles !

Par conséquent, la commission des affaires économiques a supprimé, sur mon initiative, le nouveau régime dérogatoire en matière de délais de paiement introduit en deuxième lecture par les députés. Il avait pour but d’affranchir certaines entreprises exportatrices – à savoir les entreprises de négoce spécialisées dans la grande exportation hors de l’Union européenne – de la contrainte du délai maximal de règlement pour les biens achetés en franchise de TVA, sans toutefois que le délai librement fixé avec le créancier soit abusif à son égard.

Je m’arrête un bref instant sur ce point pour rappeler que si l’exportation est bien entendu un défi prioritaire, il faut avant tout penser à la régulation globale de notre économie et au péril parfois imminent auquel doivent faire face les PME industrielles, qui se trouvent dans une logique de survie.

J’observe d’ailleurs que, premièrement, nous réalisons 70 % de nos exportations vers l’Union européenne. Or, dans cette zone économique, c’est la directive du 16 février 2011 qui s’impose à tous et limite en principe les délais de paiement à soixante jours civils en Europe.

Deuxièmement, il me paraît hautement souhaitable, avant d’ouvrir une nouvelle fois la boîte de Pandore des dérogations, de recourir à des solutions mieux ciblées : mobiliser des outils de financement et de soutien – affacturage, aides publiques, aides à l’exportation – permettrait sans doute de soulager les secteurs et les entreprises spécifiquement pénalisés par les décalages de paiement entre clients et fournisseurs à la grande exportation.

Pour ces raisons, et parce que l’accès au crédit est aujourd’hui extrêmement difficile pour nos PME et que la crise se fait encore sentir dans notre industrie, la commission des affaires économiques a supprimé cette disposition.

Les dérogations ouvrent la porte à d’autres dérogations. La loi de modernisation de l’économie, la LME, dont Élisabeth Lamure fut l’un des rapporteurs au Sénat, a constitué l’aboutissement d’un long travail. Elle avait accordé des délais pour ces dérogations. Aujourd’hui, ils sont arrivés à leur terme. Il faut donc appliquer la LME, et rien qu’elle !

En matière de régulation des relations de sous-traitance, la commission a réintroduit, en la réaménageant, la disposition adoptée par le Sénat en première lecture, pour répondre aux objections, non pas de principe mais de forme, mises en avant par la rapporteure de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, qui est à l’origine de la suppression de ce dispositif.

Ici encore, personne ne conteste aujourd’hui que l’amélioration et l’encadrement des relations de sous-traitance sont une nécessité fondamentale pour la compétitivité de notre économie. Dans le prolongement des préconisations du rapport que j’ai remis au Gouvernement en tant que parlementaire en mission, il a paru essentiel à la commission de contribuer sans plus attendre, dans ce projet de loi, à la pacification, comme je le disais tout à l’heure, des relations de sous-traitance de production, ce qui passe par des conventions ou contrats-types. Trop souvent, c’est la jungle, la loi du plus fort. Il faut mettre en place, comme en Allemagne ou certains pays du nord de l’Europe, de véritables contrats, une véritable entente et collaboration entre PME, sous-traitants et grands donneurs d’ordre.

S’agissant des relations entre fournisseurs et distributeurs, l’article 62 du projet de loi traduit l’intention de préserver les principaux équilibres de la loi de modernisation de l’économie, qui semblent garantir les intérêts de toutes les parties.

Encore fallait-il renforcer le formalisme contractuel et sanctionner plus fermement les dérives sur lesquelles la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, exerce sa vigilance, tout en tenant compte de la volatilité du prix des matières premières.

Les députés ont adopté une dizaine d’amendements sur cet article. Je vous en résume la teneur et les conséquences que nous en avons tirées.

Tout d’abord, ils ont précisé la notion de convention unique ainsi que son contenu ; ils ont ensuite supprimé les dispositions introduites par le Sénat relatives aux nouveaux instruments promotionnels, les NIP, avant de décider finalement de les réintroduire dans la convention unique lors du débat en séance publique.

Sur ce point, la commission vous soumet une solution d’équilibre qui vise à sortir les nouveaux instruments promotionnels du champ de la convention unique, tout en donnant une définition et un cadre juridiques à cette pratique extrêmement répandue mais dont aucune mention n’est faite dans notre législation commerciale.

Les députés ont ensuite prévu que les renégociations de prix, en fonction de la volatilité des matières premières, doivent s’effectuer dans le respect du secret des affaires et des secrets de fabrication existants.

Enfin, sur l’initiative de François Brottes, président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, a été adopté un amendement qui tend à instaurer, pour le distributeur, l’obligation de répondre dans un délai de deux mois au fournisseur qui estime qu’un accord a été remis en cause. À défaut de réponse, le fournisseur a la possibilité de signaler la situation à la DGCCRF. La commission a supprimé ce dispositif, dont l’intention est certes légitime, mais dont la portée juridique est très insuffisante, puisque la sanction prévue, le signalement à la DGCCRF, est d’ores et déjà possible même en l’absence de réponse. De plus, la mise en œuvre pratique d’une telle initiative paraît difficilement compatible avec la réalité de terrain.

La commission a adopté plusieurs autres correctifs au texte transmis par les députés pour l’article 62. Il s’agit d’abord de préserver la possibilité d’une remise globale concernant les « autres obligations » auxquelles s’engage le distributeur à l’égard de son fournisseur, afin de contrecarrer le retour au « ligne à ligne », tout en prévoyant que cette rémunération globale ne soit pas disproportionnée par rapport à la valeur des services concernés. Une deuxième modification vise à introduire la notion d’abus dans la disposition qui interdit la pratique des « garanties de marge ». Enfin, deux autres rectifications tendent à améliorer la précision du texte et à supprimer des redondances

En conclusion, comme l’indiquait Alain Fauconnier tout à l’heure, la commission des affaires économiques vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi, qui marque une avancée importante en redonnant du pouvoir aux citoyens, aux consommateurs.

Cela fait trente ans que nous parlons de l’action de groupe, que le ministre Benoît Hamon et le Gouvernement mettent en place. Elle verra le jour dans quelques semaines et donnera du pouvoir d’achat aux consommateurs, tout en préservant la stabilité de nos entreprises. Cet équilibre inédit entre renforcement du pouvoir des consommateurs, bon fonctionnement de l’économie et maintien du filtre des seize associations de consommateurs doit garantir que la grande avancée sociale que représente cette loi ne remettra pas en cause la France de producteurs que nous voulons.

Je vous invite une nouvelle fois, mes chers collègues, à voter ce texte, vraiment très important pour notre économie et notre population.

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