Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, après les fêtes et les soldes, nous sortons d’une longue période d’hyper-consommation au cours de laquelle tout un chacun a été invité à dépenser sans compter et à se faire plaisir. Les enfants, cibles privilégiées de ces fêtes, sont envahis de cadeaux plus sophistiqués les uns que les autres : de la sorte, ils sont bien conditionnés pour devenir de futurs consommateurs en puissance.
Durant cette période, notre « temps de cerveau disponible », pour reprendre une expression abominable, est concentré sur la seule satisfaction de notre fibre consumériste, tout du moins pour ceux qui ont les moyens de consommer. Car il ne faut pas oublier les autres : ceux qui rament dans les rayons alimentaires du hard discount pour trouver les produits les plus bas de gamme leur permettant de nourrir leur famille et de boucler, mais tout juste, leurs fins de mois et ceux pour qui la consommation de survie se réduit aux denrées fournies par les Restos du cœur ou la Banque alimentaire ou trouvées dans les poubelles des supermarchés.
De prime abord, un texte sur la consommation peut se révéler difficile pour ceux qui osent encore croire qu’une existence peut être satisfaisante sans cette course effrénée au paraître et à la possession.
Comment, dès lors, aborder un tel projet de loi ? En faisant le pari d’y renforcer, voire d’y inscrire, toute disposition propre à protéger les citoyens des spirales financières et de l’endettement, aux conséquences sociales et psychologiques désastreuses, à remettre les lobbys à leur juste place et à tenir à distance leur appétit financier, à favoriser les « 3 R » – réduire, réutiliser, recycler –, à privilégier la qualité et la durabilité dans tous les domaines, y compris l’alimentation.
Aussi, les mesures inscrites dans ce texte, notamment celles qui visent à encadrer le crédit à la consommation et le crédit renouvelable, à fournir la meilleure information pré-contractuelle, à améliorer la durabilité et la réparabilité des produits ou encore à permettre, enfin, de faire un premier pas vers la reconnaissance de l’action de groupe, vont dans le bon sens. Monsieur le ministre, nous nous en réjouissons et vous en félicitons !
Comment favoriser la durabilité et la réparabilité des produits, alors que ces derniers, qui sont devenus nos outils du quotidien, sont soumis à l’obsolescence programmée ? Comment lutter contre cette pratique si nous ne la définissons même pas ? C'est tout de même la première étape ! C'est la raison pour laquelle notre groupe a déposé des amendements sur ce sujet, dont le premier vise à proposer une définition de l’obsolescence programmée.
Nous avons apprécié la volonté du Gouvernement de revenir au délai légal de garantie de vingt-quatre mois. Le projet de loi permet également de sécuriser la situation de personnes au budget modeste ou en situation de surendettement. Nombre d’entre elles, du fait de leurs difficultés financières, ont un accès restreint aux moyens de paiement classique. Notre groupe a fait adopter en commission un amendement visant à rendre gratuit l’utilisation du mandat compte. C’est un premier pas.
J’en viens maintenant à un volet du texte de la loi sur lequel je souhaite mettre l’accent : l’alimentation.
Comme beaucoup d’entre vous, j’aspire à un pays « maillé » d’exploitations agricoles nombreuses, productrices d’aliments de qualité. On nous parle sans cesse de compétitivité. Pour l’agriculture et l’agroalimentaire, celle-ci est toujours synonyme de production de masse pour l’exportation, au détriment de l’emploi et d’une production de qualité, attendue par les consommateurs. Rappelons, par exemple, que nous importons 45 % de la viande de poulet que nous consommons, alors que nous sommes un grand exportateur de poulets bas de gamme.
Si nous devons parier sur la qualité de notre production, il faut aussi s’assurer qu’elle trouve des débouchés. La restauration en est un. Mais encore faudrait-il que celle-ci fasse le pari du « fait maison ». Cuisiner sur place, à partir de produits bruts, c’est aussi privilégier un approvisionnement de saison, voire local, et favoriser l’emploi. Cela va de pair avec les avancées concernant l’étiquetage de l’origine des viandes, qui doit permettre de donner un avantage comparatif à la production locale.
L’idée sous-jacente à notre mobilisation sur ces thèmes est bien de redonner une définition profitable de la compétitivité. C’est dans cet esprit que nous avons soutenu les initiatives visant à donner une assise juridique aux magasins de producteurs, en précisant que leur approvisionnement se fait auprès d’agriculteurs locaux.
La cuisine agroalimentaire, « mijotée à l’usine », comme la qualifie le militant du « fait maison », Xavier Denamur, aussi philosophe que le nom de son restaurant, gagne tous les jours des parts de marché... Elle sait même s’associer des noms de chefs reconnus. Est-ce cette cuisine-là qui a permis à la gastronomie française d’être reconnue au niveau mondial ? Est-ce cette cuisine-là qu’attendent nos concitoyens quand ils vont au restaurant ou les touristes, en quête de cuisine authentique ? Non !
Alors faisons en sorte que, grâce à l’étiquetage, les clients français, tout comme les touristes, soient à même de choisir. Soutenons la résistance de ceux qui tiennent au « fait maison » !
Par ailleurs, j’aimerais tellement que mon amendement sur l’étiquetage des huîtres, que je remets au menu, trouve enfin un écho favorable dans cet hémicycle : il traduit notre volonté de développer le droit de savoir pour pouvoir choisir. Des produits naturels, traditionnels, qui se reproduisent, ce n’est pas la même chose que des produits d’élevage, hybrides, stériles et forcément plus fragiles. D’un point de vue gustatif, il y a aussi des différences.
Ainsi, une huître triploïde, qui n’est certes pas mauvaise, pousse en deux ans au lieu de trois, et n’est pas laiteuse les mois d’été. Or cette espèce est de plus en plus présente sur le marché. Si on n’y prend pas garde, on ne trouvera bientôt plus qu’elle ! Ce seront alors tout un patrimoine génétique et un équilibre naturel qui seront perdus. Les ostréiculteurs traditionnels font eux aussi de la résistance : soutenons-les ! Si on ne peut intervenir directement sur le marché, le rôle des politiques publiques – leur devoir, même ! – est de l’orienter.
En conclusion, dans le cadre de notre contribution à ce projet de loi, nous avons voulu rendre effectif le renversement de la charge de la preuve au profit du consommateur. Que ce dernier ne soit pas un simple exécutant passif des injonctions publicitaires ou médiatiques – « on nous inflige des désirs qui nous affligent », comme le chante si justement Alain Souchon, au nom de la Foule sentimentale –, mais qu’il puisse devenir un citoyen qui, certes, consomme, mais fait des choix éclairés favorisant le type de société à laquelle il aspire.
Seul le retour à l’éthique permettra de faire évoluer la consommation vers une consommation responsable, respectueuse et partagée. Cela nécessite également un retour à l’éthique en politique ! §