Pourquoi pas ? Mais les personnes en question savent bien que cette attitude correspond seulement à de la mauvaise foi. C’est du boniment.
Une autre grande idée développée par le Gouvernement en matière d’innovation gestionnaire nous a beaucoup intéressés : c’est la technique du tonneau des danaïdes appliquée aux relations entre branches. C’est ainsi que l’on organise le transfert des ressources pérennes de la branche famille au remboursement de la dette sociale. D’excédentaire, puis de conjoncturellement déficitaire, celle-ci finira par se trouver structurellement déficitaire. Creuser des trous pour en boucher d’autres est non pas une technique de gestion, mais un processus de délitement, que ce dernier soit organisé par incompétence ou obtenu par calcul.
Une autre technique de gestion intéressante consiste à élaborer des indicateurs et à les doter d’objectifs sans lien avec la réalité et sans visée en termes de santé publique. Les objectifs nationaux de dépenses d’assurance maladie – ONDAM – en sont l’exemple le plus frappant. La progression de celui qui est affecté aux dépenses médico-sociales a été arbitrairement fixée à 3, 8 %. Or, jusqu’à présent, sa hausse n’a jamais été inférieure à 6 %. Le vieillissement de la population, les retards structurels dans la prise en charge du handicap expliquent cet état de fait. Mais alors que l’ONDAM est en nette régression, le Gouvernement affiche sa volonté de créer de plus en plus de places d’accueil, que ce soit à travers le plan Solidarité- Grand Âge ou lors de la conférence nationale du handicap, ce qui n’est pas compatible.
Si la question des ressources est déterminante pour l’avenir de notre régime, c’est parce que la protection sociale est également déterminante pour l’avenir de notre société. Pourtant, face à la dérive de nos comptes sociaux, vous ne proposez, comme chaque année, monsieur le ministre, qu’une série de « mesurettes » qui ont pour seul effet de diminuer les prestations en augmentant le reste à charge. Pendant ce temps, c’est en centaine de milliards d’euros que se chiffre le déficit et en dizaine de milliards d’euros qu’il s’enracine.
Face à une telle situation, la question de l’élaboration d’une réforme fiscale basée sur la justice sociale se pose. Mais comment pourriez-vous y parvenir ? Vous traînez le bouclier fiscal comme un boulet et, alors que vous « grattez » jusqu’à trois mois d’aide personnalisée au logement, ou APL, en supprimant la rétroactivité de cette prestation aux étudiants, notamment, vous faites des chèques de 30 millions d’euros à la plus grande fortune de France !
Alors que vous ne cessez de brandir la menace de la fin de l’État providence, vous n’engagez aucun chantier d’importance. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale se caractérise par l’absence totale de réflexion sur le quotidien de nos territoires confrontés aux déserts médicaux, aux hôpitaux en souffrance, aux dépassements d’honoraires, à l’absence de politique de santé publique, aux difficultés d’accès aux soins.
En revanche, comme d’habitude, cette année a connu son lot de déremboursements et autres franchises. À tel point que si l’assurance maladie couvre encore bien le gros risque, la médecine de première ligne n’est plus prise en charge qu’aux alentours de 55 %.
Cette stratégie donne déjà des résultats : plusieurs enquêtes ont montré récemment une augmentation sensible du renoncement aux soins pour raisons financières. Pis, l’érosion du remboursement des soins affecte la légitimité du système ; les actifs cotisent aujourd’hui pour une protection sociale dont ils verront diminuer la couverture dans l’avenir. Jusqu’à quand la solidarité intergénérationnelle y survivra-t-elle ?
Bref, même en ignorant les besoins existants, vous n’arrivez plus à régler les affaires courantes.
Pendant que filent les déficits, les niches fiscales, au sens large, excèdent 200 milliards d’euros. Elles ont un coût budgétaire faramineux, alors que nul n’évalue leur efficacité et que leurs effets pervers dépassent parfois leurs bienfaits supposés. Certaines sont même détournées et servent aux contribuables les plus fortunés à réaliser une optimisation à grande échelle. Pourtant, l’augmentation de leur nombre s’est accélérée. Depuis 2002, on en comptabilise deux cents supplémentaires.
Pour ce qui concerne la branche famille, le même diagnostic peut être posé. Élus locaux, nous savons à quel point la demande de structures de garde pour la petite enfance est forte et à quel point l’offre collective n’est pas à la hauteur des besoins constatés. Pourtant, dans la plupart des familles, le travail des femmes est devenu une nécessité absolue. L’accès à un service de la petite enfance devrait être un droit.
Mais, en l’occurrence, il n’est question que de « siphonner » les recettes de la branche famille pour couvrir la prolongation de la dette sociale, et de « mégoter » trois mois d’APL.