Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 9 novembre 2010 à 14h45
Financement de la sécurité sociale pour 2011 — Demande de renvoi à la commission

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, sommes-nous réellement en sortie de crise et, si tel est le cas, pour combien de temps ?

J’ai écouté avec attention les membres du Gouvernement qui se sont exprimés hier, mais je n’ai pas trouvé les réponses structurelles attendues dans leurs interventions. En revanche, j’y ai trouvé la confirmation que la méthode Coué, brillamment évoquée par Bernard Cazeau, a encore de nombreux adeptes dans ce gouvernement.

Permettez-moi, pour ma part, de m’en tenir aux faits.

Vous conviendrez avec moi que les conditions d’examen du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale sont, à tous points de vue, les moins favorables que l’on ait connues, que ce soit en termes de calendrier d’abord, de méthode ensuite et de fond enfin.

Que le Gouvernement dépose son projet de loi de plus en plus tard sur le bureau de l’Assemblée nationale participe évidemment au rythme invraisemblable qu’il nous impose. Jusqu’en 2005, le PLFSS était déposé au cours de la première semaine d’octobre. Puis il l’a été le 12 octobre, le 13 octobre, le 14 octobre, la date limite étant, je le rappelle, le 15 octobre !

Jusqu’en 2005 également, le Sénat se réservait une semaine de travail entre la date de transmission du texte adopté par l’Assemblée nationale et celle de présentation des rapports. Depuis, transmission et rapports sont concomitants.

Mais c’est moins cette contraction du temps que le contexte frénétique dans lequel elle s’inscrit qui pose problème. La session unique n’a jamais aussi bien porté son nom. Le Parlement siège dorénavant « non stop » du mois de septembre au mois de juillet ; son ordre du jour est encore surchargé, malgré deux sessions extraordinaires chaque année. Les lundis et les vendredis sont devenus des jours de séance habituels. À croire que moins le Gouvernement crée de financements, plus il fabrique de textes !

Reste que cette frénésie législative marque singulièrement cette session d’automne, particulièrement en matière sociale avec le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale et le projet de loi portant réforme des retraites – tous deux inscrits à l’ordre du jour de la session extraordinaire –, le PLFSS et l’annonce initiale d’un projet de réforme de la prise en charge de la dépendance avant la fin de l’année. Il est vrai que pour ce dernier, le calendrier est modifié ! Personne n’y a vraiment cru.

À peine achevé aux forceps le marathon de l’examen des projets relatifs à la dette sociale et aux retraites, nous avons « enquillé », dirais-je familièrement, mercredi 3 novembre en commission sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, adopté la veille seulement par l’Assemblée nationale, alors qu’un débat commun, non moins important, sur le projet de loi de programmation des finances publiques et sur les prélèvements obligatoires et l’endettement nous occupait aussi le même jour en séance publique !

À cette stratégie de surcharge systématique de l’ordre du jour parlementaire s’en ajoute une seconde, non moins déplorable : celle de la réforme « en kit », ou du « saucissonnage », qui consiste à éparpiller les mesures d’un même projet dans plusieurs textes.

Le Gouvernement a appliqué cette méthode à la réforme territoriale. Il a fait de même à l’égard de la réforme des retraites en dissociant les mesures d’âge – un projet de loi –, des mesures de fiscalité budgétaire – un autre projet de loi – et des mesures de fiscalité sociale – encore un autre projet de loi. Et il s’est ainsi cru autorisé, à cette occasion, à refuser dans cette enceinte toute discussion sur le volet financier en expliquant que l’on en parlerait plus tard. Mais lorsque nos collègues députés ont évoqué la dette sociale et les retraites au cours de l’examen du PLFSS, « hors sujet » avez-vous alors répondu, monsieur le ministre, en expliquant, cette fois, que l’on ne parlait plus des textes passés !

Le Gouvernement prive ainsi la représentation nationale de visibilité, compte tenu, notamment, de la dispersion des chiffrages, alors que ces différents projets de loi posent une même question à laquelle personne ne répond : celle du financement de la sécurité sociale.

Les mesures qui nous sont proposées en l’occurrence se limitent, pour l’essentiel, à gérer la pénurie, une pénurie organisée. Il n’y a donc aucune urgence à décider de ne pas financer la protection sociale !

Dans la continuité de la fuite en avant sur la dette sociale, le « court termisme » sur les retraites, le présent projet de loi poursuit obstinément une politique de maîtrise des dépenses homéopathique au regard du déficit historique de nos comptes sociaux, malgré, surtout, un déficit structurel sur lequel le Gouvernement se refuse cette année encore à agir.

Reports de dette, déqualification de niches, tuyautages et transferts intraçables... l’insincérité des comptes et des hypothèses qui les fondent ne suffisent pas à dissimuler l’inaction et contribuent encore à fausser le débat parlementaire.

Cette inaction a évidemment un coût. La dégradation du régime se poursuit : 23, 1 milliards d’euros de déficit cette année et seulement – hésite-t-on à dire – 21 milliards d’euros prévus en 2011. Les déficits cumulés sur la période 2011-2014 s’élèveraient à près de 80 milliards d’euros, dont 45 % pour la branche maladie et 46 % pour la branche vieillesse.

Le Gouvernement se félicite que l’ONDAM soit tenu, au prix d’un nouveau « débasage » au détriment de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA – je reviendrai sur ce point – et prévoit de réduire sa progression à 2, 9 %.

Insincérité encore lorsque le ministre du budget affirme que ce taux représente presque le double de l’augmentation du coût de la vie prévu pour 2011. Cela a été démontré sur la base des hypothèses du Gouvernement lui-même inscrites à l’annexe B : une hausse de 2 % du PIB en volume et une hausse de 1, 5 % de l’inflation représentent une augmentation de 3, 5 % de PIB en valeur ; l’ONDAM est donc en réalité inférieur !

Irréalisme encore que cette ligne bleue de l’ONDAM qui focalise tous les choix, en prétendant ignorer la réalité de l’évolution spontanée des dépenses de santé de près de 4 %, en raison de l’accroissement de la demande et du renchérissement du coût des techniques médicales.

Cette gestion en devient caricaturale et atteint un sommet d’absurdité avec le dernier épisode du refinancement des 130 milliards d’euros de dette transmis à la CADES. Face à la résistance imprévue des députés, qui ont estimé le panier initialement constitué vraiment « trop percé », vous décidez d’y substituer 0, 28 point de CSG auparavant dévolus à la Caisse nationale d’allocations familiales et de lui « refiler » ce panier en contrepartie. Vous infligez donc délibérément, et en toute connaissance de cause, un déficit aggravé à la branche famille, déjà en situation inquiétante, puisque les taxes prévues sur les assurances ne sont ni pérennes ni dynamiques. C’est un choix digne de Gribouille !

Pour refinancer la dette, une autre solution juste, efficace, pérenne existe – cela a été dit mille fois – : la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS. Vous n’en voulez pas. Vous préférez « couler » la branche famille et compromettre ainsi les comptes de la sécurité sociale. Qui peut encore vous croire lorsque vous prétendez vouloir sauver notre système de protection sociale alors que vous êtes pris sur le fait, en train de l’asphyxier ?

Irréalisme des hypothèses, ai-je dit, qui faussent le débat parlementaire et qui hypothèquent fortement la sincérité des comptes présentés. Les projections pluriannuelles d’emploi retiennent une croissance de la masse salariale de 2;9 % pour 2011 et de 4, 5 % pour 2012. Elles sont improbables, et vous avez bien voulu me le confirmer en commission, monsieur le rapporteur général. Elles le sont tellement que le rapporteur général de la commission des finances suggère de réintégrer 17, 7 milliards d’euros au sein du déficit cumulé prévisionnel pour la période 2012-2014 sur la base plus vraisemblable d’une croissance de la masse salariale de 3, 5 % en 2012.

Insincérité et débat parlementaire faussé encore au regard de montages kafkaïens constitués de recettes au rendement inconnu et qui nous laissent dans l’incapacité d’en apprécier l’équilibre. Le fléchage des recettes fiscales nouvelles, de l’augmentation des prélèvements sociaux et des redéploiements des économies résultant des allégements généraux est particulièrement complexe.

À cet égard, je suis toutefois heureux de constater que le ministre du budget a la capacité de changer radicalement d’avis d’une année sur l’autre.

L’année dernière, le détenteur de ce portefeuille s’opposait fermement à l’annualisation du calcul du coût de ces allégements en expliquant qu’ils « coûteraient » 80 000 emplois. Cette année, monsieur le ministre, vous défendez la mesure. Conviction ou position de circonstance ? Conviction de circonstance ? C’est, en tous les cas, un premier pas. Mais il est loin de suffire ! Ainsi, mes chers collègues, je vous renvoie à l’analyse avertie, lucide et sans appel de M. le rapporteur pour avis de la commission des finances selon lequel « la maîtrise des dépenses est un levier dont la portée se réduit au fil des ans ».

Faute de recettes nouvelles et pérennes, le niveau de protection sociale devra être revu à la baisse, le reste à charge augmenté et la mise sous condition de ressources des prestations envisagée alors, ajoute-t-il, que « nous avons conscience que ces réflexions “creusent la tombe” du système créé en 1945 ».

Prétendre ne pas vouloir augmenter les recettes et, en même temps, sauvegarder le système par répartition – nous parlions alors des retraites – reviendrait à « mentir sur l’un des deux volets de la proposition ».

Enfin, toujours selon M. le rapporteur pour avis, « cette position de principe » – en d’autres termes, mes chers collègues, économiquement et socialement infondée – « conduit à aggraver les déséquilibres financiers ».

Constatons-nous autre chose aujourd’hui que la poursuite de l’aggravation des déséquilibres des comptes, la poursuite d’une politique de maîtrise des dépenses inopérante, la poursuite de l’augmentation du montant du reste à charge, dans lequel il faut bien sûr inclure le montant des cotisations aux couvertures complémentaires qui continuent d’absorber les transferts et en reporteront le coût, si ce n’est déjà fait, sur les primes – prétendre le contraire serait également mentir –, la poursuite, enfin, du sous-financement des hôpitaux publics ?

Selon l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’UNCAM, la couverture de base a baissé puisqu’elle est passée de 78, 2 % à 76, 8 % entre 2000 et 2009, mais elle se réduit en réalité à 50 %, toutes cotisations comprises. Parallèlement, de nouveaux déremboursements de médicaments et de dispositifs médicaux sont encore prévus.

Monsieur le ministre, l’augmentation du nombre de personnes renonçant à des soins ou les retardant devrait vous inquiéter et vous faire réagir. Pourtant, vous faites parfois la moue devant certaines études…

Celle que le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, a publiée au mois de juillet 2010 indique que la proportion de Français déclarant devoir s’imposer des restrictions budgétaires dans le domaine des soins médicaux est passée de 3 % en 1980 à 13 % aujourd’hui et a connu une forte dégradation depuis 2005.

Le baromètre Cercle santé-Europ assistance estime que ce taux a encore augmenté de 12 % entre 2009 et 2010, la plus forte hausse en Europe.

Selon un sondage réalisé pour le Collectif inter-associatif sur la santé, 26 % des personnes interrogées, parmi lesquelles les jeunes âgés de vingt-cinq à trente-quatre ans et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle sont surreprésentés, déclarent avoir renoncé à des soins.

Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé – l’IRDES – montre que, parmi les « renonçants » aux soins, 21 % disposent de la couverture maladie universelle complémentaire et 30, 4 % n’ont pas de couverture complémentaire.

L’association Médecins du monde alerte sur l’augmentation du nombre de consultations réalisées dans ses centres d’accueil et, ce matin même, le rapport du Secours catholique relève que l’augmentation constatée, depuis deux ans, des situations de pauvreté se poursuit.

Mais, de nouveau, monsieur le ministre, cela ne semble pas vous inquiéter, …

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