Je me suis rendu à Bruxelles du 20 au 22 janvier 2014, accompagné de nos collègues Jean Arthuis et Richard Yung, pour y représenter le Sénat, à l'occasion de la semaine parlementaire du semestre européen qui était simultanément la deuxième réunion de la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, en théorie co-organisée par le Parlement européen et la présidence grecque de l'Union européenne (UE). Je précise que l'Assemblée nationale était également représentée, lors de cette réunion, par sept de nos collègues députés, dont les présidentes des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, Élisabeth Guigou et Danielle Auroi. La commission des finances de l'Assemblée nationale était, quant à elle, représentée par nos collègues députés Pierre-Alain Muet et Christophe Caresche. Ce dernier est particulièrement fidèle à ces réunions, ce qui nous a d'ailleurs permis de construire des positions communes.
En une phrase synthétique, je dresserai un bilan très nuancé, voire décevant, de cette Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne : sur le fond, les débats ont, certes, souvent été riches et intéressants mais cette réunion a été décevante parce qu'elle représente un recul par rapport à celle qui s'est tenue les 16 et 17 octobre 2013 à Vilnius, sous présidence lituanienne de l'UE.
Sur le fond, nous avons parlé d'à peu près tous les sujets liés à la gouvernance économique et financière de l'Union, y compris la fiscalité. J'ai été frappé par deux choses : d'une part, le discours ressassé d'éléments de langage convenus, le « politiquement communautairement correct » si j'ose dire, affiché par les représentants des institutions européennes ; d'autre part, la richesse et l'hétérogénéité des positions défendues par les parlementaires nationaux, moins formatées, plus spontanées et donc plus intéressantes. J'ai entendu par exemple, de la part de certains, notamment de mes collègues grecs, des critiques fortes contre la Troïka, composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI), et dont le rôle est perçu comme un recul pour la démocratie.
S'agissant de l'aspect « semaine parlementaire du semestre européen », l'exercice me semble déconnecté de la réalité du calendrier du semestre européen. Nous nous réunissons en janvier, quelques semaines après que la Commission européenne ait procédé à l'examen annuel de croissance. Or c'est en mars que le Conseil formule les lignes directrices pour les politiques nationales et c'est en avril que les États membres présentent leurs programmes de réforme et leurs programmes de stabilité, qui font ensuite l'objet d'une évaluation par la Commission européenne fin mai ou courant juin. Peut-être serait-il plus pertinent d'organiser la réunion interparlementaire du premier semestre entre la formulation des lignes directrices par le Conseil et la présentation des programmes nationaux par les États membres, c'est-à-dire fin mars ou début avril. C'est un sentiment partagé par nos collègues députés.
Si je vous ai, au tout début de mon exposé, parlé d'un recul par rapport au premier exercice d'application de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), c'est parce que la première réunion m'avait parue bien plus ambitieuse que celle qui s'est tenue la semaine dernière. Pour mémoire, cet article 13 du TSCG dispose que « le Parlement européen et les parlements nationaux des parties contractantes définissent ensemble l'organisation et la promotion d'une conférence réunissant les représentants des commissions concernées du Parlement européen et les représentants des commissions concernées des parlements nationaux, afin de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions régies par le présent traité ». La Conférence des Présidents des Parlements de l'Union européenne qui s'est déroulée à Nicosie en avril 2013 et à laquelle notre président Jean-Pierre Bel a participé, avait proposé que la Conférence interparlementaire se réunisse deux fois par an, à Bruxelles, au cours du premier semestre avec une co-organisation Parlement européen/État assurant la présidence semestrielle, puis au deuxième semestre, dans le pays assurant la présidence semestrielle du Conseil, sans co-organisation avec le Parlement européen.
Il est en effet devenu nécessaire d'appuyer la nouvelle gouvernance économique et budgétaire européenne sur un fondement démocratique solide, dont les parlements nationaux sont les garants. Je ne reviens pas sur le compte-rendu que j'avais réalisé avec notre ancien collègue Marc Massion en octobre 2013 suite à mon déplacement à Vilnius, mais je note qu'en dépit de la forte implication de la présidence lituanienne qui a fait un excellent travail à la fin de l'année 2013, les ambitions de cette conférence ont malheureusement été revues à la baisse.
L'intitulé de la conférence a été modifié unilatéralement par le Parlement européen et dans un sens plus restrictif. De « Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne », elle a été annoncée comme portant sur la seule gouvernance économique, ce qui n'est pas anodin puisque cela restreint le champ de la conférence et, par exemple, permet ou pas d'aborder les questions relatives à l'Union bancaire.
L'ordre du jour a été élaboré par le Parlement européen et nos collègues grecs ont été relégués au second plan du choix des thèmes de débat en dépit de la présidence grecque de l'UE. Aucune discussion ne s'est tenue sur le projet de règlement. La conférence n'a pas abouti à l'adoption de « conclusions de la conférence ». Enfin, il n'a jamais été question du groupe de travail annoncé à Vilnius et qui devait se constituer depuis octobre dernier, conformément aux conclusions alors adoptées, ce groupe de travail devant, je cite, « prendre en considération le projet de règlement proposé par la présidence lituanienne » ainsi que « les amendements des délégations nationales ».
Dans la matinée du mercredi 22 janvier, un atelier consacré à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a été particulièrement intéressant, il était notamment composé de notre collègue Sharon Bowles, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen et de collègues issus des commissions des finances ou des commissions de l'économie des parlements nationaux grec, danois ou, encore, hongrois. Cet atelier a suscité un vrai débat entre les participants. Je suis intervenu sur les perspectives d'amélioration du système de TVA au sein de l'Union européenne, en m'appuyant notamment sur le rapport intitulé « Les douanes face au commerce en ligne : une fraude fiscale importante et ignorée » et préparé par nos collègues Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier. Je note à cet égard que les réponses du chef d'unité TVA de la Commission européenne, Donato Raponi, ont été particulièrement constructives. Les douanes des différents États membres partagent le même constat en matière de difficultés de recouvrement de la TVA, chaque gouvernement doit donc se mobiliser pour permettre aux administrations douanières de mener à bien leurs missions et, dans un tel contexte, l'Union européenne peut jouer un rôle en matière d'incitation et de coordination de l'action des États membres. Ce message a été bien reçu et c'est un des aspects positifs de cette conférence. Mon intervention lors de cet atelier figurera en annexe du compte-rendu de cette réunion.
Nous avons eu l'occasion de le dire et de le répéter, cette conférence doit maintenant travailler de manière effective et nos collègues députés européens cesser de voir les parlementaires nationaux comme des concurrents. Nous pourrons peut-être aller de l'avant grâce à une initiative franco-allemande, puisqu'un contact informel entre les représentants des quatre chambres concernées, Bundestag, Bundesrat, Assemblée nationale et Sénat, doit permettre de déboucher sur une réunion dans les prochaines semaines. En tout cas, la future présidence italienne qui organisera la prochaine conférence à l'automne prochain aura une responsabilité considérable à ce sujet. Nous suivrons donc les prochaines étapes avec vigilance mais, pour ma part, je ne donnerai pas indéfiniment crédit à ce type de rencontre, si elle ne repose pas sur un travail parlementaire digne de ce nom.
Je voudrais maintenant vous présenter rapidement l'intervention que notre collègue Richard Yung, retenu ce matin, avait préparée. Elle contient trois points : les objectifs de cette conférence interparlementaire, les attentes de notre collègue à l'égard de l'initiative franco-allemande et, enfin, les développements récents en matière d'union bancaire.
S'agissant du bilan et des objectifs de la conférence, notre analyse est commune. Cette conférence pâtît, selon notre collègue, de l'ambiguïté de ce type de réunion : s'agit-il d'un simple forum de discussion entre parlementaires ou veut-on en faire une véritable association des parlements nationaux à la gouvernance économique et financière de l'Union européenne ? Cette ambiguïté a conduit notre collègue à souvent se demander ce qu'il faisait là ! La succession de discours, marquée par l'absence de spontanéité et par une très faible interactivité, l'a conduit à émettre des doutes sur la pertinence de telles rencontres.
En revanche, il partage la conviction selon laquelle cette conférence peut avoir un riche avenir, pour peu que l'on décide collectivement d'en faire quelque chose, de la structurer en d'autres termes. C'est pourquoi notre collègue Richard Yung attend beaucoup de l'initiative franco-allemande que j'ai évoquée. Un échange bilatéral entre les deux délégations s'est ainsi tenu en marge de la conférence et il a ainsi été convenu qu'une réunion entre les quatre chambres concernées (Bundestag, Bundesrat, Assemblée nationale et Sénat) soit organisée prochainement et permette de donner une nouvelle impulsion à la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l'Union européenne, y compris par la proposition d'un projet de règlement, qui devra probablement être moins ambitieux que celui rédigé par la présidence lituanienne. À défaut d'un groupe de travail, cette initiative franco-allemande doit permettre d'avancer dans le bon sens et de dessiner des contours plus nets quant aux enjeux effectifs de cette Conférence interparlementaire.
Enfin, bien que l'Union bancaire n'ait pas été à l'ordre du jour officiel, il en a largement été question la semaine dernière. C'est pourquoi notre collègue Richard Yung a souhaité que je vous en rende compte. Sur les trois piliers de l'Union bancaire, que sont la supervision unique, la résolution unique et la garantie des dépôts, les fondements du premier ont été posés. Ce sont maintenant les perspectives en matière de résolution qui continuent de faire l'objet de discussions. Le débat sur les modalités institutionnelles de ce volet de l'Union bancaire a ainsi traversé la conférence toute la semaine dernière. Suite à l'accord trouvé par le Conseil en décembre 2013, de nombreux parlementaires, plus souvent issus du Parlement européen que des parlements nationaux, ont déploré que la solution retenue, défendue notamment par l'Allemagne, consiste en un accord intergouvernemental. Le Parlement européen, soutenu par la Commission européenne et la BCE, critique en effet le choix des États membres de mettre sur pied un accord intergouvernemental sur lequel reposerait le Fonds unique de résolution bancaire, qui devrait être doté d'environ 55 milliards d'euros d'ici à 2026, en s'appuyant sur une mutualisation progressive. Le Parlement européen souhaite être co-législateur en la matière et préconise donc de soumettre le projet à la procédure de codécision. J'observe toutefois que le futur fonds sera légitime d'un point de vue démocratique puisqu'à défaut d'une décision dans le cadre communautaire de droit commun, il devra être ratifié par les parlements nationaux. Enfin, notre collègue Richard Yung se déclare en faveur d'une réduction de la phase transitoire prévue pour la mise en place du fonds unique de résolution bancaire, de dix ans à cinq ans. La BCE, en prônant une période transitoire de cinq ans au lieu de dix ans, a rouvert le débat, et c'est à nous de nous saisir de cette occasion d'accélérer la construction de ce volet de l'Union bancaire.
Nous reviendrons sur ces questions, puisque notre collègue Richard Yung prépare, pour le compte de la commission des affaires européennes, une proposition de résolution européenne à ce sujet, que nous examinerons en commission des finances le 26 février prochain, à la suite d'auditions qui auront lieu le 25 février.