Pour débuter mon propos, il me semble intéressant de vous montrer un tableau regroupant les six communes qui devront, à l'horizon 2015, subir un prélèvement sur leurs ressources fiscales ou sur leurs compensations fiscales. Ces communes ont un potentiel fiscal largement supérieur à la moyenne de leur strate démographique. C'est le cas des communes de Saint-Vulbas et de Paluel, pour prendre deux exemples, dont les potentiels fiscaux respectifs sont supérieurs de plus de 1 766 % pour l'une et de plus de 6 063 % pour l'autre, par rapport à la moyenne de leurs strates. Ce sont par conséquent des communes immensément riches ! Et je ne voudrais pas que l'on verse des larmes, monsieur le rapporteur général, sur des communes qui, selon moi, souffriraient peu d'une « DGF négative ».
Je souhaite tout d'abord aborder la question du prélèvement sur les ressources des collectivités territoriales prévu dans le pacte de confiance et de responsabilité, et plus particulièrement vous montrer le rapport entre ce prélèvement et l'architecture de la DGF. Puis, je m'intéresserai à la répartition de la DGF proprement dite.
Pour répartir la ponction de 1,5 milliard d'euros prévue en 2014 sur les concours financiers de l'État aux collectivités, la DGF a été utilisée comme un « vecteur » d'imputation comptable. L'imputation de la totalité de l'effort sur certaines fractions de la DGF suscite bien évidemment des interrogations mais le fonctionnement des mécanismes internes à celle-ci n'est en réalité pas affecté ou remis en cause. Le prélèvement de 1,5 milliard d'euros s'effectue en réalité ex post : les services de la DGCL réaliseront, dans un premier temps, la répartition interne de la DGF telle que la loi le prévoit. Ce n'est qu'une fois la répartition achevée que la ponction sera appliquée sur le montant global de la DGF, car le critère utilisé pour répartir le prélèvement dont il est question est celui des recettes réelles de fonctionnement, et non des critères utilisés au sein de la DGF.
Il est utile de s'intéresser aux questions d'adéquation comptable. Il existe deux manières d'envisager l'effort budgétaire réclamé aux collectivités territoriales. La première consiste à accepter qu'il s'agisse d'une contribution du budget des collectivités territoriales au budget de l'État. L'inconvénient est que, dans cette perspective, on opère une transformation sémantique : on ne parle alors plus de diminution des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, mais d'un effort des collectivités au profit de l'État. L'avantage, c'est que sous ce jour, il n'est nul besoin d'une imputation sur la DGF.
La seconde solution consisterait à considérer l'effort exigé des collectivités territoriales en l'imputant sur la DGF tout en allant au bout de la logique, c'est-à-dire en répartissant cet effort en fonction des critères mêmes de la DGF. Il n'y aurait plus alors de problème d'imputation comptable. Il y a aujourd'hui une inadéquation entre le mécanisme utilisé pour répartir le prélèvement et les mécanismes de répartition de la DGF. Il s'agit d'un problème mineur mais réel.
En second lieu, je souhaite évoquer l'architecture et la répartition de la DGF.
S'il s'agit de repositionner certaines répartitions inter-catégorielles de la DGF qui relèvent des décisions du CFL, alors une réforme de la DGF n'est pas nécessaire.
Le CFL décide actuellement de deux points essentiels. Tout d'abord, sur proposition de la DGCL, il fixe la part de croissance de la dotation de péréquation communale qui va au-delà du minimum prévu par la loi. En d'autres termes, il peut décider de prélever des sommes considérables sur la garantie de la dotation forfaitaire des communes ou sur la dotation de compensation de la part salaires de la taxe professionnelle intégrée dans la DGF pour financer la croissance de la péréquation et ce, bien au-delà de ce que la loi prévoit. Des contraintes générales, politiques, existent certes, mais le CFL détient là un pouvoir considérable. Il décide également de la façon dont sera répartie la croissance de la péréquation entre la dotation de solidarité urbaine, la dotation de solidarité rurale et la dotation nationale de péréquation (DNP) lorsqu'il décide de distribuer une part de péréquation qui excède le seuil défini légalement. Il dispose à cet égard d'un véritable pouvoir d'arbitrage entre urbains et ruraux, entre DSU et DSR, au détriment des dotations forfaitaires évoquées plus tôt.
On pourrait également imaginer redonner au CFL le pouvoir - perdu en 2011 - de fixer les montants par habitant des dotations d'intercommunalité des établissements publics de coopération intercommunale. Depuis 2011, c'est en effet le législateur qui fixe les montants par habitant, mais la loi pourrait donner la possibilité au CLF de moduler la DGF des EPCI au sein d'une enveloppe figée - hors variation démographique et achèvement de la carte intercommunale. Cela ne nécessiterait pas un changement d'architecture de la DGF.
Le dernier point que je souhaite aborder porte sur les critères de répartition de la DGF. Pour qu'un système de péréquation existe, il faut des critères mathématiquement solides. La correction des inégalités de moyens et de ressources entre collectivités territoriales nécessite un indicateur de mesure de la richesse fiscale qui présente un minimum de cohérence et de robustesse, surtout pour lui permettre de traverser le temps sans trop d'encombres. Or, le potentiel fiscal n'a pas résisté à deux phénomènes bien identifiés : la réforme de la taxe professionnelle d'une part, l'imbrication « luciférienne » des entités du bloc communal entre communes et groupements d'autre part. Les imbrications sont telles que le calcul d'un potentiel fiscal communal est extrêmement difficile. Ce problème atteint son paroxysme dans la répartition de la DNP.
Corrélativement, il convient d'étudier les rôles respectifs que l'on entend donner aux critères de ressources et de charges. Prenons l'exemple de la DSR : pour sa répartition les critères utilisés sont des critères de charges à hauteur de 70 % contre seulement 30 % pour les critères de ressources. Pour quelles raisons privilégie-t-on autant les critères de charges ? Je me demande enfin pourquoi le critère du revenu moyen par habitant a une si grande importance dans les modes de calcul. Peut-être est-ce lié aux difficultés rencontrées avec le critère de potentiel fiscal ?
Je souhaiterais évoquer maintenant certaines enveloppes au sein de la DGF. Une réforme de la DNP, qui représente la dernière dotation de péréquation générale et qui est répartie exclusivement en fonction de critères de ressources, m'apparaît indispensable. La réflexion mériterait d'être engagée dans la problématique plus large de l'ensemble intercommunal.
La dotation d'intercommunalité mériterait également d'être examinée. Elle est une partie de la DGF des groupements de communes qui intègre notamment la dotation de compensation de la part salaires de la taxe professionnelle. Même si elle n'a pas été faite pour cela, elle ne corrige pas suffisamment des inégalités de ressources. Le coefficient d'intégration fiscale (CIF) joue dans l'intégralité de la répartition de la dotation alors que le potentiel fiscal n'a d'impact que sur 30 % de cette répartition. La DGF des EPCI (dotation d'intercommunalité et dotation de compensation de la richesse acquise en 2003) représente, selon moi, la perpétuation d'une rente, à travers la dotation de compensation. Elle incite, en second lieu, au transfert de compétences et encourage, enfin, l'augmentation de la pression fiscale, à travers la prise en compte du produit fiscal.
Depuis dix ans environ, on observe un ciblage quelquefois exacerbé d'un certain nombre de dotations, en particulier de la DSU. Le bénéfice de croissance de ces dotations se concentre sur un petit nombre d'ayants droits. Je ne mets pas en cause la légitimité du ciblage et l'objectif de justice qu'il poursuit ; cependant, le fait que les autres collectivités territoriales ne perçoivent rien pose un problème. Le ciblage des dotations réduit fortement la péréquation générale depuis 2004. Au début des années 2000, l'augmentation de la DSU pour certaines communes s'élevait à près de 40 % par an. Depuis dix ans, seul un nombre réduit de collectivités territoriales bénéficie de cette croissance : les trois quarts des communes de plus de 10 000 habitants subissent le gel en valeur - soit une diminution en volume de la DSU. Seul un quart d'entre elles bénéficient d'une hausse de la DSU supérieure au rythme de l'inflation. En outre, l'action ciblée en matière de DSU se superpose à celle menée à travers la dotation de développement urbain (DDU). Cette dernière est ciblée, de manière quasi discrétionnaire, comme pour la DSU dite « cible » qui bénéficie à des zones considérées comme difficiles. DSU « cible » et DDU ont bien la même fonction : celle du ciblage ; pourquoi alors ne pas réfléchir à une péréquation urbaine générale ?
Mon raisonnement peut être étendu à la DSR étant donné qu'est apparue une DSR « cible ». Le rendement de la péréquation générale diminue au profit des communes qui bénéficient de la DSR « cible », à tort ou à raison.
Tant qu'à cibler les dotations, je préconise de fusionner la DDU et la DSU « cible » d'une part et la dotation de développement rural (DDR) avec la DSR « cible » d'autre part. Je crois qu'il faut bien différencier les communes « ciblées », en-dehors de la DGF, des autres qui bénéficient de la péréquation générale.
En conclusion, la DGF n'est nullement mise en cause par la régression des concours de l'État. Il est certes plus difficile de contenter chacun puisque le montant de la dotation n'augmente pas mais le mécanisme de répartition de la DGF n'est pas affecté par sa diminution. Je crains la surenchère de ceux qui voudraient mettre en avant leurs cas particuliers lors d'une remise à plat des critères de la DGF, ce qui, selon moi, n'aurait d'autre effet que d'alimenter la confusion. Si des transformations techniques de la DGF s'imposent, elles ne doivent pas modifier la fonction de celle-ci mais au contraire contribuer à lui redonner son sens originel, perturbé par les réformes fiscales, les transferts de compétences et les bricolages successifs.
Je fais le pari qu'un « grand soir » de la DGF dans un environnement récessif présenterait un danger « pandorien » - au sens de la boite de Pandore. Chacun, dans ce cadre, en espère une optimisation de ses intérêts catégoriels et particuliers. Dans cette perspective, je vous annonce subjectivisations, désillusions, affrontements et frustrations de toutes sortes. En matière de DGF, la solution idéale consiste évidemment dans la fusion en communes nouvelles. Cette solution est connue de tous. Mais il eût été facile, en l'espèce, de demander à l'utopie de pallier une insuffisance d'appréciation réaliste d'une situation contrainte.