L'article 51 de la loi HPST a créé un cadre permettant la mise en place de coopérations entre les professionnels de santé sous le contrôle des agences régionales de santé (ARS) et après examen par la Haute Autorité de santé (HAS). Cet article a été inscrit dans le code de la santé publique sous la forme d'un nouveau titre regroupant les articles L. 4011-1 à L. 4011-3. L'article L. 4011-1 précise que les coopérations ont pour objet de permettre à titre dérogatoire aux professionnels de santé « d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'intervention auprès du patient ».
L'encadrement légal et réglementaire des professions de santé auquel les coopérations permettent de déroger a d'abord pour but la protection des patients. Un professionnel de santé ne peut accomplir que les actes pour lesquels sa qualification est établie. Cette qualification est sanctionnée par un diplôme reconnu par l'Etat et, dès lors, inscrit dans le code de la santé publique. Le diplôme d'Etat est le fondement du monopole d'exercice de l'activité de soins. Tout exercice sans diplôme est illégal et passible de poursuites pénales.
Pour les médecins, la règle est celle de l'omnivalence du diplôme dans le cadre du code de déontologie et des règles de la responsabilité civile. Le champ de compétence des autres professions médicales, chirurgiens-dentistes et sages-femmes, est limité par rapport à celui des médecins : leur domaine est par nature borné et ne peut s'étendre à l'ensemble de la médecine.
Les professions paramédicales sont pour leur part déontologiquement et réglementairement tenues de n'accomplir que les actes inscrits sur une liste préétablie, généralement un décret simple dit de compétence.
La coopération se distingue du simple exercice collectif aujourd'hui devenu majoritaire chez les médecins. Celui-ci est ancien et quotidien dans le travail des équipes soignantes, que ce soit à l'hôpital, au sein des centres de santé ou, de plus en plus, des maisons de santé pluridisciplinaires. En effet, le regroupement pluriprofessionnel n'entraîne pas nécessairement la coopération entre professionnels, mais peut nécessiter une simple coordination dans le cadre d'un projet médical commun. A l'inverse, la coopération au travers de protocoles n'implique pas nécessairement l'exercice regroupé ou collectif. A Lille, nous avons ainsi pu prendre connaissance d'un protocole de soins de suite en cancérologie reposant sur les infirmières libérales.
Que sont, quantitativement et qualitativement, les protocoles de coopérations élaborés depuis l'entrée en vigueur de l'article 51 de la loi HPST ? A la fin de l'année 2013, plus de quarante protocoles avaient été examinés ou étaient en cours d'examen par la HAS. Plus d'une vingtaine ont été autorisés par les ARS - un même protocole ayant pu être autorisé dans plusieurs départements. Il existe donc une dynamique des coopérations, qui permet d'entrevoir ce qu'il est possible d'en attendre.
Contrairement à une idée généralement admise, les protocoles de coopérations entre professionnels de santé n'ont pas d'abord pour objectif de remédier aux difficultés posées par la démographie médicale. Si une nouvelle répartition des compétences entre médecins et autres professionnels médicaux ou paramédicaux peut effectivement aboutir à dégager du temps médical, cela ne saurait compenser qu'à la marge l'absence de professionnels dans les zones sous-dotées. Par ailleurs, il serait erroné de réduire la question des coopérations à un débat entre médecins d'un côté et autres professionnels de santé de l'autre. La question de la répartition des actes se pose pour l'ensemble des professions de santé, quel que soit le niveau de formation initial requis.
L'analyse selon laquelle les coopérations permettraient aux professionnels de santé de se concentrer sur les tâches pour lesquelles leurs qualifications sont les plus nécessaires en confiant à d'autres les tâches répétitives ne recouvre qu'une part de la réalité. Il ne peut s'agir du simple transfert d'un bloc d'activités chronophages. Celles-ci, qui concernent généralement des examens ou un suivi, sont essentielles pour la prise en charge du patient et étroitement liées à la détermination d'un diagnostic et à la mise en place d'un traitement. Toute coopération suppose dès lors la mise en place de nouvelles procédures d'échange d'information et de prise de décision au sein de l'équipe médicale. Par ailleurs, confier de nouvelles tâches à un professionnel de santé n'a de sens en termes de qualité des soins que si l'acte peut être effectué dans de meilleures conditions, notamment de manière plus approfondie, qu'il ne l'était auparavant.
De plus, les coopérations dont nous avons pu prendre connaissance se limitent rarement à un simple changement de la catégorie professionnelle effectuant un acte. Elles apportent le plus souvent des innovations en matière de prise en charge, impliquant par exemple la création de nouveaux actes ou de nouvelles formes de prise en charge.
L'apport des coopérations entre professionnels est double. Elles tendent à améliorer la qualité des soins dispensés en offrant une prise en charge plus adaptée aux besoins. Elles offrent à tous les professionnels de santé une perspective d'évolution de leur rôle en matière de soins, ainsi qu'un enrichissement de leurs tâches susceptible de renforcer leur motivation et leurs perspectives de carrières. C'est donc d'abord une meilleure adaptation aux besoins des malades et une prise en compte des aspirations légitimes des professionnels qui souhaitent faire évoluer leur activité de soins qu'offrent les coopérations.
De nos auditions, il découle que plusieurs dizaines de projets de protocoles sont en cours d'élaboration ou d'examen à l'heure actuelle. Cela montre l'intérêt porté par les professionnels pour l'innovation en matière de prise en charge. Afin de ne pas briser la dynamique amorcée par la loi HPST, il convient de simplifier et de clarifier les dispositifs et de mettre en place un système de financement simple.
Le dispositif des articles L. 4011-1 à L. 4011-3 du code de la santé publique comporte plusieurs difficultés rédactionnelles qui entravent sa mise en oeuvre. Ainsi, aucune dérogation n'est prévue qui permettrait aux protocoles de coopération d'intégrer une dimension de télémédecine. Une nouvelle rédaction des articles paraît donc nécessaire pour remédier à ces imperfections.
Surtout, le rôle de la HAS et des ARS doit être revu et simplifié afin de permettre, tout en garantissant l'examen de la qualité des protocoles, d'alléger des procédures aujourd'hui trop lourdes. Un système de rédaction de cahiers des charges par la HAS pourrait être une solution adaptée aux besoins de garantie de qualité et de rapidité d'examen de protocoles.
Les étapes nécessaires à la mise en oeuvre d'un protocole de coopération sont prévues aux articles L. 4011-2 et L. 4011-3 du code de la santé publique. L'initiative du protocole revient aux professionnels de santé qui doivent préciser l'objet et la nature de la coopération, dont les disciplines ou les pathologies concernées ainsi que le lieu et le champ d'intervention des professionnels de santé visés.
La logique des protocoles étant de répondre à un besoin de santé précis tel qu'il se présente sur un territoire donné, c'est aux ARS qu'il incombe de les contrôler. L'agence vérifie que les protocoles répondent à un besoin de santé constaté au niveau régional puis les soumet, à la HAS.
La HAS est pour sa part chargée du contrôle scientifique des protocoles, aucun ne pouvant être mis en place sans son autorisation. Il lui appartient de trouver les meilleurs experts pour l'évaluation, tâche qui peut s'avérer particulièrement difficile.
Les ARS doivent également, en application de l'article L.4011-3, enregistrer et contrôler l'adhésion individuelle des professionnels de santé souhaitant mettre en oeuvre les protocoles.
En pratique, une part importante du travail d'élaboration des protocoles réside dans la préparation de dossiers susceptibles d'être acceptés par la HAS. Dans les structures hospitalières importantes comme l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, un appui technique et administratif aux équipes de professionnels porteuses d'un projet de protocole est mis en place. Là où un tel appui n'a pu être organisé, et pour l'ensemble des professionnels exerçant en ville, c'est aux services de l'ARS que revient en pratique la charge d'accompagner les professionnels à chaque étape, depuis la soumission du dossier à la HAS jusqu'à la recherche de financements pour la mise en oeuvre des protocoles autorisés. Le succès des protocoles de coopération, spécialement pour les projets portés par les professionnels libéraux, repose donc en pratique largement sur les moyens mis en oeuvre par les ARS.
Lors de notre déplacement à l'ARS Nord-Pas-de-Calais, nous avons pu mesurer l'importance cruciale du travail mené par les personnels des ARS avec les professionnels, leur niveau d'implication et leur motivation, alors même que le temps imparti pour cette mission non prévue par les textes est nécessairement limité (20 % d'un ETP en l'occurrence).
Les protocoles de coopération étant des dispositifs dérogatoires soumis à évaluation, l'adhésion des professionnels de santé s'effectue sur une base individuelle. Le choix d'une adhésion personnelle aux protocoles pose cependant de nombreuses difficultés. Au premier rang d'entre elles figurent l'incompressible lourdeur des démarches d'adhésion, qui impliquent un délai d'examen par l'ARS, et la fragilité des protocoles, dont la pérennité peut dépendre de la permanence de la participation de ceux qui y ont adhéré au départ. Au- delà de la mise en place d'un protocole et si celui-ci a fait l'objet d'une évaluation démontrant son intérêt, il paraît logique que la notion de travail de l'équipe soignante prime sur celle de l'adhésion individuelle et que l'on puisse considérer que tout membre de l'équipe a vocation à participer d'emblée à la mise en oeuvre du protocole.
Reste enfin la question du financement. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 a intégré au code de la santé publique trois nouveaux articles dédiés au financement de protocoles de recherche (articles L. 4011-2-2 à L. 4011-2-3) et qui créent un collège des financeurs chargé de l'examen préalable des protocoles afin de permettre, si nécessaire, une tarification dérogatoire des actes pratiqués.
La question du financement est effectivement une source de blocage pour la mise en oeuvre de nombreux protocoles et il convient de saluer l'initiative prise par le Gouvernement pour traiter cette question. L'essentiel de la recherche de financement passe par des négociations menées par l'ARS avec l'assurance maladie. Elle porte sur la mise en place d'une rémunération pour les actes confiés, dans le cadre du protocole, à d'autres professionnels de santé que ceux qui en seraient chargés en application des textes. Plutôt que cette négociation se fasse de manière entièrement décentralisée et à l'initiative des ARS, le collège des financeurs sera une instance permanente de dialogue constructif.
Néanmoins, ajouter au système déjà complexe de validation des protocoles prévu par la loi HPST une étape supplémentaire risquerait de décourager les professionnels dont le premier objectif est le soin et qui ne parviennent à se mettre en adéquation avec les obligations administratives nécessaires que grâce à l'appui des ARS.
Pour éviter que le collège des financeurs ne devienne un nouveau verrou bloquant les initiatives de terrain, nous avons suggéré d'en faire une force de proposition en lui confiant la mission de créer les modèles médico-économiques, et non pas simplement économiques, que les professionnels pourront reprendre dans l'élaboration de leurs projets.
Déposée sur forme d'amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, notre proposition concernant le rôle du collège des financeurs n'a cependant pas pu être discutée par les assemblées. Nous estimons cependant que la solution que nous proposions doit être étudiée.