Intervention de Félix Desplan

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 janvier 2014 : 1ère réunion
Reconquérir l'économie réelle — Examen du rapport pour avis

Photo de Félix DesplanFélix Desplan, rapporteur pour avis :

Nous sommes saisis pour avis d'une proposition de loi paradoxale. Dans le contexte du choc de simplification voulu par le Président de la République et au lendemain de l'annonce d'un pacte de responsabilité avec les entreprises, elle crée, sous un intitulé ronflant, de nouvelles obligations pour les entreprises, sans offrir les garanties d'un impact réel sur l'économie. Les nombreuses auditions que j'ai menées ont établi que l'efficacité économique de certaines dispositions du texte restait douteuse, tandis qu'un doute juridique voire constitutionnel pesait sur d'autres.

Cependant, cette proposition de loi émane de nos collègues députés et il nous faut l'examiner dans un esprit constructif, d'autant que nous souscrivons à son objectif principal : contribuer au maintien sur notre territoire des activités industrielles et des emplois et défendre les entreprises françaises pouvant faire l'objet d'offres publiques d'acquisition qui conduiraient, par le jeu des délocalisations, à affaiblir le tissu industriel de notre pays.

Cette proposition de loi a été élaborée sous l'égide de notre collègue François Brottes, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Elle a été déposée le 15 mai 2013 et adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale le 1er octobre 2013, la procédure accélérée ayant été engagée le 30 août. Au Sénat, cette proposition de loi a été envoyée au fond à la commission des affaires sociales, en raison du nombre de ses dispositions modifiant le code du travail : de nouvelles prérogatives sont notamment données au comité d'entreprise en cas de reprise d'un site et en cas d'offre publique d'achat. La commission des finances et la commission des affaires économiques se sont également saisies pour avis.

Le coeur historique de cette proposition de loi est l'obligation de recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un site, qui figure à l'article 1er. Notre président se souvient sans doute de la proposition de loi dite « Florange », déposée en mars 2012 par François Hollande, alors simple député, parallèlement à la proposition de loi dite « Petroplus », relative aux mesures conservatoires en matière de procédures collectives, dont il fut rapporteur pour notre commission dans un délai record. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui trouve son intention initiale dans cette proposition de loi « Florange ».

L'article 1er fixe dans le code du travail une obligation de rechercher un repreneur, en associant le comité d'entreprise, lorsqu'une entreprise envisage la fermeture d'un établissement qui pourrait entraîner un licenciement collectif. Cette partie relative au code du travail sort de notre champ de compétence et ne fera pas l'objet d'amendement.

En l'absence de reprise de l'établissement, le texte institue une procédure de contrôle, à la demande du comité d'entreprise, devant le tribunal de commerce. Le tribunal vérifie que l'entreprise a respecté l'obligation de rechercher un repreneur, qu'elle a reçu des offres de reprise sérieuses et qu'elle disposait d'un motif légitime pour les refuser. Si l'entreprise a manqué à ces obligations, le tribunal peut prononcer une sanction pécuniaire ainsi qu'une injonction de rembourser les éventuelles aides financières publiques perçues.

L'un des problèmes majeurs de cette procédure est l'interrogation constitutionnelle qu'elle suscite au regard de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété, même s'il existe un motif d'intérêt général pour restreindre ces principes constitutionnels, à savoir la sauvegarde de l'emploi. Peut-on instituer une sanction à l'encontre d'une entreprise qui a refusé de céder un établissement dont elle est propriétaire ? Ce doute a conduit à accentuer la singularité juridique du dispositif, en donnant un caractère facultatif au prononcé de cette sanction par le tribunal.

Je précise que, même si cette procédure s'inspire beaucoup, dans sa rédaction, des procédures collectives, elle n'a pas vocation à concerner les entreprises en difficulté, pour lesquelles il existe le plus souvent des règles particulières de cession des actifs.

Mes auditions ont montré que les représentants des tribunaux de commerce n'étaient pas favorables à un tel dispositif de contrôle et de sanction, préférant développer les mécanismes de prévention des difficultés des entreprises. L'effectivité du dispositif reste douteuse, dès lors que le mécanisme de sanction n'est qu'une simple faculté laissée à l'appréciation des tribunaux de commerce et non une obligation. La chancellerie a également émis des doutes et des réserves. Il conviendra donc de clarifier le régime procédural, mieux protéger les droits de la défense et renforcer le rôle du ministère public, de façon à limiter les risques constitutionnels et donner plus de cohérence et de lisibilité au dispositif.

L'article 3 du texte prévoit que l'administrateur d'une entreprise en redressement judiciaire doit informer les salariés de la possibilité de présenter une offre totale ou partielle pour assurer la continuité de l'activité. Cette disposition n'appelle pas d'observation particulière.

Au coeur historique de la proposition de loi ont été ajoutées des dispositions à caractère défensif en matière d'offre publique d'acquisition, destinées à encourager l'actionnariat de long terme. Ces articles ont été largement remaniés et complétés en séance publique à l'Assemblée nationale. Parmi ces dispositions, les articles 5, 7 et 8 relèvent de la compétence de notre commission. Ces dispositions sont loin de faire l'unanimité chez les acteurs économiques concernés - l'Autorité des marchés financiers ou les acteurs représentatifs privés - certaines faisant même l'unanimité contre elles.

L'article 5 prévoit l'application automatique du droit de vote double dans les assemblées générales d'actionnaires des sociétés cotées pour les actions détenues au nominatif depuis deux ans, alors que le droit actuel ne fait qu'autoriser les sociétés à prévoir dans leurs statuts des droits de vote double pour les actions détenues depuis au moins deux ans. Au régime actuel de liberté de dérogation au principe d'égalité entre les actionnaires dans l'exercice collectif de leur droit de propriété, le texte substitue une règle automatique. Il prévoit que les statuts ou l'assemblée générale peuvent écarter cette règle, ce qui en réduit singulièrement la portée, car les investisseurs, en particulier les investisseurs étrangers, qui détiennent près de la moitié de la capitalisation boursière du CAC 40, ne manqueront pas de présenter des résolutions en ce sens. La législation française en matière de droit de vote double est mal perçue par les principaux États européens, ce texte fragiliserait davantage la position française. De plus, l'application de ce mécanisme ouvrirait la voie à des prises de contrôle rampantes. Puisque l'état actuel du droit permet d'encourager l'actionnariat de long terme, l'article 5 n'est pas justifié.

L'article 7 ne prête pas à conséquence mais a peu d'utilité pratique. Il porte à 30 % la part maximale du capital d'une société susceptible d'être distribuée sous forme d'actions gratuites, à la condition que tous les salariés puissent en bénéficier, sans quoi le plafond resterait fixé, comme actuellement, à 10 %. Les cas d'application seront probablement rares.

L'article 8 propose d'abandonner le principe de la neutralité des dirigeants des sociétés faisant l'objet d'une offre publique d'acquisition, de façon à leur permettre d'agir pour faire échouer l'offre, sauf disposition contraire des statuts. Ce principe de neutralité a été retenu en 2006, lorsque nous avons transposé la directive « OPA » de 2004, qui le proposait comme le droit commun. Ce principe veut que les dirigeants s'abstiennent de prendre des mesures susceptibles de faire échouer l'offre, sauf autorisation de l'assemblée générale.

En effet, en situation d'OPA, des conflits d'intérêts peuvent opposer les dirigeants qui craignent d'être évincés si l'offre réussit, et l'entreprise. La neutralité des dirigeants permet d'éviter d'affecter la situation de l'entreprise - salariés, cours de l'action, portefeuille d'épargne des petits actionnaires - en tentant de faire échouer l'offre. Elle permet également aux actionnaires de se prononcer plus librement.

Ce texte fait le pari étrange que les intérêts des dirigeants coïncident avec ceux de leur entreprise. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas ! L'idée sous-jacente, en réalité, est que les OPA sont par principe néfastes pour les sociétés françaises et pour l'emploi, de sorte qu'il faut les dissuader. Cette conception est inexacte. Selon l'Autorité des marchés financiers, la grande majorité des OPA sont franco-françaises et on recense moins d'une OPA hostile par an. En pratique, des résolutions seront vraisemblablement présentées en assemblée générale pour imposer le principe de neutralité dans les statuts, en particulier par les investisseurs étrangers, ce qui limitera fortement la portée du texte, comme pour le droit de vote double.

Enfin, l'article 9 prévoit, avec beaucoup de légèreté, de préserver la vocation des implantations industrielles existantes de plus de 2000 mètres carrés. Cette disposition qui suscite une large réprobation, notamment de la part de l'Association des maires de France, peut conduire au gel des friches industrielles et au blocage des projets locaux de reconversion de sites industriels et de développement local, en empêchant par exemple l'utilisation de terrains industriels pour construire des logements.

En conclusion, cette proposition de loi laisse sceptique quant à sa capacité à soutenir significativement l'économie réelle. Les intentions sont louables, mais les moyens employés ne sont pas tous pertinents.

Sous réserve des amendements que je vais vous présenter, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi.

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