Intervention de Christian Descheemaeker

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 29 janvier 2014 : 1ère réunion
Mise en oeuvre par la france du paquet énergie-climat — Audition de Mm. Christian deScheemaeker président de chambre arnold migus jacques rigaudiat et henri paul conseillers maîtres à la cour des comptes

Christian Descheemaeker, président de chambre à la Cour des comptes :

C'est un plaisir pour les deux rapporteurs généraux MM. Migus et Rigaudiat, pour le contre-rapporteur M. Paul et pour moi-même, qui ai présidé, pour la préparation de ce rapport, une formation regroupant plusieurs chambres, de venir vous présenter ce travail. Il répond à une demande du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale, mais il n'y a pas de raison de ne pas faire bénéficier votre commission de ses résultats !

Vous savez ce qu'est le paquet énergie-climat (PEC). Il comprend un règlement, trois directives et une décision, adoptés en 2008 et qui constituent la politique communautaire de lutte contre le réchauffement climatique. Ces textes créent des dispositifs, prévoient des financements et fixent des objectifs, que chaque État membre doit atteindre par les moyens qu'il détermine librement.

Nous avons interprété largement la commande du CEC. L'examen de la transposition en droit national et de la mise en oeuvre de ces textes a été complété par une réflexion sur la manière dont la France a choisi d'atteindre ces objectifs et sur la pertinence même de ceux-ci - sans procéder pour autant à une évaluation de politique publique, mais nous fournissons des éléments qui peuvent y contribuer. Nous avons eu recours aux méthodes utilisées pour de telles évaluations, en particulier l'appel à un comité d'experts.

Notre rapport prolonge des travaux antérieurs de la Cour sur le coût de la filière électronucléaire, les certificats d'économie d'énergie, les biocarburants ou la politique en faveur des énergies renouvelables. Le premier tome présente nos conclusions, et le deuxième fournit des éléments pour chaque secteur ainsi que des comparaisons internationales, qui ne se limitent pas à l'Energiewende allemand si souvent évoqué.

Nous tirons de nos travaux quatre enseignements. La France s'est fixé des objectifs ambitieux sans tenir compte de ses spécificités. Il est vrai qu'elle présidait l'Union européenne quand le PEC est entré en vigueur, ce qui n'est pas la meilleure position pour négocier âprement. Pourtant, la France est, avec la Suède, le pays européen qui émet le moins de carbone. La Suède a des barrages et quelques centrales nucléaires, nous avons des centrales nucléaires et quelques barrages... En acceptant de baisser sensiblement ses émissions, la France s'inflige donc un effort plus important que d'autres pays. Le principal secteur émetteur de carbone est chez nous celui des transports, et le secteur qui est responsable des plus grosses émissions de gaz à effet de serre est l'agriculture - peu de gaz carbonique mais du méthane, émis par le bétail, et d'autres gaz à effet de serre liés à l'emploi d'engrais. Or le ministère de l'agriculture a une fâcheuse tendance à se dérober lorsqu'il est question de mesures de protection de l'environnement.

Deuxième enseignement, les instruments communautaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont échoué, en particulier le système d'échange des quotas d'émission. Au niveau national, on observe un foisonnement de mesures : la Cour recommande que leur pilotage, interministériel par nature, soit renforcé, pour éviter les empilements voire les contradictions.

Troisièmement, les premiers résultats du PEC sont positifs, mais ambivalents car indissociables de la dégradation de la situation économique. Une reprise réduirait les chances d'atteindre les objectifs... Ceux-ci sont en effet ambitieux. Ils imposent des investissements considérables et des économies d'énergies drastiques. Or il est plus facile de parler d'économies d'énergie que d'en faire : gageons que si la température de cette salle était de 14 degrés, notre réunion serait écourtée ! Nous devons donc réorienter les outils dont nous disposons vers les secteurs des transports et de l'agriculture, où peu d'efforts ont été faits alors que de substantielles économies d'énergie sont possibles. Bien sûr, cela aura, à long terme, un impact sur notre mode de vie : il est certain qu'en 2050 notre consommation de viande aura diminué.

Quatrièmement, pour limiter le réchauffement climatique, l'Europe ne doit pas se contenter de réduire les émissions nationales de gaz à effet de serre : il faut raisonner en termes d'empreinte écologique. L'ordinateur qui est posé devant moi consomme peu d'électricité sans doute, mais sa fabrication - hélas certainement réalisée hors de France - et son transport en ont requis. Il en va de même de tous les objets que nous utilisons. Sur le plan de l'empreinte écologique, nous sommes moins exemplaires qu'en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les premiers engagements ont été pris au sommet de Rio en 1992, prolongés dans le protocole de Kyoto en 2005. Depuis 2009, les négociations continuent mais elles n'ont pas permis de fixer des objectifs contraignants pour les États. Avant la crise, l'Union européenne a défini une politique ambitieuse, ayant vocation à l'exemplarité ; or les pays européens ne sont responsables que de 8 % des émissions dans le monde, et la France, de moins de 1 %. Cela donne le vertige : vouloir lutter contre le réchauffement climatique en agissant sur une si petite proportion des émissions est soit extrêmement vertueux, soit assez naïf...

Le PEC fixe trois objectifs à chaque État membre pour 2020 : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 (la France a décidé de diviser ce niveau par quatre d'ici à 2050, ce qui est considérable), faire progresser la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale jusqu'à 20 % (la France s'est engagée à 23 %) et accroître de 20 % l'efficacité énergétique. Ce dernier objectif est plus difficile à quantifier et n'est pas contraignant. La France indiquera sa cible en 2014. Ces trois objectifs ne sont pas indépendants. Parfois ils se confortent : ainsi la rénovation des modes de chauffage améliorera l'efficacité énergétique tout en accroissant la part des énergies renouvelables. Parfois ils se contrarient : les sources d'énergies renouvelables sont intermittentes et leurs variations souvent imprévisibles. On ne peut prédire la durée d'ensoleillement ou la force du vent. Soit dit en passant, il peut paraître curieux que l'on installe des panneaux photovoltaïques sur les toits de Hambourg...

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