Nous savons anticiper les fortes poussées de vent, mais c'est inutile : au-delà de 90 kilomètres par heure, l'éolienne doit être arrêtée. Cette imprévisibilité, en l'absence de possibilités de stockage de l'électricité, désorganise la production et la distribution de l'énergie, comme les Allemands le découvrent actuellement : ils n'ont d'autre recours, en période de creux, que de remettre en marche des centrales à gaz ou à charbon, qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre ! Un ancien ministre de l'environnement allemand a d'ailleurs admis que sans soleil et sans vent, ou par temps de neige, les systèmes de production d'énergie renouvelable ne fonctionnent plus.
La France émet 227 tonnes d'équivalent CO2 par million d'euros de PIB. C'est, avec celui de la Suède, le taux le plus faible d'Europe. Il correspond environ aux deux tiers du taux moyen. Notre économie est donc l'une des moins carbonées du continent. Pourquoi ? Parce que 9,6 % seulement de notre électricité est produite à partir de sources thermiques fossiles tandis que plus de 90 % provient des sources non carbonées que sont l'hydroélectricité et surtout le nucléaire. Notre production d'électricité émet donc cinq à six fois moins de carbone que celle de l'Allemagne ou des Pays-Bas, et dix fois moins que celle de la Pologne ou de la Chine, qui ont massivement recours au charbon. Cette situation résulte de la politique, lancée en 1973, de construction d'une cinquantaine de centrales nucléaires.
Le secteur qui émet le plus de gaz à effet de serre est celui des transports routiers : le camion électrique n'existe pas... Ce secteur est responsable de 27,9 % des émissions. Pour des raisons que j'ignore, il n'y a pas eu, dans l'efficience énergétique des camions, de progrès comparables à ceux qu'on a observés pour les voitures. L'industrie quant à elle est à l'origine de 22 % des émissions. Son poids s'est réduit à cause de la crise économique et des délocalisations : les paysages industriels d'autrefois, avec leurs panaches de fumées noires, ont disparu de notre territoire, comme les emplois qu'ils représentaient ! Que se passera-t-il en cas de reprise de l'activité ? Il semble que l'industrie ait déjà fait de gros efforts de réduction de ses émissions : il se peut qu'un palier ait été atteint. Le secteur agricole représente 22 % des émissions nationales, et 9 % des émissions à l'échelle européenne. Il s'agit moins de gaz carbonique que de méthane et de protoxyde d'azote, générés par le bétail et les engrais. Il faudrait nourrir le bétail autrement, peut-être... Il est possible de réduire davantage les émissions dans ce secteur, plus facilement que dans celui des transports. Autre grand secteur émetteur : celui du bâtiment, de l'immobilier résidentiel et du tertiaire. Le niveau des émissions est stable alors que nos voisins parviennent à le réduire. Certes, le Royaume-Uni a connu un échec dans son programme d'isolation des maisons de brique : nul doute que les Anglais essaieront, avec pragmatisme, une autre voie. La tendance à l'amélioration de l'efficacité énergétique des logements est perceptible, mais ceux-ci sont de plus en plus vastes, et la vitalité démographique de la France est l'une des plus élevées d'Europe.
En résumé, la France a des caractéristiques propres et s'est fixé des objectifs plus contraignants que ceux de ses voisins. Il nous faut cibler nos efforts de réduction des émissions sur les secteurs de l'agriculture et des transports.
Les mesures sont trop nombreuses et parfois incohérentes, au sein même d'une filière. Au niveau communautaire, le système d'échange de quotas n'a pas fait émerger un prix du carbone susceptible d'infléchir les calculs économiques. C'est un échec. Les quotas ont été distribués avec une largesse coupable, ils sont surabondants alors que la crise a réduit la demande. De graves défaillances se sont produites, car les premiers à comprendre ce système complexe des quotas ont été les fraudeurs, qui ont monté des sociétés aux noms fantaisistes, ont acheté dans un pays, revendu dans un autre, se faisant au passage rembourser la TVA. La France a ainsi perdu 1,6 milliard d'euros de recettes, l'Union européenne environ 5. Quelques poursuites ont été lancées, mais quelle humiliation ! L'État a même dû acheter pour 207 millions d'euros de quotas afin d'en donner gratuitement à de nouveaux entrants. Il faudra trouver un meilleur système pour intégrer le prix du carbone dans les calculs économiques.
La France a peu utilisé les financements européens prévus pour favoriser l'efficacité énergétique : entre 2007 et 2013, elle n'a consommé que 5,7 % des 48 millions d'euros disponibles chaque année. Les trois pays qui ont le plus utilisé ces fonds sont la République tchèque, l'Italie et la Lituanie. Le captage et le stockage du carbone, chacun en rêve ! Le problème est de concilier faisabilité technique et coût raisonnable, sans oublier l'exigence d'une acceptation par la population, pour le stockage de gaz carbonique qui à haute dose est mortel. Malgré les moyens financiers mis en place par l'Europe, nous en sommes encore au stade de l'expérimentation.
La France a pris une panoplie de mesures, d'un coût global de 19,8 milliards d'euros, dont 3,6 milliards de crédits budgétaires de l'État. Les projets de lois de finances doivent comporter en annexe un document de politique transversale consacré à la lutte contre le changement climatique. Ce document reste très lacunaire. Plusieurs dispositifs censés réduire les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas évalués. Or l'efficience des mesures peut être très variable. Par exemple, appliqué à des travaux d'isolation des toits et des murs, le crédit d'impôt développement durable CIDD évite pour 21 euros l'émission d'une tonne de CO2. Qu'on utilise le CIDD pour financer de l'énergie solaire thermique, et ce coût s'établit à 432 euros ! Nos moyens doivent donc être concentrés sur l'isolation et non sur le solaire thermique : ils seront vingt fois plus efficaces.
Les diagnostics de performance énergétique sont d'une fiabilité insuffisante. C'est un problème massif dans le bâtiment : nous manquons de techniciens compétents. Or, un travail d'isolation mal fait ne sert à rien. Les techniques nouvelles s'apprennent. Hélas, nombreux sont, dans ce secteur, les artisans auto-proclamés qui profitent de l'ignorance des clients. Un Allemand me disait récemment avoir été stupéfait de la manière dont nous construisons, en utilisant des méthodes dignes du XIXe siècle ! Le fonds chaleur est efficace. Ce dispositif ne passe pas par l'électricité. Le soutien aux énergies renouvelables repose sur des tarifs d'achat cependant mal ajustés, qui ont créé une bulle dans l'énergie photovoltaïque. La filière éolienne a vu son développement freiné par la rigidité du cadre réglementaire. Il faut trouver un équilibre pour éviter des délais de sept à huit ans pour l'installation d'éoliennes.
La géothermie, quant à elle, relève du code minier. Celui-ci ne prévoit pas ce type d'activités, et il est difficile d'obtenir l'autorisation d'enfoncer un tuyau à 10 ou 15 mètres dans le sol. Il serait bon que la loi du 22 mars 2012 de simplification des procédures administratives profite à la géothermie. Le secteur agricole a fait l'objet de peu de mesures, et celles-ci, concentrées sur les émissions de CO2, n'ont guère été évaluées. C'est pourtant contre les émissions de protoxyde d'azote et de méthane qu'il faudrait lutter. Les quelques mesures existantes ont touché au plus une exploitation sur cent. En Allemagne, la compétitivité de la filière porcine repose sur les panneaux solaires fixés sur les toits des granges des installations agricoles. Pourquoi ne pas faire de même ?
Dans le secteur des transports, les mesures sont onéreuses et peu efficientes. Pour les infrastructures de transport mentionnées dans le schéma national des infrastructures de transport (Snit), le coût de chaque tonne de CO2 évitée dépasse le millier d'euros. Pour les voitures, les spécialistes estiment qu'une consommation de deux litres pour cent kilomètres est accessible. Il serait intéressant que des efforts équivalents soient fournis pour les camions. Gardons-nous cependant de prendre pour argent comptant les annonces des constructeurs : il suffit de rouler dans un véhicule censé consommer 3,9 litres aux cent kilomètres pour s'apercevoir qu'il est impossible de descendre en-dessous de 5 ! La politique de l'État exemplaire, qui consistait à isoler les bâtiments publics, n'a pas été mise en oeuvre faute de moyens. Tout cela ne constitue pas un ensemble cohérent. La Cour préconise de concentrer les mesures sur les secteurs où elles ont le plus d'efficacité. Il faut un pilote dans l'avion, s'agissant de politiques par nature interministérielles. Le Commissariat au développement durable n'a pas atteint ses objectifs. Il y a une direction générale de l'énergie et du climat, qui semble parfaitement taillée pour ce rôle, sous réserve que son caractère interministériel soit affirmé.
Les émissions de gaz à effet de serre se sont repliées en France de 13 % depuis 2005. Ce n'est pas rien ! Or les transports et l'agriculture ont faiblement contribué à cette baisse. L'industrie davantage... en raison de la crise. Les objectifs pour 2020 sont donc accessibles. Gardons-nous toutefois de considérer que des objectifs sont atteints parce qu'ils ont été annoncés. Les outils de modélisation sont insuffisants et doivent être améliorés. Les énergies renouvelables représentent à présent 13,1 % de la production d'énergie, contre 9,6 % en 2005. Cette hausse concerne surtout l'électricité. Atteindre 20 % est donc possible, mais 23 % semblent hors de portée pour 2020 : il faudrait un effort d'accroissement de la production d'électricité renouvelable six fois plus important qu'entre 2005 et 2011 !
L'électricité renouvelable étant produite de façon intermittente, il faut pouvoir la distribuer. En Allemagne, le vent souffle surtout au Nord et la consommation se fait essentiellement en Bavière. L'adaptation des réseaux de transport a un prix, qu'il faut intégrer au coût de ces énergies. Ce coût est maximal pour l'éolien off shore. Pour assurer la transition écologique, il faudrait que le montant des investissements, actuellement 37 milliards d'euros par an, s'accroisse d'un tiers ou de moitié jusqu'en 2050. Pour cela, les règles et les incitations doivent être stables et la concurrence internationale, loyale.
Il ne faudra pas se contenter de produire de l'énergie avec moins de CO2 mais changer nos modes de vie, nos déplacements, l'aménagement de l'espace, notamment pour supprimer les longs trajets entre lieux d'habitation et lieux de travail.
Enfin, nous allons devoir fixer des objectifs en matière d'empreinte carbone. Quand un État délocalise ses industries polluantes, il améliore son bilan carbone, mais ne change rien au niveau mondial des émissions. Si nous tenions compte des gaz à effet de serre correspondant à nos importations et nos exportations, notre bilan serait moins bon. À terme, il faudrait que tous les États acceptent de raisonner en termes d'empreinte carbone et la France serait bien inspirée de mettre cette question à l'ordre du jour dans les négociations internationales. Une telle évolution se traduirait cependant par des taxes aux frontières, ce que les Chinois refusent bien sûr.