Intervention de Alain Fauconnier

Réunion du 29 janvier 2014 à 14h30
Consommation — Article 19 octies suite

Photo de Alain FauconnierAlain Fauconnier, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Nous abordons l’examen de l’article 19 octies, qui contient le principal nouveau sujet introduit au stade de la deuxième lecture de ce projet de loi.

Deux raisons expliquent que cette avancée apparaisse en fin de navette.

D’une part, la question a été abordée lors des débats sur la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, mais l’importance du sujet justifiait une évaluation préalable, laquelle a été confiée à l’Inspection générale des finances, qui a publié son rapport au mois de novembre dernier.

D’autre part, si le problème, posé dans le cadre d’une loi bancaire, trouve sa solution dans un texte relatif à la consommation, c’est parce que la liberté de choix de l’assuré est en cause. Or le présent projet de loi comporte d’ores et déjà des avancées majeures pour faciliter le changement d’assurance, qu’il s’agisse d’assurances automobile, habitation, ou encore d’assurances dites « affinitaires », comme celles qui sont proposées aux acheteurs d’un téléphone portable. La possibilité de choix doit favoriser la concurrence et, nous l’espérons, la baisse des primes.

J’en viens à la signification globale de la position prise par la commission.

D’abord, pour ce qui concerne le principe essentiel d’un délai de substitution restreint à douze mois pour limiter la démutualisation tout en exerçant une pression concurrentielle sur le montant élevé des commissions, le bon sens plaidait en faveur de l’extension pure et simple de la liberté de choix illimitée au secteur de l’assurance emprunteur.

Or les quelque trois cents pages du rapport de l’Inspection générale des finances relayent un message de prudence dans ce domaine. La raison en est que notre modèle français de l’assurance emprunteur – une singularité dans les pays développés – comporte une dimension cachée qui se résume au concept de mutualisation : concrètement, la mutualisation se traduit par le fait qu’un emprunteur âgé de cinquante-six ans peut assurer le remboursement de son prêt contre le risque de décès en payant une prime deux à trois fois plus élevée que s’il était âgé de vingt-six ans. Tel était encore le cas voilà plusieurs années.

Je note que Mme Marie-Noëlle Lienemann, par le biais de l’un de ses amendements exprime le souhait d’imposer une égalité des primes, quels que soient l’âge et la profession de l’emprunteur.

Cependant, les choses évoluent vite et cette mutualisation a d’ores et déjà un peu décliné au profit de la vérité des prix ou, plus exactement, de la vérité des primes, calculées en fonction de l’espérance de vie. Ainsi, depuis plusieurs années, certains assureurs alternatifs proposent des tarifs très intéressants aux jeunes couples, mais sept à huit fois plus élevés aux personnes âgées de cinquante-six ans et plus.

Comme bien souvent dans les affaires publiques, il faut donc « naviguer entre deux eaux ». La liberté de choix totale pendant toute la vie du prêt – souhaitée par les organisations de consommateurs – signerait, selon l’Inspection générale des finances, la fin de la mutualisation, à laquelle nos concitoyens sont attachés – les sondages le montrent –, un peu comme à notre modèle social.

La commission a donc considéré qu’il fallait préserver la mutualisation, ou plus exactement, ne pas trop accélérer le processus en cours de démutualisation. Pour autant – je me tourne vers vous, madame Lienemann –, elle estime périlleuse l’idée de décréter l’égalité des primes pour tous. En effet, cela reviendrait, d’abord, à bouleverser la logique de l’assurance et, ensuite, en pratique, à exclure les personnes âgées de l’accès au crédit immobilier. Ce serait, à notre sens, la conséquence la plus tragique dans un monde où, je le rappelle, tout banquier est en droit de refuser un prêt.

Parallèlement, la commission a désapprouvé les amendements qui tendent à geler la situation actuelle ou à limiter à trois, quatre ou six mois le droit de substitution. Le statu quo ne nous paraît pas souhaitable pour une raison majeure, qui renvoie à la deuxième caractéristique fondamentale de l’assurance emprunteur, je veux parler du niveau élevé des commissions reversées par les assureurs aux banques. Il existe là une marge de manœuvre pour donner une impulsion à la concurrence et, par la suite, selon toute vraisemblance, à la baisse des primes.

En pensant aux banquiers et assureurs qui ont pu solliciter les uns et les autres, j’apporterai un petit bémol à cette remarque sur le niveau élevé des primes d’assurance emprunteur : respectons aussi l’arithmétique. Les taux d’intérêt ayant atteint un plancher historique, il n’est pas étonnant que la prime d’assurance emprunteur représente une proportion importante du coût du crédit.

Bref, entre l’immobilisme et la liberté de choix illimitée, la commission a choisi une liberté de substitution pendant les douze mois qui suivent la signature du contrat de prêt. Ce choix soulève des objections à la fois des partisans du statu quo et des partisans de la liberté totale. Cela étant, les diverses positions exprimées par les auteurs des nombreux amendements que nous allons examiner tracent un « nuage de points » dont la tendance moyenne correspond au texte adopté par la commission, lequel prévoit douze mois de liberté de substitution.

Les amendements que nous allons examiner soulèvent, par ailleurs, la question des modalités du changement proposé.

Tout d’abord, plusieurs amendements concernent les frais de substitution et, comme vous le savez, le diable est dans les détails. Ces frais sont interdits, par principe, dans le texte adopté par la commission en matière d’assurance. Je vous soumettrai, mes chers collègues, un amendement visant à interdire également les frais induits par la modification du contrat de prêt et demanderai le ralliement des auteurs des amendements ayant le même objet à celui de la commission.

Je vous présenterai aussi un amendement qui répond à vos préoccupations et à celles, parfaitement fondées, des associations de consommateurs : il s’agit de sanctionner, par la création d’une amende de 3 000 euros, le banquier qui manquerait à son obligation d’accepter la substitution de contrat d’assurance. Là aussi, je sollicite le ralliement des auteurs d’amendements similaires à celui de la commission.

Ensuite, de façon plus technique, plusieurs amendements soulèvent la question de la substitution après le délai légal de douze mois. Dans le texte adopté par la commission, rien n’empêche la banque et son client de signer un contrat qui prévoit une telle possibilité de substitution. C’est la liberté contractuelle.

Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont soutenu l’idée d’encadrer les clauses de ce contrat. À mon avis, cela conduirait à compliquer la rédaction de la loi, sans pour autant changer son résultat pratique, puisque le banquier pourra soit ne pas proposer des possibilités de substitution, soit faire une proposition assortie de frais de dossier ou, je l’espère, sans frais.

Enfin, hier soir, notre collègue Marie-Noëlle Lienemann a soulevé l’intéressante question de la conformité à la Constitution de ce droit de substitution.

Certains ont en effet tenté d’assimiler la substitution et la rétractation en soulignant que le droit en vigueur ne donne aucun exemple de délai de rétractation atteignant douze mois.

Toutefois, je pense sincèrement qu’un changement d’assurance emprunteur s’apparente non pas à une rétractation, mais bien à une résiliation. Sans quoi, par le même raisonnement, on en viendrait à remettre en cause le droit de changer d’abonnement téléphonique ou d’assurance habitation.

In fine, je le répète, il se dégage, si l’on réalise une moyenne entre les dispositions contenues dans ces quelques amendements, une ligne directrice que la commission a suivie. Je m’efforcerai de faire de même en exprimant l’avis de la commission.

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