Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 29 janvier 2014 à 22h10
Accès au logement et urbanisme rénové — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Cécile Duflot :

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voilà à nouveau réunis pour examiner en seconde lecture le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, et témoigner une fois de plus du caractère véritablement collectif de ce travail législatif.

Nous pourrons dire que la loi ALUR aura été notre œuvre commune, que nous l’aurons construite ensemble, et je crois que nous pouvons nous féliciter de l’intelligence collective et de l’écoute démocratique qui ont présidé à l’évolution du texte au fil de ses lectures.

Je voudrais rappeler ce qui nous rassemble aujourd'hui. La crise du logement est une réalité qui s’impose à nous au quotidien, souvent avec une grande violence. Je sais que, chaque jour, vous l’éprouvez dans vos territoires et, chaque jour, je la constate dans ma fonction.

Même si la mobilisation de tous nous a permis de résister, l’année 2013 a été difficile. Si j’insiste sur la nécessité absolue de ne pas renoncer, c’est aussi parce que nous avons su, ensemble, là aussi, poser les premières pierres d’une politique de relance structurelle et qualitative du secteur de la construction et du bâtiment.

Avec le plan d’investissement pour le logement comme avec les huit ordonnances que nous avons d’ores et déjà publiées, nous avons pris des mesures d’urgence pour faciliter la construction et en réduire les délais de réalisation. Le Président de la République a d’ailleurs récemment rappelé l’action du Gouvernement en faveur de la simplification, et s’est engagé à ce que les délais de délivrance des autorisations d’urbanisme soient réduits.

Pour aller plus loin, l’enjeu est de fluidifier des procédures qui impliquent un grand nombre d’acteurs et d’étapes, de la maîtrise du foncier à la sécurisation de tous les parcours résidentiels, en passant évidemment par la construction, dont il faut réduire les coûts. Il s’agit pour l’État de réguler un marché qui ne permet pas un égal accès au logement, tout en relançant de manière durable un secteur économique majeur.

La maîtrise des prix immobiliers s’inscrit dans cette politique de relance. C’est pourquoi j’ai souhaité mener un dialogue approfondi avec l’ensemble des acteurs, à travers la démarche de concertation « Objectifs 500 000 », pour construire davantage, mieux et à des coûts maîtrisés. Le Président de la République a fixé le cap des décisions qui seront prises à l’issue de ce travail : faire baisser d’au moins 10 % le coût de la construction des logements collectifs.

Vous le voyez, nous mettons en place les conditions pour que les réponses à la crise du logement soient formulées de manière partagée.

Oui, il faut un peu de temps pour mettre en œuvre une mutation structurelle de la filière, puis pour en voir les effets, mais c’est la condition sine qua non d’une relance qualitative de la construction. Le temps politique n’est pas forcément le temps médiatique, mais je revendique cette action sur le temps long ; certains de mes prédécesseurs m’ont appris la nécessité de prendre des décisions qui ne voient leur traduction que quelques mois ou quelques années plus tard.

La loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement aura constitué la première étape de cette grande bataille structurelle pour le logement que nous menons. Vous le savez, le renforcement du principe de décote par la loi du 18 janvier 2013 a répondu à une difficulté qui maintenait de nombreux projets dans les cartons, en permettant de mobiliser plus facilement les terrains de l’État et de ses principaux opérateurs dès lors que ces terrains sont cédés pour y construire du logement.

Un an après la promulgation de la loi, les premiers résultats sont déjà visibles : à Toulouse, où je me suis rendue avec le Président de République au début du mois de janvier, grâce à un taux de décote de 60 % par rapport à la valeur vénale du terrain et de ses bâtiments, ce sont 750 logements, dont 520 logements locatifs sociaux, qui seront construits en plein cœur de l’agglomération, là où le marché est tendu.

La deuxième étape, c’est la mobilisation de l’ensemble des parties. Un pacte de confiance a été scellé avec le monde HLM. En témoignent à la fois la lettre d’engagement signée avec Action Logement et le pacte conclu avec l’Union sociale pour l’habitat. Cette mobilisation du secteur social est d’ores et déjà une véritable réussite, avec plus de 117 000 logements sociaux agréés en 2013, ce qui représente une augmentation de 14 % par rapport à 2012. Cette année, la baisse de la TVA à 5, 5 % permettra d’accroître encore la relance engagée dans ce secteur, en reconnaissant le logement social comme un bien de première nécessité.

Je souhaite que cet effort se ressente dans tous les territoires, et pas simplement dans les zones les plus tendues. En effet, nous devons plus que jamais être à l’écoute de l’ensemble des territoires dans leur diversité. Avec le renforcement de la dotation du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, que la loi de finances pour 2014 a augmentée de 15 millions d'euros, un programme plus spécifiquement destiné aux centres-bourgs permettra de répondre aux enjeux propres à ces territoires ruraux et fragiles.

Vous l’aurez compris, le projet de loi ALUR est le troisième temps de la réforme profonde et structurelle que j’avais, en tant que ministre, le devoir d’engager. Favoriser l’accès au logement pour tous, tel est l’objectif de ce projet de loi. C’est dans une logique de protection et d’accompagnement des ménages les plus fragiles qu’il a été rédigé. Il en avait été de même du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Ce plan, qui est aujourd’hui mis en œuvre, traduit l’engagement du Gouvernement en matière d’accès à un logement digne et adapté pour tous et toutes.

Favoriser les liens entre les acteurs de l’hébergement et du logement, c’est se battre pour sortir d’une logique d’urgence saisonnière et de mise à l’abri, évidemment nécessaire, mais pas suffisante.

Améliorer la prévention des expulsions, c’est se battre pour que les ménages les plus fragiles puissent rester dans leur logement. Je tiens à souligner, en toute sincérité, l’intense travail parlementaire qui a permis de renforcer cet aspect du projet de loi, notamment via l’accroissement du rôle des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives et les nouvelles possibilités données au juge d’accorder des délais aux ménages en situation d’impayé.

Je suis également particulièrement fière que le projet de loi permette l’allongement de la trêve hivernale, qui s’étendra désormais du 1er novembre au 31 mars, l’année même où nous allons célébrer le soixantième anniversaire de l’appel de l’abbé Pierre.

Je voudrais également dire quelques mots de la garantie universelle des loyers, la GUL.

La GUL est un grand projet, qui est d’abord le produit d’une longue histoire, écrite par ceux et celles qui, depuis des années, souhaitent lutter contre les discriminations dans l’accès au logement liées à la précarité de l’emploi.

Ce projet est le résultat – j’en suis très heureuse – d’un véritable processus de co-élaboration avec les parlementaires. Bien sûr, c’est une méthode qui n’est pas forcément simple à faire comprendre médiatiquement, mais je l’assume et j’en suis très fière.

Le dispositif que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui est le fruit de vos remarques, de nos débats et de vos propositions. À cet égard, je tiens à saluer le travail de qualité réalisé par le groupe qui, sur l’initiative du président Daniel Raoul, a réuni des sénateurs issus de tous les bords politiques ; je salue tout particulièrement le rapporteur, Jacques Mézard. Nous avons pris en compte la très grande majorité – la quasi-totalité, même – des conclusions de ce groupe de travail.

La GUL est un projet ambitieux, pragmatique et réaliste. Sa mise en œuvre marquera une nouvelle avancée sociale et une progression de l’égalité. Aujourd’hui, la caution personnelle est trop souvent inefficace et injuste ; c’est un constat que nous partageons, je le sais.

La caution personnelle est inefficace, parce que c’est une fausse sécurité : dans de très nombreux cas – plus de 50 % –, la caution ne peut pas être mise en jeu par le propriétaire, soit parce qu’elle a été mal libellée, soit parce que les ressources du garant se sont effondrées.

La caution personnelle est également injuste, parce qu’elle est la négation de l’autonomie. Aujourd'hui, on peut avoir quarante ans, être marié, avoir deux enfants et devoir trouver une caution pour se loger.

Injuste, la caution personnelle l’est aussi parce qu’elle fait trop souvent reposer l’accès au logement non pas sur la situation réelle du locataire, mais sur son carnet d’adresses ou ses relations.

Cette injustice n’est pas le fait des propriétaires : il est légitime que ces derniers cherchent des moyens de protéger ce qui est souvent un complément de salaire ou de retraite indispensable. Cette injustice est tout simplement née d’un manque. C’est ce manque que nous avons voulu combler en créant un outil nouveau pour défendre un droit nouveau.

La GUL est un projet d’émancipation. Il s’agit de permettre à chaque locataire de remplacer la caution par une garantie publique, et à chaque propriétaire de savoir qu’il peut accéder à une vraie sécurité si le locataire fait défaut. Nous savons que les propriétaires auront intérêt à recourir à la GUL. Je ne doute pas une seconde que la gratuité de la garantie saura les convaincre très rapidement de renoncer à une caution qui, bien souvent, ne les protège que très mal, sans qu’ils en aient toujours réellement conscience ; c’est la raison pour laquelle certains d’entre eux demandent plusieurs cautions, et même des garanties supplémentaires.

Favoriser l’accès au logement pour tous, c’est aussi s’attaquer aux loyers exorbitants qui pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages. Les chiffres sont là : un locataire du parc privé sur cinq consacre plus de 40 % de son revenu à son logement. Il faut agir pour réguler et enrayer ces abus du marché ; il s’agit à l’évidence d’une question de justice sociale. C’est tout le sens du dispositif d’encadrement des loyers que j’ai défendu devant vous en première lecture. Il vous revient maintenant d’en arrêter définitivement les modalités.

Le pouvoir d’achat des locataires dépend également des honoraires de location facturés Si le rôle des professionnels de l’immobilier en tant qu’intermédiaires dans les rapports locatifs est primordial, et doit sans doute se développer, il faut mettre fin à la pratique qui veut qu’à un loyer élevé correspondent des honoraires élevés, sans considération des prestations réellement fournies.

Le dialogue constant que j’ai mené avec les organisations professionnelles, dans un esprit de conviction et de responsabilité, a permis d’aboutir aux dispositions qui vous sont présentées aujourd’hui. Je souhaite que le montant global payé par les locataires baisse partout, et soit au moins divisé par deux dans les zones les plus tendues.

Le projet de loi ALUR crée en outre un nouveau cadre de régulation de la profession, qui provient, pour une large part, des propositions qu’elle avait elle-même formulées dans son livre blanc.

Les obligations de formation, le code de déontologie et le contrôle permettront de lutter contre les agissements d’une minorité qui ne respecte pas les règles et dégrade la réputation de tous. Il y va de l’intérêt des locataires, des propriétaires et des copropriétaires, mais également des professionnels eux-mêmes.

Enfin, la navette a permis de conforter les dispositions du projet de loi qui s’attaquent aux copropriétés dégradées et à l’habitat indigne ; je sais que le rapporteur Claude Dilain est particulièrement attentif à ces questions. Les mesures proposées répondent à une attente forte de tous ceux et toutes celles qui agissent pour lutter contre ce fléau. Je souhaite que les élus puissent s’emparer de ces nouveaux outils le plus rapidement possible afin de réaffirmer qu’il n’y a pas de place pour l’habitat indigne dans la République.

Pour conclure, je parlerai du plan local d’urbanisme intercommunal, le PLUI, car, en matière de logement, l’offre répond d’abord à une planification intelligente et stratégique des territoires. Ne l’oublions pas, ce sont les documents d’urbanisme dont les élus se dotent qui déterminent les politiques locales de l’habitat. En ce sens, la refonte de la planification constitue une réponse à part entière à la crise du logement.

Les articles 63 et 64 ont eu le grand mérite de donner lieu à un très, très riche exercice de démocratie. (Le PLUI a sans doute été notre plus vif sujet de débat. En première lecture, j’ai défendu ma conviction : l’échelle intercommunale est la plus pertinente pour élaborer une planification véritablement stratégique, parce qu’elle permet à la fois de mutualiser les ingénieries et les savoirs et d’exprimer une solidarité territoriale.

Néanmoins, vous le savez, j’ai tenu à écouter les inquiétudes qui se sont traduites par l’introduction d’un amendement du rapporteur Claude Bérit-Débat visant à instituer une minorité de blocage en cas de transfert de compétence. En tant que démocrate, je suis très attachée au bicamérisme, car il constitue, de mon point de vue, l’un des garants de la force de la démocratie. Le Premier ministre a lui aussi écouté et entendu vos préoccupations, puisqu’il a pris l’engagement que, à l’issue du processus parlementaire, la définition de l’intérêt communautaire et le PLUI respecteraient l’intérêt des maires.

Pour ma part, je m’étais engagée auprès de vous à défendre ce principe d’une possibilité de blocage du transfert devant vos collègues députés. J’ai tenu cet engagement – je sais que nombre d’entre vous ont été attentifs aux propos précis que j’ai tenus en deuxième lecture à l’Assemblée nationale – non seulement parce que je considère que les engagements sont faits pour être tenus, mais aussi parce que je suis convaincue que, même lorsque les deux chambres ont des positions différentes, le débat parlementaire est l’un des principes fondateurs de la démocratie. La sincérité de ceux qui veulent aller plus vite vers le PLUI est tout aussi respectable que la sincérité de ceux qui craignent des effets contre-productifs si l’on brusque les élus locaux.

C’est après avoir entendu ces différentes positions que j’ai tenu mon engagement en déposant un amendement gouvernemental en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Je veux vous dire, là aussi avec sincérité, que votre volonté a été entendue et respectée par les députés. Ils n’ont certes pas adopté l’amendement gouvernemental dans sa rédaction initiale, qui reprenait la position du Sénat, mais ils ont fait un pas vers vous, en acceptant le principe d’une minorité de blocage permettant d’empêcher le transfert de la compétence.

J’ai défendu avec vigueur votre position et vos arguments à l’Assemblée nationale. Je souhaite que, pour votre part, vous entendiez la sincérité de la démarche des députés. C’est du reste le rôle particulier d’une représentante du Gouvernement que de se présenter successivement devant les deux chambres qui composent le Parlement.

Je sais que le PLUI est encore source de divergences, indépendamment – c’est une leçon politique – de l’appartenance partisane des uns et des autres. Il vous revient évidemment de déterminer la bonne manière de trouver une issue à ce débat. Je ne peux dire qu’une chose : démocrate convaincue de la force du bicamérisme, je sais pouvoir compter sur votre intelligence collective.

Je crois très profondément que ce sont cette intelligence collective et le travail de dialogue permanent au cours du processus parlementaire qui nous permettent de discuter aujourd’hui d’un texte de qualité. La navette a permis d’améliorer nombre de mesures – je le dis en toute simplicité et avec franchise –, mais aussi de conforter les grandes orientations politiques que traduit le projet de loi ALUR.

Vous avez été quelques-uns à souligner, de manière, ici, sarcastique, là, inquiète, que le projet de loi ALUR est sans doute le plus important de la Ve République en volume. Cependant, malgré ce volume important, nous avons effectué un travail précis et de qualité. Au début de cette deuxième et, j’en suis convaincue, dernière lecture, je veux très sincèrement remercier tous les sénateurs et toutes les sénatrices qui ont travaillé sur ce texte. Ce débat parlementaire honore notre démocratie.

Le projet de loi ALUR est un texte aux objectifs ambitieux, qui s’attaque aux causes profondes de la crise du logement. Je crois que, grâce à ce projet de loi, nous pourrons nous féliciter d’avoir proposé des réponses clairvoyantes face à un mal qui touche trop de nos concitoyens.

La clé, c’est un égal accès au logement pour tous et toutes par un urbanisme rénové ; je crois que vous l’avez compris et que vous avez fait vôtre cette ambition. Je vous remercie infiniment de votre écoute et nous souhaite de très bons travaux de deuxième lecture !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion