Intervention de Amandine Berton-Schmitt

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 30 janvier 2014 : 1ère réunion
Stéréotypes dans les manuels scolaires — Audition de mmes mélanie gratacos directrice du centre hubertine auclert et amandine berton-schmitt chargée de mission éducation

Amandine Berton-Schmitt, chargée de mission éducation au centre Hubertine Auclert :

Les manuels scolaires rendent accessibles les connaissances dans une matière donnée. Ils devraient aussi véhiculer une culture de l'égalité puisque l'égalité, comme il est dit dans le code de l'éducation, s'inscrit dans les valeurs de l'école républicaine. Or, au risque de briser immédiatement toute illusion sur le sujet, je dois dire qu'ils ne remplissent pas cet office.

Ce constat est ancien et partagé. Il a émergé d'études réalisées sous l'égide de l'UNESCO dans les années 1980 ; en France, la prise de conscience est plus récente. Elle doit beaucoup à quatre travaux, et tout d'abord à l'étude fameuse de Sylvie Cromer et Carole Brugeilles. Le rapport remis au Premier ministre en 1997 par la députée Simone Rignault et le sénateur Philippe Richert sur la représentation des femmes et des hommes dans les manuels scolaires a, lui aussi, été déterminant, de même que le rapport réalisé en 2004 par Annette Wievorka pour le Conseil économique et social sur la place des femmes dans l'histoire enseignée. Je cite également une importante étude de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) de 2009, qui a malheureusement été insuffisamment relayée, probablement en raison de l'évolution du contexte institutionnel : disparition de la HALDE et création du Défenseur des droits.

Pour mettre en lumière les représentations sexuées qui existent à un moment donné, nous utilisons la méthodologie exposée par Sylvie Cromer et Carole Brugeilles : nous choisissons une discipline et un corpus de manuels nouvellement parus destinés aux séries générales et professionnelles et réalisons une étude quantitative et qualitative. L'analyse quantitative fait la force de cette méthode : il est fondamental de disposer d'un décompte précis des données que nous extrayons du corpus et qui représentent des stéréotypes. L'époque des ouvrages où l'on montre que « Papa lit et maman coud » est heureusement révolue. Mais les stéréotypes subsistent sous des formes plus sournoises. L'analyse qualitative seule ne permettrait pas d'en rendre compte de manière adéquate.

Les trois études que nous avons réalisées sur les manuels d'histoire, de mathématiques et de français révèlent d'une part, une sous-représentation très importante des femmes, qui résulte à la fois d'un déséquilibre numérique et de procédés « d'invisibilisation » ; d'autre part, la persistance des stéréotypes sexués.

Nous avons comptabilisé les personnages historiques féminins cités dans les manuels d'histoire de seconde générale et de CAP, ainsi que le nombre de femmes auteures des documents présentés (schémas, articles de presse...). Nous avons constaté l'absence quasi-totale des femmes dans les développements relatifs à la production économique de l'Antiquité à 1848, notamment au Moyen-Âge. De même, les femmes sont absentes des notices biographiques : sur 339 biographies proposées, 11 seulement sont consacrées à des femmes, soit 3,2 % ! Les éditeurs expliquent que la parité est difficile à atteindre... mais entre 50 % et 3,2 %, il y a une nette marge de progression... Enfin, sur 1 537 documents proposés à l'étude dans les manuels - textes, articles de presse, images, photos - 65 seulement sont réalisés par des femmes, soit 4,2 %. Les manuels traitent certes de l'histoire des femmes, mais en annexe. Selon l'heureuse expression de l'historienne Annie Rouquier, « les femmes sont reléguées dans les marges du récit historique ».

Des dossiers thématiques ponctuels ou des encadrés sont consacrés à la place des femmes dans la Révolution ou à leur exclusion de la citoyenneté athénienne. Mais il s'agit de « doubles pages », pas véritablement intégrées au cours dans lequel elles s'insèrent, de telle sorte que les femmes n'apparaissent pas de manière régulière dans le texte enseigné.

Enfin, les manuels présentent des clichés tenaces : absente de la sphère économique, la femme est en revanche surreprésentée dans la sphère privée : elle est nécessairement fille, soeur, mère...

Les arts et les sciences demeurent des domaines masculins. Dans l'ensemble des manuels que nous avons étudiés, les oeuvres des femmes sont 25 fois moins nombreuses que celles des hommes ; une seule femme peintre - Barbara Krafft, portraitiste de Mozart - est présente : encore est-elle relativement méconnue. Les personnages féminins sont représentés au travers du seul prisme du désir masculin : la femme du Moyen-Âge n'est représentée que par trois figures stéréotypées : la pècheresse tentatrice, la Vierge, ou la dame de l'amour courtois.

Nous relevons quelques évolutions positives : alors qu'en 2004, le suffrage universel désignait le suffrage masculin sans préciser que les femmes en avaient été exclues jusqu'à une date récente, ce n'est plus le cas aujourd'hui. De même, certaines pages d'histoire sont bien traitées, comme l'exclusion des femmes de la citoyenneté athénienne et romaine. Certaines figures féminines, telles Hildegarde de Bingen, Émilie du Châtelet ou Jeanne Deroin ont fait leur apparition dans les livres d'histoire. A l'inverse, on peut s'étonner que, sur le tout petit nombre de femmes qui ont les honneurs d'une notice biographique, figure Roxelane, la favorite de Soliman le magnifique, image féminine ambiguë.

J'ai évoqué le phénomène « d'invisibilisation » des femmes : un exemple topique est donné par un manuel qui consacre une double page à la diffusion de la pensée de Newton par Voltaire. Le rôle d'Émilie du Chatelet, qui a traduit les ouvrages du savant anglais et qui a donc directement permis leur diffusion en France, est tout simplement occulté.

Quant aux stéréotypes, une leçon, consacrée par un manuel de CAP à l'industrie textile, indique, au-dessus d'une photographie montrant des femmes debout dans une usine, que cette industrie a été la première à employer des femmes et souligne que les machines « ne demandent pas de force musculaire mais de l'habileté et de la concentration ». Le cliché de la « petite main » n'est pas loin... L'auteur omet de rappeler que pour rester debout douze heures dans la chaleur et le bruit de ces ateliers, il fallait en réalité une certaine force physique !

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