La délégation a tout d'abord auditionné Mmes Mélanie Gratacos, directrice du Centre Hubertine Auclert, et Amandine Berton-Schmitt, chargée de mission éducation.
Dans la lignée des travaux rendus en juin 2013 et consacrés aux femmes et à la culture, notre délégation a décidé d'approfondir sa réflexion sur les stéréotypes sexués à partir des représentations des hommes et des femmes dans les manuels scolaires.
L'enfance, et tout particulièrement la période scolaire, constitue un moment-clef dans la construction des représentations. Nos travaux sur les viols de guerre et, en ce moment même, nos réflexions sur la prostitution confortent cette conviction.
Notre délégation a toujours considéré que c'est dès le plus jeune âge que les stéréotypes doivent être déconstruits et appréhendés. Aussi, les livres dans lesquels nos élèves étudient devraient-ils être un vecteur fondamental de transmission d'une culture de l'égalité.
Je remercie Mmes Mélanie Gratacos et Amandine Berton-Schmitt, directrice et chargée de mission Éducation, d'être venues nous présenter les travaux du Centre Hubertine Auclert, qui publie une étude par an sur les représentations sexuées dans les manuels scolaires.
Ces études ont passé au crible, en 2011, les nouveaux manuels d'histoire de seconde et de certificat d'aptitude professionnelle (CAP) puis, en 2012, les manuels de mathématiques et enfin, en 2013, les manuels de français.
Pouvez-vous nous exposer les principales conclusions de votre étude, nous indiquer quelles pistes vous avez déjà trouvées pour lutter contre ces stéréotypes, et dans quelles directions notre délégation doit travailler pour avancer sur ce sujet ? Les évènements récents au sein de l'Éducation nationale nous inquiètent quelque peu et soulignent l'importance de la réflexion que nous engageons.
Le centre Hubertine Auclert a été créé en 2009 à l'initiative de la région Ile-de-France et d'associations féministes. Il regroupe plus de 80 associations, syndicats et collectivités territoriales désireux de promouvoir une culture de l'égalité femmes-hommes. Il centralise des ressources, outils et documents destinés aux porteurs de projets en faveur de l'égalité. Il accompagne ces acteurs et actrices dans le cadre d'un appui personnalisé ou d'échanges collectifs. Il réalise un travail d'éducation à l'égalité auprès des établissements scolaires, des enseignants et des acteurs de l'éducation. Il accueille également depuis juillet 2013 un observatoire régional des violences faites aux femmes.
Nous avons ardemment milité en faveur de la création de cet observatoire !
L'analyse des supports éducatifs constitue un volet de notre travail en faveur de l'éducation à l'égalité. Nous nous concentrons sur les manuels scolaires, parce qu'au travers de la vision du monde et de la société qu'ils véhiculent, ils peuvent contribuer à transmettre la culture de l'égalité. Nous choisissons une matière par an et examinons comment les femmes sont, ou ne sont pas, représentées dans ces ouvrages.
Au-delà de l'intérêt propre de ce travail, nous sensibilisons tous les acteurs de la chaîne scolaire, notamment les éditeurs et éditrices de manuels. Nous souhaitions décerner chaque année un prix d'excellence à un manuel exemplaire en matière d'égalité : nous avons dû renoncer, faute de candidat irréprochable dans ce domaine. Mais nous remettons chaque année un prix d'encouragement pour valoriser les bonnes initiatives et créer un cercle vertueux auprès des éditeurs. Nous offrons des outils aux éditeurs qui ont pris conscience des enjeux de l'égalité entre les hommes et les femmes et des grilles d'analyse aux professeurs pour les guider dans le choix des manuels.
Les manuels scolaires rendent accessibles les connaissances dans une matière donnée. Ils devraient aussi véhiculer une culture de l'égalité puisque l'égalité, comme il est dit dans le code de l'éducation, s'inscrit dans les valeurs de l'école républicaine. Or, au risque de briser immédiatement toute illusion sur le sujet, je dois dire qu'ils ne remplissent pas cet office.
Ce constat est ancien et partagé. Il a émergé d'études réalisées sous l'égide de l'UNESCO dans les années 1980 ; en France, la prise de conscience est plus récente. Elle doit beaucoup à quatre travaux, et tout d'abord à l'étude fameuse de Sylvie Cromer et Carole Brugeilles. Le rapport remis au Premier ministre en 1997 par la députée Simone Rignault et le sénateur Philippe Richert sur la représentation des femmes et des hommes dans les manuels scolaires a, lui aussi, été déterminant, de même que le rapport réalisé en 2004 par Annette Wievorka pour le Conseil économique et social sur la place des femmes dans l'histoire enseignée. Je cite également une importante étude de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) de 2009, qui a malheureusement été insuffisamment relayée, probablement en raison de l'évolution du contexte institutionnel : disparition de la HALDE et création du Défenseur des droits.
Pour mettre en lumière les représentations sexuées qui existent à un moment donné, nous utilisons la méthodologie exposée par Sylvie Cromer et Carole Brugeilles : nous choisissons une discipline et un corpus de manuels nouvellement parus destinés aux séries générales et professionnelles et réalisons une étude quantitative et qualitative. L'analyse quantitative fait la force de cette méthode : il est fondamental de disposer d'un décompte précis des données que nous extrayons du corpus et qui représentent des stéréotypes. L'époque des ouvrages où l'on montre que « Papa lit et maman coud » est heureusement révolue. Mais les stéréotypes subsistent sous des formes plus sournoises. L'analyse qualitative seule ne permettrait pas d'en rendre compte de manière adéquate.
Les trois études que nous avons réalisées sur les manuels d'histoire, de mathématiques et de français révèlent d'une part, une sous-représentation très importante des femmes, qui résulte à la fois d'un déséquilibre numérique et de procédés « d'invisibilisation » ; d'autre part, la persistance des stéréotypes sexués.
Nous avons comptabilisé les personnages historiques féminins cités dans les manuels d'histoire de seconde générale et de CAP, ainsi que le nombre de femmes auteures des documents présentés (schémas, articles de presse...). Nous avons constaté l'absence quasi-totale des femmes dans les développements relatifs à la production économique de l'Antiquité à 1848, notamment au Moyen-Âge. De même, les femmes sont absentes des notices biographiques : sur 339 biographies proposées, 11 seulement sont consacrées à des femmes, soit 3,2 % ! Les éditeurs expliquent que la parité est difficile à atteindre... mais entre 50 % et 3,2 %, il y a une nette marge de progression... Enfin, sur 1 537 documents proposés à l'étude dans les manuels - textes, articles de presse, images, photos - 65 seulement sont réalisés par des femmes, soit 4,2 %. Les manuels traitent certes de l'histoire des femmes, mais en annexe. Selon l'heureuse expression de l'historienne Annie Rouquier, « les femmes sont reléguées dans les marges du récit historique ».
Des dossiers thématiques ponctuels ou des encadrés sont consacrés à la place des femmes dans la Révolution ou à leur exclusion de la citoyenneté athénienne. Mais il s'agit de « doubles pages », pas véritablement intégrées au cours dans lequel elles s'insèrent, de telle sorte que les femmes n'apparaissent pas de manière régulière dans le texte enseigné.
Enfin, les manuels présentent des clichés tenaces : absente de la sphère économique, la femme est en revanche surreprésentée dans la sphère privée : elle est nécessairement fille, soeur, mère...
Les arts et les sciences demeurent des domaines masculins. Dans l'ensemble des manuels que nous avons étudiés, les oeuvres des femmes sont 25 fois moins nombreuses que celles des hommes ; une seule femme peintre - Barbara Krafft, portraitiste de Mozart - est présente : encore est-elle relativement méconnue. Les personnages féminins sont représentés au travers du seul prisme du désir masculin : la femme du Moyen-Âge n'est représentée que par trois figures stéréotypées : la pècheresse tentatrice, la Vierge, ou la dame de l'amour courtois.
Nous relevons quelques évolutions positives : alors qu'en 2004, le suffrage universel désignait le suffrage masculin sans préciser que les femmes en avaient été exclues jusqu'à une date récente, ce n'est plus le cas aujourd'hui. De même, certaines pages d'histoire sont bien traitées, comme l'exclusion des femmes de la citoyenneté athénienne et romaine. Certaines figures féminines, telles Hildegarde de Bingen, Émilie du Châtelet ou Jeanne Deroin ont fait leur apparition dans les livres d'histoire. A l'inverse, on peut s'étonner que, sur le tout petit nombre de femmes qui ont les honneurs d'une notice biographique, figure Roxelane, la favorite de Soliman le magnifique, image féminine ambiguë.
J'ai évoqué le phénomène « d'invisibilisation » des femmes : un exemple topique est donné par un manuel qui consacre une double page à la diffusion de la pensée de Newton par Voltaire. Le rôle d'Émilie du Chatelet, qui a traduit les ouvrages du savant anglais et qui a donc directement permis leur diffusion en France, est tout simplement occulté.
Quant aux stéréotypes, une leçon, consacrée par un manuel de CAP à l'industrie textile, indique, au-dessus d'une photographie montrant des femmes debout dans une usine, que cette industrie a été la première à employer des femmes et souligne que les machines « ne demandent pas de force musculaire mais de l'habileté et de la concentration ». Le cliché de la « petite main » n'est pas loin... L'auteur omet de rappeler que pour rester debout douze heures dans la chaleur et le bruit de ces ateliers, il fallait en réalité une certaine force physique !
Dans l'esprit des auteurs, cela était peut-être flatteur : l'habileté et la concentration sont des qualités nobles. Ici l'homme est réduit à la force brute.
Cela manifeste surtout la prédestination des femmes pour un rôle donné.
Sous un aspect apparemment positif, l'image et son commentaire enferment l'ouvrière dans une représentation univoque. C'est un stéréotype sournois. Dans le même esprit, un autre manuel intitule une double page « être ouvrier au XXème siècle » et présente des photos de métallurgistes au début du siècle et de cégétistes à Gandrange, tous masculins, avec ce commentaire : « être ouvrier au XXème siècle, c'est d'abord être un homme » !
Enfin, un manuel se termine par plusieurs pages de notices biographiques, rassemblées par ordre alphabétique : de l'empereur Auguste à l'empereur Yongle, point de femme !
Beaucoup d'historiens ont imputé la surreprésentation des hommes dans les manuels d'histoire au primat de l'histoire politique et militaire dans l'enseignement de cette discipline. Dans cette logique, un domaine scientifique comme celui des mathématiques ne permettrait pas une approche aussi biaisée. Qu'à cela ne tienne ! Nous avons étudié les nouveaux manuels de mathématiques de Terminale S et de Terminale bac pro parus en 2010 et en 2011.
Qu'y constatons-nous ? La sous-représentation numérique des femmes se retrouve dans ces ouvrages : nous en avons compté 672 seulement sur 3 348 personnes sexuées mentionnées, soit une femme pour cinq hommes ! La proportion de femmes parmi les personnages historiques cités est rigoureusement la même que dans les manuels d'histoire, soit 3,2 % ! « L'invisibilisation » des femmes est également à l'oeuvre dans ces manuels : le rôle des femmes citées est minimisé. Marie Curie, par exemple, est toujours associée aux travaux de son mari. Certains noms de femmes ne sont employés qu'en épithètes : les manuels évoquent la courbe d'Agnesi ou les nombres de Sylvie Germain sans présenter ces savantes, alors que l'explication du théorème de Pythagore s'accompagne d'une notice biographique du mathématicien grec. D'autres femmes disparaissent purement et simplement : Ada Lovelace, précurseure de la programmation informatique, et dont le prénom fut donné à l'un des tout premiers langages de programmation, n'est pas mentionnée. Quant aux personnages fictifs requis par les exercices d'application, les femmes y sont prisonnières de stéréotypes : elles ne peuvent être que gérantes de parfumeries ou de cabinets d'esthétique...
Il y a quelques signes encourageants : un ouvrage invite à aborder l'étude des inégalités hommes-femmes au travers d'un chapitre sur les probabilités et statistiques ; il propose des exercices de calcul sur la parité dans les assemblées parlementaires.
Cependant, l'iconographie demeure stéréotypée : un manuel de Terminale S comporte une seule représentation féminine. Elle figure sur la double page consacrée aux nombres complexes : il s'agit d'une jeune fille, face à son miroir, qui prononce ces mots : « ils disent tous que j'ai un complexe mais je le vois bien, j'ai encore grossi » !
Quelle caricature ! Et quelle imprudence, vu l'âge de ces jeunes filles !
Un autre manuel représente une femme debout à côté d'une machine à laver et un homme assis au volant d'une camionnette ! Un autre encore publie une photo de Marie Curie, mais l'accompagne de développements sur la curiethérapie, en ne citant son nom que pour signaler qu'elle « a été souvent associée aux travaux de Pierre Curie »...
Les couvertures sont aussi édifiantes : un même manuel de Terminale bac pro a une couverture bleue pour les élèves de la filière industrielle et une couverture rose à destination des élèves de la filière tertiaire ! Les premières informaticiennes, qui travaillent sur l'ENIAC (Electronic Numerical Integrator and Analyser), c'est-à-dire le premier ordinateur conçu aux États-Unis dans les années quarante, apparaissent sur une photographie, où elles semblent être des standardistes, mais ne sont pas identifiées.
Les résultats quantitatifs sont tout aussi mauvais pour les manuels de français. Sur 13 192 noms mentionnés en histoire littéraire et artistique, 6,1 % appartiennent à des femmes. Les femmes représentent 3,7 % des auteurs cités, 6,7 % des artistes et 0,7 % des philosophes. Sur 254 biographies recensées, 11 seulement sont consacrées à des femmes, comme dans les manuels d'histoire. Les femmes sont réduites au rôle d'épouses, d'amantes ou de muses. L'exemple de Louise Collet est frappant : elle est décrite comme la confidente de Flaubert mais jamais comme la poétesse qu'elle est aussi. Les manuels minimisent le rôle des femmes dans la production littéraire. 5 % des textes littéraires étudiés sont l'oeuvre de femmes, sans que cette exclusion des femmes du champ littéraire ne soit questionnée. Sur l'ensemble du corpus artistique présenté, 93,3 % des auteurs sont des hommes.
La représentation du féminin est dépendante du regard masculin. Les femmes sont davantage étudiées comme des sujets de romans ou de poèmes qu'en tant que créatrices ou artistes. Le terme de « héros » ne se décline guère au féminin : il y a très peu d'héroïnes... On relève une essentialisation de la femme par opposition à l'universalité du genre masculin.
Néanmoins, les ouvrages destinés aux élèves des filières professionnelles abordent des thèmes tels que l'éducation des filles, les mariages forcés, les femmes sportives, l'image des femmes dans la publicité. A l'inverse, la partie du programme de seconde générale consacrée à l'argumentation aux XVIIème et XVIIIème siècles, qui pourrait se prêter à l'étude d'auteurs de ce temps intéressés par la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, tel Condorcet, n'est pas traitée sous cet angle.
Après un tel état des lieux, quelles pistes pouvons-nous proposer afin de promouvoir l'égalité entre les sexes ? Nous recommandons l'utilisation de l'ouvrage de Sylvie Cromer et Carole Brugeilles, édité par l'UNESCO, « Analyser les représentations du féminin et du masculin dans les manuels scolaires », du guide méthodologique belge « Sexes et Manuels » et de l'ouvrage collectif publié chez Belin sous le titre « La place des femmes dans l'Histoire ». Le site Genrimages propose aussi des outils et ressources intéressantes, tout comme notre site www.hubertine.fr.
Nous avions beau être averties, notre indignation a cru au fil de votre exposé.
Notre base de données, « l'égalithèque », accessible sur notre site, recense plus de 600 références et outils. Nous travaillons avec le ministère des Droits des femmes pour les mutualiser.
Nous envisageons trois leviers d'action pour l'avenir : connaître, alerter et progresser.
Il nous faut d'abord produire de la connaissance afin d'objectiver la vision inégalitaire de la société véhiculée par les manuels scolaires. Il s'agit à la fois de valoriser la recherche existante et de susciter de nouveaux travaux. Nous organiserons un colloque en septembre 2014 afin de mettre en lumière les études menées sur cette thématique ; je me permets d'indiquer que nous cherchons un lieu et que nous serions heureuses si le Sénat pouvait accueillir cette manifestation...
Il importe, ensuite, de signaler et de dénoncer les inégalités. Nous travaillons avec les éditeurs et éditrices dans une logique d'encouragement, que nous souhaitons poursuivre. La carotte doit s'accompagner du bâton, dans la logique du « naming and shaming » ! Nous projetons de mettre en ligne un site sur lequel les internautes pourront signaler les stéréotypes sexués relevés dans les manuels, que nous vérifierons. Nous attirerons ensuite l'attention des éditeurs sur ces références afin qu'ils les suppriment.
Enfin, nous souhaitons mener une démarche constructive en faveur de l'égalité. Le centre est de plus en plus sollicité par les établissements scolaires et par le corps enseignant. Nous proposons désormais un module de formation à destination des professeurs : ce module pourrait être étendu aux éditeurs. Nous avons monté une exposition sur les manuels scolaires que nous mettons à disposition des établissements qui le désirent, pour accompagner les enseignants. Nous lançons un groupe de travail avec les maisons d'édition auquel participera une responsable du syndicat national de l'édition.
Tous les acteurs qui participent à l'élaboration des manuels scolaires se renvoient la balle sur la question des inégalités hommes femmes. A l'occasion du colloque, notre projet est de les rassembler tous autour d'une même table, de manière à progresser réellement.
Nous souhaitons construire un dispositif efficace en faveur de l'égalité. Votre sollicitation pour l'organisation d'un colloque nous intéresse. Il nous sera toutefois peut-être difficile d'y répondre positivement en raison des élections sénatoriales de cette année qui peuvent créer des difficultés de calendrier. En tout état de cause, vos travaux seront pour nous une source d'inspiration. Je vous remercie beaucoup pour votre contribution et votre disponibilité.
Puis la délégation a auditionné Mme Sylvie Cromer, sociologue à l'Université de Lille II, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (INED).
Nous sommes heureux de pouvoir entendre maintenant Mme Sylvie Cromer, sociologue et responsable scientifique du programme de recherche européen « Attention Album ! » sur les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés de 1996 à 1999.
Votre recherche porte, Madame, sur les représentations du genre, c'est-à-dire les constructions sociales du masculin et du féminin dans les albums, la littérature jeunesse, la presse magazine et les manuels scolaires. À ce titre, votre expérience et votre éclairage nous seront particulièrement précieux.
Ainsi, vous êtes co-auteure du « guide méthodologique sur l'égalité entre les sexes par les manuels scolaires » coordonné par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) à l'attention des acteurs et actrices de la chaîne du manuel scolaire. Vous avez participé dans ce contexte, notamment, à un colloque « Filles, garçons : une même école ? », en avril 2012, qui est désormais une référence.
Nous commençons notre série d'entretiens sur les stéréotypes dans les manuels scolaires qui sera notre thème annuel d'étude.
Pouvez-vous nous dire si vos recherches vous ont permis de constater des évolutions en la matière, quels efforts ou dispositifs ont déjà été mis en place en France et, enfin, nous indiquer des pistes de travail pour que notre délégation contribue à faire avancer les choses ?
Comme vous venez de le rappeler, je travaille depuis plus de quinze ans sur les représentations du masculin et du féminin dans les divers outils d'éducation et, notamment, dans les manuels scolaires.
En préambule, il me semble important de replacer le sujet qui nous occupe aujourd'hui dans un cadre plus général : celui de l'égalité entre les sexes, sans le réduire à la seule question de la lutte contre les stéréotypes.
Nous nous sommes toujours attachés, les équipes avec lesquelles j'ai travaillé et moi-même, à placer nos recherches sous le sceau du principe d'égalité.
Rappelons tout d'abord que ce principe, qui est l'une des valeurs fondamentales de notre République, sert aussi de fondement à de nombreux outils internationaux.
Ayant travaillé sous l'égide de l'UNESCO, mais aussi avec le Canada ainsi qu'avec divers pays d'Afrique (Togo, Cameroun, Sénégal, République démocratique du Congo, Maroc...), je peux dire qu'il existe un consensus au niveau international sur l'objectif de lutter contre les stéréotypes et de promouvoir l'égalité entre les sexes dans les manuels d'éducation.
Même nos collègues étrangers travaillant dans des pays dont la Constitution ne reconnaît pas le principe d'égalité entre les hommes et les femmes peuvent s'appuyer sur la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), aujourd'hui ratifiée par 99 pays.
Je ne vais pas ici détailler tout ce que nous avons écrit dans le « Guide méthodologique à l'attention des acteurs et des actrices de la chaîne du manuel scolaire », publié sous l'égide de l'UNESCO en 2008. Cet ouvrage est aujourd'hui en cours de traduction en arabe après avoir été traduit en anglais, mais je crois qu'il est important de replacer nos travaux dans une perspective historique.
Dès 1925, la Société des Nations (SDN) s'était emparée de la question des manuels scolaires, notamment pour y traquer les dérives xénophobes ; l'UNESCO s'est employé à relayer cette préoccupation dès sa création en 1945. La question n'est donc ni nouvelle, ni originale.
Pour autant, les premières études et le combat contre les stéréotypes sexués datent des années 1970 et c'est aussi à partir de cette époque que se sont multipliées les recherches sur le sujet.
Il est intéressant de comprendre pourquoi les instances internationales se sont emparées du sujet. Comme le démontrent les instituts de recherche - et notamment le Centre Hubertine Auclert auquel je rends hommage - qui en ont fait un objet d'étude, le manuel scolaire fait partie des biens communs d'une société. Au-delà de sa fonction d'organisation des connaissances à un moment donné, le manuel est aussi un lieu symbolique de construction et d'expression des valeurs d'une société. C'est la raison pour laquelle, partout dans le monde, les manuels scolaires font l'objet de controverses et suscitent des polémiques - même entre les pays - bien au-delà de la seule sphère éducative.
Les institutions internationales ont donc bien pris conscience qu'il constituait un puissant levier de changement social, parce qu'il est utilisé non seulement par les enseignants et les élèves, mais aussi par les familles.
C'est en ce sens qu'il peut être un vecteur extraordinaire de promotion de l'égalité entre les sexes et c'est dans cette perspective que nous avons travaillé sous l'égide de l'UNESCO, en particulier dans certains pays du continent africain.
Évidemment, vous pourriez me rétorquer qu'avec la numérisation des documents, le manuel scolaire tendrait à perdre sa valeur de référence.
C'est d'ailleurs cette conviction qui m'avait amenée à m'intéresser, au début de mes recherches, plutôt à la littérature destinée à la jeunesse, puis à la presse magazine, en réservant les études sur les manuels scolaires à certains pays d'Afrique où les livres sont très rares et où les manuels sont quasiment les seuls outils de transmission.
Pourtant, je me suis vite aperçue qu'en France également le manuel restait un outil fondamental, notamment à l'école primaire : dans une matière comme les mathématiques, les enseignants s'appuient en effet encore essentiellement sur le manuel, notamment pour les exercices. N'oublions pas qu'il est également l'outil de transmission entre l'école et les parents des élèves !
J'en viens maintenant à vos questions.
Sur les constats, tels qu'ils résultent des différentes études publiées, je ne vais pas m'attarder, le centre Hubertine Auclert ayant précédemment dressé un tableau complet.
Pourtant, il me semble important d'apporter un éclairage sur l'utilisation de l'outil « genré », notamment pour répondre à la controverse actuelle sur la question du genre.
Je vous rappelle que le genre est un outil d'analyse, qui consiste en une lecture sexuée du monde social. Il a permis de mettre en évidence les inégalités entre les sexes et, ce faisant, de renouveler notre connaissance des manuels scolaires.
C'est dans cet esprit que, dans les années 1970, l'UNESCO a initié un programme dans plusieurs pays dont les résultats ont donné lieu à la publication d'un ouvrage de compilation écrit par la sociologue Andrée Michel et intitulé « Non aux stéréotypes ». Cet ouvrage a permis de mettre en lumière une surreprésentation des personnages masculins, une opposition entre les personnages masculins et féminins et, enfin, une survalorisation du masculin au dépend du féminin.
L'appropriation par les chercheurs de l'outil d'analyse « genre », qui s'est développé dans ces années-là, a permis de dépasser la recherche simple des images stéréotypées pour aller plus loin et traquer ce qui se joue dans la relation entre le masculin et le féminin. Ainsi, de même qu'on prend en compte le rapport social de classe pour traquer les inégalités sociales, on a utilisé le rapport social de sexe comme critère de recherche des inégalités entre les femmes et les hommes. Cela revient à dire que, comme dans les autres matières, les inégalités entre les sexes reflètent un rapport de forces qu'il s'agit de détecter pour le faire évoluer.
À la fin des années 1990, j'ai ensuite été à l'initiative, avec ma collègue Carole Brugeilles et ma soeur Isabelle Cromer, de la mise en place d'un nouvel outil quantitatif, qui est encore utilisé aujourd'hui dans la détection des inégalités entre les hommes et les femmes.
À l'époque, nous rencontrions, au cours de nos recherches, des interlocuteurs qui, encore très dubitatifs face aux études qualitatives, pointaient du doigt les inégalités de sexe, notamment dans la littérature de jeunesse et la presse magazine.
Nous cherchions à renforcer la légitimité de nos travaux, d'une part en objectivant les données et, d'autre part, en élargissant nos recherches à l'étude de corpus très importants.
Nous avons donc élaboré une méthode quantitative qui consistait à analyser tous les personnages des manuels, en passant au crible un ensemble de critères liés pas seulement au sexe, mais aussi à l'âge, à la couleur de peau, à la qualité et aux actions des personnages et permettant également d'analyser leurs relations.
Bien que complexe, cette méthode, simplifiée et réappropriée, sert encore pour passer au crible les inégalités dans les manuels.
Je tiens à dire que les résultats auxquels nous sommes parvenus grâce à cette méthode nous permettent aujourd'hui de dire que, dans la société fictive que montrent les manuels scolaires comme dans la société réelle, on a constaté une réelle évolution : les représentations de sexe dans nos manuels scolaires ne sont pas aujourd'hui les mêmes que dans les années 1960.
Ce qu'on voit apparaître aujourd'hui - et qui est caractéristique de l'évolution des rapports de sexe -, c'est l'émergence d'un masculin neutre : les personnages de sexe masculin continuent à être majoritaires (de l'ordre de 60 %) et ceci dans tous les corpus, au détriment des personnages féminins. Ainsi, les femmes ne représentaient-elles que 5 % des personnages dans les manuels de mathématique étudiés en 2008.
Parallèlement, le personnage masculin étend son domaine de compétences dans tous les domaines sociaux. Déjà omniprésent dans la sphère publique, il étend son domaine d'action dans la sphère privée : on voit de plus en plus d'hommes s'occupant de leurs enfants, par exemple.
Ce que nous regrettons, c'est que cette extension de compétences n'ait pas aussi inversement bénéficié aux personnages féminins, qui restent pour la plupart enfermés dans des caractéristiques physiques attribuées par rapport à un modèle masculin : un noeud dans les cheveux, une jupe longue, etc. Cette « iconographie » stéréotypée empêche les enfants qui en sont la cible d'accéder à l'universel.
Ainsi, « la femme », au même titre que « la personne de couleur », reste un « cas particulier » au sein d'une composante majoritaire qui reste masculine. Je pense que ce constat rejoint les analyses du Centre Hubertine Auclert.
Les études que j'ai pu mener sur les collections de manuels scolaires en Afrique me permettent néanmoins d'apporter une note encourageante. Bien que conçus majoritairement dans les pays du Nord, les manuels observés présentaient des représentations de genre différentes de celles observées dans nos manuels. Ce qui m'amène à dire que l'on peut faire évoluer les systèmes de représentation et, donc, qu'on peut espérer faire changer les choses.
Par ailleurs, je veux insister sur un autre point qui me paraît essentiel en rappelant que les manuels ne sont jamais le reflet du monde dans lequel on vit, mais toujours une projection imaginaire d'un ordre social sexué qui ne correspond pas à la réalité. Ils montrent les représentations stéréotypées dans lesquelles nous baignons tous et que nous reproduisons, même de façon inconsciente.
Il est important de reconnaître cette reproduction inconsciente pour déculpabiliser, en particulier les auteurs des manuels, d'autant plus que les auteurs des textes ne sont souvent pas les mêmes que ceux qui font les choix iconographiques : les illustrateurs et les auteurs sont la plupart du temps déconnectés.
Moi-même, en tant que professeur, il m'est arrivé d'illustrer une démonstration par un exemple de grammaire sans prendre en compte le fait que, par cet exemple, je tombais peut-être, aussi, dans le piège du stéréotype !
J'en viens donc maintenant aux pistes possibles d'évolution. Je vois aujourd'hui émerger une « peur de l'égalité » qui gagne y compris les personnes qui ne sont pas farouchement hostiles au principe.
Le discours consensuel, quasi mythique, qui prévalait dans les années 1980, se fissure aujourd'hui. C'est pourquoi nous devons inlassablement faire oeuvre de pédagogie pour expliquer ce qu'est l'égalité. Je m'attache à valoriser les recherches que j'effectue en tant que sociologue pour qu'elles aient une utilité sociale. Paradoxalement, je trouve moins de résistance dans les pays d'Afrique - et notamment au Maroc où j'ai travaillé en corrélation avec des cadres de l'éducation nationale - qu'en France ! Il nous faut donc inlassablement rappeler que l'objectif d'éduquer à l'égalité des sexes poursuit l'ambition de permettre à chacun et chacune de se construire selon ses potentialités et ses désirs.
Il s'agit de ne pas enfermer les petites filles ou les petits garçons dans un rôle « prêt-à-porter ». Il faut s'adresser aux parents : c'est à l'adulte de comprendre qu'offrir à son enfant toujours la même catégorie de jeux (la poupée, les jeux de construction...) et cela dès la crèche, revient à le couper de certaines de ses potentialités et à l'empêcher de développer certaines compétences.
L'exemple de cette petite fille, Wajda, privée du droit de faire du vélo en Arabie saoudite, personnage principal d'un film qu'on a pu voir l'année dernière au cinéma, l'a admirablement illustré : cette privation affecte véritablement sa personnalité !
Il en va de même de la reproduction de l'orientation professionnelle en fonction de l'origine sociale.
Il me semble qu'être éducateur au XXIème siècle, c'est permettre à chaque enfant de se développer en fonction de ses potentialités sans être assigné à son sexe ou à sa classe sociale, et donc ouvrir tous les possibles humains.
S'agissant des manuels scolaires, nous avions distingué, dans le guide méthodologique précité, trois pôles interactifs dans la chaîne du manuel scolaire (politique éducative, utilisation et édition).
Parallèlement, nous avions considéré deux sphères (universitaire et médiatique) pour mener les recherches et les vulgariser.
Le premier pôle - majeur - est celui de la politique éducative. C'est à ce niveau - essentiellement au niveau de l'État - que se définissent les objectifs et les contenus. A ce stade, il est essentiel que soient inscrits dans toutes les disciplines et dans tous les curricula (ensemble plus large qu'un programme qui inclut tous les objectifs d'un enseignement, son contenu global, mais aussi quelques indications pour guider sa mise en oeuvre et les modalités nécessaires à son évaluation) la préoccupation d'égalité entre les sexes. Attention, il ne s'agit pas de falsifier la réalité, mais de rendre compréhensible l'évolution historique de la place des femmes. Si, à un certain moment de l'histoire, les femmes ont été marginalisées, il s'agit d'expliquer pourquoi et d'analyser le processus. Inversement, quand les femmes ont regagné des places, qu'on explique aussi les processus d'égalisation !
Le second axe réside dans la formation des enseignants. Je voudrais insister sur le fait que les voies d'amélioration sont ici importantes. Il est relativement facile d'éduquer le regard des professeurs sur les stéréotypes, d'autant que de nombreux outils sont disponibles et que les enseignants y sont très réceptifs. Mais cela suppose de donner le temps aux enseignants d'avoir un retour réflexif sur la question de l'égalité. Pour moi, l'axe principal consiste à convaincre que gagner en égalité est un moyen d'apporter du bonheur - individuellement et collectivement.
Bien sûr, l'exigence d'égalité fragilise parfois les situations acquises, dans les relations de couple notamment. Je pense qu'il faut accepter le fait que les sociétés traversent des périodes d'ajustement nécessaires pour gagner en liberté et en perspective d'émancipation. Il est important de faire comprendre que l'on peut trouver plus de bonheur dans un rapport égalitaire.
Certaines expériences étrangères répertoriées dans l'ouvrage au titre volontairement provocateur « Sexes et manuels : promouvoir l'égalité dans les manuels scolaires », financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, peuvent nous servir d'exemple. Ainsi, la Belgique francophone a choisi de délivrer un agrément aux manuels exemplaires en matière d'égalité hommes-femmes. Mais, plus simplement, le ministère de l'Éducation nationale pourrait engager un dialogue constructif avec les maisons d'édition.
Pour caricaturer les travaux portant sur les stéréotypes sexués dans les manuels scolaires, on leur fait souvent grief de rechercher la parité à tout prix, alors qu'ils s'attachent d'abord à comprendre les raisons qui expliquent la faible représentation des femmes dans les manuels - notamment ceux d'histoire - pour constater ensuite les éventuels progrès en la matière. La définition des programmes demeure fondamentale pour guider la conception des manuels scolaires.
Même si le ministère de l'Éducation nationale peut aussi travailler de concert avec les éditeurs lors de l'élaboration des manuels, le contenu de ceux-ci pourra déjà changer si les programmes scolaires sont clairement définis et comportent des exemples illustrant les bonnes pratiques.
Quand bien même les manuels ne changeraient pas, ce qui est le cas dans certains pays africains, au grand désespoir des enseignants de ces pays, il suffit que les équipes éducatives abordent l'étude de ces manuels avec un regard critique, en veillant à susciter aussi le regard critique de l'enfant, d'autant qu'un manuel ne sera sans doute jamais parfait, car son contenu doit s'adapter à une société en constante évolution. C'est d'ailleurs l'une des missions de l'Éducation nationale que de faire éclore une vision critique du monde chez les citoyens en devenir.
Quand j'enseignais le français à des classes de 6ème, je travaillais beaucoup avec le support de contes, même si ceux-ci ont été écrits à une époque où l'égalité des sexes n'existait pas ; il ne faut cependant pas se priver de toute cette littérature et renier notre fonds culturel mais, au contraire, et c'est là l'une des missions de l'école, apprendre à relire ces oeuvres et à les interpréter d'une manière critique. C'est ainsi que l'on peut contribuer à l'éducation des futurs citoyens.
En ce qui concerne le pôle de l'édition, il faut sensibiliser les éditeurs et les amener à faire évoluer leurs pratiques ; j'ai d'ailleurs constaté un début de prise de conscience des maisons d'édition, celles-ci mettant souvent en scène dans leurs manuels de mathématiques de l'école primaire du CP au CM2 un couple d'enfants - garçon et fille - qui accompagne le lecteur tout au long de l'ouvrage. En revanche, perdurent les inégalités quantitatives dans les représentations masculines et féminines, tant dans le texte des exercices que dans l'iconographie.
Des outils et des grilles d'analyse existent pour tester le contenu des manuels scolaires ; il reste à y sensibiliser par des formations appropriées les enseignants qui conçoivent ces manuels, sans oublier leur hiérarchie ; cela apparaît cependant plus problématique en France que dans d'autres pays.
Quant au troisième pôle, celui des utilisateurs, dont font partie notamment les professeurs qui sélectionnent les ouvrages, il convient que le ministère de l'Éducation nationale leur adresse des instructions pour qu'ils veillent à demeurer attentifs à cette dimension de l'égalité des sexes lors de leur approche pédagogique.
A l'instar des chartes adoptées par certaines maisons d'édition il y a quelques décennies, il faudrait que les auteurs et les illustrateurs s'engagent à respecter une charte de bonnes pratiques en matière d'égalité.
La rédaction d'ouvrages transversaux en littérature et en mathématiques tel que celui, remarquable, rédigé par des historiens et intitulé « Une histoire mixte », aux éditions Belin, permettrait aux enseignants d'y puiser matière à étoffer leurs outils pédagogiques. On peut aussi proposer la publication d'un livret « Égalité des sexes », par exemple sous l'égide du Centre national de documentation pédagogique (CNDP), pour rappeler en quelques pages ce que recouvre ce concept et comment il peut se décliner dans ses interactions avec les élèves au sein des espaces de la classe et de la cour de récréation. Une telle initiative accompagnerait utilement le livre du maître qui est associé à chaque manuel scolaire.
À ce propos, conjointement avec Suzanne Robichon de l'Observatoire de l'égalité de la mairie de Paris, Danielle Hourbette et moi-même avons, sur commande de la mairie de Paris, réalisé un guide-ressources à destination de l'ensemble des agents municipaux en relation avec des enfants. En raison de la diversité du public concerné - bibliothécaires, animateurs et éducateurs de jeunes enfants -, c'était une gageure.
Ce guide de quelques pages, compilation de différentes études sur l'égalité des sexes, brosse tout d'abord un état des lieux circonscrit à ce que l'on observe dans la littérature de jeunesse et le sport et s'agissant du traitement du sujet de la violence, sans qu'il soit nécessaire de lire in extenso les études sources. Ce guide très opérationnel donne aussi des pistes très pratiques à l'égard des séances d'activités. Il invite à lire les manuels en se posant trois questions :
- les personnages féminins et masculins sont-ils représentés de manière paritaire ?
- quelles sont les qualités et les actions attribuées aux hommes et aux femmes ?
- quelles sont les interactions entre hommes et femmes, en particulier un sexe y est-il discriminé ?
Votre intervention complète les éléments statistiques d'appréciation communiqués par le centre Hubertine Auclert et nous aidera à dégager les problématiques de notre thème de travail portant sur les stéréotypes sexués dans les manuels scolaires. Le traitement des représentations des hommes et des femmes, que d'aucuns pourraient considérer comme anodin, est au contraire le creuset d'une culture commune et du vivre-ensemble.
L'ouvrage « Sexes et manuels » pourrait-il servir de guide pratique joint au livre du maître ?
Cet ouvrage, rédigé à l'attention de tous les acteurs, enseignants ou cadres, dans des pays anglophones et francophones, me paraît trop complexe. Il n'a pas été conçu à cette fin ; on pourrait cependant s'en inspirer.
Madame la Présidente, je rejoins vos propos sur l'importance de cette question, qui structure la cohésion sociale et notre culture commune, non seulement en France mais aussi à l'échelle mondiale. Il serait donc intéressant, à moins que vous auditionniez l'UNESCO qui travaille sur ces questions depuis déjà 60 ans.
Le Conseil supérieur des programmes (CSP) au sein duquel siègent des parlementaires, a entrepris une réflexion sur les programmes scolaires. Avez-vous été consultée et associée à ces travaux ?
J'ai participé au comité de pilotage des ABCD de l'égalité et mon laboratoire travaille actuellement conjointement avec une association, le Collectif régional pour l'information et la formation des femmes (CORIF), sur un projet dénommé « Chercheurs citoyens » pour évaluer des actions d'égalité.
Dans le guide que nous avions réalisé pour l'UNESCO, il est proposé d'évaluer chacun des trois pôles que j'ai précédemment cités au titre de l'orientation, la mise en application et les moyens à mettre en oeuvre. Demeure cependant un problème qui perdure depuis des décennies : assurer le développement d'une synergie entre ces trois pôles.
On constate en effet depuis quelques temps des résistances importantes, très inquiétantes à mon avis, contre ce combat pour l'égalité, dont certains, au nom de combats idéologiques qui font fi des valeurs républicaines, en altèrent le sens et les objectifs.
On peut néanmoins trouver quelques encouragements en remarquant que les choses évoluent dans un sens favorable dans d'autres pays. En travaillant avec des collègues de pays africains, qui n'ont pas inscrit l'égalité des sexes dans leur Constitution, j'ai constaté que ces pays s'appuyaient, à défaut, sur des textes internationaux.
On ne peut que regretter qu'en France, les professeurs de l'école primaire qui travaillent sur la question de l'égalité entre les sexes, lorsqu'ils ont été interrogés dans le cadre du projet « NoREVES » (normes de genre et réception de la valeur égalité des sexes par la jeunesse, les parents et les professionnels-les de l'éducation) soutenu par le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais, n'avaient même pas connaissance des textes fondateurs, par exemple de la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons et les femmes et les hommes dans le système éducatif, parue il y a 14 ans ; les écoles supérieures du professorat et de l'éducation devraient y remédier car ces textes sont fondamentaux.