Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 4 février 2014 à 14h30
Économie réelle — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Pierre Moscovici :

L’objet de ce texte n’est donc pas la coercition ou une quelconque échappée punitive contre l’entreprise : il s’agit de généraliser de bonnes pratiques. C’est ainsi que je veux expliquer l’obligation faite à l’employeur de rechercher un repreneur dans l’éventualité d’une fermeture d’établissement. Pour ce faire, la loi décrit les moyens à employer ; rien que le bon sens économique ne commande déjà et qu’une relation intelligente entre les partenaires sociaux ne devance.

Cette loi est une loi non pas de contrôle, mais de vertu, dont l’effet est nul si l’on est soi-même capable de construire une relation intelligente avec les partenaires sociaux et de tenter de trouver des solutions alternatives aux licenciements. Mais, à l’inverse, si un employeur se comporte de façon indélicate, la loi représentera une contrainte pour l’entreprise et une protection pour les salariés. Que chacun, je le répète, assume ses responsabilités !

Je le dis avec franchise et bienveillance, si cette nouvelle obligation est traitée de manière sincère et réelle, alors chacun peut en sortir gagnant. L’idée est en effet d’inciter à des comportements mutuellement vertueux.

Je souhaite toutefois insister sur un autre aspect qui me paraît essentiel. Cette proposition de loi sonne comme un texte stratégique de préservation de notre capital industriel. Les sites industriels sont un tissu vivant, un écosystème riche d’infrastructures et de savoirs, d’unités de production et de services, de conception et d’exécution, de formation et de transmission des compétences. Nous ne regarderons pas s’en aller les sites de production et, si telle entreprise ne peut ou ne veut plus produire à un endroit, il en est d’autres – nouvelles ou existantes – qui peuvent et doivent en bénéficier. Car il faut bien savoir une chose : quand un site ferme, quand il s’arrête totalement pour une durée indéterminée, il est extrêmement difficile de le revitaliser, alors que si l’on entretient sa continuité, l’emploi se redéveloppe plus vite.

Le travail réalisé en commission par votre assemblée a d’ailleurs permis de conserver ce cap, tout en proposant, et je vous en félicite, de rendre plus solide et opérationnel le dispositif prévu. En conséquence, le Gouvernement soutient donc la démarche, l’esprit et la lettre du texte, qui vise à trouver un compromis responsable.

Je souhaite à présent évoquer le second pilier de cette proposition de loi, celui qui concerne l’actionnariat de long terme. À ce stade, je veux rappeler la vision qui est celle du Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons un objectif partagé : la puissance publique doit favoriser l’actionnariat et les investissements de long terme, seuls vraiment créateurs de valeur pour nos industries et nos territoires. Parce que s’inscrire dans le temps long, c’est tout simplement se réconcilier avec l’avenir. Notre modèle à tous, c’est le bâtisseur d’industrie, plutôt que le financier volatile ; c’est le modèle suédois dans sa grande époque, plutôt que le modèle britannique. L’actionnariat durable, c’est aussi l’emploi durable.

Nous avons progressé sur de nombreux aspects lors des débats parlementaires menés d’abord à l’Assemblée nationale puis au Sénat, lors de l’examen du texte en commission. Je tiens ainsi à indiquer que le Gouvernement soutient et partage l’ensemble des amendements adoptés sur cette partie du texte par votre commission des affaires sociales, sur l’initiative de Mme la rapporteur, de M. le rapporteur pour avis de la commission des finances ou de Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Pourquoi les soutenons-nous ? Parce que ces amendements permettent de préciser, de compléter et d’améliorer le texte adopté par l’Assemblée nationale, qui devrait donc souscrire à ces modifications et aux indéniables améliorations qu’elles apportent. Cela explique que le Gouvernement n’ait qu’un très petit nombre d’amendements à proposer sur cette partie. Je vais y revenir.

Je rappellerai d’abord les principaux acquis du texte. La généralisation des droits de vote double et les mesures sur le rythme de progression dans le capital d’une entreprise vont permettre de lutter contre les prises de contrôle « rampantes » par certains investisseurs. L’instauration d’un « seuil de caducité » des offres, qui est une forme de soupape de sécurité en prévention des opérations hostiles, va également contribuer à protéger nos entreprises et à encourager l’investissement de long terme, dans le respect du droit communautaire.

En ne se voyant plus imposer la « neutralité » systématique en période d’offre, les conseils d’administration pourront mettre en place des stratégies de défense en cas d’OPA hostile. C’est une excellente chose.

Enfin, les salariés, qui sont au cœur même de la création de valeur dans l’entreprise, seront désormais consultés en cas d’OPA et pourront s’exprimer, selon une procédure que nous voulons finement cadrer et encadrer.

Sur ce dernier point, je salue les avancées que votre commission a introduites dans le texte en dessinant plus précisément les différentes étapes de la consultation.

Comme je l’avais rappelé lors des débats à l’Assemblée nationale, tant en commission qu’en séance plénière, il est en effet indispensable d’articuler au mieux la procédure d’information-consultation que le texte met en place et la procédure de l’offre publique elle-même. Nous devons en effet veiller à respecter le droit communautaire, et notamment la directive relative aux OPA, qui ne nous permet pas de créer, de facto, des procédures rendant impossible la réalisation d’une offre. C’est dans cet esprit que le Gouvernement a déposé des amendements qui visent à consolider la procédure mise en place par la commission.

Je veux souligner, au-delà des nuances qui pourraient subsister, la grande proximité d’esprit entre le Gouvernement et sa majorité. Nombre des textes que nous avons proposés, et qui ont été substantiellement enrichis par cette assemblée ces derniers mois, viennent soutenir l’ambition de préservation de l’emploi industriel sur notre territoire.

J’espère que cet objectif sera très largement partagé sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.

Cette proposition de loi constitue l’un des leviers en faveur de notre ambition commune pour favoriser et protéger l’actionnariat de long terme et l’industrie dans notre pays. Mais elle ne saurait résumer une politique à elle seule. En renforçant nos entreprises, nous renforçons notre tissu productif, nous préparons les emplois de demain. En agissant sur le financement de l’économie, nous donnons à nos entreprises les moyens de se développer.

C’est précisément l’objectif du pacte de responsabilité dont le Président de la République a pris l’initiative : créer un vrai compromis social permettant de rapprocher toutes les parties prenantes.

Ce pacte, c’est le rassemblement de tous ; ce pacte, c’est le combat commun pour l’emploi. Son objectif est simple : aider les entreprises à être plus compétitives pour investir davantage, pour mieux protéger les emplois et en créer de nouveaux. Il repose sur l’investissement des entreprises et vise à les réconcilier avec l’avenir.

Les entreprises se trouvent dans une sorte d’écosystème ; c’est pourquoi le Gouvernement a souhaité être actif sur toutes les composantes de cet écosystème et a ouvert de nombreux chantiers pour accélérer le redressement industriel de notre pays. La simplification est un pilier fondamental du pacte de responsabilité qui permet aux entreprises de se concentrer sur leur cœur de métier : innover et croître. Cela leur permettra d’embaucher et de protéger leurs salariés.

Dans le même sens, comme le Président de la République l’avait annoncé lors de sa conférence de presse, les assises de la fiscalité des entreprises ont commencé la semaine dernière. Là encore, c’est l’emploi qui est l’obsession du Gouvernement. Il s’agit de créer une justice fiscale et une efficacité fiscale pour l’emploi, en permettant aux entreprises de dégager des marges pour investir et embaucher. C’est le sens du mot « contrepartie », auquel je tiens fondamentalement. Un pacte suppose en effet que chacun donne et reçoive.

Ce compromis, pour que tous soient gagnants et s’engagent pour l’emploi et pour la réindustrialisation du pays, est historique. Je souhaite qu’il puisse transcender les frontières politiques, car c’est bien une politique d’intérêt général qui se dessine ainsi.

En menant cette politique de compétitivité, tout le Gouvernement est mobilisé afin que notre tissu industriel retrouve sa vitalité, sa richesse, son ambition, afin que les entreprises se fassent davantage confiance, se sentent accompagnées et se projettent dans l’avenir en investissant, en innovant, en embauchant. C’est l’esprit du pacte de compétitivité pour la croissance et l’emploi et de sa mesure la plus connue, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

La sanctuarisation du crédit d’impôt recherche va aussi permettre de favoriser l’innovation et donc les emplois de demain.

Je pense aussi à la structuration des filières industrielles, dont Arnaud Montebourg a fait sa priorité. L’hydrogène, l’aluminium, la silver economy sont autant d’exemples prometteurs de filières à structurer et à renforcer.

Je pense à l’effort d’organisation des filières à l’export, mené par Nicole Bricq, pour que nos entreprises, nos grands groupes et nos PME partent ensemble à la conquête de nouveaux marchés, à l’international.

Je pense aussi à la réorientation de l’épargne que je mène pour faciliter le financement de l’économie réelle et aider en particulier les PME, les TPE et les start up porteuses d’idées novatrices et créatrices d’emplois.

Je pense à toutes les autres mesures de simplification, de modernisation, de déconcentration qui seront prises et effectives au cours du prochain trimestre, afin de répondre très rapidement aux problèmes de l’emploi et du tissu industriel français.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la réussite de cette politique implique que les pouvoirs publics soient pleinement engagés, non seulement pour créer les conditions de succès de nos entreprises, mais également sur le terrain, au côté des entreprises elles-mêmes. C’est bien l’ambition, la volonté du Gouvernement que de se donner les moyens d’agir à travers une palette renouvelée d’outils.

Avec Bpifrance, la banque publique d’investissement, banque des territoires, des PME, des entreprises de taille intermédiaire, de l’économie sociale – mon collègue Benoît Hamon, ici présent, en témoignera –, à la création de laquelle vous avez contribué dans un large rassemblement, mesdames, messieurs les sénateurs, et qui fêtera son premier anniversaire la semaine prochaine, nous disposons d’un levier pour que les prises de participations publiques puissent aussi contribuer à stabiliser l’actionnariat et à protéger nos intérêts stratégiques, sur un horizon de détention à moyen et long termes. C’est de l’avenir qu’il s’agit.

Puisque l’industrie française fait partie d’un écosystème, il faut une combinaison d’approches macroéconomiques – j’en ai peu parlé –, financières – je viens d’en dire quelques mots – et microéconomiques, de manière à appréhender toutes les dimensions du défi de l’emploi industriel.

Ce texte est offensif et pragmatique ; il s’inscrit dans une stratégie de lutte pour l’emploi, pour le renforcement de la démocratie dans l’entreprise, pour la protection des intérêts stratégiques français. C’est un texte protecteur pour les salariés, favorable au développement des entreprises, qui les incite à innover et à embaucher. C’est un bon texte, nonobstant les quelques remarques que j’ai formulées et les amendements que le Gouvernement vous soumettra.

Mesdames, messieurs les sénateurs, votre présence nombreuse témoigne l’intérêt que vous manifestez pour ce texte. Vous l’éprouvez sur vos territoires, la crise économique a conduit depuis 2008 à une prise de conscience généralisée de la nécessité de transformer durablement notre système économique pour permettre que l’industrie française soit préservée, relève la tête et reprenne du poil de la bête. Ce texte, dont je suis intimement convaincu qu’il est d’intérêt général et qu’il sera bénéfique pour tous, s’inscrit dans cette logique avec, comme finalité, l’investissement, la protection des salariés, l’embauche. J’espère qu’il obtiendra de la Haute Assemblée une très large majorité, celle qu’il mérite.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion