Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le présent texte a une très forte dimension politique et anachronique.
Politique, parce que, chacun le sait, son objet est de concrétiser un engagement de campagne de celui qui est devenu Président de la République.
Cette proposition de loi visant à reconquérir l’économie dite réelle est en réalité la proposition de loi « Florange », elle-même sœur cadette d’un texte déposé le 28 février 2012 par des députés socialistes, en pleine affaire ArcelorMittal.
Anachronique, car cette proposition a été exhumée d’un autre temps politique : celui qui précédait le revirement social-libéral du Président de la République. D’où le malaise, compréhensible, de certains de ses promoteurs. D’où, surtout, le fait que le texte soit resté une proposition de loi.
Peinant à assumer la responsabilité d’une proposition relevant d’options en décalage avec ses nouvelles orientations, on comprend que l’exécutif ait eu à cœur de la faire endosser par sa majorité parlementaire.
Le problème est que ce choix n’est pas neutre : passer par une proposition de loi permet de contourner la double obligation de consulter les partenaires sociaux et de produire une étude d’impact, cette dernière lacune étant majeure.
En l’absence d’étude d’impact, on ne peut absolument pas savoir si le dispositif proposé peut effectivement maintenir l’activité dans un certain nombre de cas. Si le texte avait été en vigueur au moment de l’affaire Mittal, l’issue aurait-elle été plus favorable ? Même dans l’affirmative, combien de sites et, donc, d’emplois pourraient aujourd'hui encore être concernés ?
A contrario, l’impact négatif des nouvelles obligations et sanctions ne serait-il pas de nature à peser bien plus lourdement sur l’ensemble de l’économie que les éventuels effets bénéfiques que l’on pourrait en attendre ?
Là sont évidemment les questions centrales. Elles demeurent sans réponse.
Face à ce vide, on ne peut que s’interroger sur le caractère avant tout publicitaire et idéologique de cette proposition de loi.
D’abord, ce texte aurait, de l’aveu même de Mme la rapporteur de l’Assemblée nationale, « une portée essentiellement symbolique » et, selon notre rapporteur, il ne concerne « qu’une poignée de cas ».
Ensuite, souvenons-nous-en, lorsqu’il a fallu arbitrer, dans l’affaire Florange, entre une solution de reprise hasardeuse et l’impact en termes d’image pour l’économie française, le Gouvernement a choisi cette dernière solution...
Après avoir tardé pour concrétiser cet engagement électoral, pourquoi déclencher la procédure accélérée, si ce n’est pour faire un coup politique à la veille des élections municipales ? Déclarer la procédure accélérée sur une proposition de loi, c’est original ! Convenons-en, la ficelle est un peu grosse.
Enfin, le choix de la commission saisie au fond au Sénat est également révélateur sur le plan idéologique.
Comme l’a très justement fait observer notre collègue Gérard Longuet en commission, saisir au fond la commission des affaires économiques, c’est admettre que l’économie détermine l’emploi ; saisir au fond la commission des affaires sociales, c’est affirmer que l’emploi peut être administré. Cette dernière option ne correspond évidemment pas à notre manière de voir les choses.
Cela me conduit à évoquer le fond.
Le texte a deux objets distincts : d’une part, garantir que des sites industriels rentables ne puissent à l’avenir être fermés pour des raisons stratégiques et financières sans que tout ait été fait pour trouver un repreneur et, d’autre part, favoriser l’actionnariat de long terme.
Je me concentrerai sur le premier de ces deux volets, qui constitue la raison d’être du texte.
Ce volet ne fait que renforcer les dispositions de l’article L. 1233–90–1 du code du travail. On le sait, cet article, introduit par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui, elle-même, transposait l’article 12 de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, imposait déjà la recherche d’un repreneur en cas de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement.
Alors que l’encre des signataires de l’ANI et celle du législateur ne sont pas encore sèches, la présente proposition de loi renforce les obligations d’information imposées à l’employeur envisageant une fermeture et énumère les actions de recherche d’un repreneur.
Au nombre de celles-ci figure l’obligation « d’engager la réalisation d’un bilan environnemental […] et de présenter les solutions de dépollution envisageables ainsi que leur coût », et nous ne pouvons que nous en féliciter. Cette mesure répond à une préoccupation vivement exprimée par notre collègue Catherine Morin-Desailly, qui avait d’ailleurs préparé une proposition de loi en ce sens dans le cadre du dossier Petroplus.
Par ailleurs, le texte renforce les pouvoirs du comité d’entreprise et, surtout, permet au tribunal de commerce de sanctionner le non-respect de la procédure de recherche. Cette dernière mesure est bien sûr, de loin, la plus significative. Qu’en dire ?
On peut comprendre que la recherche d’un repreneur soit susceptible d’être sanctionnée. Mais pourquoi le serait-elle par le juge ? Nous nous opposons très vivement à cette judiciarisation de la procédure, qui ne peut qu’être source de contentieux et de complexité.
C’est pourquoi nous défendrons un amendement visant à remplacer la sanction judiciaire par une simple sanction administrative, moins lourde, beaucoup plus conforme à l’ANI du 11 janvier 2013 et aux prescriptions du choc de simplification tant attendu.
Plus globalement, il est incontestable que le texte ait été grandement amélioré par la navette parlementaire.
L’avis très critique du Conseil d’État sur sa mouture initiale, en particulier quant à son aspect rédactionnel, a donné lieu à de substantielles modifications en commission à l’Assemblée nationale.
Les députés ont aussi amélioré le texte sur le fond. Singulièrement, nous nous réjouissons que, conformément à la demande de nos collègues du groupe UDI, le montant de la sanction infligée à l’entreprise ait été plafonné à 2 % du chiffre d’affaires, tant il est vrai qu’un tel dispositif doit être le plus équilibré possible.
La quête de cet équilibre s’est poursuivie ici même, en commission. À cet égard, permettez-moi de saluer la démarche de la rapporteur de la commission des affaires sociales, Mme Anne Emery-Dumas, et l’esprit dans lequel elle a travaillé, en abordant cette question avec toute la mesure qui s’impose.
Nous ne pouvons qu’appuyer le rétablissement du seuil de cinquante salariés pour déterminer les sites concernés ou la suppression de « la double peine » consistant à enjoindre l’entreprise sanctionnée de rembourser aussi les aides publiques dont elle aurait pu bénéficier.
Les principales insuffisances du texte provenaient du caractère trop restrictif ou trop flou des notions centrales autour duquel il se structurait.
Tel était encore le cas de la notion de « motif légitime de refus de cession », uniquement définie comme « la mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise ». La commission a eu raison de constater qu’une telle définition ne couvrait pas tous les cas envisageables de motifs légitimes.
A contrario, pourquoi ne pas avoir mieux défini « le caractère sérieux des offres de reprise », comme le recommandait d’ailleurs le Conseil d’État ? C’est là un point clé, et nous défendrons par conséquent un amendement en ce sens.
En dépit de ces améliorations rédactionnelles, s’agit-il d’un texte satisfaisant ?
Nous ne le pensons pas, car il s’agit d’un texte trompeur, qui tend à faire croire que l’on agit pour l’emploi.
Or, chacun le sait, jamais les obligations et sanctions nouvelles n’auront le moindre impact sur la courbe de l’emploi industriel.
Au contraire, elles ne peuvent que desservir l’ensemble de l’économie française, en écornant un peu plus l’image de notre pays, seul à prendre des mesures à rebours de l’évolution actuelle, des mesures susceptibles de dissuader l’investissement dont nous avons, pourtant, si cruellement besoin pour faire repartir la croissance. Au demeurant, vous observerez que les investissements industriels étrangers ont baissé de 77 % entre 2012 et 2013.
On est bien loin non seulement du choc de simplification, mais aussi, et surtout, du choc de compétitivité, dont l’évocation devient chaque année un peu plus incantatoire.
C’est non pas en obligeant et en sanctionnant, mais en gagnant en compétitivité que nous éviterons, demain, de nouveaux Florange ! On le sait, ce sont les emplois les moins qualifiés qui résistent le moins à la concurrence internationale, notamment parce que la dimension fiscale y est trop importante.
Dans ces conditions, il est urgent de déporter les charges pesant sur la production vers la consommation, ce qui, par surcroît, permettrait de toucher les produits d’importation.
Nous pouvions imaginer que la conversion social-libérale du Président de la République le conduirait à cette solution de bons sens, mais l’examen de la présente proposition de loi nous conduit hélas à en douter.
Aussi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l’UDI-UC ne votera pas ce texte. §