Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 4 février 2014 à 14h30
Économie réelle — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, assurer le primat de l’économie réelle sur la finance, tel est l’objectif affiché et louable de cette proposition de loi, portée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale.

Annoncée lors de la première conférence sociale, en juillet 2012, cette proposition de loi vise à mettre en œuvre un engagement du Président de la République : éviter la fermeture d’entreprises et d’usines rentables et lutter contre les licenciements boursiers. Elle fait suite à une série d’autres mesures visant à redresser notre économie : le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, la création de la Banque publique d’investissement et la loi relative à la sécurisation de l’emploi.

Le premier volet de ce texte vise à redonner des perspectives aux salariés des entreprises frappées de délocalisation et de fermeture, alors qu’elles sont rentables. Il s’agit de préserver l’intérêt général, menacé par des fermetures de sites qui risquent de déstructurer le tissu industriel local et national.

De fait, l’industrie française a perdu 2 millions d’emplois en trente ans ; rien qu’au cours des dix dernières années, 750 000 emplois ont disparu. Le phénomène est d’autant plus grave que, depuis 2009, pour deux usines qui ferment, une seule est recréée. L’actualité de ces dernières années a été tristement marquée par des fermetures de sites industriels rentables pour des raisons stratégiques et financières, et la liste des plans sociaux s’allonge de jour en jour.

Les grands groupes industriels en cause obéissent à une logique d’optimisation de leurs profits : leur unique objectif est la maximisation de la richesse de leurs actionnaires, ce qui les conduit à privilégier les dividendes d’aujourd’hui aux emplois et aux investissements de demain. Sous la pression des marchés, certains dirigeants d’entreprise préfèrent payer le prix d’un plan social plutôt que de s’embarrasser d’un site qui ne dégage pas un assez bon retour sur investissement.

C’est ainsi que nous assistons, impuissants, à la disparition de sites qu’un repreneur serait prêt à relancer en garantissant la pérennité des emplois et la survie du territoire. Enrayer cette désindustrialisation, qui provoque de véritables drames humains, suppose plus que jamais la mobilisation de tous les acteurs. Nous ne pouvons pas laisser des entreprises saines fermer sans réagir ; leurs salariés ne le comprendraient pas. Mes chers collègues, le politique ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité !

J’entends bien les inquiétudes que la proposition de loi suscite ici ou là : les uns la trouvent contre-productive, les autres, insuffisante. De notre point de vue, elle représente un bon compromis, qui permettra de préserver l’attractivité de notre territoire tout en protégeant nos salariés et notre tissu industriel. C’est d’autant plus vrai que les travaux des différentes commissions me semblent aller dans le sens d’un meilleur équilibre entre la volonté de sauver des établissements encore rentables et le souci de ne pas décourager les investissements en France.

En vérité, le redressement industriel du pays devient une impérieuse nécessité : dans le dernier classement annuel des pays selon leur indice global de compétitivité, établi par le Forum économique mondial de Davos, la France recule de deux places et figure désormais à la vingt-troisième position, loin derrière la Suisse, l’Allemagne et les États-Unis.

Le second volet de la proposition de loi pose les bases d’un nouveau modèle de gouvernance des entreprises en luttant contre les OPA hostiles et en encourageant les investissements de long terme.

Dans un pays où la part de l’industrie dans la valeur ajoutée est passée en dix ans de 22 % à 16 % – quand, en Allemagne, l’industrie pèse 30 % du PIB –, il est temps de mettre fin au modèle économique que Jean-Louis Beffa qualifie de « libéral-financier » : un modèle qui repose, pour l’essentiel, sur la maximisation du profit des actionnaires à court terme, au détriment de la prise en compte de toutes les parties prenantes à plus long terme. Plus précisément, l’ancien patron de Saint-Gobain loue, dans son ouvrage La France doit choisir, les mérites du modèle allemand : outre-Rhin, l’actionnariat des entreprises, combiné à un arsenal législatif et réglementaire qui les protège contre les OPA hostiles, favorise le développement productif sur la longue durée.

De même, le rapport Gallois nous invite à privilégier les actionnaires qui misent sur le long terme. À cet égard, en 2007 déjà, la mission commune d’information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s’attachent, en ce domaine, à l’attractivité du territoire national proposait d’étendre l’usage des actions à droits de vote multiples, en s’inspirant, par exemple, des pays nordiques. C’est dans cet esprit que la proposition de loi prévoit la mise en place du droit de vote double pour les actionnaires qui restent au capital d’une entreprise pendant au moins deux ans.

Nous savons bien qu’une partie des excès de la planète financière est liée à la recherche de rendements élevés à court terme. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de renforcer l’ancrage actionnarial des sociétés, afin que les centres de décision, les usines et les emplois restent en France.

Je me réjouis aussi que l’Assemblée nationale ait fait de la neutralité des organes de gouvernance en cas d’OPA une exception, et non plus la règle. Alors que la directive européenne du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition, dite directive OPA, laisse aux États la possibilité de choisir un système plus ou moins protecteur, la France a d’abord décidé d’appliquer le principe de neutralité. Aujourd’hui, comme l’Allemagne et le Benelux, nous faisons le choix de ne pas appliquer ce principe, afin de permettre au conseil d’administration d’organiser la défense de l’entreprise face à une OPA hostile.

Parce que ce texte encourage les salariés et les entrepreneurs qui œuvrent quotidiennement pour la survie du tissu industriel sur nos territoires, la majorité des membres du groupe RDSE le votera !

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