Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, « la société tout entière repose sur l’industrie ». C’est en ces termes que le comte de Saint-Simon formula, en 1817, l’axiome principal de sa théorie, qui devait influencer de nombreuses doctrines politiques, en particulier le socialisme.
Spectateur des mutations profondes et révolutionnaires qui agitent la société française à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, Saint-Simon promeut un capitalisme industriel ordonnateur et libérateur qui repose sur l’association étroite entre industriels et ouvriers, censée transcender les intérêts particuliers au nom de l’impérieux intérêt général.
Sans entrer dans la théologie saint-simonienne, il est intéressant de noter que certains principes qui sous-tendent la présente proposition de loi font écho à certaines valeurs défendues par Saint-Simon : la primauté de l’intérêt général, en l’occurrence la pérennité de l’établissement et la sauvegarde de l’emploi des salariés, ainsi que la volonté de solidariser patrons et employés autour de la gouvernance de l’entreprise, par exemple dans le cas d’une offre publique d’achat hostile.
Néanmoins, les liens entre le saint-simonisme et la réalité économique actuelle sont bien faibles. Le chantre de l’industrialisme serait abasourdi de constater que la part de l’industrie dans le PIB français est passée de 33 % en 1975 à 14 % en 2009. Et la tendance semble hélas s’accélérer, puisque 750 000 emplois industriels ont été perdus au cours des dix dernières années.
Les conséquences de cette désindustrialisation brutale sont connues : la dévitalisation de bassins d’emploi et la perte d’attractivité de territoires entiers. Les vastes plans sociaux, allègrement médiatisés, qui ont suivi la crise financière de 2008, illustrent le drame humain que représente la fermeture d’un site, surtout lorsqu’il est encore rentable.
La désindustrialisation accroît le sentiment d’abandon ressenti par certains de nos compatriotes, effrite la cohésion nationale et porte atteinte à un principe écrit au frontispice de notre Constitution : « La France est une République indivisible. » En effet, comment parler d’indivisibilité de la République quand les réalités vécues sur le territoire divergent autant ? Bien sûr, la France est administrativement et juridiquement indivisible, mais elle est socialement fracturée, en rupture, parfois même en détresse.
Le terme « République » ne sert pas uniquement à décrire froidement un régime politique ; la République est également une philosophie.
La République est méritocratique ; elle résonne avec l’égalité des chances, qui est tristement mise à mal aujourd'hui, puisque l’école française est l’une des plus inégalitaires parmi les pays de l’OCDE.
La République, c’est aussi un caractère, un état d’esprit. La tolérance, la tempérance, le refus de l’excès sont constitutifs de ses vertus.
Or le système économique qui s’est imposé progressivement après la révolution industrielle, malgré un court interlude d’une soixantaine d’années pendant lequel le modèle collectiviste a fait illusion, n’est qu’excès.
Excès d'abord quant à la prise de risques, depuis que la mondialisation financière a été parachevée dans les années quatre-vingt. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer la crise des subprimes, qui est à l’origine de l’actuel effort de consolidation budgétaire effectué par de nombreux États.
Excès ensuite quant aux inégalités de richesse : selon le dernier rapport d’Oxfam, 1 % des plus aisés détiennent 50 % des richesses mondiales. En France, l’augmentation du coefficient de Gini et du taux de pauvreté – près de neuf millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté – souligne les effets dévastateurs de la crise, qui a accentué les inégalités et la précarité des plus vulnérables.
Excès enfin quant à la recherche du profit : les logiques court-termistes guidées par l’appât du gain se sont amplement substituées aux réflexions présidant à la définition d’un positionnement stratégique sur le long terme. L’un des principaux objectifs de ce texte est précisément de lutter contre cette dérive, en permettant aux actionnaires des sociétés cotées de bénéficier automatiquement d’un droit de vote double pour les actions nominatives détenues depuis deux ans – article 5 - ou en mettant fin à la neutralité des organes de gouvernance dans l’hypothèse d’une OPA –c’est l’article 8.
De ce bref exposé ressort l’obligation politique de réguler la sphère économique, et singulièrement sa composante financière. Il est inacceptable que l’avidité de quelques actionnaires, dénoncée en son temps par Honoré de Balzac dans La Maison Nucingen, …