Intervention de Benoît Hamon

Réunion du 4 février 2014 à 14h30
Économie réelle — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Benoît Hamon, ministre délégué :

Cette notion est dans le débat public depuis quelque temps, notamment depuis la crise de 2008, qui a montré qu’une économie purement spéculative, financiarisée, caractérisée par une sophistication de l’ingénierie telle que seuls des mathématiciens peuvent s’y retrouver - contrats dérivés, marchés à terme, titrisation -, cette économie peut se retourner contre l’économie réelle, c’est-à-dire contre l’investissement productif.

Ma démonstration sera assez grossière et il faudrait en débattre plus longtemps, mais, pour résumer, entre le capital financier et le capital productif, nous privilégions le second, porté par les investisseurs qui se soucient de faire fructifier leur capital en termes d’emplois productifs.

C’est aussi une manière pour nous de tirer les leçons de ce qui s’est passé en 2008 en revendiquant de soutenir un modèle entrepreneurial qui favorise l’investissement productif plutôt que la rentabilité à court terme.

Ce court-termisme, pointé par plusieurs d’entre vous à la tribune, était, dès 2005, évoqué par un banquier, M. Peyrelevade, éminent soutien d’un candidat centriste aux dernières élections présidentielles, dans son ouvrage Le capitalisme total : ce grand patron dénonçait une logique financière qui conduisait à réclamer un rendement tel au capital investi que cela pouvait parfois se retourner contre l’entreprise elle-même. Ce banquier, à la place qui était la sienne, avait sans doute le regard le plus avisé sur le dévoiement d’un certain capitalisme financier qui aboutit parfois à la destruction des emplois par centaines, par milliers, voire, hélas, par dizaines ou centaines de milliers à l’occasion de la dernière crise.

J’ai tenu à rappeler en commençant les questions légitimes posées par nos concitoyens, car elles se fondent aussi sur une réalité économique que vous avez évoquée les uns et les autres, à savoir la destruction, dans les dix dernières années, de 750 000 emplois industriels. Or l’industrie constitue la colonne vertébrale d’une économie ; j’en veux pour preuve que les économies ayant le mieux résisté à la crise sont celles qui avaient une proportion importante d’industrie dans la valeur ajoutée produite.

C’est pourquoi nous avons fait le choix politique et économique de réindustrialiser l’économie française pour disposer d’une armature beaucoup plus solide et ainsi tourner le dos à ces années maudites de désindustrialisation de notre pays durant lesquelles les emplois d’ouvriers dans les usines ont quitté notre territoire par centaines de milliers.

M. Longuet faisait référence au fameux congrès des sociaux-démocrates allemands de Bad Godesberg, mais je crois qu’il fait une confusion à ce sujet. Aussi, je suis ravi de lui rappeler que, si ce congrès a bien consacré l’abandon, par le parti social-démocrate allemand, de ses références à la lutte des classes et à l’étatisation des moyens de production, cela ne signifiait pas pour autant le renoncement à l’intervention de l’État dans l’économie, bien au contraire.

D’ailleurs, l’abandon de la lutte des classes ne signifiait pas non plus, pour les sociaux-démocrates, qu’ils allaient s’appuyer sur un rapport de force entre des intérêts contradictoires – n’oubliez pas que nous sommes à la charnière des années cinquante et soixante –, ceux des salariés, d’un côté, et ceux des détenteurs du capital, de l’autre, pour construire un dialogue social fécond.

Le congrès de Bad Godesberg n’est donc pas une conversion de la gauche au libéralisme. Je me réjouis d’ailleurs que cette conversion n’ait pas eu lieu en Allemagne, pas davantage qu’elle n’aura lieu en France, même si je n’ignore pas que certains peuvent se revendiquer du libéralisme tout en étant de gauche. Néanmoins, il ne m’a pas échappé que les grandes années où la droite elle-même a réussi à conjuguer politique économique et croissance correspondaient à une époque où elle croyait à l’intervention de l’État. C’est quand la droite s’est convertie au libéralisme que la croissance, comme par hasard, fut beaucoup moins au rendez-vous…

Il faut donc faire attention à ces références historiques, et théoriques. Aujourd’hui, nous avons besoin d’instruments qui nous permettent de lutter plus efficacement contre des pratiques non seulement jugées injustes par nos compatriotes, mais qui sont également contre-productives sur le plan économique.

Qu’allons-nous faire ? Nous allons créer, dans le sillage de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, et de la loi de sécurisation de l’emploi votée en juin, qui reprenait les principes dudit accord, une obligation de recherche d’un repreneur. En conséquence, les salariés, mieux informés grâce à leurs comités d’entreprise, pourront, le cas échéant, contribuer eux-mêmes à la recherche d’une offre pour favoriser la reprise de leur entreprise.

Par ailleurs, s’il est constaté que, manifestement, il n’y a pas eu de recherche d’un repreneur, une pénalité équivalente à vingt fois le SMIC par emploi supprimé pourra être payée par les entreprises n’ayant pas satisfait à leurs obligations légales. Cette éventualité agira en quelque sorte comme une arme de dissuasion.

À mon sens, il s’agit d’une bonne mesure, car, en renchérissant ainsi le coût des plans sociaux et en étant dissuasifs à l’égard des entreprises qui ne voudraient pas être vertueuses, nous montrons la bonne voie en condamnant des pratiques que nous jugeons immorales, surtout en période de crise.

Le pacte de responsabilité est une invitation pour tous, salariés comme dirigeants d’entreprise, à servir l’intérêt général, ce qui exclut de fait les pratiques relevant aujourd’hui de la flibuste économique ou financière, par exemple lorsqu’un patron décide délibérément de fermer un site, même en présence d’une offre de reprise et de maintien des emplois émanant d’un concurrent.

Je me félicite aussi que cette proposition de loi soit de nature à favoriser la lutte contre les OPA hostiles et à privilégier l’investissement durable ou les pactes d’actionnaires patients. Là encore, pour ne prendre que des références d’outre-Rhin, rappelons que le capitalisme rhénan s’est fondé sur des pactes d’actionnaires à long terme, …

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