Intervention de Danielle Michel

Réunion du 5 février 2014 à 21h30
Débat sur l'avenir de l'exploitation cinématographique indépendante

Photo de Danielle MichelDanielle Michel :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, président du Festival de Cannes en 2009, Quentin Tarantino avait poussé un cri du cœur que je reprends à mon compte ce soir, en guise de propos liminaire : « Vive le cinéma ! »

Oui, vive le cinéma ! Et vive sa diversité ! En France, le cinéma est comme une « évidence » !

Et à Paris, capitale historique en ce domaine, c’est le cas plus que n’importe où ailleurs. Ici, chaque semaine, plus de 400 écrans, dont près d’une centaine labélisée « art et essai », diffusent plus de 500 films. Des grands complexes côtoient les salles indépendantes. Des films à gros budget partagent l’affiche avec des réalisations plus anonymes.

Un tel succès trouve ses racines non loin d’ici, rue de Rennes, là où les frères Lumière décidèrent d’organiser la première diffusion publique. C’était en 1895.

Et, 120 ans après, des chiffres témoignent du dynamisme du secteur en France. Le nombre d’entrées enregistrées en 2011 atteint 217 millions, un niveau inégalé depuis près de 50 ans. La fréquentation a fortement progressé depuis le début des années quatre-vingt-dix. La France est aussi le premier des vingt-huit pays de l’Union européenne en part de marché de son cinéma national, avec 30 % à 40 % en moyenne, contre 5 % à 20 % chez nos voisins. Il y a un rayonnement culturel non seulement du cinéma en France, mais également du cinéma français lui-même.

Je salue alors les victoires essentielles que notre gouvernement et vous-même, madame la ministre, avez remportées en 2013 pour l’exception culturelle !

Le septième art représente également pour notre pays une activité économique de premier plan. C’est un secteur stratégique qui mobilise directement des dizaines de milliers d’emplois sur notre territoire !

En définitive, notre cinéma conjugue performance et expression d’une immense diversité, de toutes les diversités.

Il s’agit d’abord d’une diversité de la programmation. Que les films répondent à un registre codifié, partagé par un large public ! Qu’ils soient plus confidentiels ! Qu’ils bousculent les formes établies par le sujet choisi et/ou par leur construction esthétique !

C’est aussi une diversité des publics et des types d’établissements : multiplexes ou salles labélisées « Art et essai », qui répondent à un cahier des charges spécifique.

Enfin, le maillage territorial répond à une ambition d’aménagement culturel du territoire et permet aux cinémas d’être présents en centre-ville, en zone périurbaine ou dans les territoires ruraux !

Cette offre probante, inégalée dans le monde, est le fruit d’un long combat politique qui fait vivre une diversité de lieux et d’œuvres ! Elle est le résultat d’un modèle de financement vertueux dans lequel ce sont les marchés de la diffusion eux-mêmes qui, sous presque toutes leurs formes et tous leurs supports, contribuent directement au renouvellement de la création grâce aux taxes affectées !

Ce modèle redistributif, de l’aval vers l’amont, est historiquement celui de la politique de soutien au cinéma et à l’audiovisuel, et ce depuis la création du Centre national du cinéma et de l’image animée – CNC –, établissement public garant de cet écosystème.

Mais ce combat doit aujourd’hui se poursuivre ! Parce que l’évolution du cinéma est aujourd’hui marquée par des incertitudes.

Rappelons des données récentes.

Depuis 2009, les 200 millions d’entrées avaient toujours été atteintes. Cela n’aura pas été le cas en 2013 ! Pour la première fois depuis dix ans, aucun film n’a dépassé les 5 millions d’entrées. Et, malgré des succès notables, singulièrement en fin d’année, il y aura eu moins de films français que les années précédentes à atteindre le million de spectateurs.

C’est donc une fluctuation à la baisse du cinéma en France ces dernières années, et du cinéma français lui-même !

Rappelons ensuite que si les résultats globaux résistent en vérité mieux qu’ailleurs, ils masquent des réalités très contrastées.

Alors que quelques grands succès ont une part essentielle dans l’évolution des entrées, de nombreux films sont réduits, en parallèle, à des parcours très chaotiques et éclairs. La part des films de budgets moyens, les « films du milieu », a, quant à elle, fortement, diminué.

Quels sont alors les risques pour l’avenir ?

Que le fossé se creuse entre les différents types d’établissements, entre les salles appartenant aux grands groupes et les salles indépendantes, qui disposent de peu d’écrans ! Ne l’oublions pas, 80 % de salles représentent 20 % des entrées.

Que cette concentration affaiblisse les logiques de solidarité, notamment territoriales.

Que cette bipolarisation remette en cause, au final, l’accès de toutes et de tous à une offre large et de qualité.

Ces déséquilibres menacent, en réalité, l’efficacité de notre modèle vertueux, qui allie diversité culturelle et prospérité économique. Ils appellent, de la part des responsables politiques, l’engagement d’un nouveau plan d’actions, qui s’inscrive une fois de plus dans la durée.

Certes, les raisons de cette baisse de fréquentation sont multifactorielles et en partie conjoncturelles : crise économique, diminution du pouvoir d’achat, absence de très gros succès en 2013.

Cependant, les nombreux défis qui s’imposent aujourd’hui au cinéma correspondent surtout à des évolutions profondes et durables : la modification des rythmes médiatiques et de leur enchaînement ; des changements technologiques considérables et rapides ; une évolution sensible des pratiques sociales en matière de consommation des images ; une logique de service dont la dématérialisation est croissante ; une « chronologie des médias » dont les fondements datent de plus de vingt ans et qui est devenue obsolète au regard des évolutions culturelles, sociales et technologiques mentionnées.

Au final, cela entraîne des perturbations non négligeables du modèle de financement du secteur !

Sur le plan technologique, le passé nous enseigne que, face aux fluctuations de la fréquentation, les discours alarmistes ont toujours existé. Ainsi, l’effondrement du nombre des entrées dans les salles depuis la fin des années soixante et jusque dans les années quatre-vingt-dix a pu être expliqué par la montée en puissance de la télévision et par la multiplication des supports de diffusion.

Le cinéma, en toute logique, était appelé à voir d’autres supports le supplanter ! Mais depuis 1992, la diversification de l’offre, qui ne s’est jamais démentie, n’aura pas empêché les entrées en salle d’augmenter de près de 90 % ! Cette remontée en puissance s’explique par un volontarisme politique, engagé sur plusieurs décennies. Là est la clé !

Une « symbolique » du cinéma entretenue au plus niveau politique en tant qu’art, en tant que média singulier et en tant que pratique sociale. Une « symbolique », qui s’est traduite dans le renouvellement et la diversification du parc des salles en France !

Oui, le dynamisme de ce secteur et ce qu’il défend – socialement et économiquement – sont étroitement liés à la gestion des salles et à leur exploitation, à tous ces entrepreneurs indépendants, salariés ou bénévoles, qui font vivre le cinéma sur tous nos territoires !

C’est à ce niveau que le débat se situe ce soir, à juste titre selon moi.

La « salle » se trouve en effet à une étape charnière : en aval de la filière cinématographique ; en amont de la chronologie des médias et d’une longue séquence d’exploitation. Elle est désormais concurrencée horizontalement par d’autres modes de diffusion dans un système audiovisuel et multimédias innovant. Sans parler de la concurrence des salles entre elles !

L’exploitant se trouve également, nous le savons, à la source du financement de la création.

En somme, aujourd’hui, comme hier, la problématique posée aux politiques publiques en matière de cinéma est la suivante : quel est le devenir des salles face aux évolutions contemporaines, qu’elles soient technologiques, économiques ou sociologiques ?

La bonne régulation de l’exploitation des salles est un levier pour maintenir ces deux caractéristiques du modèle français, à savoir la pérennité d’un tissu industriel vivant et le maintien d’une production diverse et attractive.

Or les plus petits établissements, qui sont aussi les plus nombreux, rencontrent des difficultés. J’en citerai quelques-unes.

Le déploiement de la numérisation a entraîné un coût très important. Ces efforts n’auraient pas été possibles sans un dispositif de régulation et un soutien public. Dans mon département, toutes les salles ont été numérisées grâce à des aides financières publiques, à hauteur de 80 % !

Le pouvoir de négociation semble être de plus en plus restreint pour les exploitants indépendants face aux distributeurs : se pose la question de l’accès aux copies numériques dans un système de plus en plus concentré, très favorable aux grosses structures !

Le rapport de la commission « diffusion » du CNC du 8 juillet 2013 a mis en lumière le fait que la petite exploitation connaît des conditions d’approvisionnement moins favorables.

La médiatrice du cinéma a été saisie à de nombreuses reprises sur les difficiles conditions d’accès aux films au-delà des premières semaines d’exploitation et des exigences économiques devenues trop lourdes.

Alors que les cinémas indépendants ont un très faible accès aux titres, les grands exploitants se positionnent de leur côté sur le cinéma indépendant « porteur ».

La concurrence frontale s’intensifie. Elle est d’autant plus déséquilibrée et préjudiciable que les multiplexes réagissent en termes de rentabilité, et non en termes d’aménagement du territoire et de diversité.

Dans le passé, les petits exploitants avaient su gagner du terrain afin d’accéder plus rapidement aux films. Aujourd’hui, ces notions de circulation et de partages ne sont plus valides.

Cela entraîne deux types de conséquences négatives : sur le plan économique, d’une part ; en termes de diversité de l’offre, d’autre part !

Dans les grandes villes universitaires, mais aussi dans les villes moyennes et en milieu rural, les salles d’art et d’essai, qui accueillent près de 50 millions de spectateurs par an, partagent l’ambition de défendre et de promouvoir le pluralisme dans la diffusion et la création, notamment face à l’hégémonie renforcée du modèle hollywoodien et à une concentration toujours plus forte. Cette ambition sera de plus en plus difficile à respecter en l’absence d’une régulation repensée !

Ce qui est alors demandé, c’est que les choix de programmation restent, autant que possible, de la responsabilité de l’exploitant, et non pas qu’ils soient contraints ou réalisés par défaut !

Dans ce contexte mouvant, en évolution technologique perpétuelle, et économiquement incertain, les exploitants ne restent d’ailleurs pas inactifs ! Ils développent des politiques d’action culturelle tournées vers l’accompagnement de public de proximité : festival ou avant-premières, reprises, etc.

Par ailleurs, la salle n’est plus considérée comme simple lieu de projection, elle devient également un lieu de réunion, de débat, d’exposition !

Le soutien aux salles de proximité sur nos territoires est un facteur essentiel.

Dans mon département, le conseil général, avec ses partenaires, conduit en la matière une politique dynamique et ambitieuse, et se positionne sur l’ensemble de la chaîne, de la création des films jusqu’à la projection pour le public, du producteur à l’exploitant.

Le soutien à la diffusion passe aussi par l’aide au maintien d’un parc de salles de qualité et par un accompagnement financier des communes ou groupements de communes dans leurs projets de construction, d’aménagement et d’équipement des salles de cinéma.

Actuellement, le département des Landes renouvelle, avec le CNC notamment, une convention de développement cinématographique et audiovisuel pour les années 2014 à 2016. Sans ce genre d’actions, le devenir des salles de cinéma indépendantes, qu’elles soient privées, associatives ou publiques, serait menacé.

Pour autant, un nouveau plan d’action global est nécessaire. Je le constate, c’est le sens de la politique que vous conduisez, madame la ministre. Je pense à la négociation récente menée avec la Fédération nationale des cinémas français, à laquelle tous les exploitants adhèrent, en faveur du jeune public : quatre euros la place pour les moins de quatorze ans en contrepartie d’une baisse de TVA !

Des premières réformes ont été engagées pour moderniser le financement de la création, et y associer la contribution de nouveaux acteurs et de nouveaux publics.

Vous entendez apporter des réponses pérennes !

Les assises pour la diversité du cinéma français organisées le 23 janvier 2013 à votre demande se sont inscrites dans ce cadre. Elles ont permis de rappeler la pertinence du modèle de financement de notre industrie cinématographique. Elles ont confirmé la nécessité de procéder à de nouvelles adaptations de ce système dont la réforme régulière est un gage d’efficacité.

Des études ont été menées « pour un meilleur financement du cinéma d’auteur » et sur « l’économie des films français ».

Des rapports remarqués ont avancé des préconisations : je pense au rapport de la mission « Acte II de l’exception culturelle » et au rapport, que vous a remis en début d’année M. Bonnell, sur « le financement de la production et de la distribution cinématographique à l’heure du numérique ».

Ont ainsi été proposées cinquante propositions au service de quels objectifs ?

D’abord, une meilleure répartition du risque entre les professionnels existants et à venir du secteur. Ensuite, une réorientation des financements existants vers, notamment, « des films du milieu ». Enfin, une amélioration de la diffusion des œuvres pour renforcer et diversifier les débouchés des films fragiles sur les différents marchés, en particulier dans les salles.

Sur ce dernier point, sont notamment envisagés : de nouveaux accords sur des conditions générales de location qui prévoiraient une exposition minimale des films ; un dialogue entre exploitants et distributeurs pour mieux favoriser l’accès des œuvres aux salles, en particulier d’art et d’essai ; une meilleure promotion des œuvres en salles en des termes commerciaux raisonnables.

Des réflexions sont aujourd’hui en cours et donneront lieu à des mesures au service d’un cinéma divers, exigeant et populaire !

À ce jour, madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions quant au calendrier des travaux et de la mise en œuvre de ces propositions, qui visent à favoriser notamment un meilleur accès aux copies numériques pour les salles indépendantes ?

Le projet de loi création, tant attendu, sera vraisemblablement le support pour traiter, au moins en partie, la question. Avez-vous un calendrier d’examen de ce texte à nous communiquer ? §

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