La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Carle.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de l’exploitation cinématographique indépendante, organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à M. Pierre Laurent, au nom du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en demandant l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de la séance publique, nous avons voulu placer le Parlement au cœur des réflexions, et parfois des polémiques, qui agitent le cinéma français – singulièrement au cours de l’année écoulée – et dont le Parlement n’est malheureusement pas assez souvent saisi à nos yeux.
L’année 2013 a en effet été très mouvementée pour le cinéma français. Que son modèle soit attaqué, son fonctionnement critiqué, ou bien, au contraire, érigé en modèle, l’intensité de l’actualité aura au moins permis de confirmer la vivacité de l’exigence autour de la création, de l’exploitation et de la diffusion cinématographique dans notre pays.
Rien n’est jamais acquis en la matière, nous le savons. Vous connaissez la devise qui fut l’emblème des états généraux de la culture animés notamment par Jack Ralite et qu’il convient de garder à l’esprit à propos du grand écran : « le cinéma français se porte bien… pourvu qu’on le sauve ».
Je parlais des débats animés de l’année écoulée. Ce fut, par exemple, la tribune de Vincent Maraval qui, extrêmement critique, a créé la controverse et ouvert la réflexion sur le mode de financement du cinéma français et sa transparence.
Je pense également aux négociations relatives à la convention collective du cinéma dont l’extension nécessaire provoqua un choc entre la condition sociale de nombreux salariés et les conditions de production et de viabilité financière des films à budget moyen.
Je pense aussi au débat sur le mandat européen pour les futures négociations transatlantiques au cours duquel, rassemblés, tous les acteurs du monde du cinéma et de nombreux responsables politiques français ont défendu le principe d’exception culturelle face aux attaques libérales répétées tendant à assimiler le cinéma à un bien marchand ordinaire.
Oui, les mécanismes originaux de financement et la vitalité de la création du cinéma français doivent être chaque jour défendus, si nous voulons que ce dernier conserve qualité et diversité. Si sa situation reste enviée en comparaison de celle qui prévaut dans de nombreux autres pays, n’oublions pas qu’elle est due à des choix qui ont été faits à temps et qui doivent être sans cesse renouvelés et enrichis pour relever aujourd’hui de nouveaux défis afin de préserver la diversité acquise.
C’est l’un de ces défis, trop souvent ignoré, que nous avons voulu aborder ce soir, celui de l’exploitation cinématographique et, notamment, des salles les plus fragiles, au moment où le renouvellement du matériel numérique comme l’accélération des concentrations aiguisent cette fragilité. Les débats, aussi intenses et variés qu’ils aient été, ne se sont pas, ou trop rarement, consacrés à la question essentielle des salles.
Pourtant, cette question mérite d’être posée, car les salles de cinéma sont un maillon essentiel de la chaîne cinématographique. De leur nombre et de leur nature dépend l’accessibilité d’une grande variété de la production cinématographique, donc la viabilité même de cette production. Au final, c’est le principe de diversité culturelle qui est en jeu.
Bien entendu, les salles de cinéma ne sont plus, tant s’en faut, le seul moyen de diffusion. La diversité des usages numériques bouleverse tout, mais les salles restent le cœur vivant du système de diffusion, celui qui fait du cinéma un lien social et culturel à nul autre pareil.
Je voudrais donc plaider ici pour le maintien des salles de cinéma dites « indépendantes » dont l’équilibre économique et l’existence sont menacés par l’implantation de multiplexes. Quand je parle de salles « indépendantes », dont la définition reste d’ailleurs assez floue et fait parfois l’objet de débats, j’évoque les salles qui ne sont pas des filiales d’une structure industrielle ou financière, et qui n’appartiennent pas non plus à un grand groupe d’exploitation, tel que Gaumont-Pathé, UGC ou MK2.
Ces salles peuvent revêtir des formes diverses : salles de cinéma municipales, associatives, ou même privées, et sont autant de garanties d’une diversité cinématographique et d’accès. Comment assurer les conditions de leur existence et de leur maintien ? Voilà la question à laquelle j’aimerai que nous réfléchissions ensemble.
Cette question, nous en avons débattu lors d’un colloque organisé au Sénat le 14 novembre dernier à mon invitation et sur l’initiative des organisations qui ont lancé, en avril dernier, un manifeste pour la défense de l’exploitation indépendante : je veux parler du Groupement national des cinémas de recherche, le GNCR, et de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion, l’ACID, auxquels se sont joints des élus locaux et toute une série de salles indépendantes.
En effet, un nombre important de multiplexes ont été créés ces dernières années, déstabilisant les petites et moyennes salles de cinéma, notamment celles qui font l’objet d’une exploitation indépendante.
En 1996, le Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, recensait 22 multiplexes. Ils sont 181 en 2012, ce qui correspond à la création d’une dizaine de multiplexes par an en moyenne, et ce mouvement est loin d’être achevé : plus de 45 projets d’implantation, concernant majoritairement des multiplexes, ont été déposés en 2013, un record inégalé depuis 2001.
Ces multiplexes mettent en cause l’existence des cinémas indépendants, captant leurs publics, fragilisant leur équilibre économique et remettant en question leur vocation de diffusion culturelle. Ainsi, en 2012, les multiplexes représentent seulement 8, 9 % des salles de cinéma, mais captent 60 % des entrées et 70 % des recettes.
Avec une approche cinématographique largement dominée par les seuls critères de rentabilité d’exploitation, les salles multiplexes font courir à la création un risque croissant : laisser en dehors des écrans un grand nombre de films et étouffer l’effort de nombreuses salles de cinéma indépendantes pour maintenir une véritable politique de programmation attentive à la qualité de l’œuvre, grâce à la diversité des films diffusés et à une forte représentation de films d’art et d’essai.
Les salles indépendantes subissent la concurrence directe, chaque année plus pesante, des multiplexes, qui diffusent d’ailleurs eux aussi de plus en plus de films classés « art et essai », mais souvent uniquement ceux qui sont jugés « porteurs », c’est-à-dire qui sont amenés à rencontrer un large succès auprès du public. Or il s’agit précisément des films qui permettent aux salles indépendantes de maintenir un équilibre financier, les aidant à mener à bien la globalité de leur projet de programmation culturelle variée et audacieuse. L’accès des salles indépendantes aux copies nécessaires est donc de plus en plus difficile, sans qu’elles obtiennent pour autant des copies de films commerciaux.
La concentration croissante de l’activité d’exploitation remet en cause, lentement mais sûrement, la pérennité de ces salles indépendantes et met en péril une diversité des salles inséparable de la diversité des œuvres proposées.
Même avec les meilleures intentions du monde – en élargissant le nombre de salles multiplexes au service de la diffusion accrue du cinéma –, le risque est de laisser s’installer progressivement une véritable standardisation de l’offre culturelle cinématographique, aggravée par des durées de vie en salle de plus en plus courtes. Seules les salles indépendantes assurent encore la diffusion et la durée de vie de certains films, supposés moins rentables : films d’auteurs, premières œuvres, etc.
Pour prendre un exemple d’actualité, L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie rencontre aujourd’hui le succès et apporte à l’auteur la reconnaissance de son talent, avec de nombreuses nominations aux Césars. Mais quelles salles ont montré, pendant des années, les précédents films d’Alain Guiraudie ? Sûrement pas les réseaux les plus commerciaux.
L’hégémonie des multiplexes et la fragilisation des salles de cinéma indépendantes peuvent, dans certaines zones, signifier la fin d’un cinéma de proximité, entendu au sens géographique du terme, mais aussi au sens d’un cinéma ouvert aux citoyens-spectateurs. Les multiplexes sont le plus souvent implantés en périphérie des villes, quand les salles indépendantes l’étaient majoritairement au cœur des villes, même si, désormais, les multiplexes s’attaquent aussi à l’implantation en centre-ville, précisément là où ont disparu les petits cinémas indépendants.
Un seul multiplexe, par le gigantisme qui caractérise ce type de salles cinématographiques, menace l’existence de plusieurs salles indépendantes, tant sa zone d’attractivité est grande. Une des conséquences de ce phénomène peut être l’éloignement toujours plus grand du public des lieux de diffusion. Comment favoriser l’accès de tous à la culture et réduire les barrières symboliques entre certains films et les spectateurs si on augmente sans cesse la distance géographique entre les lieux de représentation et les spectateurs et si la diversité de l’offre se réduit là où l’accès à la culture devrait être démultiplié ? Cette évolution pose donc des questions en termes d’aménagement du territoire, mais aussi, et surtout, de démocratisation culturelle.
La question n’est pas d’abord quantitative. Qui dit salle indépendante dit souvent, aujourd’hui, projet éducatif et culturel. C’est même probablement dans cette direction que l’effort public et associatif devrait être encouragé pour soutenir le maintien d’un réseau original de diffusion à côté des plus grandes salles et des multiplexes.
Les salles de cinéma indépendantes sont souvent seules à mettre en œuvre des actions culturelles et des activités éducatives autour du cinéma. Elles conçoivent leur rôle au-delà de la simple diffusion des films et accompagnent ceux-ci par un véritable travail d’animation, inscrit dans la durée. Elles sont des lieux ouverts où sont organisés des débats, des séances avec les réalisateurs, des lieux de partage autour de l’œuvre.
Par ce travail, elles permettent la rencontre d’une œuvre avec son public, particulièrement pour les films à petit budget, qui sont les moins médiatisés, mais qui, contrairement aux idées reçues, deviennent alors souvent des films financièrement équilibrés. C’est d’ailleurs de ces constats qu’est née la volonté de réglementer l’implantation des salles de cinéma. Elle est apparue tardivement en France, puisqu’elle surgit pour la première fois en 1996, en réaction à l’implantation d’un multiplexe à Caen.
Le Gouvernement introduit alors un nouveau chapitre relatif aux équipements cinématographiques dans le code de commerce, complétant ainsi la loi « Royer » afin de maîtriser les conditions d’implantation. Il soumet à l’autorisation de la commission départementale d’équipement commercial et de la commission nationale d’équipement commercial siégeant en matière cinématographique la création des ensembles de salles de cinéma de plus de 1 500 places, seuil relevé à 2 000 places, afin de faire échec à certains comportements d’opérateurs qui tentaient de contourner la nécessité d’une autorisation en construisant des équipements juste au-dessous de la taille critique.
Cette procédure qui a abouti, depuis 1997, à l’autorisation de 75 % des projets, ce qui est déjà considérable, a été encore assouplie par la réforme de 2007. En effet, la conformité de la législation française de l’urbanisme commercial aux règles communautaires était contestée par la Commission européenne, dans le cadre du précontentieux qu’elle a engagé contre la France.
Il est cependant important de noter que, contrairement au régime de droit commun en matière d’équipement commercial, le principe du régime d’autorisation des salles de cinéma n’était pas contesté en tant que tel par les autorités communautaires, mais que la procédure a néanmoins été modifiée dans la loi de modernisation de l’économie.
La Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne admettent, en effet, que la préservation de la diversité culturelle et du pluralisme en tant qu’objectif de politique culturelle constitue une raison impérieuse d’intérêt général pouvant justifier certaines restrictions à la liberté d’établissement prévue à l’article 43 du traité instituant la Communauté européenne, le TCE.
Enfin, la Cour de justice européenne a reconnu que certains objectifs liés à la promotion, à l’échelon national, de la culture pouvaient constituer des raisons impérieuses d’intérêt général compatibles avec les dispositions de l’article 43 du TCE.
Pour autant, les commissions départementales d’équipement commercial, les CDEC, et la commission nationale d’équipement commercial, la CNEC, ont été remplacées dans cette loi par les commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC, et par la commission nationale d’aménagement commercial, la CNAC. Les commissions d’aménagement cinématographique, et notamment leurs critères de décisions, qui deviennent beaucoup plus généraux, ont été réformées.
Désormais, les projets seront autorisés, ou non, au regard de deux grandes catégories d’objectifs : la diversité cinématographique, d’une part, et l’aménagement culturel du territoire, le développement durable et la qualité de l’urbanisme, d’autre part.
Les trois premiers critères, en vigueur dans la précédente loi, ont été supprimés. Il s’agissait de l’offre et de la demande globales de spectacles cinématographiques en salles dans la zone d’attraction concernée – fréquentation cinématographique observée dans la zone, situation de la concurrence, accès des films en salles, ou encore accès des salles aux films. Il s’agissait également de la densité d’équipement en salles de spectacles cinématographiques dans cette zone, mesurée par la nature et la composition du parc des salles. Il s’agissait, enfin, de l’effet potentiel du projet sur la fréquentation cinématographique, sur les salles de spectacles de la zone d’attraction et sur l’équilibre souhaitable entre les différentes formes d’offre de spectacles cinématographiques.
Au lieu de ces critères précis, la loi fait dorénavant mention, de manière très générale, de « l’effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs », en fonction des projets de programmation des salles.
En réalité, la référence explicite aux salles de spectacles cinématographiques, à leur nature et au respect d’un équilibre entre les différentes formes d’offre de spectacles en salles a disparu.
Il en résulte que le nombre de projets autorisés ne cesse de croître : 78 % d’autorisation depuis l’instauration du nouveau régime.
Ainsi, la procédure actuelle ne nous semble pas suffisante pour lutter contre le risque de concentration de l’exploitation. C’est pourquoi nous souhaitons réengager le débat sur les modalités d’une politique publique rénovée, en faveur de la diversité cinématographique.
Il nous semble indispensable de créer une procédure d’implantation cinématographique véritablement fondée sur des critères culturels, qui garantisse la diversité des lieux de diffusion. Pour ce faire, la diversité doit être affichée comme un objectif en tant que tel.
Parce que la culture n’est pas un bien commercial comme les autres et que la réglementation actuelle ne permet pas l’existence d’acteurs à même d’assurer la vitalité et la diversité de la création cinématographique, il faut prendre en considération l’effet des implantations sur les cinémas existants.
Ne devrait-on pas, pour favoriser la politique d’art et d’essai et de recherche, définir de manière précise ce que sont ces salles indépendantes ? Inscrire une définition juridique de ces dernières dans le code du cinéma et de l’image animée permettrait de mieux les reconnaître et de mieux les protéger. La question mérite d’être débattue.
Toujours est-il qu’il faudrait engager sans attendre une réforme de la procédure d’implantation des salles de cinéma, et fixer comme préalable à toute nouvelle implantation le respect de la diversité culturelle, de la diversité des offres de salles de cinéma, et le nécessaire maintien des salles de cinéma indépendantes.
Œuvrer pour la réforme des dispositions législatives relatives à la procédure d’implantation permettrait de poser les premiers jalons d’une réflexion plus large sur les moyens d’une politique rénovée de soutien à la diversité cinématographique.
Bien sûr, la seule réforme de la procédure d’implantation ne peut suffire à assurer la survie des salles indépendantes face à la concurrence des multiplexes.
Plus largement, il faut donc engager une réflexion sur les politiques de soutien au cinéma, notamment sur les montants et les modalités d’attribution des aides et subventions.
La question se pose notamment de la politique de promotion de la diversité par le classement art et essai. Cette politique permet à un millier de cinémas français, soit la moitié du parc environ, d’accéder à des subventions.
Si les modalités de calcul et les critères d’appréciation du travail de programmation des cinémas méritent sans doute d’être clarifiés, il n’en demeure pas moins que cette politique qualitative favorise la diversité des œuvres proposées sur les écrans français, lesquels, en cela, se distinguent fortement des autres écrans européens.
Les moyens dévolus à cette politique sont cependant insuffisants. Ils ne permettent pas aux cinémas concernés de maintenir ces politiques volontaristes d’animation territoriale autour du cinéma face à la concurrence des établissements commerciaux, qui exploitent également les films d’art et d’essai dits « porteurs ».
Une réévaluation des moyens dévolus à la politique d’art et d’essai serait donc nécessaire pour que ces cinémas puissent mener une action pérenne. Il faudrait également revoir les critères d’attribution des aides et du classement, en réévaluant la dimension de programmation et d’animation des salles de proximité.
Dans la concurrence qui oppose les cinémas indépendants aux multiplexes des circuits nationaux, la possibilité de programmer les films d’art et d’essai trouvant un large public est, pour les salles indépendantes, une nécessité économique.
Les mesures susceptibles de permettre en priorité l’accès des salles indépendantes aux films doivent donc être favorisées. Pour préserver ces salles, il faut limiter la possibilité pour les grands multiplexes de s’assurer l’exclusivité de l’exploitation de ces films, et mieux encadrer les obligations de programmation des grands groupes.
Il me semble également nécessaire de réfléchir à l’élargissement de l’assiette de la taxe spéciale additionnelle, ou TSA.
Actuellement, cette taxe ne porte que sur les recettes des entrées de cinéma. Pourtant, les profits réalisés par les multiplexes reposent désormais sur d’autres produits, comme les achats de confiseries et les revenus publicitaires. Le cinéma est même transformé, dans certains projets d’implantation, en produit d’appel pour la consommation d’autres biens. Nous pensons donc qu’il faudrait élargir l’assiette de la TSA, pour que l’ensemble des recettes concourant au chiffre d’affaires des cinémas, y compris les revenus publicitaires, participent au financement des salles.
Ces volets d’actions sont intrinsèquement liés les uns aux autres. Ils allient la régulation du marché cinématographique pour une concurrence maîtrisée, la mise en place d’incitations fortes de politiques publiques en faveur de l’action culturelle, et la garantie pour les salles indépendantes de disposer des outils nécessaires pour faire face à la concurrence accrue que représentent les nombreuses créations, récentes ou à venir, de multiplexes.
Ces différentes actions sont nécessaires, car beaucoup de salles sont en danger.
À l’heure où les menaces pesant sur les budgets des collectivités territoriales et des associations, partenaires souvent indispensables de ces salles de cinéma, se font plus pressantes, la responsabilité des pouvoirs publics et du législateur est grande.
Pour conclure, je le répète, le cinéma français se porte bien… pourvu qu’on le sauve. Je souhaite que notre débat ne soit pas que l’occasion de prononcer de belles paroles : il doit ouvrir la porte à de nouvelles et indispensables évolutions législatives. Le groupe CRC est prêt à prendre, dès demain, toutes les initiatives nécessaires, en allant jusqu’au dépôt d’une proposition de loi, à laquelle il a déjà largement travaillé.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Danielle Michel applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’associer au propos qui va suivre mes collègues du groupe UDI-UC, et en particulier Catherine Morin-Desailly, passionnée par ces thèmes culturels.
Les vingt dernières années ont été marquées par des mouvements de flux et de reflux au sein de l’exploitation cinématographique française, aussi bien en termes d’ouvertures et de fermetures de salles qu’en termes de fréquentation.
Nous le savons tous, l’apparition des grands complexes multisalles au début des années 1990 est le principal élément venant éclairer ce phénomène. De 22 multiplexes dénombrés par le CNC en 1996, on est passé à 176 en 2011, soit une dizaine de plus chaque année en moyenne. Par ailleurs, 36 projets d’implantation de multiplexes ont été déposés devant les commissions départementales d’aménagement cinématographique en 2013, un record inégalé depuis 2001.
Si les implantations massives ont permis au parc en salles de se redéployer et ont favorisé une hausse de la fréquentation, ce processus s’est fait aux dépens d’une grande partie de l’exploitation cinématographique déjà en place, en particulier dans les moyennes et petites villes.
Dans ce contexte, le parc indépendant dit d’art et d’essai a réussi jusqu’alors à se maintenir grâce à son engagement dans un processus d’opposition à l’uniformisation, qui passe par une programmation particulière et une activité d’animation intense – notamment en direction du jeune public – soutenues par les instances française et européenne, ainsi que par la présence d’un public souvent très fidèle. Le goût de types de cinématographies donnés, le respect de certains principes – voir les films en version originale, par exemple – ou le sentiment de bien-être engendré par un lieu font que la plupart de ces spectateurs restent attachés à « leur » établissement.
Pendant quelque temps, l’avenir de l’exploitation cinématographique a donc semblé pouvoir se dessiner sur la base de ce duopole, avec, d’un côté, les grands complexes cinématographiques commerciaux et, de l’autre, les salles indépendantes développant des politiques d’éducation à l’image.
Mais aujourd’hui comment appréhende-t-on l’équilibre entre les deux types d’établissements ? Je défendrai ici trois objectifs.
Le premier objectif est l’éducation culturelle. Il est plutôt de l’apanage des salles indépendantes d’apporter un accompagnement plus précis à l’éducation par l’image, notamment grâce aux dispositifs « École au cinéma », « Collège au cinéma », et « Lycéens et apprentis au cinéma ».
Ensuite, le deuxième objectif, – il importe que le Sénat y soit sensible – c’est l’aménagement équilibré du territoire. La plupart du temps, les salles d’art et d’essai sont implantées au cœur des petites ou moyennes villes. Elles sont un élément structurant de l’animation culturelle et sociale, impliquées et en parfaite adéquation avec les désirs des associations, des structures ou des politiques culturelles de leur cité.
Enfin, – c’est le troisième objectif – pour un développement harmonieux à côté des multiplexes, qui répondent à un besoin et témoignent du dynamisme du cinéma, il faut préserver les artisans du cinéma, les indépendants, dont le parti pris et la passion du métier assurent une diversité culturelle à notre territoire.
Tous ces points remplissent, d’ailleurs, les critères d’un développement durable !
Ainsi, dans la continuité des politiques publiques menées depuis cinquante ans en matière de préservation de la diversité, une nouvelle politique culturelle apte à garantir la diversité des lieux de diffusion des œuvres doit être engagée.
Cette politique devrait notamment redéfinir les modalités de la régulation de l’implantation de nouvelles salles. Les commissions départementales d’aménagement cinématographique intéressées prendraient alors en considération, dans la procédure d’autorisation des établissements nouveaux, leur effet sur les cinémas existants, et particulièrement sur les cinémas qui jouent, grâce à la politique d’art et d’essai, un rôle d’intérêt général.
Cette politique devrait également renforcer la politique de promotion de la diversité que représente le classement art et essai, notamment par une clarification des modalités de calcul et des aides apportées aux salles. Ces financements devraient permettre une certaine péréquation horizontale et prendre réellement en compte la programmation et l’animation comme principaux critères d’évaluation.
Par ailleurs, s’il faut, d’une part, favoriser l’accès aux films pour les cinémas d’art et d’essai, il est nécessaire, d’autre part, de respecter les accords conventionnels qui encadrent la diffusion. En effet, les cinémas d’art et d’essai indépendants doivent avoir accès aux copies des films plus facilement. Certaines salles sont pénalisées par le circuit de distribution actuel. En outre, les accords entre les indépendants et les géants nationaux doivent être confortés. Il faut affirmer cet équilibre.
Ainsi, la multidiffusion d’un même film au sein des multiplexes doit être encadrée. Par exemple, la pratique dite du « cealsing » – pratique qui consiste à diffuser un même film à partir d’une seule copie sur plusieurs écrans en simultané – ne doit être qu’exceptionnelle.
Une politique ambitieuse en la matière devrait se saisir d’un autre sujet fondamental : le renouvellement du matériel numérique. Si des dispositifs et des financements ont pu être élaborés pour l’équipement des salles, rien n’a été prévu concernant le renouvellement du matériel, alors que l’obsolescence de ces technologies est très rapide.
Il m’apparaît donc comme urgent de réfléchir collectivement, puissance publique et organisations professionnelles, aux modalités d’une aide pérenne pour la mutation numérique de ces salles. Sans cela, nous risquons de voir le parc de salles se scinder en deux avec, d’un côté, les salles qui seront toujours équipées des nouvelles technologies, les technologies dernier cri, et, de l’autre, les salles ne pouvant pas, dans certains cas, diffuser certains films en raison d’un équipement vétuste.
Enfin, madame la ministre, de façon plus large, et même si je sais que c’est difficile d’un point de vue financier, l’État devrait pouvoir réfléchir, dans le cadre de ses compétences, à la mise en place d’aides spécifiques à la diffusion culturelle cinématographique, en concertation avec les collectivités territoriales volontaires.
Et, comme vous le savez, le président du Centre national du cinéma et de l’image animée, ou CNC, a chargé notre ancien collègue Serge Lagauche d’une mission d’évaluation de la nouvelle procédure d’autorisation et de ses impacts au regard de la diversité de l’offre et de l’aménagement du territoire. Le rapport, qui doit être rendu dans les prochains jours, fait état des auditions menées. Toutes concluent au caractère indispensable du maintien de la procédure d’autorisation préalable d’aménagement cinématographique.
Mes chers collègues, le cinéma est un art, et pas seulement une industrie ! La reconnaissance par les pouvoirs publics d’une telle affirmation implique que des politiques culturelles claires et efficaces protègent cette industrie artistique toute particulière.
Car, ne l’oublions pas, au-delà même du rôle de diffusion culturelle, de diffusion des arts, des cultures et des savoirs, les salles de cinéma indépendantes sont des lieux de débats et d’échanges dans nos villes, des lieux de partage entre nos concitoyens, que nous avons le devoir de défendre et de promouvoir.
La situation de concurrence frontale et profondément inégale que subissent les cinémas indépendants trouvera-t-elle une issue par l’organisation d’une énième table ronde sous l’égide du ministère ou par le retour d’une politique culturelle à la ligne claire et précise ?
Je souhaite que l’ambition politique soit au rendez-vous, au service du cinéma français, de l’exception culturelle et de la préservation de l’importance que nous avons de tout temps prêtée à la culture.
M. Michel Le Scouarnec. À nous la découverte de nouvelles réalisations, de nouvelles créations artistiques ! Néanmoins, je constate que la dernière séance n’attire pas forcément la foule.
Nouveaux sourires.
Car, dans ce débat, il s’agit avant tout du plaisir de découvrir certaines œuvres dites « plus confidentielles » que n’offrent pas toujours de grands multiplexes, qui n’ont pas l’audacieuse idée de proposer à leurs spectateurs ces films, en raison de la recherche prioritaire de la rentabilité financière.
Madame la ministre, les temps de crise ne sont hélas pas « le temps des cerises » pour la culture ! §Le budget continue de baisser régulièrement. Parent pauvre, la culture souffre ; elle ne va pas très bien. De l’enthousiasme, même si vous en avez, il en faudrait sans doute beaucoup plus de la part du Gouvernement pour insuffler un vrai souffle progressiste, à savoir considérer la culture comme un outil d’émancipation humaine et de progrès social. Il nous faut des actes majeurs, afin d’être à la hauteur des ambitions d’André Malraux.
Pourtant, depuis une vingtaine d’années, le manque d’implication dans les affaires culturelles est criant. Les structures perdurent tant bien que mal, alors que les moyens diminuent en continu. L’exemple des cinémas indépendants ou municipaux illustre parfaitement cette situation, comme l’a rappelé Pierre Laurent.
Les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, avaient pour projet de porter une politique nationale dans chaque territoire. Malgré tout, la culture subit de plein fouet la disparité des situations d’un territoire à l’autre. L’État, censé être garant d’égalité de traitement, devrait remplir son rôle de subsidiarité auprès des collectivités locales, afin de réduire les charges financières ; mais il ne le fait pas ! Et que dire de la situation du spectacle vivant, de la création artistique, de la presse et des salles de cinéma indépendantes, tant l’obscurité du tunnel semble épaisse ?
L’art et la culture à l’école ne se limitent pas à l’enseignement de l’histoire-géographie. Ils répondent plutôt à des enjeux d’éducation : acquisition d’une culture commune et d’une ouverture d’esprit, formation à la citoyenneté ou à la lutte contre les inégalités… Ils constituent un véritable instrument de réussite scolaire, un vrai tremplin pour la vie.
Les différents projets d’école ou de collège au cinéma témoignent de l’importance des actions de médiation en faveur du jeune public, qui, bien souvent, n’a pas un accès évident aux salles culturelles dans nos territoires ruraux.
Je suppose que pratiquement tout le monde connaît Auray, dans le Morbihan. §
Dans cette commune, un cinéma indépendant, engagé dans ces initiatives et porteur d’une programmation exigeante mais abordable par tous, a eu maille à partir avec l’implantation de multiplexes aux alentours dans nos grandes villes – quand je dis « grandes », cela vaut pour le Morbihan ; elles le seraient peut-être moins en région parisienne –, comme Lorient, Lanester ou Vannes. Ainsi, Auray va également perdre son petit cinéma, qui ne tient même plus à un fil et qui va malheureusement disparaître d’ici à quelques mois avec sa petite salle d’art et d’essai. Ce sera une vraie perte, car ce cinéma représente un lien de proximité et un apport de qualité.
Il faut que cohabitent les « petites salles » et les multiplexes dans un aménagement raisonné du territoire. Si les petites salles proposent, certes, une offre plus diversifiée et contribuent au lien social et culturel fort, les multiplexes permettent malgré tout également d’accueillir un nombre plus important de spectateurs, ce qui est positif pour la création de films.
Mais, de grâce, ne multiplions pas les multiplexes ! §Aidons d’abord et avant tout les petites salles à survivre et à rayonner ; elles en ont le plus grand besoin !
Ainsi, pour faire vivre l’action culturelle, plus particulièrement cinématographique, et pour viser la diversification des publics, il faut une politique forte, passionnée et ambitieuse. Il faut tendre à une vraie démocratie culturelle par une meilleure appropriation de tous des enjeux et des valeurs.
Pour y parvenir, il nous faut un service public refondé en concertation avec les professionnels du secteur et tenant compte de leurs besoins au service de la population. Il faut intégrer les collectivités territoriales, qui se sont largement impliquées et ont beaucoup investi ces dernières années, notamment à travers la création de salles de cinéma municipales. Elles attendent un engagement fort de l’État.
Je souhaiterais également élargir le débat en rappelant la situation préoccupante des intermittents du spectacle, ces professionnels sans qui nos écrans de cinéma resteraient désespérément noirs. Du désespoir, les intermittents en sont accablés, tant la responsabilité d’un déficit imaginaire pèse sur leurs épaules.
Les annexes VIII et X, unanimement reconnues comme indispensables pour la promotion et la richesse des pratiques culturelles professionnelles de notre pays, sont arrivées à échéance au 31 décembre 2013. Il est donc urgent d’apporter des réponses à des professionnels du spectacle vivant et de l’audiovisuel qui doutent légitimement pour leur avenir.
Sans le système d’intermittence, il n’y aurait pas de droit à une juste rémunération pour eux et donc pas d’offres artistiques de qualité pour les spectateurs.
De plus, la négociation des annexes VIII et X serait l’occasion de procéder à une répartition plus juste des allocations versées aux intermittents, notamment les plus précaires d’entre eux – je pense par exemple au cas des congés maternité pour les intermittentes – et de lutter efficacement contre les pratiques abusives de certains employeurs qui usent de ces dispositions pour employer des salariés permanents.
C’est d’ailleurs souvent le cas dans les entreprises de production cinématographiques ou audiovisuelles.
Toutefois, une telle réforme ne devrait pas s’effectuer au détriment des artistes, des interprètes ou des techniciens en augmentant considérablement le nombre d’heures exigées ou en réduisant les allocations. Elle doit les accompagner au mieux dans leur profession.
Avant d’envisager une exploitation cinématographique indépendante forte, il nous faut songer à sauvegarder, à pérenniser et à développer le système de l’intermittence.
Notre regard sur l’exploitation cinématographique ne peut pas non plus s’envisager sans les prismes, d’une part, des droits d’auteurs et, d’autre part, de la reconnaissance de la spécificité des métiers d’exploitants de salles de cinéma indépendantes. Voilà deux questions qui mériteraient, elles aussi, un débat pour que l’exception culturelle française, dont nous sommes tous fiers dans cette assemblée, ne se conjugue pas au passé dans les années à venir.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, le cinéma comme la culture ne seront jamais un supplément d’âme. Au contraire, dans ces temps d’austérité, la culture est ce qui permet de maintenir un destin individuel, mais aussi de participer à l’élaboration d’un destin collectif.
C’est tout le sens de l’engagement du groupe CRC en faveur de la relance des politiques publiques de l’art et de la culture et pour la refondation d’un grand service public de la culture permettant de rendre accessibles à toutes et à tous les œuvres de l’humanité sur l’ensemble du territoire.
Jean Vilar en rêvait ; à nous de le concrétiser, à nous de le partager ! §
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, président du Festival de Cannes en 2009, Quentin Tarantino avait poussé un cri du cœur que je reprends à mon compte ce soir, en guise de propos liminaire : « Vive le cinéma ! »
Oui, vive le cinéma ! Et vive sa diversité ! En France, le cinéma est comme une « évidence » !
Et à Paris, capitale historique en ce domaine, c’est le cas plus que n’importe où ailleurs. Ici, chaque semaine, plus de 400 écrans, dont près d’une centaine labélisée « art et essai », diffusent plus de 500 films. Des grands complexes côtoient les salles indépendantes. Des films à gros budget partagent l’affiche avec des réalisations plus anonymes.
Un tel succès trouve ses racines non loin d’ici, rue de Rennes, là où les frères Lumière décidèrent d’organiser la première diffusion publique. C’était en 1895.
Et, 120 ans après, des chiffres témoignent du dynamisme du secteur en France. Le nombre d’entrées enregistrées en 2011 atteint 217 millions, un niveau inégalé depuis près de 50 ans. La fréquentation a fortement progressé depuis le début des années quatre-vingt-dix. La France est aussi le premier des vingt-huit pays de l’Union européenne en part de marché de son cinéma national, avec 30 % à 40 % en moyenne, contre 5 % à 20 % chez nos voisins. Il y a un rayonnement culturel non seulement du cinéma en France, mais également du cinéma français lui-même.
Je salue alors les victoires essentielles que notre gouvernement et vous-même, madame la ministre, avez remportées en 2013 pour l’exception culturelle !
Le septième art représente également pour notre pays une activité économique de premier plan. C’est un secteur stratégique qui mobilise directement des dizaines de milliers d’emplois sur notre territoire !
En définitive, notre cinéma conjugue performance et expression d’une immense diversité, de toutes les diversités.
Il s’agit d’abord d’une diversité de la programmation. Que les films répondent à un registre codifié, partagé par un large public ! Qu’ils soient plus confidentiels ! Qu’ils bousculent les formes établies par le sujet choisi et/ou par leur construction esthétique !
C’est aussi une diversité des publics et des types d’établissements : multiplexes ou salles labélisées « Art et essai », qui répondent à un cahier des charges spécifique.
Enfin, le maillage territorial répond à une ambition d’aménagement culturel du territoire et permet aux cinémas d’être présents en centre-ville, en zone périurbaine ou dans les territoires ruraux !
Cette offre probante, inégalée dans le monde, est le fruit d’un long combat politique qui fait vivre une diversité de lieux et d’œuvres ! Elle est le résultat d’un modèle de financement vertueux dans lequel ce sont les marchés de la diffusion eux-mêmes qui, sous presque toutes leurs formes et tous leurs supports, contribuent directement au renouvellement de la création grâce aux taxes affectées !
Ce modèle redistributif, de l’aval vers l’amont, est historiquement celui de la politique de soutien au cinéma et à l’audiovisuel, et ce depuis la création du Centre national du cinéma et de l’image animée – CNC –, établissement public garant de cet écosystème.
Mais ce combat doit aujourd’hui se poursuivre ! Parce que l’évolution du cinéma est aujourd’hui marquée par des incertitudes.
Rappelons des données récentes.
Depuis 2009, les 200 millions d’entrées avaient toujours été atteintes. Cela n’aura pas été le cas en 2013 ! Pour la première fois depuis dix ans, aucun film n’a dépassé les 5 millions d’entrées. Et, malgré des succès notables, singulièrement en fin d’année, il y aura eu moins de films français que les années précédentes à atteindre le million de spectateurs.
C’est donc une fluctuation à la baisse du cinéma en France ces dernières années, et du cinéma français lui-même !
Rappelons ensuite que si les résultats globaux résistent en vérité mieux qu’ailleurs, ils masquent des réalités très contrastées.
Alors que quelques grands succès ont une part essentielle dans l’évolution des entrées, de nombreux films sont réduits, en parallèle, à des parcours très chaotiques et éclairs. La part des films de budgets moyens, les « films du milieu », a, quant à elle, fortement, diminué.
Quels sont alors les risques pour l’avenir ?
Que le fossé se creuse entre les différents types d’établissements, entre les salles appartenant aux grands groupes et les salles indépendantes, qui disposent de peu d’écrans ! Ne l’oublions pas, 80 % de salles représentent 20 % des entrées.
Que cette concentration affaiblisse les logiques de solidarité, notamment territoriales.
Que cette bipolarisation remette en cause, au final, l’accès de toutes et de tous à une offre large et de qualité.
Ces déséquilibres menacent, en réalité, l’efficacité de notre modèle vertueux, qui allie diversité culturelle et prospérité économique. Ils appellent, de la part des responsables politiques, l’engagement d’un nouveau plan d’actions, qui s’inscrive une fois de plus dans la durée.
Certes, les raisons de cette baisse de fréquentation sont multifactorielles et en partie conjoncturelles : crise économique, diminution du pouvoir d’achat, absence de très gros succès en 2013.
Cependant, les nombreux défis qui s’imposent aujourd’hui au cinéma correspondent surtout à des évolutions profondes et durables : la modification des rythmes médiatiques et de leur enchaînement ; des changements technologiques considérables et rapides ; une évolution sensible des pratiques sociales en matière de consommation des images ; une logique de service dont la dématérialisation est croissante ; une « chronologie des médias » dont les fondements datent de plus de vingt ans et qui est devenue obsolète au regard des évolutions culturelles, sociales et technologiques mentionnées.
Au final, cela entraîne des perturbations non négligeables du modèle de financement du secteur !
Sur le plan technologique, le passé nous enseigne que, face aux fluctuations de la fréquentation, les discours alarmistes ont toujours existé. Ainsi, l’effondrement du nombre des entrées dans les salles depuis la fin des années soixante et jusque dans les années quatre-vingt-dix a pu être expliqué par la montée en puissance de la télévision et par la multiplication des supports de diffusion.
Le cinéma, en toute logique, était appelé à voir d’autres supports le supplanter ! Mais depuis 1992, la diversification de l’offre, qui ne s’est jamais démentie, n’aura pas empêché les entrées en salle d’augmenter de près de 90 % ! Cette remontée en puissance s’explique par un volontarisme politique, engagé sur plusieurs décennies. Là est la clé !
Une « symbolique » du cinéma entretenue au plus niveau politique en tant qu’art, en tant que média singulier et en tant que pratique sociale. Une « symbolique », qui s’est traduite dans le renouvellement et la diversification du parc des salles en France !
Oui, le dynamisme de ce secteur et ce qu’il défend – socialement et économiquement – sont étroitement liés à la gestion des salles et à leur exploitation, à tous ces entrepreneurs indépendants, salariés ou bénévoles, qui font vivre le cinéma sur tous nos territoires !
C’est à ce niveau que le débat se situe ce soir, à juste titre selon moi.
La « salle » se trouve en effet à une étape charnière : en aval de la filière cinématographique ; en amont de la chronologie des médias et d’une longue séquence d’exploitation. Elle est désormais concurrencée horizontalement par d’autres modes de diffusion dans un système audiovisuel et multimédias innovant. Sans parler de la concurrence des salles entre elles !
L’exploitant se trouve également, nous le savons, à la source du financement de la création.
En somme, aujourd’hui, comme hier, la problématique posée aux politiques publiques en matière de cinéma est la suivante : quel est le devenir des salles face aux évolutions contemporaines, qu’elles soient technologiques, économiques ou sociologiques ?
La bonne régulation de l’exploitation des salles est un levier pour maintenir ces deux caractéristiques du modèle français, à savoir la pérennité d’un tissu industriel vivant et le maintien d’une production diverse et attractive.
Or les plus petits établissements, qui sont aussi les plus nombreux, rencontrent des difficultés. J’en citerai quelques-unes.
Le déploiement de la numérisation a entraîné un coût très important. Ces efforts n’auraient pas été possibles sans un dispositif de régulation et un soutien public. Dans mon département, toutes les salles ont été numérisées grâce à des aides financières publiques, à hauteur de 80 % !
Le pouvoir de négociation semble être de plus en plus restreint pour les exploitants indépendants face aux distributeurs : se pose la question de l’accès aux copies numériques dans un système de plus en plus concentré, très favorable aux grosses structures !
Le rapport de la commission « diffusion » du CNC du 8 juillet 2013 a mis en lumière le fait que la petite exploitation connaît des conditions d’approvisionnement moins favorables.
La médiatrice du cinéma a été saisie à de nombreuses reprises sur les difficiles conditions d’accès aux films au-delà des premières semaines d’exploitation et des exigences économiques devenues trop lourdes.
Alors que les cinémas indépendants ont un très faible accès aux titres, les grands exploitants se positionnent de leur côté sur le cinéma indépendant « porteur ».
La concurrence frontale s’intensifie. Elle est d’autant plus déséquilibrée et préjudiciable que les multiplexes réagissent en termes de rentabilité, et non en termes d’aménagement du territoire et de diversité.
Dans le passé, les petits exploitants avaient su gagner du terrain afin d’accéder plus rapidement aux films. Aujourd’hui, ces notions de circulation et de partages ne sont plus valides.
Cela entraîne deux types de conséquences négatives : sur le plan économique, d’une part ; en termes de diversité de l’offre, d’autre part !
Dans les grandes villes universitaires, mais aussi dans les villes moyennes et en milieu rural, les salles d’art et d’essai, qui accueillent près de 50 millions de spectateurs par an, partagent l’ambition de défendre et de promouvoir le pluralisme dans la diffusion et la création, notamment face à l’hégémonie renforcée du modèle hollywoodien et à une concentration toujours plus forte. Cette ambition sera de plus en plus difficile à respecter en l’absence d’une régulation repensée !
Ce qui est alors demandé, c’est que les choix de programmation restent, autant que possible, de la responsabilité de l’exploitant, et non pas qu’ils soient contraints ou réalisés par défaut !
Dans ce contexte mouvant, en évolution technologique perpétuelle, et économiquement incertain, les exploitants ne restent d’ailleurs pas inactifs ! Ils développent des politiques d’action culturelle tournées vers l’accompagnement de public de proximité : festival ou avant-premières, reprises, etc.
Par ailleurs, la salle n’est plus considérée comme simple lieu de projection, elle devient également un lieu de réunion, de débat, d’exposition !
Le soutien aux salles de proximité sur nos territoires est un facteur essentiel.
Dans mon département, le conseil général, avec ses partenaires, conduit en la matière une politique dynamique et ambitieuse, et se positionne sur l’ensemble de la chaîne, de la création des films jusqu’à la projection pour le public, du producteur à l’exploitant.
Le soutien à la diffusion passe aussi par l’aide au maintien d’un parc de salles de qualité et par un accompagnement financier des communes ou groupements de communes dans leurs projets de construction, d’aménagement et d’équipement des salles de cinéma.
Actuellement, le département des Landes renouvelle, avec le CNC notamment, une convention de développement cinématographique et audiovisuel pour les années 2014 à 2016. Sans ce genre d’actions, le devenir des salles de cinéma indépendantes, qu’elles soient privées, associatives ou publiques, serait menacé.
Pour autant, un nouveau plan d’action global est nécessaire. Je le constate, c’est le sens de la politique que vous conduisez, madame la ministre. Je pense à la négociation récente menée avec la Fédération nationale des cinémas français, à laquelle tous les exploitants adhèrent, en faveur du jeune public : quatre euros la place pour les moins de quatorze ans en contrepartie d’une baisse de TVA !
Des premières réformes ont été engagées pour moderniser le financement de la création, et y associer la contribution de nouveaux acteurs et de nouveaux publics.
Vous entendez apporter des réponses pérennes !
Les assises pour la diversité du cinéma français organisées le 23 janvier 2013 à votre demande se sont inscrites dans ce cadre. Elles ont permis de rappeler la pertinence du modèle de financement de notre industrie cinématographique. Elles ont confirmé la nécessité de procéder à de nouvelles adaptations de ce système dont la réforme régulière est un gage d’efficacité.
Des études ont été menées « pour un meilleur financement du cinéma d’auteur » et sur « l’économie des films français ».
Des rapports remarqués ont avancé des préconisations : je pense au rapport de la mission « Acte II de l’exception culturelle » et au rapport, que vous a remis en début d’année M. Bonnell, sur « le financement de la production et de la distribution cinématographique à l’heure du numérique ».
Ont ainsi été proposées cinquante propositions au service de quels objectifs ?
D’abord, une meilleure répartition du risque entre les professionnels existants et à venir du secteur. Ensuite, une réorientation des financements existants vers, notamment, « des films du milieu ». Enfin, une amélioration de la diffusion des œuvres pour renforcer et diversifier les débouchés des films fragiles sur les différents marchés, en particulier dans les salles.
Sur ce dernier point, sont notamment envisagés : de nouveaux accords sur des conditions générales de location qui prévoiraient une exposition minimale des films ; un dialogue entre exploitants et distributeurs pour mieux favoriser l’accès des œuvres aux salles, en particulier d’art et d’essai ; une meilleure promotion des œuvres en salles en des termes commerciaux raisonnables.
Des réflexions sont aujourd’hui en cours et donneront lieu à des mesures au service d’un cinéma divers, exigeant et populaire !
À ce jour, madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions quant au calendrier des travaux et de la mise en œuvre de ces propositions, qui visent à favoriser notamment un meilleur accès aux copies numériques pour les salles indépendantes ?
Le projet de loi création, tant attendu, sera vraisemblablement le support pour traiter, au moins en partie, la question. Avez-vous un calendrier d’examen de ce texte à nous communiquer ? §
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1988, dans le film Cinema Paradiso, Philippe Noiret nous communiquait, ainsi qu’à tant d’autres spectateurs, le goût complice du beau cinéma, le plaisir inoubliable des grands films, l’atmosphère incomparable des salles obscures.
Voilà un film qui, j’en suis sûr, sera revenu à l’esprit de beaucoup d’entre nous en abordant le débat que le groupe CRC nous propose ce soir, un débat légitime et important, pour un sujet sur lequel nous avons, je le pense, de nombreuses préoccupations en commun.
Si le titre que j’évoquais à l’instant réveille en nous un souvenir nostalgique, ce n’est pas seulement celui d’un film et d’acteurs que nous avons aimés, c’est aussi celui d’un monde du cinéma qui nous a fait rêver, avec ses projectionnistes, ses personnages, ses artisans. Aujourd'hui, ce monde s’interroge.
Nos collègues du groupe CRC, en effet, n’en appellent pas à la nostalgie : ils ont souhaité un débat sur l’avenir de l’exploitation cinématographique indépendante. Et c’est bel et bien vers l’avenir qu’il faut nous tourner !
Déjà, à l’époque de Cinema Paradiso, le cinéma de loisir, à travers les films à grand spectacle, existait et se taillait la part du lion dans ce qu’il faut bien appeler l’industrie cinématographique.
Cette dualité, c’est celle que nous retrouvons dans le domaine de la diffusion des œuvres : les grands multiplexes des grosses compagnies accueillent un public toujours plus nombreux, mais les salles indépendantes, confrontées, d’une part, à cette concurrence et, d’autre part, aux mutations, notamment technologiques, de cette activité, rencontrent des difficultés croissantes.
La première question que je souhaite évoquer dans ce débat sur l’avenir des salles indépendantes, c’est, par conséquent, celle de cette structure duale du réseau de diffusion des œuvres cinématographiques.
Si celle-ci peut s’envisager comme une pression forte de la concurrence des grands acteurs du secteur sur les petites salles, elle n’est pas pour autant exclusive de certaines vertus, à condition, et c’est le cas, que les pouvoirs publics veillent à préserver une politique de redistribution intelligente entre les deux.
La France, grâce à sa politique en faveur de la diversité culturelle, est parvenue à protéger cet écosystème dans lequel les salles d’art et d’essai permettent à un large public d’accéder à des œuvres souvent plus exigeantes, souvent aussi moins rentables, que celles qui sont diffusées par les grands distributeurs.
Les acteurs de la distribution cinématographique indépendante se caractérisent eux-mêmes par une réelle diversité : ce sont les salles privées, les salles associatives, ou encore les salles publiques, ces dernières étant souvent adossées à une politique culturelle communale très volontariste.
Ce sont aussi des festivals de cinéma, qui favorisent la découverte et l’accès à des œuvres méconnues, parfois françaises, parfois étrangères, mais très fréquemment situées hors des circuits commerciaux traditionnels.
Dans ma commune de Conflans-Sainte-Honorine, nous avons à la fois une salle indépendante, située en centre-ville et dont la programmation est d’une très grande qualité, et un multiplexe plus éloigné, bénéficiant évidemment d’une forte fréquentation.
Si la concurrence existe et que nous devons veiller à préserver un équilibre qui, bien sûr, n’est pas naturel, cette situation de dualité propre à la France fait de nous un pays en pointe dans la défense de l’exception culturelle. C’est un fait qu’en France, plus qu’ailleurs, l’accès à des œuvres originales et de qualité est possible.
Pour autant, les salles de cinéma indépendantes subissent, en raison même de leur exigence artistique, une situation commerciale complexe.
Leur taux de rentabilité n’est pas comparable et ne peut pas se comparer à celui des grands distributeurs, qui diffusent les films en fonction du nombre d’entrées escompté, et réalisent de phénoménales économies d’échelle par la taille et la concentration de leurs salles.
Il y a quelques mois, madame la ministre, le Groupement national des cinémas de recherche vous a remis le Manifeste pour une exploitation indépendante, qui a eu le mérite d’ouvrir la discussion sur un certain nombre de préoccupations.
Il faut, bien sûr, entendre ces inquiétudes, par exemple s’agissant des modalités de la régulation des implantations de salles nouvelles.
Il faut aussi intégrer les réflexions sur la façon de mieux coordonner l’action culturelle cinématographique avec les actions éducatives, tant il est vrai que l’éducation à l’image des jeunes publics est un enjeu de pédagogie immédiat et d’avenir pour les pratiques culturelles.
De manière générale, comme le soulignent avec raison les membres de l’Association pour le cinéma indépendant et sa diffusion, le soutien aux salles indépendantes est partie prenante du soutien à la création indépendante. En effet, sans la rencontre avec le public que permet le diffuseur, en salle ou en festival, les œuvres cinématographiques ne peuvent pas avoir d’existence réelle.
Or cette dualité que j’évoquais met en jeu ni plus ni moins que la coexistence de la dimension marchande et même industrielle existant dans le cinéma avec la dimension artistique, dont la rentabilité n’est qu’une considération accessoire.
Dans ce contexte, comment les pouvoirs publics peuvent-ils agir sur le marché international de l’industrie cinématographique de manière à protéger l’exception culturelle française, à laquelle nous sommes tous profondément attachés ? Il ne s’agit pas, vous l’avez bien compris dans mes propos, de déconsidérer l’industrie cinématographique en tant que telle : elle participe des loisirs et des divertissements, elle crée de la richesse et des emplois.
Tout l’enjeu consiste dès lors à ne pas sacrifier le septième art aux seules considérations économiques et aux seuls mécanismes de marché.
C’est bien là, madame la ministre, qu’intervient l’action de votre administration, dans toute sa légitimité et dans toute sa nécessité.
Il s’agit, très concrètement, d’apporter une assistance spécifique à l’exploitation cinématographique indépendante, fondée sur le constat que ces salles jouent un rôle précieux et irremplaçable dans les domaines de la diversité culturelle, de la diffusion des œuvres, de l’éducation des publics, un rôle de quasi-service public, oserai-je dire.
Sourires.
Dans ce cadre, les défis à relever par les salles indépendantes sont nombreux et l’aide à leur apporter est diverse.
Le défi technologique est ainsi essentiel : la numérisation des salles constitue un saut à effectuer, nécessaire mais coûteux. Dans ce domaine aussi, les petites salles sont désavantagées. Le Centre national du cinéma et de l’image animée a mis en place un outil extrêmement utile, sous forme de subvention, destiné à l’aide sélective à la modernisation des salles sous-équipées. Les collectivités territoriales participent bien souvent à ce type de dispositifs.
Enfin, demeure la question de la régulation des autorisations accordées, en matière d’exploitation commerciale, par la Commission nationale et les commissions départementales en ayant la charge et relevant du ministère. C’est un vrai sujet, car ces équipements participent à l’aménagement de nos territoires sur un plan aussi essentiel que l’accès à des offres culturelles originales.
Dans ce domaine aussi existent des inégalités territoriales, qu’il revient aux pouvoirs publics de réduire. Sans doute pourrait-on réfléchir à davantage associer les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, à ces décisions d’autorisation d’exploitation. C’est du moins, me semble-t-il, l’une des pistes de réflexion que certains d’entre vous ont déjà évoquées.
Au moment de conclure, chers collègues, je tiens à adresser de nouveau mes remerciements au groupe CRC, qui nous permet de parler de cinéma ce soir, ce qui n’est pas si fréquent dans cet hémicycle !
Mais le débat que nous avons montre surtout les grands enjeux relatifs à l’avenir de l’exploitation cinématographique indépendante.
Concilier visée culturelle et logique économique n’est pas chose simple, à l’évidence. Le Sénat indique aujourd’hui au Gouvernement qu’il est prêt à apporter sa contribution sur ce sujet important.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, en France, la création cinématographique est foisonnante, grâce à un outil précieux : le CNC.
Mais, pour que vive la diversité des films, il nous faut veiller à la distribution. Aujourd’hui, l’exploitation cinématographique est partagée entre les grands complexes commerciaux et les salles dites « indépendantes » proposant des films d’auteurs, des films du monde, des courts métrages…
Face à des mastodontes adossés à de grands groupes qui possèdent des équipements comptant parfois jusqu’à vingt-trois salles et 7 286 sièges – c’est chez moi !- le cinéma indépendant tente de survivre, sans obtenir les copies de films porteurs, sans offrir le clinquant des multiplexes, sans proposer de ces formules d’abonnement qui fidélisent les cinéphiles. Il est donc bien souvent menacé, face à une situation économique délicate, de devoir baisser le rideau.
Le CNC a aidé ces salles indépendantes à la numérisation et, s’il n’avait pas été écrêté par Bercy, il aurait pu soutenir la nécessaire accessibilité à tous.
Fort heureusement, il existe toujours en France des salles comme le Ciné 104, La Clef, les Majestic ou les Méliès, au cœur des villes, dans de vrais quartiers, parfois piétons, près de vrais cafés, des salles de cinéma où l’on peut voir des œuvres du monde entier.
Ces salles, notamment celles dites « d’art et d’essai », jouent un rôle moteur dans la diffusion du septième art. Elles auront encore besoin du CNC, car le numérique, c’est l’entrée dans l’obsolescence programmée. Le soutien financier de l’État et des collectivités leur sera indispensable afin qu’elles puissent continuer à faire découvrir et promouvoir des œuvres.
On est loin de la pratique des multiplexes, qui déprogramment soudainement un film en fonction de son résultat, favorisant le quantitatif au détriment du qualitatif et de la création.
L’encadrement de l’implantation de nouvelles salles de cinéma est indispensable à l’ensemble de la filière. Un maillage fort de salles indépendantes constitue une condition essentielle au maintien de la diversité de l’offre et de son exposition, particulièrement pour les films dits « exigeants », qui nécessitent un accompagnement dans la durée.
A contrario, l’envahissement des villes et périphéries par les multiplexes véhicule, hélas, les mêmes dérives que la grande distribution : bâtiment gigantesque de béton et de tôle entouré de parkings, de fast-food, canalisation industrielle des flux humains, pour ce qui est de l’aménagement ; uniformisation, écrasement de la diversité, flexibilité de la programmation, pour ce qui est de la culture. On y amène son cerveau comme on amène son caddie à l’hypermarché !
Pour toutes ces raisons, les écologistes défendent et défendront toujours l’exploitation indépendante, dont les difficultés méritent bien cette séance d’alerte. Bienvenue, monsieur Laurent !
Bien souvent, les demandes d’extension ou d’implantation de nouveaux équipements s’inscrivent dans des zones où une offre de cinéma préexiste. De plus, dans son bilan de la géographie du cinéma, le CNC indique qu’au cours des dix dernières années le nombre d’écrans a augmenté, alors que, dans le même temps, le nombre d’établissements baissait. C’est la concentration. Aujourd’hui, près de 60 % des entrées sont réalisées par les multiplexes.
L’aménagement culturel et social du territoire, dont l’implantation des salles, doit répondre à des critères comme la formation du jeune public, comme les débats ou la diversité des choix éditoriaux dans les salles d’art et d’essai.
Ce constat, nous le partageons tous, même si, chez certains, persiste un double discours qui s’accommode de la défense orale de l’exploitation indépendante et du soutien matériel à l’installation de multiplexes dans leur commune…
Il est donc nécessaire de requalifier le système d’autorisation des multiplexes en tenant compte des spécificités du secteur : projet de programmation, nature et diversité culturelle de l’offre proposée, insertion du projet dans son environnement, préservation d’une animation culturelle et respect de l’équilibre des agglomérations. Le pluralisme doit être garanti et le niveau de décision un peu plus éloigné du destinataire des éventuelles retombées économiques.
Il faut un suivi plus contraignant des engagements pris par les opérateurs au moment de l’autorisation d’implantation ou d’extension, ainsi qu’un système de sanctions dissuasives en cas de non-respect du contrat.
Je ne doute pas que notre ancien collègue Serge Lagauche, missionné pour un rapport, fera des propositions allant dans ce sens quand il remettra son travail, et nous y serons tous très attentifs.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’avais perçu que notre débat était non seulement axé sur les salles indépendantes, mais également sur la production et son financement. Après avoir entendu les précédents orateurs, je réalise que mon propos débordera quelque peu le thème central de l’avenir de l’exploitation cinématographique indépendante puisque j’évoquerai quelques sujets connexes, notamment la production et son financement. Mais, le cinéma étant à l’ordre du jour, n’est-ce pas l’occasion d’évoquer quelques sujets complémentaires, d’autant que, pour le reste, je partage largement les propos qui ont été précédemment tenus sur ce sujet assez consensuel ?
Pour aller dans le sens des orateurs précédents, je pense qu’une très grande vigilance est de mise afin que perdure notre réseau de salles, encore très capillaire sur nos territoires. Des mesures doivent être prises pour sauvegarder ce réseau, qui est une exception française et qui contribue à la diversité de l’offre culturelle et à l’accessibilité de tous les publics.
Le dispositif mis en place par le CNC à l’occasion de la loi, très réussie, sur la numérisation des salles a été, ô combien, bénéfique pour ce réseau ; je dirai même qu’il a été indispensable à son maintien.
Les mesures à prendre sont intégrées dans notre système de financement du cinéma, système très envié à l’étranger et grâce auquel le cinéma français affiche une belle vitalité.
Mais, à côté de cette vitalité, souvent liée à la réussite de quelques films phare ainsi qu’à l’émergence des multiplexes, qui ont attiré davantage de publics, le secteur connaît depuis peu quelques déséquilibres, puisqu’un tiers seulement des films affichent un résultat positif pour la production.
Le cinéma français peine également à se maintenir face à la redoutable concurrence américaine. Les films français réalisent ainsi seulement un tiers des entrées, quand plus d’un film sur deux est américain. La part de marché du cinéma américain s’est élevée l’année dernière à 54 %, contre 43 % en 2012, soit une progression de 11 %.
Le CNC a relevé à maintes reprises un manque de fonds propres du secteur, une hausse du coût de certains films, avec un problème de partage des risques et une difficulté d’exposition des films fragiles.
Ces faits sont autant de signes avant-coureurs d’un affaissement possible du dispositif de financement du modèle français, accentué par la crise économique actuelle, qui avait jusqu’ici plutôt épargné l’activité cinématographique.
Ces fractures pourraient, à terme, menacer l’avenir et l’équilibre des ressources du secteur. Elles appellent à s’interroger sur les voies à emprunter pour sauvegarder un dispositif d’intervention qui en a assuré la prospérité depuis plus d’un demi-siècle.
Le CNC a publié une étude sur l’économie des films d’initiative en décembre dernier, portant sur une période de huit ans. Cette étude a alimenté les travaux d’un groupe de suivi. À la suite de ces travaux, René Bonnell a présenté un rapport et préconise, dans ses conclusions, quelques mesures pour freiner la hausse des budgets de production : ce serait, avec une transparence accrue de la filière, une des clés de l’avenir du système
Un an après la polémique sur les acteurs trop payés, soulevée par le producteur Vincent Maraval, le rapport recommande ainsi d’afficher clairement les salaires des acteurs et réalisateurs, en les distinguant du reste des coûts de fabrication, et de respecter un certain ratio, pas encore défini. Cela passerait notamment par davantage d’audits des budgets de production et de distribution par le CNC.
Cette transparence doit également viser les recettes des films en salle, pour un partage équitable du chiffre d’affaires.
Dans son rapport, René Bonnell propose ainsi d’inciter au partage du risque commercial, en envisageant, par exemple, un intéressement calculé sur des données aisément vérifiables : les entrées en salles et les autres supports de diffusion. Il préconise d’ailleurs d’encadrer, voire de supprimer, les à-valoir sur intéressement, c’est-à-dire la fixation de la rémunération des « talents » avant de connaître la réussite du film.
En clair, il s’agit de réinstaurer de bonnes pratiques dans un système qui connaît désormais quelques excès.
En outre, il devient aujourd’hui manifestement nécessaire d’élargir les sources de financement du secteur.
Les recettes publicitaires des chaînes se tarissent depuis deux ans, et l’auteur du rapport estime que l’apport de ces chaînes pourrait diminuer de 18 % entre 2012 et 2017, ce qui représenterait une perte de 63 millions d’euros.
Afin d’élargir le financement de la production et redistribuer les ressources, plusieurs leviers pourraient être activés : d’abord, une plus grande pluralité des investissements des chaînes historiques, par exemple en instituant une obligation d’intervention dans un certain nombre de premiers ou deuxièmes films ; ensuite, une plus grande attractivité du secteur pour les capitaux privés ; enfin, une solution innovante, le développement du crowdfunding, c’est-à-dire l’appel au financement des particuliers via internet, en le dotant d’un cadre juridique précis, assorti d’un « label CNC ».
Le rapport n’évite pas les sujets sensibles ou polémiques, puisqu’il pose la question de la sortie éventuelle de films directement en vidéos et celle de l’assouplissement de la chronologie des médias, questions récurrentes ces dernières années.
En effet, si la salle doit demeurer le lieu unique de diffusion du film pendant quatre mois, il me paraît souhaitable d’aller vers un assouplissement de la chronologie des médias, en redéfinissant l’ordre et les délais dans lesquels l’exploitation d’un film peut intervenir.
Je n’entrerai pas davantage dans le détail des chantiers qui pourraient être ouverts, d’autant que je suis quelque peu hors sujet ! Mais je souhaitais les évoquer, madame le ministre, pour avoir votre sentiment sur l’ensemble de ces questions et connaître le calendrier des réformes que vous envisagez de lancer.
Je souhaiterais également profiter de votre présence dans cet hémicycle pour attirer votre attention sur un point particulier, qui est peu évoqué : le droit des procédures collectives dans les entreprises de production. Les redressements ou liquidations judiciaires présentent en effet dans ce secteur un nombre important de spécificités et sont d’une certaine complexité.
Dans l’état actuel du droit, la faillite d’une société de production est susceptible de paralyser tout ou partie de l’actif immatériel dont elle est propriétaire et, ainsi, de restreindre la communication des œuvres au public.
Les dégâts peuvent être, semble-t-il, assez importants, la faillite créant une situation juridique incertaine quant au sort des droits sur les catalogues de producteurs.
Ainsi, l’article L. 132-30 du code de la propriété intellectuelle, qui traite de l’articulation entre les revendications des multiples intervenants – auteurs, coproducteurs, créanciers privilégiés –, laisse ouvertes de nombreuses et importantes questions, s’agissant notamment des modalités de résiliation du contrat de production audiovisuelle, de l’information des ayants droit par le liquidateur, de la concurrence des droits de préemption et du déroulement de la procédure des droits de fixation de prix.
Or les difficultés résultant de ce manque de précision de la loi s’ajoutent à la situation économique détériorée de l’entreprise et conduisent à une possible dévalorisation des actifs détenus, voire à leur gel définitif.
Par exemple, lors d’une liquidation judiciaire, les auteurs peuvent, de droit, obtenir la résiliation de leur contrat de production, au bout de trois mois. Quand on sait que, avant toute cession, le liquidateur doit consulter tous les auteurs pour savoir s’ils désirent faire valoir leur droit de préemption, on voit que ce délai est manifestement trop court, d’autant que, au terme des trois mois, la valeur de l’œuvre aura fondu, faute d’être exploitable, les droits ayant été repris par l’auteur.
Sur ce simple aspect des choses, il serait, me semble-t-il, indispensable d’allonger ce délai pour le porter à dix-huit mois minimum.
La question du sort des droits d’auteur et des œuvres cinématographiques et audiovisuelles lors de la défaillance des entreprises de production mérite d’être étudiée, voire de faire l’objet d’une disposition législative, comme le préconise le rapport Gaschet, rédigé à la demande du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique et adopté le 8 mars 2012.
Madame la ministre, l’occasion nous en sera peut-être fournie par l’examen de la loi relative à la création que vous êtes en train d’élaborer.
Je conclurai en rappelant l’intérêt et l’importance du débat que nous avons aujourd’hui. Si je n’ai que peu évoqué les salles indépendantes, c’est pour vous éviter, madame la ministre, mes chers collègues, d’inutiles redites et parce que j’ai préféré profiter de mon temps de parole pour aborder quelques sujets connexes, mais importants !
Sourires.
Notre cinéma est le pivot d’un cinéma européen reconnu dans le monde entier, que nous devons absolument protéger. Nous serons donc très attentifs à son évolution !
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite à mon tour remercier Pierre Laurent de nous avoir donné l’occasion de débattre de l’exploitation cinématographique indépendante, un sujet trop peu évoqué dans la discussion politique, alors qu’elle représente un secteur important de l’écosystème du cinéma français.
L’année 2013 a été marquée par une actualité cinématographique très riche. La Vie d’Adèle a été lauréat d’une triple palme d’or lors du dernier festival de Cannes ; quant à Amour, de Michael Haneke, qui est – faut-il le rappeler – une coproduction majoritairement française, il a gagné l’oscar du meilleur film étranger.
Il nous a fallu, en 2013, réaffirmer le principe de l’exception culturelle s’agissant du mandat transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis. Je remercie Danielle Michel d’avoir rappelé que nous avions aussi obtenu une victoire avec le maintien de la territorialisation des aides au cinéma et à l’audiovisuel, dont vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’importance pour la création artistique et la création d’emplois dans nos territoires.
Je me suis fortement engagée en faveur de la réaffirmation de ces principes, car ils constituent, avec le compte de soutien géré depuis 1946 par le CNC, l’oxygène qui permet à cet art et à cette industrie qu’est le cinéma de continuer de représenter aujourd’hui 100 000 emplois en France et de produire chaque année un demi-point de la richesse nationale.
À ces victoires artistiques et économiques, il convient d’ajouter la mise en œuvre – historique, car très attendue après huit ans de négociations ! – d’une convention collective de la production signée par l’ensemble des organisations de producteurs et par une très grande partie des syndicats de salariés, autant d’avancées qui se font en faveur de la diversité de la création cinématographique ainsi que de l’aménagement du territoire.
Elles vont de pair avec l’engagement que j’ai pris en faveur de l’éducation artistique et culturelle, politique dans laquelle tous les cinémas, notamment d’art et d’essai, sont fortement impliqués.
Monsieur Laurent, vous avez posé la question du devenir de l’exploitation cinématographique indépendante. Je voudrais commencer par rappeler le paysage dans lequel elle s’inscrit aujourd’hui.
En 2013, le film français a représenté 33 % des parts de marché, avec une fréquentation totale de 193 millions d’entrées, contre 203 millions en 2012 et 216 millions en 2011 – un résultat exceptionnel cette année-là, qui s’explique notamment par le succès du film Intouchables.
Les résultats de l’année dernière peuvent paraître inquiétants, mais il faut les relativiser : il y a vingt ans, nous étions au creux de la vague avec seulement 100 millions d’entrées ! Je répondrai donc à Michel Le Scouarnec que le cinéma français se porte bien, même si 2013 a été moins bonne que les deux années précédentes.
La salle de cinéma constitue incontestablement un équipement culturel éminemment démocratique, facile d’accès et très populaire. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité ramener la TVA sur le billet de cinéma au taux réduit, soit 5, 5 %, comme je m’y étais engagée. Je salue l’action de la Fédération nationale des cinémas français qui, en retour de cette diminution du taux de TVA, propose au public de moins de quatorze ans des billets à 4 euros chez ses membres volontaires.
La France bénéficie d’un parc de salles unique en Europe de par sa modernité, sa diversité et la densité de son maillage territorial. Ce parc de 5 508 écrans est réparti sur 1 600 communes, qui regroupent la moitié de la population française. C'est tout à fait unique au monde !
Les 118 agglomérations de plus de 50 000 habitants sont toutes équipées d’au moins une salle de cinéma. Elles abritent 41, 9 % des établissements et ont réalisé 82, 6 % des entrées en 2012.
Je rappelle que 75 % des cinémas font partie de la petite exploitation et que les établissements de la petite et moyenne exploitation, qui forment l’essentiel de l’exploitation indépendante, totalisent 34 % des entrées. Les 181 multiplexes – certains sont indépendants et n’appartiennent pas à un circuit national – représentent donc 66 % des entrées.
L’exploitation indépendante, parce qu’elle est un élément essentiel du maillage du territoire, joue un rôle déterminant dans la diversité de l’offre cinématographique. Pour cette raison, elle est particulièrement soutenue par les pouvoirs publics.
Pour répondre à Philippe Esnol, j’indiquerai que le système d’aide à l’exploitation du CNC est largement consacré à l’exploitation indépendante, et ce via quatre types d’aides. Ce sera mon premier point.
Il s’agit, d’abord, de l’aide à la numérisation, étant précisé que cette aide concerne l’ensemble des salles. Ainsi, 1 400 écrans ont été soutenus par le CNC, pour 100 millions d’euros. Le parc français est désormais numérisé totalement ou presque, ce qui est exceptionnel pour un pays dont le parc est aussi dense, y compris dans les zones rurales.
Le plan de soutien mis en œuvre par le CNC s’est achevé à la fin de 2013 : il a permis d’aider, avec le concours des collectivités territoriales et grâce à la loi adoptée en septembre 2010, les petites salles et les circuits itinérants. Au total, le CNC aura aidé 1 193 établissements, dont 87 circuits itinérants, soit 1 521 écrans, pour un montant total de 73, 6 millions d’euros.
Les aides du CNC ont permis de couvrir 66 % des coûts de numérisation des salles, et les aides des collectivités, 18, 5 % de ces coûts. Près de 68 % des établissements aidés sont situés dans des zones rurales ou dans des agglomérations de moins de 20 000 habitants.
Il s’agit, ensuite, de l’aide à la modernisation et à la création de salles, qui représente 10 millions d’euros par an. Réservée aux propriétaires ou exploitants de moins de 50 écrans, elle est strictement réservée à l’exploitation indépendante. Elle représente en moyenne 14 % du coût d’investissement ; 84 % des projets aidés sont classés « art et essai » et 58 % d’entre eux concernent des zones rurales ou de petites communes.
On le constate, les aides du CNC sont ciblées sur l’exploitation indépendante.
Dans ce contexte, l’aide sélective est très fortement sollicitée depuis 2011, avec des projets coûteux portant sur des créations, des restructurations lourdes, comme la mise en accessibilité au 1er janvier 2015, ou des déplacements d’établissements cinématographiques.
Il s’agit, en outre, des aides aux salles « art et essai ». Elles concernent 1 000 établissements classés, dont 65 % dans de petites villes ou en zones rurales, soutenus par un budget de 14 millions d’euros par an, en croissance de 31 % depuis 2008. Plus de 28 % de la fréquentation totale est réalisée dans les 1 000 cinémas classés « art et essai ». Aujourd'hui, 56 % des établissements classés sont situés dans des unités urbaines de moins de 20 000 habitants ou dans des communes rurales.
Toutes ces aides sont réservées à l’exploitation indépendante, c’est-à-dire à des sociétés qui possèdent moins de 50 écrans sur le territoire.
Au-delà des aides ciblées que je viens d’évoquer, le soutien automatique est lui-même très redistributif en faveur de l’exploitation indépendante, notamment parce que le taux d’aide, à savoir le taux de retour sur la taxe spéciale additionnelle qu’elles acquittent, s’élève à 80 % pour les petites salles, quand les grands multiplexes bénéficient, eux, d’un retour de 30 %.
Le ciblage mis en place par le CNC est donc en lui-même particulièrement efficace pour l’exploitation indépendante, mais il ne faut pas oublier l’aide automatique.
Outre les aides, et ce sera mon deuxième point, le soutien à l’exploitation indépendante passe évidemment par la réglementation.
Comme cela a été rappelé, les ouvertures de multiplexes sont toujours soumises, au titre de la législation sur l’aménagement commercial, à l’autorisation préalable d’une commission qui examine notamment l’impact du projet au regard de la diversité de l’offre de films et de l’écosystème des établissements de la zone concernée.
Entre 2009 et le milieu de l’année 2013, sur 139 demandes, 34 dossiers, déposés ou soutenus par les opérateurs importants de l’exploitation cinématographique – Kinépolis, Gaumont-Pathé, UGC et CGR –, ont été examinés. Le pourcentage de refus d’autorisation pour les opérateurs de la grande exploitation est plus important que le pourcentage global de refus sur la période : 47 % contre 22 %. Je reviendrai dans ma conclusion sur la procédure d’aménagement des équipements cinématographiques.
En parallèle, l’Agence pour le développement régional du cinéma, l’ADRC, association subventionnée par le CNC, intervient depuis trente ans pour favoriser l’accès des salles des petites villes à tous les films : elle leur permet d’accéder plus rapidement – dès la deuxième semaine d’exploitation du film – à des films dont le nombre de « copies », lesquelles sont aujourd'hui, bien évidemment, des fichiers numériques, ne permet pas au distributeur de servir les plus petites salles.
De manière générale, il serait extrêmement préjudiciable à la vitalité du cinéma en France que les films qui rencontrent un succès public, qu’ils soient commerciaux ou d’auteur, soient réservés aux seuls multiplexes et que les salles indépendantes doivent se concentrer sur des œuvres plus confidentielles.
Il est donc nécessaire que le CNC continue à veiller au maintien de ces équilibres fragiles. La problématique de l’accès des salles indépendantes aux films porteurs sera abordée dans le cadre du travail qui s’est engagé après la remise du rapport de René Bonnell, que vous avez évoqué, monsieur Leleux : l’un des groupes de travail sera ainsi consacré à la diffusion-distribution.
Enfin, vous savez que la France a su demander à tous les établissements multiplexes de prendre des engagements de programmation.
Ces engagements visent à promouvoir le cinéma européen, à maintenir un tissu diversifié d’entreprises de distribution, à limiter, au sein d’un même établissement, la multidiffusion des œuvres, que tend à renforcer le numérique, et à permettre d’examiner des offres alternatives en salle – c’est ce que l’on appelle le « hors-film » –, rendues elles aussi possibles par la diffusion numérique ; je pense à la diffusion d’opéras, à la suite d’un accord conclu avec l’Opéra national de Paris.
En ce qui concerne ces engagements, la présidente du CNC vient de recevoir le bilan qui a été présenté par la Médiatrice du cinéma. Je n’ignore pas que des propositions d’aménagement concernant l’accès aux films des salles indépendantes ont été formulées, notamment par l’Association française des cinémas d’art et d’essai, l’AFCAE : il s’agirait de demander aux opérateurs d’exploitation en position dominante, au niveau national ou au niveau local, de limiter, zone concurrentielle par zone concurrentielle, le nombre d’écrans pouvant être consacrés, lors des deux premières semaines d’exploitation, à la diffusion de films européens, de films de distributeurs indépendants et de films issus de cinématographies peu diffusées, lorsque ceux-ci sont objectivement « porteurs » au regard du plan de sortie national envisagé par le distributeur. Il s’agirait de favoriser l’exposition de ces films porteurs, mais dont l’esthétique est exigeante, dans l’ensemble du réseau d’exploitation indépendante.
Toutes ces propositions vont être examinées par le CNC et, bien sûr, discutées avec les opérateurs. En tout état de cause, il nous faut veiller aux équilibres entre les établissements ainsi qu’au sein des territoires, préserver la diversité des établissements et des offres et améliorer la visibilité des œuvres ainsi que la durée d’exposition des films en salles.
L’avenir de l’exploitation indépendante passe également par la réaffirmation de l’importance de la fenêtre de diffusion en salle et par le développement de la fréquentation. Je veux insister sur ce point.
Comme je l’ai dit, cette fréquentation a connu, en 2013, un léger repli. Nous devons donc être vigilants pour maintenir un haut niveau de fréquentation et une forte présence des films français, même si nos résultats restent très bons.
J’ai eu l’occasion d’affirmer à plusieurs reprises que la salle de cinéma constituait le premier et le meilleur écrin d’une œuvre à découvrir. Forte de cette conviction, j’ai demandé au CNC, à la suite de la réflexion engagée sur l’acte II de l’exception culturelle, que les discussions relatives à la chronologie des médias permettent de préserver la fenêtre de diffusion des œuvres en salle, tout en examinant, avec les professionnels, les conditions dans lesquelles certaines œuvres peuvent bénéficier de dérogations pour être diffusées plus rapidement sur d’autres canaux. Cela répond à votre question, monsieur Leleux.
De même, à l’heure où de grands acteurs de l’internet proposant des services de vidéo à la demande par abonnement s’annoncent plus actifs en Europe et, peut-être, en France – je pense bien entendu à Netflix –, il nous faut nous interroger sur leur place dans le champ de l’exception culturelle.
Ces acteurs doivent respecter la réglementation française et pouvoir apporter leur contribution économique au financement de la création, aux côtés des chaînes de télévision, premiers contributeurs en la matière. Ils ne sauraient donc bénéficier d’une quelconque exception, dès lors qu’ils cherchent à pénétrer le marché français.
Ces discussions sur la chronologie, entamées depuis plusieurs mois, vont reprendre maintenant à un rythme plus soutenu.
En outre, pour préserver la fréquentation cinématographique, nous devons également veiller au transfert de la réponse graduée au CSA. Je présenterai cette mesure de transfert dans le cadre de la future loi relative à la création, qui devrait, madame Michel, être présentée en conseil des ministres dans le courant de l’année 2014. J’œuvrerai pour qu’elle le soit le plus rapidement possible, son texte étant d'ores et déjà finalisé.
De la même manière, il nous faut engager une politique volontariste en matière de lutte contre la piraterie commerciale. C’est le travail actuellement réalisé par Mireille Imbert-Quaretta.
Mais, au-delà de la qualité de l’offre de films, une partie des propositions remises par René Bonnell visent à favoriser un meilleur financement et un plus grand essor de la diffusion des films dits « du milieu », ceux dont le devis est compris entre 4 millions d’euros et 7 millions d’euros. Madame Blandin, ces mesures en faveur des films « du milieu » bénéficieront à l’ensemble de l’exploitation française.
Des groupes de concertation résultant des travaux des Assises pour la diversité du cinéma français commencent à travailler dès ce mois de février. Lors de la remise du rapport, le 8 janvier dernier, j’ai déclaré publiquement que je serai attentive aux réformes qui seront proposées et qui pourront, le cas échéant, trouver une traduction législative dans la future loi relative à la création. Outre les propositions de René Bonnell, nous prendrons en compte le travail de différents groupes, dont celui qui a été constitué autour de Pascale Ferran et de Katell Quillévéré.
Depuis 1984, les pouvoirs publics – État et collectivités – se préoccupent continûment de la fréquentation des salles et de son renouvellement, à une échelle systématique, à travers, notamment, la politique d’éducation au cinéma. Madame Férat, à l’ère du numérique et compte tenu de la multiplication des écrans, l’éducation du public jeune d’aujourd’hui constitue évidemment une question clé pour la formation du public de demain.
Le rôle des cinémas, notamment celui des salles d’art et d’essai, est essentiel pour le maintien et le développement de l’éducation au cinéma. Pour l’année scolaire 2011-2012, les programmes École et cinéma, Collège au cinéma, Lycéens et apprentis au cinéma ont concerné 1 410 000 élèves, constituant ainsi le plus important dispositif d’éducation artistique et culturelle en temps scolaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, l’éducation artistique et culturelle est ma priorité. Dès lors, nous voulons permettre à ces dispositifs de continuer à réussir, en les intégrant dans le parcours d’éducation artistique, en veillant à la poursuite de l’implication des collectivités territoriales dans leur financement, en préservant leur modèle – pendant le temps scolaire, découverte des films dans les salles de cinéma –, et ce dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, et en pérennisant l’effort particulier de l’éducation nationale sur la formation initiale et continue des enseignants en matière de cinéma.
À partir de l’année 2014, je veux, avec le CNC, amplifier l’éducation au cinéma, en liaison avec la Fédération nationale des cinémas français, la FNCF. Je veux également confier au CNC une étude en faveur d’un développement de ces dispositifs dans un cadre européen.
De la même manière, nous devons aussi veiller à l’amélioration de l’accessibilité de nos salles actuelles aux publics en situation de handicap. Ce sont quelque 7 millions de personnes, avec les accompagnants, qui pourraient ainsi aller au cinéma chaque année. Après un travail mené par le CNC avec les associations, nous sommes aujourd'hui en mesure de prendre prochainement un arrêté en vue d’une obligation d’adaptation à l’accessibilité. Nous devrons lever certaines difficultés relatives au bâti et adapter la réglementation.
Pour les personnes souffrant d’un handicap sensoriel, l’accessibilité passe aussi par le numérique. À cet égard, le CNC a pu, depuis la fin de l’année 2012, grâce à l’avancement de la numérisation des salles, aider à la réalisation des versions sous-titrées et audiodécrites de films inédits – 13 ont été réalisées à ce jour – et aider à la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine français – 300 œuvres ont, pour l’heure, été numérisées.
Le CNC prévoit aussi le développement d’une base de données sur les films offrant une version adaptée et travaille à la définition d’une signalétique qui permettra d’aider au repérage, par exemple dans la presse, des œuvres accessibles aux personnes handicapées.
Enfin, l’avenir de l’exploitation indépendante et de sa programmation en faveur d’une offre diverse de films français et européens repose également sur la capacité du secteur à réussir la transmission de ses salles.
Toute une génération d’exploitants, qui ont commencé ce métier dans les années soixante-dix et quatre-vingt, va bientôt partir à la retraite. Il s’agit souvent d’exploitants de complexes de taille moyenne – certains en ont deux ou trois – situés sur tout le territoire et souvent classés « art et essai ».
Une réflexion sur la problématique de la reprise des établissements va être engagée en associant la FNCF – la Fédération nationale des cinémas français –, l’IFCIC – l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles – et le CNC. Elle nous permettra de trouver les outils originaux déjà utilisés dans d’autres secteurs pour favoriser cette reprise.
En conclusion, je souhaiterais revenir sur la question de l’aménagement commercial des équipements. Vous avez abordé le sujet, chère Marie-Christine Blandin, tout comme Pierre Laurent et Françoise Férat. Je serai évidemment très attentive aux préconisations du rapport que remettra prochainement Serge Lagauche au CNC, puisque votre ancien collègue a été chargé de mener une mission d’évaluation de la procédure d’autorisation.
Pour l’heure, je me contenterai d’indiquer que les auditions menées semblent toutes conclure à un maintien indispensable de cette procédure d’autorisation préalable d’aménagement cinématographique.
Sur le fond, et sans devancer les conclusions de ce rapport, il semble que les projets présentés à l’avenir pourraient gagner en qualité, notamment grâce à des précisions relatives au projet de programmation cinématographique envisagé, afin que ces nouveaux établissements s’adaptent de manière plus fluide à l’offre cinématographique qui existe déjà sur leur zone.
Vous serez également intéressés, je pense, d’apprendre que, dès l’automne dernier, j’ai demandé au Gouvernement que la procédure d’aménagement cinématographique gagne en autonomie. Cela devrait pouvoir se concrétiser cette année, car le Gouvernement soutient un découplage des régimes juridiques respectifs de l’autorisation d’aménagement cinématographique et de l’autorisation d’aménagement commercial, et il prévoit un rapatriement du dispositif au sein du code du cinéma et de l’image animée.
Cette autonomisation est une très bonne chose. Elle devrait être transcrite dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises qui débutera prochainement à l’Assemblée nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre réseau de salles a permis de regagner 100 millions de spectateurs en vingt ans. Veiller à l’attractivité de l’offre culturelle cinématographique, favoriser les équilibres territoriaux tant pour les salles que pour l’accès aux œuvres, veiller à la pérennité et au développement d’une offre diverse de l’exploitation et assurer les conditions de son développement économique, telles sont les missions de l’exploitation cinématographique en 2014. Ce sont aussi les préconisations que je formule en faveur d’un secteur qui connaît de profondes évolutions économiques, technologiques et sans doute sociétales et pour lequel il nous incombe de travailler, comme toujours, avec l’ensemble des professionnels de la création et de la diffusion, mais aussi avec les élus des collectivités territoriales, sans oublier l’ensemble des institutions concernées.
Monsieur Leleux, s’agissant des droits sur les catalogues des entreprises de production déclarées en faillite, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a produit un rapport évoquant ce problème, notamment pour ce qui concerne les délais, et je demanderai au secrétariat général du ministère de la culture de vous transmettre les informations que vous avez demandées. En tout état de cause, des dispositions figureront dans la future loi relative à la création, si cela se révèle nécessaire.
Je ne saurais terminer sans renouveler mes remerciements à Pierre Laurent et à l’ensemble de son groupe pour nous avoir permis ce débat sur l'exploitation cinématographique indépendante.
Applaudissements.
Nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir de l'exploitation cinématographique indépendante.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 6 février 2014 :
À dix heures :
1. Débat sur l’évolution des péréquations communale, intercommunale et départementale après l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2014.
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze :
3. Débat sur l’avenir des infrastructures de transport.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures vingt.