Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1988, dans le film Cinema Paradiso, Philippe Noiret nous communiquait, ainsi qu’à tant d’autres spectateurs, le goût complice du beau cinéma, le plaisir inoubliable des grands films, l’atmosphère incomparable des salles obscures.
Voilà un film qui, j’en suis sûr, sera revenu à l’esprit de beaucoup d’entre nous en abordant le débat que le groupe CRC nous propose ce soir, un débat légitime et important, pour un sujet sur lequel nous avons, je le pense, de nombreuses préoccupations en commun.
Si le titre que j’évoquais à l’instant réveille en nous un souvenir nostalgique, ce n’est pas seulement celui d’un film et d’acteurs que nous avons aimés, c’est aussi celui d’un monde du cinéma qui nous a fait rêver, avec ses projectionnistes, ses personnages, ses artisans. Aujourd'hui, ce monde s’interroge.
Nos collègues du groupe CRC, en effet, n’en appellent pas à la nostalgie : ils ont souhaité un débat sur l’avenir de l’exploitation cinématographique indépendante. Et c’est bel et bien vers l’avenir qu’il faut nous tourner !
Déjà, à l’époque de Cinema Paradiso, le cinéma de loisir, à travers les films à grand spectacle, existait et se taillait la part du lion dans ce qu’il faut bien appeler l’industrie cinématographique.
Cette dualité, c’est celle que nous retrouvons dans le domaine de la diffusion des œuvres : les grands multiplexes des grosses compagnies accueillent un public toujours plus nombreux, mais les salles indépendantes, confrontées, d’une part, à cette concurrence et, d’autre part, aux mutations, notamment technologiques, de cette activité, rencontrent des difficultés croissantes.
La première question que je souhaite évoquer dans ce débat sur l’avenir des salles indépendantes, c’est, par conséquent, celle de cette structure duale du réseau de diffusion des œuvres cinématographiques.
Si celle-ci peut s’envisager comme une pression forte de la concurrence des grands acteurs du secteur sur les petites salles, elle n’est pas pour autant exclusive de certaines vertus, à condition, et c’est le cas, que les pouvoirs publics veillent à préserver une politique de redistribution intelligente entre les deux.
La France, grâce à sa politique en faveur de la diversité culturelle, est parvenue à protéger cet écosystème dans lequel les salles d’art et d’essai permettent à un large public d’accéder à des œuvres souvent plus exigeantes, souvent aussi moins rentables, que celles qui sont diffusées par les grands distributeurs.
Les acteurs de la distribution cinématographique indépendante se caractérisent eux-mêmes par une réelle diversité : ce sont les salles privées, les salles associatives, ou encore les salles publiques, ces dernières étant souvent adossées à une politique culturelle communale très volontariste.
Ce sont aussi des festivals de cinéma, qui favorisent la découverte et l’accès à des œuvres méconnues, parfois françaises, parfois étrangères, mais très fréquemment situées hors des circuits commerciaux traditionnels.
Dans ma commune de Conflans-Sainte-Honorine, nous avons à la fois une salle indépendante, située en centre-ville et dont la programmation est d’une très grande qualité, et un multiplexe plus éloigné, bénéficiant évidemment d’une forte fréquentation.
Si la concurrence existe et que nous devons veiller à préserver un équilibre qui, bien sûr, n’est pas naturel, cette situation de dualité propre à la France fait de nous un pays en pointe dans la défense de l’exception culturelle. C’est un fait qu’en France, plus qu’ailleurs, l’accès à des œuvres originales et de qualité est possible.
Pour autant, les salles de cinéma indépendantes subissent, en raison même de leur exigence artistique, une situation commerciale complexe.
Leur taux de rentabilité n’est pas comparable et ne peut pas se comparer à celui des grands distributeurs, qui diffusent les films en fonction du nombre d’entrées escompté, et réalisent de phénoménales économies d’échelle par la taille et la concentration de leurs salles.
Il y a quelques mois, madame la ministre, le Groupement national des cinémas de recherche vous a remis le Manifeste pour une exploitation indépendante, qui a eu le mérite d’ouvrir la discussion sur un certain nombre de préoccupations.
Il faut, bien sûr, entendre ces inquiétudes, par exemple s’agissant des modalités de la régulation des implantations de salles nouvelles.
Il faut aussi intégrer les réflexions sur la façon de mieux coordonner l’action culturelle cinématographique avec les actions éducatives, tant il est vrai que l’éducation à l’image des jeunes publics est un enjeu de pédagogie immédiat et d’avenir pour les pratiques culturelles.
De manière générale, comme le soulignent avec raison les membres de l’Association pour le cinéma indépendant et sa diffusion, le soutien aux salles indépendantes est partie prenante du soutien à la création indépendante. En effet, sans la rencontre avec le public que permet le diffuseur, en salle ou en festival, les œuvres cinématographiques ne peuvent pas avoir d’existence réelle.
Or cette dualité que j’évoquais met en jeu ni plus ni moins que la coexistence de la dimension marchande et même industrielle existant dans le cinéma avec la dimension artistique, dont la rentabilité n’est qu’une considération accessoire.
Dans ce contexte, comment les pouvoirs publics peuvent-ils agir sur le marché international de l’industrie cinématographique de manière à protéger l’exception culturelle française, à laquelle nous sommes tous profondément attachés ? Il ne s’agit pas, vous l’avez bien compris dans mes propos, de déconsidérer l’industrie cinématographique en tant que telle : elle participe des loisirs et des divertissements, elle crée de la richesse et des emplois.
Tout l’enjeu consiste dès lors à ne pas sacrifier le septième art aux seules considérations économiques et aux seuls mécanismes de marché.
C’est bien là, madame la ministre, qu’intervient l’action de votre administration, dans toute sa légitimité et dans toute sa nécessité.
Il s’agit, très concrètement, d’apporter une assistance spécifique à l’exploitation cinématographique indépendante, fondée sur le constat que ces salles jouent un rôle précieux et irremplaçable dans les domaines de la diversité culturelle, de la diffusion des œuvres, de l’éducation des publics, un rôle de quasi-service public, oserai-je dire.