Intervention de Jean-Pierre Leleux

Réunion du 5 février 2014 à 21h30
Débat sur l'avenir de l'exploitation cinématographique indépendante

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’avais perçu que notre débat était non seulement axé sur les salles indépendantes, mais également sur la production et son financement. Après avoir entendu les précédents orateurs, je réalise que mon propos débordera quelque peu le thème central de l’avenir de l’exploitation cinématographique indépendante puisque j’évoquerai quelques sujets connexes, notamment la production et son financement. Mais, le cinéma étant à l’ordre du jour, n’est-ce pas l’occasion d’évoquer quelques sujets complémentaires, d’autant que, pour le reste, je partage largement les propos qui ont été précédemment tenus sur ce sujet assez consensuel ?

Pour aller dans le sens des orateurs précédents, je pense qu’une très grande vigilance est de mise afin que perdure notre réseau de salles, encore très capillaire sur nos territoires. Des mesures doivent être prises pour sauvegarder ce réseau, qui est une exception française et qui contribue à la diversité de l’offre culturelle et à l’accessibilité de tous les publics.

Le dispositif mis en place par le CNC à l’occasion de la loi, très réussie, sur la numérisation des salles a été, ô combien, bénéfique pour ce réseau ; je dirai même qu’il a été indispensable à son maintien.

Les mesures à prendre sont intégrées dans notre système de financement du cinéma, système très envié à l’étranger et grâce auquel le cinéma français affiche une belle vitalité.

Mais, à côté de cette vitalité, souvent liée à la réussite de quelques films phare ainsi qu’à l’émergence des multiplexes, qui ont attiré davantage de publics, le secteur connaît depuis peu quelques déséquilibres, puisqu’un tiers seulement des films affichent un résultat positif pour la production.

Le cinéma français peine également à se maintenir face à la redoutable concurrence américaine. Les films français réalisent ainsi seulement un tiers des entrées, quand plus d’un film sur deux est américain. La part de marché du cinéma américain s’est élevée l’année dernière à 54 %, contre 43 % en 2012, soit une progression de 11 %.

Le CNC a relevé à maintes reprises un manque de fonds propres du secteur, une hausse du coût de certains films, avec un problème de partage des risques et une difficulté d’exposition des films fragiles.

Ces faits sont autant de signes avant-coureurs d’un affaissement possible du dispositif de financement du modèle français, accentué par la crise économique actuelle, qui avait jusqu’ici plutôt épargné l’activité cinématographique.

Ces fractures pourraient, à terme, menacer l’avenir et l’équilibre des ressources du secteur. Elles appellent à s’interroger sur les voies à emprunter pour sauvegarder un dispositif d’intervention qui en a assuré la prospérité depuis plus d’un demi-siècle.

Le CNC a publié une étude sur l’économie des films d’initiative en décembre dernier, portant sur une période de huit ans. Cette étude a alimenté les travaux d’un groupe de suivi. À la suite de ces travaux, René Bonnell a présenté un rapport et préconise, dans ses conclusions, quelques mesures pour freiner la hausse des budgets de production : ce serait, avec une transparence accrue de la filière, une des clés de l’avenir du système

Un an après la polémique sur les acteurs trop payés, soulevée par le producteur Vincent Maraval, le rapport recommande ainsi d’afficher clairement les salaires des acteurs et réalisateurs, en les distinguant du reste des coûts de fabrication, et de respecter un certain ratio, pas encore défini. Cela passerait notamment par davantage d’audits des budgets de production et de distribution par le CNC.

Cette transparence doit également viser les recettes des films en salle, pour un partage équitable du chiffre d’affaires.

Dans son rapport, René Bonnell propose ainsi d’inciter au partage du risque commercial, en envisageant, par exemple, un intéressement calculé sur des données aisément vérifiables : les entrées en salles et les autres supports de diffusion. Il préconise d’ailleurs d’encadrer, voire de supprimer, les à-valoir sur intéressement, c’est-à-dire la fixation de la rémunération des « talents » avant de connaître la réussite du film.

En clair, il s’agit de réinstaurer de bonnes pratiques dans un système qui connaît désormais quelques excès.

En outre, il devient aujourd’hui manifestement nécessaire d’élargir les sources de financement du secteur.

Les recettes publicitaires des chaînes se tarissent depuis deux ans, et l’auteur du rapport estime que l’apport de ces chaînes pourrait diminuer de 18 % entre 2012 et 2017, ce qui représenterait une perte de 63 millions d’euros.

Afin d’élargir le financement de la production et redistribuer les ressources, plusieurs leviers pourraient être activés : d’abord, une plus grande pluralité des investissements des chaînes historiques, par exemple en instituant une obligation d’intervention dans un certain nombre de premiers ou deuxièmes films ; ensuite, une plus grande attractivité du secteur pour les capitaux privés ; enfin, une solution innovante, le développement du crowdfunding, c’est-à-dire l’appel au financement des particuliers via internet, en le dotant d’un cadre juridique précis, assorti d’un « label CNC ».

Le rapport n’évite pas les sujets sensibles ou polémiques, puisqu’il pose la question de la sortie éventuelle de films directement en vidéos et celle de l’assouplissement de la chronologie des médias, questions récurrentes ces dernières années.

En effet, si la salle doit demeurer le lieu unique de diffusion du film pendant quatre mois, il me paraît souhaitable d’aller vers un assouplissement de la chronologie des médias, en redéfinissant l’ordre et les délais dans lesquels l’exploitation d’un film peut intervenir.

Je n’entrerai pas davantage dans le détail des chantiers qui pourraient être ouverts, d’autant que je suis quelque peu hors sujet ! Mais je souhaitais les évoquer, madame le ministre, pour avoir votre sentiment sur l’ensemble de ces questions et connaître le calendrier des réformes que vous envisagez de lancer.

Je souhaiterais également profiter de votre présence dans cet hémicycle pour attirer votre attention sur un point particulier, qui est peu évoqué : le droit des procédures collectives dans les entreprises de production. Les redressements ou liquidations judiciaires présentent en effet dans ce secteur un nombre important de spécificités et sont d’une certaine complexité.

Dans l’état actuel du droit, la faillite d’une société de production est susceptible de paralyser tout ou partie de l’actif immatériel dont elle est propriétaire et, ainsi, de restreindre la communication des œuvres au public.

Les dégâts peuvent être, semble-t-il, assez importants, la faillite créant une situation juridique incertaine quant au sort des droits sur les catalogues de producteurs.

Ainsi, l’article L. 132-30 du code de la propriété intellectuelle, qui traite de l’articulation entre les revendications des multiples intervenants – auteurs, coproducteurs, créanciers privilégiés –, laisse ouvertes de nombreuses et importantes questions, s’agissant notamment des modalités de résiliation du contrat de production audiovisuelle, de l’information des ayants droit par le liquidateur, de la concurrence des droits de préemption et du déroulement de la procédure des droits de fixation de prix.

Or les difficultés résultant de ce manque de précision de la loi s’ajoutent à la situation économique détériorée de l’entreprise et conduisent à une possible dévalorisation des actifs détenus, voire à leur gel définitif.

Par exemple, lors d’une liquidation judiciaire, les auteurs peuvent, de droit, obtenir la résiliation de leur contrat de production, au bout de trois mois. Quand on sait que, avant toute cession, le liquidateur doit consulter tous les auteurs pour savoir s’ils désirent faire valoir leur droit de préemption, on voit que ce délai est manifestement trop court, d’autant que, au terme des trois mois, la valeur de l’œuvre aura fondu, faute d’être exploitable, les droits ayant été repris par l’auteur.

Sur ce simple aspect des choses, il serait, me semble-t-il, indispensable d’allonger ce délai pour le porter à dix-huit mois minimum.

La question du sort des droits d’auteur et des œuvres cinématographiques et audiovisuelles lors de la défaillance des entreprises de production mérite d’être étudiée, voire de faire l’objet d’une disposition législative, comme le préconise le rapport Gaschet, rédigé à la demande du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique et adopté le 8 mars 2012.

Madame la ministre, l’occasion nous en sera peut-être fournie par l’examen de la loi relative à la création que vous êtes en train d’élaborer.

Je conclurai en rappelant l’intérêt et l’importance du débat que nous avons aujourd’hui. Si je n’ai que peu évoqué les salles indépendantes, c’est pour vous éviter, madame la ministre, mes chers collègues, d’inutiles redites et parce que j’ai préféré profiter de mon temps de parole pour aborder quelques sujets connexes, mais importants !

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