Intervention de Henri Malosse

Commission des affaires sociales — Réunion du 5 février 2014 : 3ème réunion
Audition de M. Henri Malosse président du comité économique et social européen

Henri Malosse, président du Comité économique et social européen :

Les traités européens confèrent aux Etats membres la responsabilité de choisir les membres qui composent notre Comité. Le Conseil européen décide sur proposition des Etats membres à majorité qualifiée. La seule obligation est de respecter le tripartisme, pour avoir des délégations équilibrées. En France, les services du Premier ministre ont nommé une représentation composée pour un tiers d'employeurs, pour un tiers de syndicats, le dernier tiers laissant place à un certain nombre de variations permises par la diversité du groupe 3. Un certain verdissement a été constaté avec l'arrivée d'au moins deux collègues de sensibilité écologiste.

Grâce aux initiatives citoyennes européennes, des groupements de citoyens peuvent soumettre des propositions au Parlement européen. Contrairement au Conseil économique, social et environnemental français, les traités européens ne nous ont pas donné de rôle particulier dans ce processus, mais nous l'avons pris. A chacune de nos sessions plénières, j'accueille des porteurs d'initiative : nous avons accueilli une initiative visant à réduire les frais d'itinérance téléphonique, une initiative citoyenne sur l'eau, une initiative « écosite » sur la responsabilité environnementale des entreprises. Dans quinze jours, nous accueillerons une initiative grecque lancée par l'ex-commissaire Mme Diamantopoulos pour sortir les dépenses d'éducation du calcul de la dette grecque. J'ai été le premier signataire de l'initiative citoyenne sur les frais téléphoniques et de deux autres initiatives sur l'éducation. Nous soutenons ces initiatives citoyennes et nous avons même mis en place un bureau d'assistance pour aider les associations à les lancer. Elles sont en effet très compliquées à mettre en oeuvre, puisqu'elles doivent rassembler plus d'un million de signatures.

Nous sommes impliqués dans le processus des « livres blancs » et des « livres verts » : la Commission européenne nous envoie un questionnaire. Je suis très critique sur ces processus de consultation tous azimuts, car nous n'avons aucune garantie pour en vérifier la légitimité. Si une consultation menée sur internet reçoit 10 000 réponses, quelle est sa représentativité ? Si 9 900 réponses proviennent de la même source, elle n'aura aucune légitimité.

La Commission européenne est sensible aux lobbies, le Parlement européen l'est encore davantage. Je participe à toutes les sessions du Parlement européen et j'ai pu constater l'accroissement du poids des lobbies privés. Il y a deux mois, lors du débat sur les émissions de CO2 par les voitures, j'ai eu l'impression d'être au Salon de l'auto, tant il y avait de représentants de l'industrie automobile ! Lors des débats sur les OGM, c'est la même chose : Monsanto a plus de 1 000 lobbyistes présents à Bruxelles ! J'étais récemment à Lyon, où la dirigeante d'une entreprise de cosmétique m'a interpellé. En tant que citoyenne, elle était pro-européenne ; comme chef d'entreprise, elle était excédée par les règlementations de Bruxelles, dictées par les grands groupes, impossibles à appliquer pour les petites entreprises. Je crois beaucoup au rôle que peut jouer le Comité économique et social européen pour améliorer la transparence des procédures de consultation : sa composition qui associe des représentants de grandes, moyennes et petites entreprises garantit l'équilibre de nos débats.

Mon intervention en Hongrie a été très controversée. Les membres de mon Comité étaient en grande majorité opposés à la politique de M. Orban. Je l'ai rencontré, ainsi que les leaders de l'opposition et le Conseil économique et social hongrois. La Hongrie a connu en 2007-2008 une crise aussi grave que la Grèce. L'économie magyare se porte mieux que l'économie hellène. Le taux de chômage frôle les 10 %, le chômage des jeunes tourne autour de 12 %, alors qu'en Grèce il est de 50 %, et la Hongrie n'a pas connu le contrôle de la Troïka. M. Orban rappelle volontiers à M. Barroso la prédiction qu'il lui avait faite en 2008 : la crise ne touchera pas l'Europe ! Aux élections législatives prochaines, le parti de M. Orban est bien positionné.

Indépendamment de toute considération d'ordre politique, car ce n'est pas du ressort de notre Comité, ce qui m'a intéressé dans sa politique économique, c'est la réussite des solutions mises en oeuvre. Dans la Hongrie des années 1990, le secteur bancaire étatisé a été pris en mains à 90 % par des banques autrichiennes et allemandes. Le secteur de l'énergie l'a également été. Ces entreprises ont fait des bénéfices énormes. La politique de M. Orban a consisté à taxer les grandes entreprises, tout en réduisant la fiscalité sur les petites et moyennes entreprises, et à contrôler le secteur de l'énergie pour faire baisser les prix. J'ai rencontré des entrepreneurs français, dans le secteur de l'énergie. Certes, la politique de M. Orban ne les rendait pas heureux, mais ils reconnaissaient avoir réalisé des marges énormes dans les années 1990 et retrouver avec cette nouvelle fiscalité des marges normales. En dehors de tout contexte idéologique, la solution fiscale de M. Orban était intéressante.

Un autre exemple est la décision de M. Orban d'interdire la vente du tabac dans les supermarchés, afin que les petits buralistes indépendants récupèrent le monopole de sa distribution. La mesure a contribué au maintien de l'emploi local.

Nous entretenons des relations extérieures avec le monde entier. Nous avons des accords avec la Chine, le Japon, le Chili et d'autres pays, partout où l'Union européenne mène des politiques de coopération. C'est extravagant ! J'essaye de recentrer ces relations sur l'Europe et la Méditerranée. Avec la Turquie, les négociations traînent en longueur. Nous avons un Comité d'économie mixte avec la Turquie, qui fonctionne depuis dix-huit ans, sans résultats. C'est d'une grande hypocrisie. Nous savons, en France qu'il n'y aura pas d'adhésion de la Turquie à l'Europe sans un référendum dont le résultat serait actuellement négatif.

Nous avons des responsabilités en tant que société civile européenne. Je me suis rendu par deux fois en Ukraine. Au-delà de l'opposition politique, les associations sont très intéressées par notre soutien, même si elles savent que leur pays ne rejoindra pas l'Union européenne dans les six mois à venir. Elles se battent pour les valeurs européennes.

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