Commission des affaires sociales

Réunion du 5 février 2014 : 3ème réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi sous la présidence conjointe de Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales et de M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, la commission procède à l'audition de M. Henri Malosse, président du Comité économique et social européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Cette réunion conjointe avec la commission des affaires sociales est une première dont je me félicite.

Les circonstances de ma première rencontre avec M. Henri Malosse sont particulières, car il était venu participer, dans mon département, à la plantation de pieds de clinton, un cépage de vin interdit par la Commission européenne... Il s'agit d'un vin très noir qui avait la réputation de rendre fou. Nous militons pour sa légalisation.

A quelques mois des élections européennes, nous avons souhaité faire le point sur des questions telles que l'affirmation de la politique économique européenne, la lutte contre le dumping social ou la coordination de la politique sociale dans la zone euro.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Parler de l'Europe sociale est toujours positif. La commission des affaires sociales est souvent appelée à débattre de textes nationaux empreints d'une dimension européenne, comme la récente directive sur les travailleurs détachés.

Debut de section - Permalien
Henri Malosse, président du Comité économique et social européen

Deux collègues français m'accompagnent, Joseph Guimet, membre du groupe 3 - groupe des activités diverses - et Bernard Huvelin, membre du groupe employeurs. Mon directeur de cabinet, Rudy Aernoudt est également présent, ainsi que Laure Limousin, chargée de communication.

Cette affaire du clinton montre que l'Union européenne traite de nombreux sujets dont elle pourrait se passer : les cépages interdits, les fromages au lait cru de brebis ou de chèvre... Les sujets fondamentaux comme l'emploi, la défense, la sécurité ou l'énergie se font rares ! Il existe même une règlementation européenne sur les pommeaux de douche ! A-t-on besoin d'une norme à ce sujet ? Ne faudrait-il pas laisser un peu de flexibilité dans ce domaine et se consacrer aux choses essentielles ?

Je rentre de Strasbourg, où à 11 heures, ce matin, j'ai signé un accord de coopération avec le Parlement européen et le Comité des régions. Cet accord est important voire historique - le temps le dira. Nos concitoyens ne cessent de déplorer un manque d'écoute sur les questions européennes : à leurs yeux, Bruxelles est dominé par la technocratie, tout est décidé d'en haut, sans compromis et par avance, et les Etats sont privés de leur souveraineté. L'accord a été passé entre trois institutions qui représentent les gens à des degrés divers. Le Parlement représente les électeurs. Le Comité des régions est composé des élus des territoires. Le Comité économique et social européen comprend trois groupes, celui des employeurs, celui des travailleurs et un troisième formé de consommateurs, d'associations et de représentants d'activités diverses. Jusqu'à présent, les trois institutions travaillaient séparément. Même si notre Comité était saisi des mêmes matières que le Parlement européen, notre travail, s'il n'est pas coordonné avec le sien, risque de rester vain.

L'accord de coopération concentre le rôle de notre Comité en amont et en aval du processus législatif. En amont, nous pourrons désormais présenter des avis d'initiative sur des sujets tels que l'excès de règlementation dans l'agriculture ou sur des questions de société, auxquels le Parlement européen donnera une force politique par des résolutions. En aval, nous avions anticipé en lançant des études d'impact pour observer comment les règlementations européennes fonctionnaient sur le terrain.

Trois observatoires ont été privilégiés. Celui du marché unique européen a lancé depuis l'automne dernier une étude d'impact sur la directive relative au détachement des travailleurs, dite Bolkestein. Douze de nos collègues sont allés enquêter sur le terrain dans plusieurs régions et pays d'Europe. Nous attendons les résultats de cette enquête pour le mois d'avril. L'observatoire du marché du travail a lancé une étude d'impact sur l'emploi des jeunes dans l'Union européenne et l'efficacité des programmes mis en place. Loin d'être des études académiques, comme celles que commandite la Commission européenne, nos études s'intéressent au ressenti de situations réelles : un salarié qui paie ses charges sociales mais subit la concurrence d'un travailleur illégal est de toute évidence victime de dumping social. L'observatoire du développement durable examine les conséquences sur la vie des gens des directives européennes sur les énergies nouvelles, qu'il s'agisse du prix de l'énergie ou de l'accès aux nouvelles technologies. Dans l'avenir, je souhaiterais que ces études d'impact portent sur l'excès de règlementations. Ce travail est très utile pour le Parlement européen qui légifèrera ainsi plus facilement.

Pour la phase législative, l'accord prévoit d'identifier les domaines dans lesquels notre Comité a une valeur ajoutée. Nous pourrons travailler en complémentarité avec le Parlement européen sur les questions de société, de famille, de démographie. De cette façon, nous sauverons cette particularité d'inspiration française - provenant de Jean Monnet - celle des assemblées consultatives à côté du Parlement européen. Des pôles citoyens pourront se constituer face au Conseil européen et à une Commission dominée au fil des ans par l'administration et les vues idéologiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Quels liens le Comité économique et social européen tisse-t-il avec les Parlements nationaux ? Différentes nationalités y figurent. Peut-il faciliter les relations des Parlements nationaux avec le Parlement européen ? J'ai apprécié, dans vos prises de position, votre volonté de faire entrer des indicateurs sociaux aux côtés des indicateurs économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Avez-vous des contacts avec les Comités ou conseils économiques et sociaux nationaux ?

Debut de section - Permalien
Henri Malosse, président du Comité économique et social européen

Nos relations avec les Parlements nationaux sont insuffisantes. J'étais, il y a quelques semaines, à l'Assemblée nationale, mais les contacts sont trop rares, occasionnels. Il faudrait structurer davantage cette coopération. Depuis le début de ma présidence, en avril dernier, nous l'avons fait avec les trois pays qui allaient exercer la présidence tournante de l'union européenne. Nous nous sommes réunis au mois de novembre avec les présidents des trois groupes. Nous avons eu trois heures de débat avec quatre-vingt-dix députés grecs pour discuter des priorités de la présidence grecque. Nous préparons la même initiative avec l'Italie, qui prendra la présidence au 1er juillet. Avec la présidence grecque, nous avons débattu du chômage, de l'emploi des jeunes et des initiatives à prendre sur ces sujets. Le Premier ministre grec viendra dans notre session plénière, au printemps prochain. Nous avons également mené des débats avec la Lituanie, avant sa présidence.

Je souhaite développer ces contacts et les élargir à d'autres pays qu'à ceux exerçant la présidence. Ces rencontres pourront être ponctuelles, sur des sujets particuliers : nous pourrions, par exemple, vous présenter notre étude d'impact sur la directive relative au détachement des travailleurs. Nous pourrions également facilement organiser des rencontres avec les membres français de notre Comité.

Nous entretenons des relations avec les conseils économiques et sociaux nationaux. Cependant, ils n'existent pas partout et la coopération n'est pas systématique. Des pays comme l'Allemagne et le Royaume-Uni n'ont pas de conseil économique et social. Dans certains pays, ces conseils ont une structure particulière, incluant la participation du gouvernement. Nous organisons des rencontres régulières avec ceux qui existent, mais le temps nous fait souvent défaut pour ces réunions. J'ai de très bonnes relations avec le Conseil économique et social français. Je dois prochainement rencontrer le Conseil économique et social espagnol.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Quel est la représentation syndicale et associative au sein de votre Comité ?

Quel est votre point de vue sur les autres instruments de participation citoyenne ? Le Comité envisage-t-il de contribuer, d'inciter ou d'aider certains de ses membres à utiliser l'initiative citoyenne européenne qui peut être un levier d'initiative, malgré les exigences de sa mise en oeuvre ?

Quelle place votre Comité prend-il dans l'élaboration des « livres verts » et des « livres blancs » par la commission, en amont des directives européennes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Quelle est votre analyse de la situation économique dans l'Union européenne ? Pouvez-vous développer votre suggestion d'emprunter de nouvelles voies pour sortir de la crise ? Lors de votre voyage en Hongrie, en novembre dernier, vous avez surpris par votre analyse de la politique économique de M. Orban - taxation du secteur bancaire et des grandes entreprises étrangères, mise sous dépendance de la banque centrale de Hongrie. Considérez-vous que ces solutions, ayant contribué à sortir la Hongrie de la crise, puissent être étendues à d'autres pays ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Quand nous adoptons une loi en France, l'Union européenne ne nous suit pas - cela a été le cas récemment sur la question du bisphénol A - à cause de l'importance des lobbies. Comment pouvez-vous intervenir pour améliorer la cohérence et la transparence du processus législatif européen ? La mise en place des trois observatoires est une bonne initiative qui cible les domaines pertinents.

Quelles réflexions vous inspire l'éventuelle entrée de la Turquie dans l'Union européenne ?

Debut de section - Permalien
Henri Malosse, président du Comité économique et social européen

Les traités européens confèrent aux Etats membres la responsabilité de choisir les membres qui composent notre Comité. Le Conseil européen décide sur proposition des Etats membres à majorité qualifiée. La seule obligation est de respecter le tripartisme, pour avoir des délégations équilibrées. En France, les services du Premier ministre ont nommé une représentation composée pour un tiers d'employeurs, pour un tiers de syndicats, le dernier tiers laissant place à un certain nombre de variations permises par la diversité du groupe 3. Un certain verdissement a été constaté avec l'arrivée d'au moins deux collègues de sensibilité écologiste.

Grâce aux initiatives citoyennes européennes, des groupements de citoyens peuvent soumettre des propositions au Parlement européen. Contrairement au Conseil économique, social et environnemental français, les traités européens ne nous ont pas donné de rôle particulier dans ce processus, mais nous l'avons pris. A chacune de nos sessions plénières, j'accueille des porteurs d'initiative : nous avons accueilli une initiative visant à réduire les frais d'itinérance téléphonique, une initiative citoyenne sur l'eau, une initiative « écosite » sur la responsabilité environnementale des entreprises. Dans quinze jours, nous accueillerons une initiative grecque lancée par l'ex-commissaire Mme Diamantopoulos pour sortir les dépenses d'éducation du calcul de la dette grecque. J'ai été le premier signataire de l'initiative citoyenne sur les frais téléphoniques et de deux autres initiatives sur l'éducation. Nous soutenons ces initiatives citoyennes et nous avons même mis en place un bureau d'assistance pour aider les associations à les lancer. Elles sont en effet très compliquées à mettre en oeuvre, puisqu'elles doivent rassembler plus d'un million de signatures.

Nous sommes impliqués dans le processus des « livres blancs » et des « livres verts » : la Commission européenne nous envoie un questionnaire. Je suis très critique sur ces processus de consultation tous azimuts, car nous n'avons aucune garantie pour en vérifier la légitimité. Si une consultation menée sur internet reçoit 10 000 réponses, quelle est sa représentativité ? Si 9 900 réponses proviennent de la même source, elle n'aura aucune légitimité.

La Commission européenne est sensible aux lobbies, le Parlement européen l'est encore davantage. Je participe à toutes les sessions du Parlement européen et j'ai pu constater l'accroissement du poids des lobbies privés. Il y a deux mois, lors du débat sur les émissions de CO2 par les voitures, j'ai eu l'impression d'être au Salon de l'auto, tant il y avait de représentants de l'industrie automobile ! Lors des débats sur les OGM, c'est la même chose : Monsanto a plus de 1 000 lobbyistes présents à Bruxelles ! J'étais récemment à Lyon, où la dirigeante d'une entreprise de cosmétique m'a interpellé. En tant que citoyenne, elle était pro-européenne ; comme chef d'entreprise, elle était excédée par les règlementations de Bruxelles, dictées par les grands groupes, impossibles à appliquer pour les petites entreprises. Je crois beaucoup au rôle que peut jouer le Comité économique et social européen pour améliorer la transparence des procédures de consultation : sa composition qui associe des représentants de grandes, moyennes et petites entreprises garantit l'équilibre de nos débats.

Mon intervention en Hongrie a été très controversée. Les membres de mon Comité étaient en grande majorité opposés à la politique de M. Orban. Je l'ai rencontré, ainsi que les leaders de l'opposition et le Conseil économique et social hongrois. La Hongrie a connu en 2007-2008 une crise aussi grave que la Grèce. L'économie magyare se porte mieux que l'économie hellène. Le taux de chômage frôle les 10 %, le chômage des jeunes tourne autour de 12 %, alors qu'en Grèce il est de 50 %, et la Hongrie n'a pas connu le contrôle de la Troïka. M. Orban rappelle volontiers à M. Barroso la prédiction qu'il lui avait faite en 2008 : la crise ne touchera pas l'Europe ! Aux élections législatives prochaines, le parti de M. Orban est bien positionné.

Indépendamment de toute considération d'ordre politique, car ce n'est pas du ressort de notre Comité, ce qui m'a intéressé dans sa politique économique, c'est la réussite des solutions mises en oeuvre. Dans la Hongrie des années 1990, le secteur bancaire étatisé a été pris en mains à 90 % par des banques autrichiennes et allemandes. Le secteur de l'énergie l'a également été. Ces entreprises ont fait des bénéfices énormes. La politique de M. Orban a consisté à taxer les grandes entreprises, tout en réduisant la fiscalité sur les petites et moyennes entreprises, et à contrôler le secteur de l'énergie pour faire baisser les prix. J'ai rencontré des entrepreneurs français, dans le secteur de l'énergie. Certes, la politique de M. Orban ne les rendait pas heureux, mais ils reconnaissaient avoir réalisé des marges énormes dans les années 1990 et retrouver avec cette nouvelle fiscalité des marges normales. En dehors de tout contexte idéologique, la solution fiscale de M. Orban était intéressante.

Un autre exemple est la décision de M. Orban d'interdire la vente du tabac dans les supermarchés, afin que les petits buralistes indépendants récupèrent le monopole de sa distribution. La mesure a contribué au maintien de l'emploi local.

Nous entretenons des relations extérieures avec le monde entier. Nous avons des accords avec la Chine, le Japon, le Chili et d'autres pays, partout où l'Union européenne mène des politiques de coopération. C'est extravagant ! J'essaye de recentrer ces relations sur l'Europe et la Méditerranée. Avec la Turquie, les négociations traînent en longueur. Nous avons un Comité d'économie mixte avec la Turquie, qui fonctionne depuis dix-huit ans, sans résultats. C'est d'une grande hypocrisie. Nous savons, en France qu'il n'y aura pas d'adhésion de la Turquie à l'Europe sans un référendum dont le résultat serait actuellement négatif.

Nous avons des responsabilités en tant que société civile européenne. Je me suis rendu par deux fois en Ukraine. Au-delà de l'opposition politique, les associations sont très intéressées par notre soutien, même si elles savent que leur pays ne rejoindra pas l'Union européenne dans les six mois à venir. Elles se battent pour les valeurs européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de René Teulade

Les comités économiques et sociaux sont des lieux de dialogue social exceptionnels. J'ai longtemps fait partie du Conseil économique et social français. La force de ces comités est qu'ils ne sont soumis à aucune législature. Ils mènent des débats d'une grande liberté. Mais, les Gouvernements les écoutent rarement.

Lorsque je présidais la commission des affaires sociales du Conseil économique et social, nous avions élaboré un rapport sur la réforme des retraites qui avait l'accord de tous les partenaires en 2002. Il fut douloureux de me retrouver ensuite au Sénat avec le problème des déficits et la réforme des retraites à mener !

Pourquoi les Gouvernements n'écoutent-ils pas les comités économiques et sociaux ? C'est sans doute parce que l'application de leurs décisions poserait un problème politique. On n'utilise pas assez leur travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Le chômage en France est notre souffrance partagée et notre juste obsession. Le taux de chômage dans la zone euro est de 12 %, dans l'union des 28 il est de 10,7 %, légèrement en baisse. Quel rôle joue l'euro sur le taux de chômage ? Pourquoi n'y a-t-il pas d'écart entre la zone euro et l'union des 28 ? Défenseur de l'euro, j'ajoute que ma question est un peu provocatrice...

L'Allemagne a décidé récemment d'instaurer un Smic. Quel sera l'impact de cette décision ? Ouvre-t-elle la voie à une convergence des salaires minimum de la zone euro ?

Le déficit régulier dans le financement de la protection sociale passe pour une spécificité française. Est-ce aussi votre perception ?

En France, la politique de protection de la santé publique consiste à augmenter le prix du tabac. L'expérience a montré, sous la présidence de Jacques Chirac, qu'il en résulte une baisse du nombre des fumeurs. Mais, qui voyage entre le Luxembourg et la France est tenté de remplir son coffre de cigarettes avant de partir ! Comment uniformiser les politiques de santé publique, étant donné des niveaux de taxation très divers ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Printz

Les prévisions sont catastrophiques quant à la participation aux élections européennes. Nos concitoyens rendent l'Union européenne responsable de tout ce qui ne va pas. Comment changer cet état d'esprit ? Est-il dû à une méconnaissance du fonctionnement de l'Union et du Parlement européen ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Les territoires ultramarins sont-ils représentés au sein du Comité économique et social européen ?

Menez-vous une réflexion sur le droit des femmes ?

Debut de section - Permalien
Henri Malosse, président du Comité économique et social européen

Monsieur Teulade, vous avez raison : pourquoi ne sommes-nous pas écoutés ? Lorsque j'étais rapporteur du Comité sur la directive Bolkestein, il y a quelques années, nous avions attiré l'attention sur le dumping social et fiscal qui en résulterait. Pourquoi a-t-on soumis les travailleurs détachés jusqu'à trois mois, aux règles du pays d'accueil, sauf pour les cotisations sociales, contrairement à ce que je préconisais ? Le tollé qu'elle a suscité en France et ailleurs aurait été épargné, en dépit du bricolage postérieur du Parlement européen, qui a repris certaines de nos suggestions.

Depuis une quinzaine d'années, les institutions de l'UE ont tendance à négliger, non seulement le Comité économique et social, mais aussi les acteurs sociaux reconnus, organisations professionnelles, syndicales, consulaires, au profit d'une myriade de lobbyistes. Le Parlement européen a organisé des « agoras citoyennes » : sur 300 personnes, 20 à 30 représentent des organisations légitimes, noyées au sein de « la société civile du rond-point Schuman », des gens respectables assurément, mais dont la représentativité se mesure au carnet d'adresses. Cela pose un problème de démocratie.

Du temps de Jacques Delors, le président de la Commission accordait une grande importance à notre Comité. Il lui avait demandé un avis exploratoire sur la dimension sociale de l'Europe, qui a inspiré le volet social des traités. Hélas, ce respect et cette confiance se sont dégradés. C'est pourquoi je fonde beaucoup d'espoirs dans notre accord de coopération avec le Parlement européen.

Nous sommes libres, puisqu'il n'y a pas de mandat impératif : nous dialoguons, trouvons des consensus. Ainsi, sur le temps de travail, nous avons dégagé des idées de compromis, qui ont été ensuite reprises par le Parlement ou le Conseil européens. Mais on nous néglige. Nous devons nous battre, prendre la parole... Depuis vingt ans, nous avons été trop « gentils », aussi n'étions-nous guère écoutés. Il nous faut être plus directs, planter du clinton à Alès !

Sur le chômage, il faut se garder d'inférer des corrélations hâtives, tant le problème est complexe. La situation géographique entre en ligne de compte. Il y a, hors zone euro, des pays comme la Suède et le Danemark, dont la situation économique est meilleure que celle des autres, pour de multiples raisons. Au sein de la zone euro, l'Autriche, l'Allemagne ont des taux de chômage moins élevés que d'autres pays. Il y a, au sein de la zone euro, des pays qui ont été frappés plus durement par la crise, et ont bénéficié de la solidarité de leurs partenaires. Les conditions posées, l'austérité ont-elles été trop dures ? Certains le pensent. Les relations de cause à effet ne sont portant pas aisées à établir. Le Royaume-Uni fut, des 28, le plus frappé par la crise bancaire, mais aussi celui qui a consacré le plus d'argent public au sauvetage de ses banques ; il n'est pas membre de la zone euro. Contrairement à l'Irlande, à la Grèce ou à l'Espagne, il disposait des ressources pour ce faire.

Sur le Smic, l'Allemagne évolue positivement. Faut-il imaginer un jour un Smic européen ? Nous avons proposé - en relayant la suggestion du groupe des travailleurs - qu'un revenu minimum européen soit établi en fonction du PIB de chaque pays. Lorsque je suis allé en Bulgarie, j'ai fait la « une » des journaux, en évoquant un niveau de 400 euros dans dix ans, qui fait rêver là-bas !

La convergence fiscale et sociale doit devenir l'un des piliers de la construction européenne. Depuis quinze à vingt ans, dans la plupart des pays, un sentiment général de la concurrence a fait place à celui de la convergence et de la solidarité. Nos systèmes fiscaux et sociaux sont mis en concurrence, plus qu'ils ne sont incités à converger. Certains s'en sortent mieux que d'autres, lesquels ont le sentiment qu'on leur impose l'austérité, qu'on ne leur propose que de se serrer toujours davantage la ceinture. Il manque des « solidarités actives », selon la belle expression de Jean Monnet, autour d'objectifs communs. Songez qu'il y a un écart de un à douze entre le revenu minimum en Bulgarie et au Luxembourg !

Jacques Delors, pendant son deuxième mandat, avait tenté de proposer aux Gouvernements, ce qui était plus facile à faire à quinze qu'à vingt-neuf, un calendrier progressif vers la convergence, une sorte de « serpent ». Une telle perspective pourrait être expliquée à nos concitoyens : même s'il y aura toujours des fraudeurs, plutôt que de conduire au dumping social, l'Europe pourrait être plus solidaire, plus forte. En Grèce, quand le prix du tabac a augmenté, des cigarettes de contrebande ont été importées de Turquie et de Bulgarie. Si l'on se contente de proclamer « que le meilleur gagne ! », si l'Europe n'est qu'un marché, elle n'a plus de sens.

L'Allemagne a connu de graves déficits de ses comptes sociaux au début du mandat de Gerhard Schröder, lequel a entrepris des réformes l'ayant rendu impopulaire, puisqu'il a choisi de baisser les cotisations sociales. Le déficit a disparu. Les solutions ne sont pas légion : ou l'on réduit les prestations, ou l'on augmente les cotisations. La France elle-même est confrontée à ce choix. Cela étant, l'Europe, vue du reste du monde, reste fondée sur un modèle social qui se caractérise avant tout par son système de protection sociale. D'où l'importance de la convergence.

Les régions appelées ultra-périphériques dans le jargon européen comprennent, outre nos départements et territoires ultramarins, les îles Canaries, les archipels de Madère et des Açores, qui nous permettent de ne pas être isolés. Il est toujours difficile d'expliquer à un Finlandais les spécificités de territoires au climat très différent du sien, au point que certaines prétentions des fonctionnaires européens à réglementer de manière uniforme des dispositifs aussi importants que les toboggans des espaces de jeux pour enfants peuvent s'en trouver contrariées...Ainsi, on interdit à La Réunion, en vertu de la réglementation européenne sur le traitement des déchets lourds, d'expédier ses pneus usagés en Afrique du Sud, pourtant bien plus proche que le continent européen...

Le droit des femmes est un sujet important, mais je dois reconnaître que notre Comité n'est pas paritaire...

Debut de section - Permalien
Henri Malosse, président du Comité économique et social européen

Non, bien au contraire...Nous nous sommes autosaisis du rôle des femmes dans l'entrepreneuriat, nous avons soutenu l'initiative de Mme Reding sur la place des femmes dans les conseils d'administration. Nous sommes très actifs dans le domaine de la défense des droits des femmes. L'égalité hommes-femmes au travail a été améliorée par l'UE, compétente en vertu des traités, par des initiatives législatives dont nous sommes souvent à l'origine...

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Nous sommes choqués, en Alsace, du niveau très bas des salaires outre-Rhin : ainsi une secrétaire de mairie travaillant depuis vingt-neuf ans à Badenweiler perçoit 376 euros par mois ! Ne peut-on lancer des expérimentations avec l'Allemagne ? Il est rageant de constater que l'asperge alsacienne soit vendue 2 euros moins chère en Allemagne que chez nous...

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bernard-Reymond

Vous jouez un rôle important dans la construction européenne. Quel jugement portez-vous sur son avenir ? Etes-vous plutôt enclin à l'optimisme ou au pessimisme ? Traversons-nous une crise, une période de mutation, ou de déclin ?

Que proposerez-vous pour réformer les traités ou accroître le rôle du Comité économique et social au sein des institutions européennes ?

Les Anglais de votre Comité se comportent-ils conformément à l'attitude générale de leurs compatriotes à l'égard de l'Europe ?

Debut de section - Permalien
Henri Malosse, président du Comité économique et social européen

Lorsque vous étiez ministre, l'esprit de coopération prévalait sur celui de concurrence, qui l'a emporté aujourd'hui, ce qui m'inquiète beaucoup. Tant de programmes de coopération transfrontalière se sont pourtant développés depuis vingt ans ! Les tensions qui s'expriment portent atteinte à l'idée même d'Europe. Nous sommes dans une crise existentielle. Beaucoup de responsables européens, même au plus haut niveau, n'y croient plus. Ils font carrière plus qu'ils ne portent des convictions. L'enthousiasme n'y est plus.

Pour les prochaines élections européennes, une offre se présente qui consiste à sortir de l'Europe telle que nous la connaissons, pour revenir au système intergouvernemental traditionnel, dont on a vu les résultats au cours des siècles. Un pays puissant agrégerait autour de lui des Etats vassaux, les Britanniques privilégieraient leur relation avec les Etats-Unis, les Etats du sud seraient déstabilisés, ou chercheraient une autre voie. L'autre offre provient de nos amis fédéralistes. Comment faire accepter à nos concitoyens de transférer tous les pouvoirs à Bruxelles, avec ses réglementations stupides et ses lobbies ? La troisième voie serait la pire : elle consisterait à ne rien changer, le système actuel ne pouvant plus prendre de décision. Je reste néanmoins optimiste. Je souhaite m'engager dans une coalition d'idées pour changer les choses, aller vers une convergence sociale et fiscale, dans le cadre d'un nouveau « serpent », renouer avec la méthode communautaire, refonder l'Europe sur des valeurs, la liberté d'entreprendre et la solidarité, mener des politiques industrielle, énergétique, de défense communes.

Il conviendrait de renforcer les compétences des Parlements nationaux dans le contrôle de subsidiarité - les Anglais nous appuieraient - et de confier aux acteurs économiques et sociaux un rôle plus direct dans ce contrôle.

Notre compétence législative générale, des pommeaux de douche à la hauteur des roues des tracteurs, pourrait être recentrée en amont, peut-être autour des initiatives citoyennes, à l'instar du Conseil économique et social français, auxquelles il convient de donner davantage d'ampleur. Actuellement, ce ne sont que des gadgets sans conséquences.

J'ai été président de groupe longtemps : les plus actifs chez nous sont les membres britanniques, qui sont les seuls à être évalués par leur Gouvernement, avant leur nomination ou leur renouvellement. Ils considèrent que notre Comité ne sert à rien, mais y envoient des gens qu'ils sélectionnent et dont ils contrôlent les activités. Nous nous réunissons avec notre représentation permanente une fois l'an, les Britanniques une fois par mois. Ils sont actifs, présents, pragmatiques. Certes, la convergence fiscale et sociale n'est pas leur cup of tea...

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Cela fait longtemps que nous n'avions pas entendu un président du Comité économique et social européen. Ce fut une expérience intéressante, partagée entre nos deux commissions. Nous poursuivrons nos échanges. Le Parlement français et le Sénat en particulier disposent depuis la réforme constitutionnelle de 2008 et l'article 88-6 d'un vrai pouvoir de contrôle de la subsidiarité. Nous en avons fait usage sur le droit de grève des travailleurs détachés (« Monti 2 »), où nous avons obtenu avec d'autres Parlements la minorité qualifiée du tiers, qui a abouti au retrait du texte par la Commission ; sur le Parquet européen, aussi, pour introduire la collégialité qui n'était pas prévue par le texte initial de Mme Reding, ce qui reviendra sans doute à son successeur. Restons en contact !

Debut de section - Permalien
Henri Malosse, président du Comité économique et social européen

Volontiers. Merci.