Intervention de Pascal Berteaud

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 5 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Pascal Berteaud directeur général de l'institut national de l'information géographique et forestière ign

Pascal Berteaud, directeur général de l'IGN :

Quelques mots, tout d'abord, sur l'histoire de l'institution. Elle remonte au XVIIème siècle, avec la création par Colbert de la commission royale de la carte de France, et par Louvois du dépôt de guerre, lointain ancêtre de l'IGN. L'enjeu était alors de dresser une cartographie générale de la France, avec des repères de géodésie. Ce fut la fameuse carte de Cassini, dont l'élaboration a requis un siècle et demi. Lorsque le projet fut arrivé à maturité, entre la fin du XVIIIème et le début du XIXème, Napoléon jugea qu'il était trop stratégique pour être laissé au pouvoir civil et le classa secret défense. Quant au dépôt de guerre, il devint le service géographique des armées. L'institution est donc née sous régime militaire. Elle s'est alors employée à l'élaboration des cartes d'Etat major. C'est au début du XXème siècle qu'apparaît la cartographie au 25/1000ème, toujours sous régime militaire. Avec la débâcle de 1940, c'est encore une préoccupation stratégique - éviter que l'outil ne tombe dans les mains de l'armée allemande - qui détermine la signature par Pétain du décret du 27 juin 1940 transformant l'IGN, qui trouve là son appellation, en service civil. Commencent alors à se diffuser les cartes au 25/1000ème.

En 2012, l'IGN a fusionné avec l'Inventaire forestier national, regroupement de deux métiers qui l'un et l'autre ont vocation à décrire. Jusqu'à ces dernières années, l'IGN a eu presque exclusivement pour mission de faire des cartes, dont la vente lui assurait un tiers de ressources propres, le reste de son budget, soit les deux tiers, relevant d'une dotation de l'Etat. Notre métier consiste à acquérir des données, par voie aérienne ou satellitaire mais aussi grâce à nos équipes de terrain. Nous créons de grosses bases de données et concevons des logiciels pour en tirer automatiquement cartes et ortophotoplans. Tout n'est cependant pas automatisé : outre 800 ingénieurs et techniciens, 700 ouvriers travaillent en aval du processus.

Depuis quelques années, l'émergence du numérique et la deuxième révolution de l'Internet, ont profondément modifié le contexte. Avec l'apparition des terminaux numériques - smartphones, tablettes - nous sommes passés d'une société de l'information à une société de l'information géolocalisée. Si Google a entrepris de faire des cartes, c'est que la composante géographique de l'information est devenue essentielle, dans la mesure où les clients sont devenus mobiles. Désormais, les modèles économiques de l'Internet sont tous fondés sur l'utilisation de données de géolocalisation. L'IGN n'est donc plus seul à produire des cartes. Toutes les grandes multinationales s'intéressent au sujet. Elles mettent à disposition des données certes gratuites, mais se payent en vendant ce que d'aucuns ont appelé du « temps de cerveau disponible », grâce à la collecte des données de leurs utilisateurs...

A l'IGN, la confection des cartes est désormais presque automatisée. Nous avons, l'été dernier, créé la première carte automatisée, par extraction de nos bases. La partie est rude car avec le big data, il est devenu possible de brasser d'énormes quantités de données. L'application Tom Tom pour Iphone, par exemple, met à jour ses bases en utilisant les traces GPS de ses clients, quelque 15 milliards de traces grâce auxquelles des logiciels mettent à jour les cartes. Google a acquis l'an dernier la start up Waze, créée il y a cinq ans seulement, pour 1 milliard de dollars ! Cette application met à jour ses cartes en temps réel en se fondant sur les temps de parcours des utilisateurs : elle est aujourd'hui la plus performante pour le guidage. Bien entendu, Google ne manque pas de collecter les données des utilisateurs à des fins commerciales.

Nous avons réfléchi, au sein du conseil d'administration et avec les salariés, à ce que devrait être l'IGN du XXIème siècle. On peut se demander, au premier abord, si dès lors que l'on trouve de l'information géographique partout, l'IGN peut encore être utile. Mais on comprend vite que comme par le passé, l'information géographique demeure stratégique pour un pays. La capacité de se décrire, de décrire les autres, de maîtriser des technologies porteuses de croissance est un élément de souveraineté. Quand on envoie des missiles au Mali, mieux vaut ne pas dépendre de l'information géographique délivrée sur Google ou Openstreetmap. Mais cela vaut aussi au plan civil et national : pour l'implantation de zonages réglementaires, il faut pouvoir compter sur une information géographique précise. Sans parler de la protection des données personnelles, sachant que le modèle économique des cinq majors du net est fondé sur leur exploitation, et que lorsque par un simple clic, on dit oui à l'utilisation de ses données personnelles, on ne sait pas bien à quoi cela engage. Enfin, la France se doit de maîtriser des technologies créatrices de richesses, pour qu'il ne soit pas dit que le prochain Google ou le prochain Facebook sera nécessairement américain.

Nous avons ainsi reconfiguré les missions de l'IGN, autour de plusieurs axes. La recherche et développement et l'enseignement, tout d'abord. L'institut a toujours fonctionné à la manière des arsenaux, avec son école, ses laboratoires - au reste bien notés par l'Agence nationale de la recherche. Pourquoi ne pas utiliser ces capacités pour répondre aux besoins de la nation ? Nous avons donc décidé de nous engager dans des partenariats industriels, de créer des incubateurs de projets - le premier sera lancé dans les semaines à venir. Nous sommes également capables de former les ingénieurs et les techniciens de la géomatique dont les collectivités locales et les grandes entreprises françaises ont besoin.

Deuxième mission, décrire le territoire et acquérir des données géographiques. Nous devons être capables de fabriquer des référentiels d'autorité couvrant l'ensemble du pays. Sur le net, si l'on trouve beaucoup d'informations sur les zones denses, il n'en va pas de même pour les zones rurales. Il s'agit pour nous de fournir des données précises, mises à jour à bonne fréquence, en élaborant des référentiels de socle pour asseoir la réglementation et bâtir les politiques publiques. Dire que pour 90 % des usages, une information géographique normée n'est pas requise, c'est aussi dire qu'elle le demeure pour 10 %.

De tels référentiels rendront possible le croisement des données, et la simulation. A l'époque de Colbert, on avait besoin d'une description physique du territoire pour des raisons militaires. Aujourd'hui, on en a également besoin pour des raisons économiques, sociales, environnementales. Si l'on est capable de produire des données d'une grande précision, à 50 centimètres, on peut bâtir un service numérique du territoire pour mettre en scène l'ensemble de ces données. L'IGN pourrait offrir une telle infrastructure, alimentée par les acteurs, dans une logique de plate-forme.

Demeure enfin notre mission au service du ministère de la Défense : cartographie et système d'information sur les points chauds du globe pour préparer de potentielles interventions, assistance aux forces en temps de conflit, pour le ciblage.

En matière de description du territoire, nous avons d'ores et déjà ajouté, à la description physique, une description réglementaire. Nous avons identifié pas moins de 400 types de zonage. A l'heure où l'on parle de simplification, mettre à disposition des décideurs de telles informations éclairerait bien des débats...

Nous avons également le projet d'un géoportail de l'urbanisme, agrégeant les PLU, pour une recherche par parcelle sur internet. Qui va consulter le tableau en liège de la mairie où sont épinglés les permis de construire ? Personne. Or chacun pourrait y avoir facilement accès, grâce à un simple logiciel. Même chose pour les enquêtes publiques. Autant de services indispensables que nous pourrions offrir au citoyen. Et l'on peut même imaginer aller plus loin, en fournissant des statistiques utiles pour l'ensemble des politiques publiques. C'est là un enjeu d'avenir.

En matière de capacité prédictive et de simulations touchant au changement climatique, nos projets en sont au stade de la recherche. Nos modèles sont plus précis aujourd'hui qu'il y a quatre ou cinq ans : une maille de 8 à 12 kilomètres, soit entre le 100/1000ème et le 200/1000ème. Or, s'il existe une abondante littérature sur le sujet, on ne trouve pas, en revanche, de cartes : le savoir-faire de l'IGN vaudrait d'être utilisé. Nous savons représenter des données brutes, comme les variations de température ou la pluviométrie - travail que nous avons engagé - mais aussi produire des simulations. Nous avons identifié des domaines. En matière agricole, hydrographique, forestière, nous travaillons avec l'INRA (Institut national de la recherche agronomique). Pour les inondations, nous allons travailler avec l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture). Au printemps, nous devrions disposer de prototypes sur une zone test...

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