Paris, Seine-Saint-Denis, Nord, Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Rhône, Bas-Rhin, Loiret, Essonne, Gironde, Moselle, et Val-d'Oise, auxquels s'ajouterait le Val-de-Marne.
Les départements, au premier rang desquels la Seine-Saint-Denis, en appellent à l'État depuis le milieu des années 1990 pour les aider à financer cette dépense. J'ai assisté à des échanges entre Claude Bartolone et Charles Pasqua, l'un évoquant la dérive des coûts de l'aide sociale à l'enfance, l'autre les rentrées fiscales générées par Roissy. Le premier rapport sur ces questions a été réalisé par le préfet Bertrand Landrieu. Il proposait de créer un « sas d'accueil, d'évaluation et d'orientation », organisé au plan régional et piloté par l'État afin d'assurer la coordination interministérielle des différents services mobilisés - y compris ceux du ministère des affaires étrangères, afin de dialoguer avec les pays d'origine. Ce rapport préconisait en outre de distinguer cette plateforme d'accueil des solutions d'hébergement afin d'« éviter les ghettos pour mineurs étrangers », mais laissait entière la question de la répartition des frais entre l'État et les départements.
Le rapport remis en 2005 par l'IGAS reprenait l'idée d'une fonction spécifique d'évaluation-orientation, distincte de la mission de l'hébergement assurée par les services de l'aide sociale à l'enfance. Cette fonction spécifique serait exercée au moyen de plateformes ou « réseaux coordonnés de compétences » réunissant divers partenaires au niveau départemental ou régional et permettant d'établir, en quelques semaines ou mois, un bilan complet de la situation du mineur assorti de propositions d'orientation. Cette phase d'évaluation-orientation de trois à quatre mois relèverait de la compétence de l'État, seul susceptible de coordonner les différents services.
Le troisième et dernier rapport ayant fait avancer le traitement de cette question date de mai 2010. Il a été réalisé par notre collègue Isabelle Debré, nommée parlementaire en mission auprès du Garde des Sceaux. Il distingue trois phases de prise en charge : pour la période de cinq jours de mise à l'abri, il propose de créer dans chaque département un dispositif de mise à l'abri, immédiat, à court terme, en dehors de toute saisine préalable d'un juge du siège, financé par l'État, adapté et ajustable aux besoins locaux ; pour la phase d'évaluation et d'orientation, de 6 semaines à 4 mois, il incite au développement dans chaque département d'un dispositif d'évaluation et d'orientation ; enfin, l'accueil à long terme se ferait dans les dispositifs de droit commun, dans le respect de l'intérêt de l'enfant.
Le rapport de Mme Debré reprend également la proposition du préfet Landrieu de plateformes opérationnelles territoriales pour coordonner les actions de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation. L'État financerait ces actions, tandis que reviendrait au département la responsabilité de financer l'accueil à long terme, au moyen d'un droit de tirage sur un fonds dédié au sein du fonds national de la protection de l'enfance. À la suite de ce rapport, le Premier ministre a confié au ministère de la justice une mission de coordination de l'ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge des mineurs isolés étrangers. La direction de la PJJ a ainsi mis en place une direction de projet dédiée en janvier 2011.
Face à la dégradation de la situation dans son département, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, a pris un arrêté suspendant l'accueil des mineurs isolés étrangers à compter du 1er septembre 2011, qui a servi de modèle à d'autres arrêtés, tous annulés par le juge administratif ou en passe de l'être. Le ministre de la justice de l'époque, Michel Mercier, a alors pris une mesure d'urgence : la répartition par le procureur de la République des mineurs isolés étrangers identifiés en Seine-Saint-Denis dans vingt et un départements du bassin parisien, sur le fondement des informations centralisées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
L'État et l'Assemblée des départements de France ont signé le 31 mai 2013 un protocole qui s'inspire en partie du rapport de Mme Debré et étend le mécanisme instauré par M. Mercier. Il poursuit un triple objectif : limiter les disparités entre les départements en termes de flux d'arrivée des jeunes, garantir la protection des intérêts et le respect des droits des mineurs, harmoniser les pratiques des départements lors de la période de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation. La clé de répartition retenue pour atteindre le premier objectif repose sur la part de population de moins de 19 ans dans chaque département, et ne fait aucune référence au nombre de mineurs déjà pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Le protocole crée en outre une cellule nationale placée auprès de la direction de la PJJ, chargée du suivi des flux d'arrivée de jeunes isolés étrangers. La base statistique ne permet pas encore aux juges des enfants de savoir ce que sont devenus les mineurs sortis du système d'aide sociale à l'enfance.
Le protocole précise par ailleurs la répartition des charges financières entre l'État et les départements. L'État prend désormais à sa charge le financement de la période de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation dans la limite de cinq jours et sur la base d'un remboursement forfaitaire de 250 euros par jeune et par jour. À l'issue de cette phase, la prise en charge financière du mineur relève du département.
Cela fait quinze ans que l'on parle de ce problème, mais les solutions sont très récentes. Le protocole prévoit une évaluation du dispositif au bout de douze mois, ainsi que la mise en place d'un comité de suivi opérationnel et un rapport conjoint des inspections générales dépendant de chacun des ministres signataires du protocole.
Pourquoi tant d'émotion ? D'abord car les bases statistiques sont très faibles. Pour établir le protocole, on a raisonné sur des flux d'entrée évalués à 1 500 personnes. Ce sont en réalité 4 020 mineurs isolés étrangers qui sont attendus sur la base des premiers chiffres recueillis. 40 % ont été orientés dans d'autres départements que celui dans lequel ils sont arrivés. Ils ne représentent que 3 % à 4 % de ceux pris en charge par l'ASE. Mieux vaut raisonner par structure d'âge : la plupart ont seize ou dix-sept ans, tranche d'âge dans laquelle les structures d'accueil sont saturées.
La proposition de loi de Jean Arthuis recentralise les compétences : l'article 1er met à la charge de l'État les frais de prise en charge dans les centres provisoires d'hébergement régionaux ou interrégionaux, créés par son article 5, et les frais de prise en charge des mineurs isolés étrangers confiés, en application d'une mesure judiciaire d'assistance éducative, à un service départemental de l'aide sociale à l'enfance. L'article 2 limite simultanément la compétence des départements à la seule phase de mise à l'abri, réduite à 72 heures, à l'instar du dispositif prévu par le CASF pour le recueil des jeunes fugueurs ; une fois le délai écoulé, le procureur ordonnerait le placement provisoire du mineur isolé étranger. L'exposé des motifs du texte l'inscrit dans la filiation des rapports précédents, mais il s'en écarte sensiblement.
La proposition de loi crée en outre un fichier alimenté par des données biométriques, semblable au système Eurodac. Les données statistiques sont certes insuffisantes, mais je doute que les critères de finalité précise et de proportionnalité des moyens à cette finalité, établis par la loi « Informatique et libertés », soient ici réunis.
À cela s'ajoute une difficulté juridique de fond : la proposition de loi désigne les mineurs isolés étrangers par référence au premièrement de l'article L. 511-4 et à l'article L. 521-4 du CESEDA, ce qui fait entrer dans le champ de la proposition de loi tous les mineurs étrangers, qu'ils soient ou non accompagnés d'un adulte titulaire de l'autorité parentale. Or les différences de traitement impliquées par la mise en place de centres dédiés à l'accueil et l'évaluation de mineurs isolés étrangers ne seraient justifiées que par la nécessité d'évaluer la minorité et le statut des jeunes présents sur le territoire français. Je n'ose pas croire que M. Arthuis admette cette différence de traitement sur le fondement d'un critère de nationalité, ce qui violerait les engagements internationaux de la France, en particulier le principe de non-discrimination à raison de la nationalité posé à l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Au surplus, la proposition de loi ne tient pas compte des nécessaires compensations financières imposées par l'article 72-2 de la Constitution.
Jean-Pierre Michel a été chargé par le Premier ministre d'un rapport sur la PJJ, qui donne raison à Mme Debré : le principe d'une prise en charge en matière d'hébergement par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance devait être conservé, et la phase d'évaluation et d'orientation centralisée autour d'une ou plusieurs plateformes de coordination et d'accueil, et financée par l'État.
Je suis hostile au texte dans sa rédaction actuelle, mais désireux de faire oeuvre constructive : je propose par conséquent son renvoi en commission, non pour l'enterrer, mais pour nous donner le temps de la réflexion. D'abord, car les trois inspections remettront leur rapport le 15 avril prochain : ce sera la première évaluation des flux réels de mineurs isolés à destination de notre pays. De plus, le comité de suivi opérationnel du protocole de mai 2013 ne s'est réuni que deux fois depuis son installation. Ensuite, parce que la CNIL, tout en reconnaissant les lacunes des statistiques existantes, a émis les plus expresses réserves sur le système biométrique. Enfin, la définition exacte des compétences des départements prévue dans le projet de loi de décentralisation servira de fondement à nos discussions. En effet, si l'aide sociale à l'enfance est une compétence obligatoire des départements, ce n'est pas le cas pour les jeunes majeurs.