Avant d'écouter M. Vandierendonck, rapporteur sur la proposition de loi déposée par M. Arthuis relative à l'accueil et à la prise en charge des mineurs étrangers, je vous indique que nous entamerons bientôt les auditions préalables à l'examen de la réforme pénale, auxquelles tous les sénateurs seront conviés.
Il faudrait parvenir à faire voter une réforme constitutionnelle. Voyez la situation du procureur général de Paris...
J'y pense. J'ai préparé une note précise sur ce point à l'attention de quelques autorités.
Il serait bon de parvenir à une réforme du CSM susceptible d'être votée. Notre rapporteur Jean-Pierre Michel a déjà fait des propositions dans ce sens.
La commission procède à l'examen du rapport de M. René Vandierendonck et du texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 154 (2013-2014) relative à l'accueil et à la prise en charge des mineurs étrangers.
Le phénomène des mineurs isolés étrangers est apparu à la fin des années 1990. L'absence de définition juridique de cette population le rend difficile à appréhender. Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) n'évoque les mineurs que pour interdire leur éloignement, que ce soit au titre d'une obligation de quitter le territoire français - à l'article L. 511-4 - ou d'une expulsion - à l'article L. 521-4. Lorsqu'il était ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, Éric Besson avait reconnu qu'un mineur ne pouvait être considéré comme en situation irrégulière dans la mesure où le CESEDA ne lui faisait pas obligation de détenir un titre de séjour.
La matière est gouvernée par des conventions internationales - qui priment la loi -, dont celle relative aux droits de l'enfant adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989. Seuls les États-Unis, la Somalie et le Soudan du Sud ne l'ont pas signée. Son article 22 stipule notamment que « lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut être retrouvé, l'enfant se voit accorder, selon les principes énoncés dans la présente Convention, la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit ». La prise en charge des mineurs isolés étrangers découle de ces engagements. Elle est assurée par les départements, compétents en matière d'aide sociale à l'enfance (ASE). Si les auteurs de cette proposition de loi la remettent en cause, c'est en raison de la très forte concentration géographique de ces mineurs, de l'existence de trafics et des coûts de cette prise en charge.
La loi du 5 mars 2007 - votée par M. Arthuis - a réparti les compétences entre l'État et les départements. Valérie Pécresse, rapporteure du texte, regrettait initialement que le projet de loi n'abordât pas la prise en charge des mineurs isolés. La députée socialiste Patricia Adam a déposé un amendement complétant l'article L. 112-3 code de l'action sociale et des familles (CASF), disposant que « la protection de l'enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge ». Mme Pécresse a reconnu en séance que cet amendement apportait « une première réponse de principe à la question des mineurs isolés étrangers ».
Or, aux termes de l'article L. 121-1 du CASF, la politique d'action sociale incombe aux départements. L'article L. 228-3 du même code dispose que « le département prend en charge financièrement au titre de l'action sociale à l'enfance, les dépenses d'entretien, d'éducation et de conduite de chaque mineur : confié par l'autorité judiciaire en application des articles 375-3, 375-5 et 433 du code civil à des personnes physiques, établissements ou services publics ou privés ; confié au service de l'aide sociale à l'enfance dans les cas prévus au 3° de l'article L. 222-5 ». D'aucuns ont interprété l'article L. 228-5 du CASF comme faisant supporter à l'État les dépenses de prise en charge des mineurs isolés étrangers. Le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2005 conteste cette interprétation : « l'application de cet article, à la discrétion du gouvernement, ne peut qu'être réservée à des situations exceptionnelles d'urgence humanitaire dans le pays d'émigration. On ne saurait s'appuyer sur ce texte pour affirmer une compétence générale de l'État ».
Afin de compenser la mise en oeuvre par les départements de la réforme de la protection de l'enfance, l'article 27 de la loi, à l'initiative du Sénat, avait créé un fonds national de protection de l'enfance, géré par la Caisse nationale d'allocations familiales. Le Conseil constitutionnel, par une décision du 25 mars 2011 rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé cet article conforme à la Constitution. En effet, si la loi de 2007 a modifié les conditions d'exercice de l'aide sociale à l'enfance par les départements définies par les lois de décentralisation de 1982 et 1986, elle n'a pas élargi le champ de ses bénéficiaires ni créé de nouvelles prestations sociales. Bref, elle n'a ni transféré ni élargi de compétences. Ce fonds n'a pas été mis en place avant le décret du 17 mai 2010.
En définitive, les départements ont une triple compétence : dans la mise à l'abri des mineurs, sitôt repérés par l'aide sociale à l'enfance ou une association agréée - l'article L. 223-2 du CASF n'imposant la saisine de l'autorité judiciaire qu'à l'issue d'un délai de cinq jours ; dans l'évaluation et l'orientation des mineurs, visant à s'assurer de leur minorité, présumée, et de leur isolement ; dans l'accueil des mineurs à plus long terme après décision judiciaire de placement définitif.
Le phénomène des mineurs isolés étrangers se caractérise par sa très forte concentration dans certains départements. Celle-ci s'explique soit par la géographie - frontière, présence d'un aéroport international -, soit par la présence de communautés étrangères et la tradition d'accueil et d'ouverture de certains territoires. Une douzaine de départements ont accueilli entre le 1er juin et le 31 décembre 2013 plus de la moitié des arrivées spontanées de jeunes évalués mineurs et isolés.
Paris, Seine-Saint-Denis, Nord, Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Rhône, Bas-Rhin, Loiret, Essonne, Gironde, Moselle, et Val-d'Oise, auxquels s'ajouterait le Val-de-Marne.
Les départements, au premier rang desquels la Seine-Saint-Denis, en appellent à l'État depuis le milieu des années 1990 pour les aider à financer cette dépense. J'ai assisté à des échanges entre Claude Bartolone et Charles Pasqua, l'un évoquant la dérive des coûts de l'aide sociale à l'enfance, l'autre les rentrées fiscales générées par Roissy. Le premier rapport sur ces questions a été réalisé par le préfet Bertrand Landrieu. Il proposait de créer un « sas d'accueil, d'évaluation et d'orientation », organisé au plan régional et piloté par l'État afin d'assurer la coordination interministérielle des différents services mobilisés - y compris ceux du ministère des affaires étrangères, afin de dialoguer avec les pays d'origine. Ce rapport préconisait en outre de distinguer cette plateforme d'accueil des solutions d'hébergement afin d'« éviter les ghettos pour mineurs étrangers », mais laissait entière la question de la répartition des frais entre l'État et les départements.
Le rapport remis en 2005 par l'IGAS reprenait l'idée d'une fonction spécifique d'évaluation-orientation, distincte de la mission de l'hébergement assurée par les services de l'aide sociale à l'enfance. Cette fonction spécifique serait exercée au moyen de plateformes ou « réseaux coordonnés de compétences » réunissant divers partenaires au niveau départemental ou régional et permettant d'établir, en quelques semaines ou mois, un bilan complet de la situation du mineur assorti de propositions d'orientation. Cette phase d'évaluation-orientation de trois à quatre mois relèverait de la compétence de l'État, seul susceptible de coordonner les différents services.
Le troisième et dernier rapport ayant fait avancer le traitement de cette question date de mai 2010. Il a été réalisé par notre collègue Isabelle Debré, nommée parlementaire en mission auprès du Garde des Sceaux. Il distingue trois phases de prise en charge : pour la période de cinq jours de mise à l'abri, il propose de créer dans chaque département un dispositif de mise à l'abri, immédiat, à court terme, en dehors de toute saisine préalable d'un juge du siège, financé par l'État, adapté et ajustable aux besoins locaux ; pour la phase d'évaluation et d'orientation, de 6 semaines à 4 mois, il incite au développement dans chaque département d'un dispositif d'évaluation et d'orientation ; enfin, l'accueil à long terme se ferait dans les dispositifs de droit commun, dans le respect de l'intérêt de l'enfant.
Le rapport de Mme Debré reprend également la proposition du préfet Landrieu de plateformes opérationnelles territoriales pour coordonner les actions de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation. L'État financerait ces actions, tandis que reviendrait au département la responsabilité de financer l'accueil à long terme, au moyen d'un droit de tirage sur un fonds dédié au sein du fonds national de la protection de l'enfance. À la suite de ce rapport, le Premier ministre a confié au ministère de la justice une mission de coordination de l'ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge des mineurs isolés étrangers. La direction de la PJJ a ainsi mis en place une direction de projet dédiée en janvier 2011.
Face à la dégradation de la situation dans son département, le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, a pris un arrêté suspendant l'accueil des mineurs isolés étrangers à compter du 1er septembre 2011, qui a servi de modèle à d'autres arrêtés, tous annulés par le juge administratif ou en passe de l'être. Le ministre de la justice de l'époque, Michel Mercier, a alors pris une mesure d'urgence : la répartition par le procureur de la République des mineurs isolés étrangers identifiés en Seine-Saint-Denis dans vingt et un départements du bassin parisien, sur le fondement des informations centralisées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
L'État et l'Assemblée des départements de France ont signé le 31 mai 2013 un protocole qui s'inspire en partie du rapport de Mme Debré et étend le mécanisme instauré par M. Mercier. Il poursuit un triple objectif : limiter les disparités entre les départements en termes de flux d'arrivée des jeunes, garantir la protection des intérêts et le respect des droits des mineurs, harmoniser les pratiques des départements lors de la période de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation. La clé de répartition retenue pour atteindre le premier objectif repose sur la part de population de moins de 19 ans dans chaque département, et ne fait aucune référence au nombre de mineurs déjà pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Le protocole crée en outre une cellule nationale placée auprès de la direction de la PJJ, chargée du suivi des flux d'arrivée de jeunes isolés étrangers. La base statistique ne permet pas encore aux juges des enfants de savoir ce que sont devenus les mineurs sortis du système d'aide sociale à l'enfance.
Le protocole précise par ailleurs la répartition des charges financières entre l'État et les départements. L'État prend désormais à sa charge le financement de la période de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation dans la limite de cinq jours et sur la base d'un remboursement forfaitaire de 250 euros par jeune et par jour. À l'issue de cette phase, la prise en charge financière du mineur relève du département.
Cela fait quinze ans que l'on parle de ce problème, mais les solutions sont très récentes. Le protocole prévoit une évaluation du dispositif au bout de douze mois, ainsi que la mise en place d'un comité de suivi opérationnel et un rapport conjoint des inspections générales dépendant de chacun des ministres signataires du protocole.
Pourquoi tant d'émotion ? D'abord car les bases statistiques sont très faibles. Pour établir le protocole, on a raisonné sur des flux d'entrée évalués à 1 500 personnes. Ce sont en réalité 4 020 mineurs isolés étrangers qui sont attendus sur la base des premiers chiffres recueillis. 40 % ont été orientés dans d'autres départements que celui dans lequel ils sont arrivés. Ils ne représentent que 3 % à 4 % de ceux pris en charge par l'ASE. Mieux vaut raisonner par structure d'âge : la plupart ont seize ou dix-sept ans, tranche d'âge dans laquelle les structures d'accueil sont saturées.
La proposition de loi de Jean Arthuis recentralise les compétences : l'article 1er met à la charge de l'État les frais de prise en charge dans les centres provisoires d'hébergement régionaux ou interrégionaux, créés par son article 5, et les frais de prise en charge des mineurs isolés étrangers confiés, en application d'une mesure judiciaire d'assistance éducative, à un service départemental de l'aide sociale à l'enfance. L'article 2 limite simultanément la compétence des départements à la seule phase de mise à l'abri, réduite à 72 heures, à l'instar du dispositif prévu par le CASF pour le recueil des jeunes fugueurs ; une fois le délai écoulé, le procureur ordonnerait le placement provisoire du mineur isolé étranger. L'exposé des motifs du texte l'inscrit dans la filiation des rapports précédents, mais il s'en écarte sensiblement.
La proposition de loi crée en outre un fichier alimenté par des données biométriques, semblable au système Eurodac. Les données statistiques sont certes insuffisantes, mais je doute que les critères de finalité précise et de proportionnalité des moyens à cette finalité, établis par la loi « Informatique et libertés », soient ici réunis.
À cela s'ajoute une difficulté juridique de fond : la proposition de loi désigne les mineurs isolés étrangers par référence au premièrement de l'article L. 511-4 et à l'article L. 521-4 du CESEDA, ce qui fait entrer dans le champ de la proposition de loi tous les mineurs étrangers, qu'ils soient ou non accompagnés d'un adulte titulaire de l'autorité parentale. Or les différences de traitement impliquées par la mise en place de centres dédiés à l'accueil et l'évaluation de mineurs isolés étrangers ne seraient justifiées que par la nécessité d'évaluer la minorité et le statut des jeunes présents sur le territoire français. Je n'ose pas croire que M. Arthuis admette cette différence de traitement sur le fondement d'un critère de nationalité, ce qui violerait les engagements internationaux de la France, en particulier le principe de non-discrimination à raison de la nationalité posé à l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Au surplus, la proposition de loi ne tient pas compte des nécessaires compensations financières imposées par l'article 72-2 de la Constitution.
Jean-Pierre Michel a été chargé par le Premier ministre d'un rapport sur la PJJ, qui donne raison à Mme Debré : le principe d'une prise en charge en matière d'hébergement par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance devait être conservé, et la phase d'évaluation et d'orientation centralisée autour d'une ou plusieurs plateformes de coordination et d'accueil, et financée par l'État.
Je suis hostile au texte dans sa rédaction actuelle, mais désireux de faire oeuvre constructive : je propose par conséquent son renvoi en commission, non pour l'enterrer, mais pour nous donner le temps de la réflexion. D'abord, car les trois inspections remettront leur rapport le 15 avril prochain : ce sera la première évaluation des flux réels de mineurs isolés à destination de notre pays. De plus, le comité de suivi opérationnel du protocole de mai 2013 ne s'est réuni que deux fois depuis son installation. Ensuite, parce que la CNIL, tout en reconnaissant les lacunes des statistiques existantes, a émis les plus expresses réserves sur le système biométrique. Enfin, la définition exacte des compétences des départements prévue dans le projet de loi de décentralisation servira de fondement à nos discussions. En effet, si l'aide sociale à l'enfance est une compétence obligatoire des départements, ce n'est pas le cas pour les jeunes majeurs.
Merci pour cette présentation très approfondie. Nous prenons acte de votre proposition de renvoi en commission, parfaitement justifiée et non dilatoire. Si M. Mohamed Soilihi avait été parmi nous, il n'aurait pas manqué de souligner la situation particulière de Mayotte, qui compte autant de mineurs isolés que le reste de la France.
Je veux adresser mes félicitations à notre rapporteur pour ce travail exhaustif.
La PJJ, sur laquelle j'ai rendu un rapport, est chargée de coordonner les actions des pouvoirs publics. Je me suis rendu dans l'Aisne, la Seine-et-Marne et le Nord : même parmi les conseils généraux de bonne volonté et dépourvus d'animosité envers les étrangers, la situation est insupportable. La prise en charge des mineurs isolés étrangers rogne les crédits de l'aide sociale à l'enfance. Les mineurs leur sont envoyés au bout de cinq jours, alors que les départements n'ont pas les moyens de se charger de l'évaluation. L'interprétariat, lorsqu'il y en a, est parfois assuré par l'épicier du coin. L'évaluation osseuse de l'âge, peu fiable sur des organismes ayant subi des privations, a été abandonnée au profit d'un dialogue avec le jeune, technique à laquelle tous les fonctionnaires ne sont pas rompus. De plus, 40% des mineurs, d'après la PJJ, ne souhaitent pas rester en France, et préfèrent gagner les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Allemagne. Doit-on financer leur prise en charge ?
Les propositions de Mme Debré étaient de bon sens : créer une plateforme régionale financée par l'État pour l'accueil des mineurs au-delà de cinq jours, évaluer leur âge, leur volonté d'intégration et assurer l'interprétariat, avant de les répartir dans les départements. La position du rapporteur est juste : attendons le rapport des trois inspections générales et le projet de loi de décentralisation.
Cette proposition de loi ne procède pas d'une initiative isolée, ni du hasard, mais d'un travail de longue haleine, dans la lignée des rapports précédents. Nous nous faisons les porte-paroles d'une situation préoccupante. Sur le terrain, tous les acteurs savent que les filières d'immigration clandestine se développent. Dans la Mayenne, tous les jeunes que j'ai rencontrés ont le même parcours : ils arrivent à Roissy - avec une étonnante facilité, je le note au passage - sans papiers, ils sont livrés à eux-mêmes ou suivent l'adresse que leur a laissée leur passeur. Car ces mineurs sont exploités par des mafias. N'encourageons pas le phénomène : cela nuirait à la cohésion sociale de notre pays, et porte préjudice avant tout à ces jeunes eux-mêmes.
La situation de l'aide sociale à l'enfance est sérieuse. Les personnels sont dévoués et compétents, mais dépassés par la situation, contraints qu'ils sont de prendre en charge des gens d'âge incertain, déracinés du fait de leur parcours tragique. Dans les foyers règne la confusion la plus totale : rixes, grèves de personnel... Cette proposition de loi est l'occasion de faire remonter un ras-le-bol. Ce n'est pas un simple problème financier de président de conseil général. Notre devoir de législateur est de nous emparer sans délai de ce problème pour y apporter des solutions.
J'ai bien conscience que ce texte est imparfait, mais nous devons engager la discussion parlementaire dès à présent. La navette aboutira à un texte solide et rapidement applicable. Je connais les qualités du rapporteur, mais ne partage pas ses conclusions : je regrette que notre commission ne s'empare pas de ce texte pour le faire ensuite voter par le Sénat, premier concerné puisqu'il comporte de nombreux présidents de conseils généraux, avant que l'Assemblée nationale ne le parachève. Je suis défavorable à un renvoi en commission.
Je suis étonné que le président de la commission des finances n'ait pas opposé l'article 40 de la Constitution à cette proposition de loi. Si nous n'étions pas à une époque où l'État a organisé sa propre insolvabilité, la solution serait simple : il s'agit d'une compétence souveraine de régulation des flux, qui relève de l'État et n'a rien à voir avec l'aide à l'enfance organisée par les départements. La question est surtout financière : qui doit payer ? Il est vrai que certains départements de la région parisienne, ou Mayotte, font face à des dépenses importantes en ce domaine. Il est non moins vrai que la présence d'un aéroport comme celui de Roissy a des avantages substantiels pour une collectivité territoriale. Certains de ces problèmes concernent tous les départements, toutefois. Cela dit, je ne sache pas que la Seine-Saint-Denis ait été complètement exclue des transferts de ressources... Et, si la richesse est créée par les métropoles avant de ruisseler alentour, celles-ci n'ont qu'à l'utiliser !
Ce problème est bien réel, mais je crois que les départements peuvent y faire face. Il conviendrait toutefois, plutôt que de mettre en place une solution spécifique, de réfléchir dans le cadre de la problématique de la péréquation des ressources entre départements, et entre les départements et l'État, afin que les ressources de chaque entité correspondent à ses tâches. Je soutiendrai donc la position du rapporteur.
Je félicite le rapporteur pour la qualité de son travail. Je suis d'accord avec M. Zocchetto. Élu d'un département frontalier, je sais ce que c'est que l'arrivée de jeunes via des filières, qui nous met dans une situation délicate : comment les identifier ? Comment vérifier leur âge ? Le directeur d'un des établissements qui les accueille me disait récemment être convaincu qu'un de ses pensionnaires était déjà majeur depuis longtemps... Le rapporteur a fait état de difficultés d'obtenir des informations auprès du ministère de l'intérieur. Que deviennent ces mineurs une fois qu'ils ont franchi le cap de la majorité ?
Merci au rapporteur pour son travail de qualité. Ce sujet étant difficile et propice à l'accumulation de non-dits, il faut dire les choses. Je le connais bien, pour y avoir été confronté comme membre du gouvernement et comme élu local. Le nombre de mineurs isolés qui arrivent sur notre territoire augmente, dans des proportions difficiles à quantifier. Lorsque M. Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis, a annoncé qu'il n'allait plus les accueillir, il a bien fallu les répartir... Ils sont nombreux à Paris. La Seine-Saint-Denis accueille le deuxième plus gros contingent, non, comme on pourrait le croire, à cause de l'aéroport, mais en raison de l'existence de communautés. Dans le département que je représente, ils sont également nombreux : là encore, la présence d'un aéroport est moins en cause que la tradition chrétienne d'accueil, que font vivre de nombreuses associations. De même, le département d'Ille-et-Vilaine en reçoit un plus grand nombre que les autres départements bretons, car il est plus imprégné de tradition chrétienne.
Que ce soit l'État ou le département qui prenne ce dossier en charge, les établissements d'accueil sont les mêmes : ceux-ci ont d'ailleurs souvent déjà une double habilitation et une double tarification. Dans mon département, ils sont tous pleins, et nous devons louer trois hôtels, pour que ces jeunes aient un hébergement et de quoi manger. La question de la responsabilité est double : il y a le financement - et le fonds de la CNAF ne suffira certainement pas - et sa répartition, qui renvoie à la maladie de la péréquation dont souffre ce pays. Nous venons de voter la création de deux fonds de péréquation : que n'en avons-nous profité pour régler ce problème ?
Au fond, qui autorise l'arrivée sur notre territoire de ces mineurs, et leur permet d'y rester ? C'est l'État. Il est vrai qu'il ne peut renvoyer des mineurs. Mais aussi, nous ne connaissons pas leur âge : j'ai emmené M. Collomb il y a quelques jours assister à l'arrivée de mineurs isolés étrangers. Il en arrive absolument tous les jours. Ils savent dire « mineur » dans notre langue : nous sommes incapables, faute de preuves, de leur répondre « majeur » ! Les travailleurs sociaux sont à l'oeuvre, mais n'en savent pas plus. Cet accueil coûte sept millions d'euros par an à mon département, le Rhône - ce qui n'est pas beaucoup par rapport aux 50 millions d'euros que l'État nous prend pour la péréquation. La question financière existe bien, donc, mais n'est pas essentielle : il ne s'agit pas de sommes astronomiques. Qui est responsable de la présence de ces jeunes sur le sol français ? Les conventions internationales lient l'État, pas les collectivités territoriales. Celui-ci ne peut donc être absent. Il pourrait, par exemple, se charger de vérifier l'âge de ces personnes.
Le rapporteur nous dit que ceux qui n'ont pas voté la loi de 2007 vont la voter aujourd'hui à sa demande. À long terme, l'accueil de ces mineurs restera une compétence du département, à condition que l'on puisse être sûr qu'ils sont mineurs. L'État doit le certifier. Il faut parler de cette problématique. Il est vrai que, dans mon département, si nous publiions le nombre de mineurs accueillis et le coût de cet accueil, cela profiterait au Front national. Le Parlement doit donc être le lieu où parler franchement de ce problème. C'est pourquoi je souhaite que le rapporteur puisse défendre ses positions en séance, qu'il y donne tous les chiffres qu'il a rassemblés, et qu'il y dise, aussi, où ces jeunes sont les plus nombreux : en Seine-Saint-Denis, mais aussi, plus curieusement peut-être, en Ariège.
C'est un sujet particulièrement sensible. Nous devrions nous demander pourquoi tant de mineurs étrangers quittent leur pays pour venir dans le nôtre, plutôt que de nous interroger sur leur destination en France, qui est naturellement plus fréquemment la Seine-Saint-Denis que la Creuse. Qu'ils soient ou non livrés à des réseaux mafieux, il s'agit d'enfants en souffrance. Que préconise cette proposition de loi ? Un glissement de la protection de l'enfance vers le contrôle migratoire, et la création d'un fichier spécifique, pour des enfants ! Le droit international préconise de faire bénéficier ces mineurs du droit commun. Le Défenseur des droits a récemment rappelé que les mineurs isolés étrangers devaient « être considérés comme des enfants, bénéficiant à ce titre de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales applicables à cette population particulièrement vulnérable, avant d'être appréhendés comme étant de nationalité étrangère ».
Le vrai problème est de savoir comment donner à l'aide sociale à l'enfance les moyens de faire face à ses missions. La Seine-Saint-Denis est le département qui accueille le plus grand nombre de mineurs isolés étrangers. Leur prise en charge par l'ASE coûte des millions d'euros au conseil général, où M. Bartolone n'a pas été le seul à tirer l'alarme. Or les solutions proposées par ce texte ne sont pas les bonnes.
Le rapporteur propose un renvoi en commission. Mais nous sommes en commission ! Tous les groupes s'étaient pourtant mis d'accord pour laisser les initiatives parlementaires suivre leur cours. C'est le monde à l'envers ! Respectons le principe voulant qu'une proposition de loi fasse son chemin jusqu'au vote et ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis !
Je suis pour la démocratie : si un groupe dépose une proposition de loi, celle-ci doit aller jusqu'à la séance publique à moins d'être retirée. Je ne suis pas d'accord avec ce texte, mais j'exige un débat.
Il y aura, de toute façon, un débat, car curieusement, au Sénat, le vote sur les motions de procédure vient après la discussion générale.
Je suis favorable au renvoi en commission, afin que nous puissions examiner dans quelle mesure la France est légalement contrainte d'accepter ces gens. Nous parlons en effet d'un détournement criminel du droit par des réseaux mafieux, dont ces enfants sont le jouet.
Aucun n'arrive en France par le simple jeu de contacts familiaux. Ces circuits correspondent à ce que le droit pénal appelle du trafic de personnes humaines. Allons-nous considérer que nous n'y pouvons rien ? Ou observerons-nous comment d'autres pays, non moins démocratiques que le nôtre, traitent ce problème de criminalité organisée ? Est-ce le rôle d'une République que de laisser prospérer de tels trafics ?
Ces propos m'étonnent. Comment généraliser ainsi ? Certains enfants sont la proie de réseaux mafieux, je l'ai dit. Pas tous ! En Seine-Saint-Denis, la majorité n'est pas dans ce cas. Nous les connaissons, nous leur rendons visite, nous assistons à leur arrivée à l'aéroport. Beaucoup réussissent à l'école. Ne nous faites pas croire qu'il ne s'agit que de petits esclaves : cessons de propager les idées reçues et les fantasmes!
Il est en effet réducteur de penser que les mineurs n'arrivent en France que par l'entremise de réseaux mafieux. Rendons au contraire hommage au courage qu'il leur a fallu pour arriver jusqu'à notre pays ! Je connais ceux qui sont dans le Val-de-Marne : certains réussissent à l'école. Ne propageons pas de clichés et de préjugés sur leur appartenance à des réseaux mafieux. Oui, certains en font partie. Mais de grâce, élevons le débat : ne les condamnons pas d'avance, faisons preuve de tolérance et respectons leur dignité !
Il ne faut pas confondre la décision d'émigrer, qui peut être prise, volontairement ou contre son gré, par un adulte ou un mineur, et la mise en oeuvre de cette décision, qui implique souvent, en effet, le recours à des réseaux, parfois mafieux : comment aller du Mali, par exemple, à la France ? Parfois, la famille peut aider. Nous devons nous demander si cette proposition loi sert vraiment l'intérêt des mineurs isolés étrangers.
Je crois que les propos de M. Richard correspondent à une réalité, qui n'est peut-être pas toute la réalité. Certes, il existe des réseaux mafieux qui relèvent du droit pénal, mais il y a aussi d'autres situations...C'est bien pourquoi le problème est si complexe.
Le ministre de l'intérieur a fait savoir que sur 200 réseaux d'immigration irrégulière démantelés en 2013, un seul concernait spécifiquement les mineurs étrangers. Le président du conseil général d'Ille-et-Vilaine, socialiste, m'indiquait récemment qu'il déplorait l'absence de coordination préalable entre services de l'État : par exemple, si de nombreux jeunes arrivent du Gabon, c'est que des visas leur ont été délivrés... Je partage l'analyse de Mme Assassi, mais vous n'avez guère le choix qu'entre une discussion générale suivie de l'invocation de l'article 40, et une discussion générale aboutissant à un renvoi en commission qui permettra de reprendre ce texte le moment venu. Il y a deux bonnes raisons à un tel renvoi, qui ne privera personne du débat : un rapport a été demandé à trois inspections générales notamment sur les modalités de fonctionnement du fonds spécifique préconisé par le rapport de Mme Debré, et un deuxième texte sur la décentralisation sera soumis au conseil des ministres en avril, qui impliquera, entre autres, des ajustements au fonctionnement de l'ASE. De plus, nous n'avons eu que quelques jours pour travailler sur ce texte...
Il y a suffisamment d'arguments qui justifient que les auteurs retirent cette proposition de loi, plutôt que de procéder à un renvoi en commission.
Je ne peux pas mettre aux voix le retrait de la proposition de loi. Si celle-ci est renvoyée en commission, le débat pourra se poursuivre. Si l'article 40 est alors évoqué, nous ne pourrons plus discuter de ce sujet, sauf à déposer une nouvelle proposition de loi.
La commission n'adopte pas le renvoi en commission et adopte la proposition de loi sans modification.
Puis, la commission examine le rapport de Mme Esther Benbassa et le texte proposé par la commission pour la proposition de loi n° 232 (2013-2014) relative à la création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical.
Nous examinons la proposition de loi n° 232 de Mme Hélène Lipietz créant un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical. Cela répond à une préoccupation ancienne : en 2011, Mmes Alima Boumediene-Thiery et Nicole Borvo Cohen-Seat avaient déposé des propositions de loi d'objet similaire. Très récemment, notre collègue Cécile Cukierman a fait de même. Il s'agit de combler un vide juridique et de mettre un terme à une inégalité de droits entre prévenus et condamnés, comme l'ont préconisé en juillet 2012 M. Jean-René Lecerf et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat dans leur rapport d'évaluation de la loi pénitentiaire.
Ce texte crée un dispositif de suspension de la détention provisoire pour motif médical qui s'inspire très largement des dispositions de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale applicables aux détenus condamnés : rien ne justifie qu'aucun dispositif similaire ne permette à une personne prévenue d'obtenir la suspension de sa mesure de détention provisoire lorsque son état de santé est incompatible avec une détention ou que son pronostic vital est engagé. Au contraire, bénéficiant de la présomption d'innocence, les personnes prévenues devraient bénéficier de conditions plus favorables que les personnes condamnées. Or, elles se trouvent exposées à des conditions de détention plus défavorables : elles sont exclusivement incarcérées en maisons d'arrêt, établissements pour la plupart confrontés à une situation de surpopulation carcérale chronique, qui complique l'organisation des extractions médicales, pourtant nécessaires pour réaliser des examens médicaux ou subir un traitement particulier à l'extérieur de la maison d'arrêt.
Aux termes de la proposition de loi, la personne qui bénéficierait de la procédure proposée pourrait être soumise à un contrôle judiciaire ou assignée à résidence avec surveillance électronique. Le juge d'instruction pourrait à tout moment ordonner une nouvelle expertise et la suspension de détention provisoire pourrait prendre fin si les conditions n'en sont plus réunies ou si les obligations ne sont pas respectées.
Le dispositif retenu pour l'article 1er présente certaines différences avec celui de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale. Alors que, pour les condamnés, deux expertises médicales distinctes et concordantes sont requises, la nouvelle procédure pourrait être mise en oeuvre au vu d'une unique expertise médicale. Contrairement à l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, la proposition de loi ne prévoit pas d'exception lorsqu'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction. Elle ne prévoit pas non plus d'obligation de nouvelle expertise médicale régulière en matière criminelle. Enfin, elle assouplit le dispositif en prévoyant que l'état de santé du prévenu devrait être « incompatible avec le maintien en détention » et non « durablement » incompatible avec un tel maintien, et que la procédure d'urgence pourrait être mise en oeuvre lorsque le pronostic vital « semble » engagé, et non « est » engagé. Les articles 2 et 3 comportent les nécessaires coordinations prévoyant la compétence du juge des libertés et de la détention et permettant à la personne concernée de solliciter à tout moment la suspension de sa détention provisoire.
Je vous proposerai tout à l'heure un amendement pour sécuriser la proposition de loi sur le plan juridique.
J'ai toujours milité pour que les détenus dont le pronostic vital est engagé puissent être libérés. Il y a eu des cas dramatiques. Le dispositif des grâces médicales était très complexe et aléatoire. Le dispositif de suspension de peine que nous avons introduit en 2002 a constitué un réel progrès. Il n'est guère heureux qu'un certain Papon ait été l'un des premiers à en bénéficier... Ce dispositif permet à des personnes ayant commis d'affreux crimes de ne pas mourir au fond d'une cellule. Certains détenus peuvent être atteints d'une maladie dégénérative : ce sont alors d'autres détenus qui s'occupent d'eux.
Le débat ouvert par cette proposition de loi me semble un peu théorique. La détention provisoire devrait être exceptionnelle. Puis, y a-t-il un juge d'instruction qui mette en détention provisoire une personne qui est manifestement à bout ? La solution existe : chaque hôpital situé à proximité d'une maison d'arrêt dispose d'un quartier sécurisé. Je ne comprends donc pas l'objet de cette proposition de loi. Quels sont les cas qui ont posé problème ?
Je partage l'opinion de M. Hyest : ce débat est largement théorique. Une simple modification de quelques articles du code de procédure pénale suffirait. Pour autant, nous pouvons accepter ce texte, à titre préventif. Après tout, une maladie grave peut survenir au cours de la détention provisoire. Et si un tel dispositif existe pour les condamnés, pourquoi ne pas le prévoir pour des personnes présumées innocentes ?
La détention provisoire peut durer plusieurs années : la situation du détenu peut donc évoluer...
C'est la raison pour laquelle j'ai repris, avec ce texte, une proposition de loi déposée il y a deux ans par notre ancienne collègue Alima Boumediene-Thiery. Les avocats savent bien - et je tiens à rendre hommage au travail d'Etienne Noel, qui a tant fait pour que le droit entre dans la prison - que leur client, surtout s'il est innocent, répugnera, face au juge, à mettre en avant son état de santé pour échapper à l'incarcération ; qu'une fois en prison, comme les cours d'assises sont débordées, il peut y rester pendant un certain temps, et qu'une maladie peut se déclencher dont l'évolution peut être très rapide ; qu'il est toujours possible de demander la mise en liberté de son client, mais que cela peut prendre du temps, sauf si l'on connaît le juge d'instruction, ce qui est profondément anormal ! Cette proposition de loi mettra notre droit en conformité avec le droit international. La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme car les conditions de détention provisoire n'y respectent pas la dignité humaine.
Nous avons rédigé une proposition de loi d'objet similaire car il est surprenant que ce dispositif existe pour les condamnés et non pour les personnes placées en détention provisoire, qui sont présumées innocentes. Elle n'a pas vocation à ouvrir le débat nécessaire sur les conditions de la détention provisoire et sur les conséquences qu'elle peut avoir. Elle doit être humanisée. Cette proposition de loi traite de son aspect médical. Nous voterons donc cette proposition de loi.
Je la voterai aussi, même si elle reste largement théorique et ne concernera que peu de cas. Il est surprenant que le régime de la détention provisoire soit plus sévère que celui de l'exécution de la peine. De plus, la France se fait régulièrement rappeler à l'ordre par l'Europe sur la garde à vue, la détention provisoire et la toute-puissance du juge d'instruction qui ne prend pas toujours des mesures équilibrées et proportionnées. Nous ne pouvons pas laisser au seul juge d'instruction le pouvoir de remettre en liberté, pour raison médicale, des personnes en détention provisoire. De même, il était malsain que seule la grâce présidentielle permette aux détenus condamnés d'être remis en liberté. Je rappelle que les personnes gardées à vue peuvent, elles, être examinées par un médecin qui décidera si leur état de santé est compatible avec la garde à vue. Nous devons encadrer le pouvoir discrétionnaire des magistrats sur ce point.
Il me paraît cohérent que notre commission vote ce texte qui reprend strictement la préconisation n° 17 du rapport de Mme Borvo Cohen-Seat et de M. Lecerf que nous avions adopté.
Actuellement, 17 000 personnes, soit un quart de la population carcérale, sont en détention provisoire, détention qui peut durer jusqu'à trois ans, parfois plus ! D'après le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, entre 200 et 300 détenus sont très malades. Les juges d'instruction ne demandent pas systématiquement une expertise médicale avant la détention provisoire. En outre, les hôpitaux des prisons ne sont pas adaptés au traitement des affections de longue durée : ainsi, l'hôpital de Fresnes n'est pas équipé pour les chimiothérapies, par exemple.
Un rapport à la garde des sceaux et à la ministre de la santé, qui n'a pas encore été publié, établit des constats très critiques sur la situation des détenus très malades.
Il serait paradoxal qu'en matière de santé, le régime applicable aux personnes présumées innocentes soit plus sévère que pour celles qui ont été condamnées. Quant aux abus, ils sont exceptionnels. Il faut appliquer les textes en vigueur et faire acte d'humanité pour ces personnes malades.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE
Article 1er
L'amendement n° 1 réécrit l'article 1er pour tenir compte des remarques entendues lors de nos auditions et des observations du ministère de la justice. L'état de santé du prévenu pourra constituer non pas un motif de suspension de la détention provisoire mais une cause de mise en liberté. En cas d'amélioration de l'état de santé, il appartiendra au juge d'instruction de demander éventuellement le placement en détention provisoire de l'intéressé dans les conditions de droit commun, en justifiant cette demande par l'un des objectifs énoncés à l'article 144 du code de procédure pénale. La détention provisoire ne peut en effet pas être traitée de la même façon qu'une peine de prison ferme car, par principe, il s'agit d'une situation exceptionnelle et provisoire. Prévoir un simple mécanisme de suspension aurait permis la réincarcération quasi automatique de la personne prévenue en cas d'amélioration de son état de santé, sans débat préalable devant le juge. Cet amendement remédie à cette difficulté. Il améliore également le dispositif initial : afin de prendre en compte les situations les plus complexes, il introduit, comme à l'article 720-1-1 relatif aux condamnés, une exception lorsqu'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction. D'autre part, il précise les modalités d'application s'agissant des personnes atteintes de troubles mentaux et détenues en hôpital psychiatrique. Mme Campion, auteur de l'amendement qui avait prévu cette exception pour les condamnés lors de l'examen de la loi du 4 mars 2002, ne voulait pas prendre le risque de libérer une personne atteinte de troubles mentaux qui, même si elle n'a pas sa place en prison, pourrait s'avérer dangereuse pour elle-même ou pour autrui.
Toutefois, comme l'a expliqué lors d'une audition un des auteurs du rapport auquel je faisais référence tout à l'heure, cette restriction a été interprétée par les professionnels de santé comme interdisant de façon générale l'application du dispositif de suspension de peine aux personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Cela n'était pas l'intention du législateur, mais il y a eu incompréhension en raison de la rédaction de cet article. C'est pourquoi mon amendement précise que ce dispositif vise exclusivement le cas des personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement.
Je remercie notre rapporteure d'avoir tenu compte des travaux de la commission en 2005 lors de l'examen du texte sur la récidive : s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la libération ne doit pas intervenir.
Je regrette que dans un cas, il y ait deux expertises et dans l'autre une seule. Je ne voudrais pas que l'on nous reproche de favoriser les certificats de complaisance. En dehors de cette réserve, à la lumière de nos échanges et au bénéfice de l'amendement proposé par notre rapporteure, j'approuve le dispositif.
Ne mettons pas tout sur le dos des juges d'instruction : il y a des tas de gens qui restent en détention provisoire pendant dix-huit mois, voire deux ans, alors que l'instruction est bouclée ! Mme Lipietz a soulevé un vrai problème lorsqu'elle a évoqué les délais d'enrôlement avant le passage en cour d'assises.
Pour les présumés innocents, un seul certificat doit suffire, alors que pour les condamnés, deux sont nécessaires.
Il est surprenant de dire que la présomption d'innocence justifie un seul certificat.
La pénurie d'experts a été évoquée au cours de nos auditions. Lors de la détention provisoire, qui doit être la plus courte possible, il est difficile de trouver un deuxième expert. En outre, la plupart de ces experts sont déconnectés du monde carcéral et ne tiennent pas compte de l'environnement spécifique des prisons, alors qu'ils doivent se prononcer sur la compatibilité de l'état de santé du détenu avec les conditions de détention !
Certes, mais le contexte est essentiel.
L'amendement n° 1 est adopté et l'article 1er est ainsi rédigé.
Article additionnel après l'article 1er
Article 2
L'amendement de conséquence n° 2 est adopté et l'article est supprimé.
Article 3
L'amendement de conséquence n° 3 est adopté et l'article est supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans le texte issu des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. François Zocchetto et du texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 180 (2013-2014) visant à reconnaître le vote blanc aux élections.
Le 28 février 2013, nous avons adopté en première lecture cette proposition de loi sur la reconnaissance du vote blanc. L'Assemblée nationale s'est ensuite prononcée et les deux chambres sont d'accord sur le décompte séparé des bulletins blancs sans intégration aux suffrages exprimés. Il s'agit donc de relater la réalité du vote en distinguant les bulletins blancs des bulletins nuls.
Trois articles de la proposition de loi restent en discussion : à l'article 2 bis, il ne s'agit que d'une coordination au sein du code électoral. L'article 5 concerne la date d'entrée en vigueur de la loi : nous avions prévu, à l'initiative de M. Richard, une entrée en vigueur au 1er mars 2014. L'Assemblée nationale a prévu de reporter cette date d'un mois. La reconnaissance du vote blanc se fera donc à partir de l'élection des députés européens.
Enfin, l'article 1er était le principal sujet de discussion entre l'Assemblée nationale et le Sénat puisqu'en première lecture, l'Assemblée avait prévu que pour voter blanc, un électeur pourrait soit introduire un bulletin blanc, soit déposer une enveloppe vide. Nous avions eu ici de longues discussions sur ce point : il me parait désormais raisonnable de retenir la formule retenue à deux reprises par les députés. D'ailleurs, au sein de la commission et sur les bancs du Sénat, nombreux aussi étaient ceux qui étaient favorables à cette solution. Il apparait en effet que le dépôt de bulletins blancs aux côtés des bulletins de vote serait trop coûteux et pourrait être une forme d'incitation au vote blanc.
Dans ce cas, demander un bulletin blanc obligerait les électeurs à le confectionner. Quid de la disparité des bulletins que l'on trouverait dans les enveloppes, quid des différentes nuances de blanc ? La solution de l'Assemblée a le mérite de la simplicité et je propose de nous y rallier et donc d'adopter la proposition de loi sans modification.
Merci pour la clarté de votre exposé. C'est la sagesse de prendre en l'état le texte de l'Assemblée nationale pour ne pas poursuivre la navette. Je serais vigoureusement hostile à ce qu'on impose de mettre à la disposition des électeurs des bulletins blancs ; cette solution poserait peut-être un problème constitutionnel. Je salue la sagesse de notre rapporteur qui nous suggère de prendre en l'état le texte de l'Assemblée.
Et si on trouve dans une enveloppe un bulletin vert, bleu ou rouge, est-il valable ?
Ce sera un bulletin nul, puisqu'il sera reconnaissable. Cela figurera dans le compte rendu de la commission et il serait bon que vous évoquiez cette question en séance publique.
Avec ce texte, on reste au milieu du gué. En réalité, on va traiter les bulletins blancs et les bulletins sans enveloppe comme aujourd'hui, sauf qu'on va décompter à part les bulletins blancs qui seront peu nombreux. Le vrai changement aurait été de dire que les bulletins blancs invalident l'élection lorsqu'il y en a plus que de bulletins s'étant portés sur les candidats. Ce système est appliqué dans certains pays avec la mention : « vote contre tous les candidats ».
Avec ce texte, on ne donne pas entièrement satisfaction aux partisans de la reconnaissance du vote blanc. Il s'agit d'un petit pas, mais qui permet de faire avancer les choses. Malgré mes réticences, je voterai donc ce texte.
Je suis très favorable à tout ce qui permet à l'opinion de s'exprimer, mais comme il faut aussi que les élections donnent un résultat, j'accepte que les bulletins blancs ne soient pas comptabilisés dans les suffrages exprimés. Notre rapporteur est sage, car il faut en terminer. Je voterai ce texte, mais à regret car j'estime que c'est de la poudre aux yeux, de l'hypocrisie pure et simple que de dire qu'une enveloppe vide vaut bulletin blanc. Un bulletin blanc doit être sur une table pour que l'électeur puisse choisir s'il vote blanc ou non. Cela coûterait de l'argent, certes, mais cela en coûte aussi de mettre des isoloirs ! La démocratie à un prix qu'il faut payer. Si on veut que les bulletins blancs soient pris en compte, il faut qu'ils soient tangibles. Je souhaite qu'au moins, dans tous les bureaux de vote, on indique clairement par des affiches que toute enveloppe vide vaut bulletin blanc.
Comme l'a dit M. Gélard, nous sommes au milieu du gué. Dépêchons-nous de le traverser pour éviter d'être renversés à la prochaine crue !
Remettons la question en perspective.
Les personnes qui veulent que le vote blanc soit décompté estiment que ce vote vaut récusation de tous les candidats ; on n'est pas très loin du « Tous pourris ». Je respecte toutes les opinions, mais certaines nécessitent d'avoir le nez bouché... Il faut donc leur faire une place, mais ne pas être dupe. Le vote blanc représente 1% de l'électorat et cela n'ira pas plus loin. C'est donc une vague dans un verre d'eau. Ces bulletins blancs ne seront pas comptabilisés comme des bulletins nuls, qui eux sont supposés involontaires, ce qui n'est pas non plus exact, car lorsque les électeurs du Front national dont le candidat a été éliminé au premier tour mettent au deuxième tour dans l'enveloppe un bulletin de l'UMP et un autre du PS, c'est un vote comptabilisé comme nul, mais qui équivaut au rejet des candidats en présence.
Les bulletins blancs auraient eu leur place sur la table comme les autres, mais comme ils auraient été source de complexité, la formule retenue par l'Assemblée me semble être la meilleure, d'autant qu'il fallait statuer sur l'enveloppe vide qui correspond plutôt à un bulletin blanc que nul, car c'est un acte volontaire. Mais tout cela n'est pas d'une grande importance pour l'avenir.
Je voterai cette proposition de loi, qui n'est qu'un premier pas. Nous verrons comment nos concitoyens utiliseront cette faculté lors des élections européennes. Si l'on ne dépasse pas 1%, la portée de la réforme sera marginale. En revanche, pour certaines élections, le vote blanc pourra être un moyen d'expression important, notamment lorsqu'au deuxième tour, il restera deux candidats d'une même famille politique.
Nous verrons alors si le décompte particulier du vote blanc a un sens.
Je n'aime pas trop l'enveloppe vide car lors du vote, les membres du bureau de vote voient qu'elle est vide, ce qui nuit au secret du vote. Mais vu le coût des bulletins blancs, il fallait trouver une autre solution.
Que se passera-t-il si lors du dépouillement, un bulletin comporte la mention manuscrite « blanc » ? Comment le décompter ?
Contrairement aux autres orateurs, je ne suis pas très enthousiaste. Une élection a un sens bien particulier : il s'agit d'élire quelqu'un. Si on n'est pas d'accord avec les candidats, on est toujours libre de se présenter ! M. Gélard a dit que dans certains pays, on pouvait voter blanc. Certes, mais ce sont souvent des États peu démocratiques où les résultats sont connus d'avance !
Les bulletins blancs, ce sont des histoires à la noix de coco montées en épingle par des ratiocineurs incapables de se faire élire !
Je ne suis pas non plus très enthousiasmé par cette proposition de loi. Pour les élections, les formats des bulletins sont formalisés. Si lors du dépouillement, on trouve une feuille blanche mais qui n'est pas à la bonne taille, s'agira-t-il d'un bulletin blanc ou nul ? Ce texte va plutôt compliquer les choses que les clarifier.
Je salue le groupe centriste qui fait preuve de pluralisme face à cette proposition de loi... centriste.
Cette contribution au débat n'est pas anodine : le compte rendu précisera l'intention du législateur.
Pour répondre à Patrice Gélard, les bulletins de couleurs sont considérés comme nuls par la jurisprudence, sauf dans certaines collectivités d'outre-mer où ils sont autorisés.
Que dire des bulletins blanc sur papier beige clair ou sur papier de soie ?
Monsieur Cointat, en dehors des élections européennes, ce texte s'appliquera dès mai 2014 pour l'élection des conseillers consulaires par les Français établis hors de France.
Dans le cas soulevé par Philippe Kaltenbach, en l'état actuel de la jurisprudence, un bulletin blanc avec la mention « blanc » serait considéré comme nul : tous les bulletins qui comportent un signe distinctif sont nuls, puisqu'ils sont susceptibles de permettre l'identification de l'électeur.
En Russie, des bulletins avec la mention « Contre tous les candidats » sont à la disposition des électeurs.
Pour être exact, le bulletin reprend tous les noms des candidats et il est inscrit, en-dessous, « Contre tous les candidats » que l'électeur peut choisir.
Enfin, concernant les bulletins blancs qui ne seraient pas de la même taille que les autres bulletins, le juge appréciera si ces bulletins permettent ou non d'identifier les électeurs. Je le répète, le critère du juge électoral est de savoir si l'anormalité du bulletin constitue un signe distinctif ; dans ce cas, il est nul car il contrevient au secret du vote.
La commission adopte la proposition de loi sans modification.
La commission examine enfin les pétitions adressées au Président du Sénat depuis le 1er octobre 2013, en application des articles 87 et suivants du Règlement.
Lorsque nous sommes saisis d'une pétition, la commission peut décider soit de la renvoyer à un ministre ou à une autre commission du Sénat, soit de la soumettre à l'assemblée plénière du Sénat, soit demander au président du Sénat de la transmettre au Défenseur des droits, soit de la classer.
La pétition n° 70-270 de M. Serges Vorovine et de 20 autres pétitionnaires s'oppose à la disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 instaurant un taux unique de prélèvement sociaux de 15,5% avec effet rétroactif sur les contrats d'assurance-vie. Je vous propose de renvoyer cette pétition à la commission des affaires sociales qui est compétente.
Il en est ainsi décidé.
La pétition n°70-271 de M. René Hofmann et de douze autres pétitionnaires s'oppose à la prise en charge de l'IVG à 100% par la sécurité sociale. Je vous propose de renvoyer cette pétition à la commission des affaires sociale, en charge de ce dossier.
Il en est ainsi décidé.
Nous sommes chargés de légiférer, mais aussi de contrôler l'application des lois. Pourrait-on faire le bilan de la loi supprimant la profession d'avoués ?
Nous n'avons pas entendu le Défenseur des droits depuis au moins un an : serait-il possible de prévoir une audition ?
Pour le Défenseur des droits, votre demande est d'autant plus justifiée que ses prérogatives sont désormais élargies et qu'il pourrait être intéressant de l'entendre sur les questions qui relevaient précédemment de la Défenseure des enfants ou de la Commission nationale de la déontologie de la sécurité.
Quant au contrôle de l'application des lois, une commission sénatoriale, vous le savez, est consacrée à cette mission. Nous mènerons conjointement avec cette instance le contrôle de l'application de la loi sur la résorption de la précarité dans la fonction publique. Un rapport sur ce sujet sera rédigé par M. Kaltenbach et par Mme Gourault.
Cependant, notre compétence reste entière dans ce domaine et, sous la forme d'une communication, M. Gélard pourrait faire le point sur l'application de la loi sur les avoués. (Assentiment)