Intervention de Jean-Pierre Vial

Réunion du 6 février 2014 à 15h00
Débat sur l'avenir des infrastructures de transport

Photo de Jean-Pierre VialJean-Pierre Vial :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors d’un récent colloque sur la transition écologique qui se tenait au Sénat, le conférencier, un éminent universitaire, regrettait que la France ait perdu le sens des grands projets qui ont structuré notre pays. C’était l’aménagement du territoire.

Si je fais part de cette réflexion, qui pourrait apparaître comme un regret, c’est parce que, de tous les ministères, le vôtre, monsieur le ministre, est certainement l’un des derniers où cette flamme peut rejaillir avec une volonté politique. Il serait si réconfortant de voir nos grands ports animés par ceux-là mêmes qui semblent plus occupés à les bloquer, de voir certains de nos grands canaux aménagés pour répondre au défi d’un trafic moderne.

Je sais bien que, tout à l’heure, on nous a présenté un concept européen moderne selon lequel il serait possible de faire du sur-place en ayant le sentiment de bouger si les autres reculent !

Dans un tout autre domaine, le récent drame ferroviaire que nous avons connu pose la question sur les choix du tout-TGV aux dépens du reste du réseau ferroviaire. Cela ne devrait-il pas nous conduire, monsieur le ministre, dix-huit ans après la réforme de 1996, à nous interroger sur le rôle et l’efficacité de RFF dans notre organisation ferroviaire ? Au risque de paraître quelque peu provocateur et lapidaire, je poserai la question suivante : cet opérateur n’a-t-il pas préféré jouer le rôle d’un cabinet d’études plutôt que d’être un outil chargé des capacités ferroviaires modernes de notre pays ?

Hier, le SNIT dressait un état des lieux factuel. Aujourd’hui, la mission Mobilité 21 hiérarchise les orientations et les priorités.

Reconnaissons que, si l’Europe n’est pas exempte de tout reproche sur le plan économique, elle doit au moins se voir attribuer le mérite d’une vraie vision stratégique en matière d’infrastructures de transport. Je ne vous surprendrai pas en évoquant les liaisons ferroviaires du grand Sud-Est, notamment celles du corridor sud européen avec le Lyon-Turin.

Le 20 novembre dernier, le Président de la République, François Hollande, et le président du Conseil italien, Enrico Letta, ont pris des engagements décisifs en faveur de la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Nous ne pouvons que nous en féliciter : ce sommet bilatéral vient ainsi marquer une nouvelle étape, après l’engagement de 2001, sous la présidence de Jacques Chirac, du lancement de ce projet, retenu dès 1993 au sommet d’Essen parmi les infrastructures européennes prioritaires.

Ce sommet du 20 novembre fait suite à la ratification par le Sénat, le 18 novembre, de l’accord de Rome du 30 janvier 2012 et de l’adoption par le Parlement européen, le 19 novembre, des financements des grandes infrastructures pour la période 2014-2020, avec un budget de 26 milliards d’euros, niveau sans précédent.

Toutefois, comme tout grand projet, celui-ci se divise en plusieurs chantiers distincts sur lesquels il convient, monsieur le ministre, que vous nous apportiez des précisions, dans le prolongement du comité de pilotage qui s’est tenu récemment à la préfecture de la région Rhône-Alpes, sous l’autorité du préfet Carenco.

Le premier chantier, c’est bien évidemment le nœud lyonnais, qui est non seulement partie intégrante du projet Lyon-Turin, mais qui en constitue un élément essentiel, compte tenu des contraintes qui doivent être levées dans la traversée et le contournement de Lyon.

C’est donc une vraie satisfaction de voir les conclusions du rapport Duron retenir le projet relatif au nœud lyonnais comme l’une des priorités. Nous aimerions néanmoins entendre des engagements et des précisions en termes de calendrier, monsieur le ministre.

Le deuxième chantier concerne évidemment les « accès » entre Lyon et la combe de Savoie. Là encore, les conclusions du rapport Duron ont été particulièrement précises, considérant que ce chantier devrait être envisagé dans le prolongement du tunnel ferroviaire international. Or les accès concernent le trafic international de passagers et de marchandises, mais aussi les infrastructures de transport régional, aujourd’hui saturées. Il est donc nécessaire que ce chantier des accès puisse bénéficier dès à présent de la mise en place d’un observatoire – ça ne coûte pas cher ! – pour apprécier et évaluer l’ensemble des enjeux et priorités, et aider aux prises de décisions.

Troisième chantier : la plateforme de ferroutage de Grenay. Voilà une des premières réalisations concrètes du Lyon-Turin, avec la création de l’autoroute ferroviaire et le basculement du transport de marchandises de la route sur le rail, entre la plateforme de Bourgneuf-Aiton, en Savoie, et Orbassano, en Italie.

La mise au gabarit du tunnel historique aura montré la pertinence de cette autoroute ferroviaire puisque 2013 aura vu le trafic de l’AFA – autoroute ferroviaire alpine – progresser de 25 %, au moment même où le trafic ferroviaire national de marchandises continue de régresser.

La plateforme de Grenay constitue donc aujourd’hui un enjeu majeur pour passer de l’expérimentation technique à une pleine activité sur une distance et avec des équipements correspondant aux besoins de l’activité commerciale. Ce dossier est prêt depuis bientôt trois ans et pourrait être facilement mis en œuvre dans le cadre des financements inscrits au prochain contrat de projets État-région – CPER –, puisque l’idée en a été émise au sein du comité de pilotage régional que j’évoquais à l’instant.

Monsieur le ministre, pouvez-vous donc nous confirmer la volonté du Gouvernement de retenir la plateforme de Grenay parmi les priorités du prochain CPER ?

Enfin, quatrième et dernier chantier : le tunnel international dit « tunnel de base », dont il a déjà été beaucoup question. Je le disais au début de mon propos, l’engagement franco-italien du 20 novembre constitue une étape décisive dans le lancement des travaux du tunnel international. Le coût de ce chantier, qui devrait s’élever à plus de 8 milliards d’euros, sera supporté par l’Europe, qui s’est engagée à un financement exceptionnel de 40 %, par l’Italie, à hauteur de 35 %, et par la France, de 25 %, alors même que les trois quarts de l’ouvrage se trouvent en territoire français.

La participation de la France devrait donc s’élever à 2, 1 milliards d’euros sur une période estimée à plus de dix ans. Rappelons toutefois que les travaux réalisés à ce jour, à savoir les descenderies, s’élèvent à près de 1 milliard d’euros, soit la moitié de la contribution qui restera à la charge de l’État français.

Pour importante que soit la décision du 20 novembre dernier, il convient de rappeler les règles posées par le Parlement européen et le Conseil européen dans le règlement dit « Mécanisme pour l’interconnexion en Europe », adopté le 11 décembre dernier, qui précisent les conditions des concours financiers octroyés par l’Europe.

Vous le savez, monsieur le ministre, l’octroi des financements européens relève directement de l’appel à projets qui sera lancé dans les prochains mois. La France et l’Italie devront évidemment y répondre, mais elles devront surtout satisfaire à deux exigences.

La première, déjà ancienne, c’est la nomination, d’ici à l’été 2014, d’un promoteur public qui sera chargé de la réalisation du chantier. La première question, monsieur le ministre, porte évidemment sur l’engagement du Gouvernement de désigner ce promoteur public, dès à présent ou en tout cas avant l’été.

La seconde exigence, c’est le montage financier de l’opération et la certification des coûts du projet, conjoints avec nos partenaires italiens. Cette ingénierie et le plan financier devront être finalisés d’ici à l’automne 2014. Là encore, il s’agit d’une condition essentielle de la recevabilité de la réponse à l’appel d’offres européen.

Monsieur le ministre, ces trois conditions – réponse à l’appel d’offres, mise en place d’un opérateur, adoption du montage financier de l’opération – sont celles auxquelles les États français et italien doivent satisfaire. C’est également la clé pour concrétiser les engagements pris le 20 novembre dernier par le Président de la République et par le président du Conseil italien et pour doter notre pays de cette grande infrastructure européenne répondant aux enjeux économiques et environnementaux.

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