Intervention de Jean-Sébastien Vialatte

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 21 janvier 2014 : 1ère réunion
Examen du rapport sur « les enjeux scientifiques technologiques et éthiques de la médecine personnalisée » présenté par m. alain claeys et m. jean-sébastien vialatte

Jean-Sébastien Vialatte, député, rapporteur :

S'agissant des autres techniques, on observe une extension de l'usage des puces à ADN qui, pour celles de dernière génération, ont la capacité de contenir et d'analyser environ 50 000 polymorphismes. Ces puces sont développées en production industrielle et le passage du laboratoire à l'industrie s'est accompagné d'une amélioration de la qualité ; ce sont des dispositifs simples. Dans un avenir proche, un projet de carte d'identité métabolique permettra d'adapter la posologie des médicaments aux patients. La diversité des thérapeutiques personnalisées est grande, telles la thérapie génique et la thérapie cellulaire ; cette dernière bénéficie désormais, en France, de la modification de la loi de bioéthique de 2011, car la loi du 6 août 2013 pose le principe d'autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine.

C'est en oncologie que la médecine personnalisée se développe depuis la fin des années 1990 avec l'émergence des thérapies ciblées et l'usage de l'Herceptine dans le cancer du sein. En France, l'INCa joue un rôle moteur dans le développement des thérapies ciblée, grâce aux 28 plateformes et aux 17 thérapies ciblées qui sont accessibles à tous les patients. La structuration française est unique au monde, puisque tous les patients du territoire, où qu'ils soient traités, ont leur tumeur testée et séquencée pour détecter les anomalies génétiques. Cela concerne les cancers colorectaux, ceux du poumon, les leucémies, les cancers du sein. On estime qu'entre 90 ou 100 nouveaux médicaments ciblant des anomalies spécifiques seront disponibles dans les années à venir. Cependant, selon les experts, si l'on entre bien dans l'ère de la médecine personnalisée, on pratique actuellement une médecine stratifiée. On se dirige vers une nouvelle nosologie fondée sur le génome tumoral. Désormais certains oncologues se demandent si donner le traitement ciblé correspondant à la détermination du profil moléculaire de la tumeur chez chacun des patients atteints d'un cancer, est une stratégie plus efficace que la détermination des traitements à partir de la localisation organique de la tumeur, comme cela se fait actuellement à l'hôpital.

Par ailleurs, des tentatives de modélisation des traitements par l'utilisation d'un avatar personnalisé de cancer offre la possibilité d'essayer plusieurs combinaisons de molécules et même de faire des erreurs, avant de commencer véritablement le traitement. C'est la direction que prennent plusieurs équipes de recherche. Cette technique du double biologique, en général un rongeur, ne se limite pas au cancer, elle est exploitée pour analyser in vivo le cas de personnes souffrant ou risquant de souffrir de diabète de type 1.

Les techniques de médecine personnalisée sont également utilisées pour comprendre les inégalités devant les maladies infectieuses ou les raisons de non réponse à un vaccin. Pour le Sida, on constate que chaque mutation du virus signifie une résistance à une molécule ; on personnalise alors le traitement en fonction du virus et du patient.

S'agissant des maladies chroniques, de nombreux gènes responsables du diabète et de l'obésité ont été identifiés. Il est possible d'adapter le traitement en fonction des caractéristiques génétiques du patient. Cela a abouti à définir des profils dont les particularités permettent de mieux savoir ce que seront les réponses au traitement et les préconisations. On est donc conduit à des soins plus personnalisés du diabète.

Des évolutions relevant de la médecine personnalisée sont à l'oeuvre dans les maladies rares qui représentent d'importants enjeux de recherche, car elles servent de modèle de développement de médicaments. Environ 80 % de ces maladies sont d'origine génétique, et l'explosion actuelle des techniques diagnostiques permet une meilleure approche de leur origine, et parfois de leur traitement.

Les maladies rares sont graves, puisque le pronostic vital est en jeu dans la moitié des cas, et elles sont à l'origine d'un tiers de la mortalité infantile, de 10 % de la mortalité entre un et cinq ans et de 12 % entre cinq et quinze ans. Les maladies rares ont donné naissance, avec ces premières thérapies ciblées, à de vraies innovations de rupture, à partir de thérapies géniques, de l'ARN, cellulaires. Dans ce contexte, la médecine personnalisée modifiera la différence entre les maladies rares et les maladies dites fréquentes, en faisant de ces dernières l'équivalent d'une myriade de maladies rares pour ce qui concerne les traitements.

Aussi un bouleversement socio-économique est-il à l'oeuvre dans le secteur de la santé. Les nouveaux outils technologiques utilisés par la médecine personnalisée génèrent une quantité d'informations considérable, désormais largement en possession du patient lui-même. Tout un corps numérique est en train d'apparaître à côté du corps réel ce qui induira une évolution de la relation médecin-malade, soit parce que le médecin en saura trop par rapport à un patient qui souhaite ne pas savoir, soit parce que le patient viendra le consulter avec les résultats d'un test dans son téléphone portable. Le praticien se voit également contraint de respecter un modus operandi et des protocoles de soins plus ou moins rigides, ce qui ne lui laisse qu'une marge réduite d'appréciation. La relation médecin-malade deviendra un colloque singulier avec une augmentation colossale du volume d'informations, et l'intervention fréquente de tiers scientifiques, mathématiciens, physiciens, d'ingénieurs, bio informaticiens spécialisés. Le patient se trouvera face à de multiples interlocuteurs. L'intervention de la médecine se fera plus tôt dans la vie des personnes, car les possibilités médicales permettront d'anticiper une pathologie susceptible d'apparaître cinq ou dix ans plus tard. La limite entre le normal et le pathologique deviendra de plus en plus délicate à cerner : l'avenir sera sombre pour les hypocondriaques.

La multiplicité des informations dont disposera le patient induira une responsabilité accrue de sa part dans la prise en charge de sa propre santé ; la tentation de lier l'assurance-maladie au comportement du patient sera forte. La médecine personnalisée déchire le voile d'ignorance de l'avenir pour le patient, sa famille, voire pour les tiers, ce qui n'est pas sans conséquences éthiques et juridiques.

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