Intervention de Élisabeth Moiron-Braud

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 6 février 2014 : 1ère réunion
Prostitution — Audition des présidentes des commissions « violences de genre » et « santé droits sexuels et reproductifs » du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes hce f-h

Élisabeth Moiron-Braud, co-présidente de la commission « violences de genre » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences :

Je partage totalement les propos d'Ernestine Ronai et précise que le Haut conseil à l'égalité (HCE/fh) accueille favorablement cette proposition de loi qui définit une politique globale d'accompagnement des personnes prostituées, tout en renforçant les moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle.

La Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (MIPROF) est non seulement chargée de la question de la protection des femmes contre les violences mais assure aussi la coordination nationale en matière de lutte contre la traite des êtres humains, conformément à la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, dite convention de Varsovie. Bien que la France ait ratifié cette convention en 2008, la MIPROF, instance de coordination, n'a été créée qu'en 2013 sous l'impulsion de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, qui a demandé à la MIPROF de préparer le premier plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains. À cette fin, la MIPROF s'est appuyée sur les travaux réalisés entre 2008 et 2010 par un groupe de travail constitué au sein du ministère de la Justice et composé de toutes les associations qui participent au combat contre la traite des êtres humains et des administrations concernées, qu'elle a réactualisés.

Les mesures proposées par ce premier plan national d'action, qui seront annoncées par la ministre au début du mois d'avril 2014, prennent en compte certaines dispositions de la proposition de loi de lutte contre le système prostitutionnel afin de protéger les victimes de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle. Les personnes prostituées sont désormais considérées, à l'échelle mondiale, majoritairement comme des victimes de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle, en raison du développement de réseaux criminels transnationaux. En France, la plupart des victimes de la traite sont exploitées dans le cadre de réseaux de proxénétisme, essentiellement en provenance d'Europe de l'Est, d'Afrique sub-saharienne - principalement du Nigéria - mais également du Brésil, du Maghreb et de la Chine. On estime leur nombre entre 20 000 et 40 000. Le fait que 90 % d'entre-elles soient étrangères, déplacées de leur pays d'origine comme de la marchandise, sans disposer de papiers d'identité et ne parlant pas le français, les rend encore plus vulnérables, comme l'a rappelé Ernestine Ronai.

La directive 2011/36/UE du 5 avril 2011 relative à la prévention de la traite des être humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes devait être transposée par la France en avril 2013. Elle l'a été partiellement, par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 : ce retard est dû à la modification de la définition de la traite des êtres humains.

La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel transpose des dispositions de cette directive qui n'ont pas été à ce jour introduites en droit interne : celles de l'article 8 relatif à la protection des victimes et l'absence de poursuites à leur encontre du fait de la traite, qui dispose que : « les États membres prennent, dans le respect des principes fondamentaux de leur système juridique, les mesures nécessaires pour veiller à ce que les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains et de ne pas leur infliger de sanctions pour avoir pris part à des activités criminelles auxquelles elles ont été contraintes en conséquence directe du fait d'avoir fait l'objet de l'un des actes visés à l'article 2 ».

Il est à souligner que la proposition de loi abroge le délit de racolage qui sanctionne les personnes prostituées.

Quant à l'article 18 de la directive relatif à la prévention, il dispose, en son alinéa 4, que « dans le but de décourager la demande et d'accroître ainsi l'efficacité de la prévention de la traite des êtres humains et de la lutte contre celle-ci, les États membres envisagent d'adopter les mesures nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale au fait d'utiliser les services qui font l'objet de l'exploitation visée à l'article 2 en sachant que la personne concernée est victime d'une infraction visée audit article ».

Le projet de plan de lutte contre la traite des êtres humains a défini trois axes prioritaires d'action : identifier et accompagner les victimes de la traite, poursuivre et démanteler les réseaux de traite, faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière. Il prend en compte le parcours de prostitution tel que prévu dans la proposition de loi.

Si l'identification et l'accompagnement des victimes de la traite des êtres humains sont des points importants, et la MIPROF a bien entendu élaboré son plan de lutte en tenant compte des dispositions de la proposition de loi concernant le parcours de prostitution, il faut aussi prêter une attention particulière au fait que les victimes puissent se faire délivrer des autorisations provisoires de séjour. Certes, les victimes de la traite, notamment à des fins d'exploitation sexuelle, de nationalité étrangère, qui témoignent ou déposent plainte dans une procédure, peuvent déjà se voir délivrer une autorisation provisoire d'un titre de séjour « vie privée/vie familiale » leur ouvrant de nombreux droits sociaux, médicaux et ouvrant surtout droit à l'exercice d'une activité professionnelle.

L'une de nos priorités est que la délivrance d'un titre de séjour temporaire ne soit plus subordonnée au dépôt d'une plainte ou à un témoignage de la personne prostituée contre son proxénète. Cela nous semble conditionner la réussite d'un parcours de sortie de la prostitution et de ses mesures d'accompagnement. En effet, les victimes de la traite à fins d'exploitation sexuelle et les personnes prostituées sont bien souvent en situation de danger ou craignent les représailles qui pourraient être exercées sur leur famille restée dans leur pays d'origine.

Autoriser la domiciliation administrative de ces victimes auprès d'une association agréée ou de toute autre personne désignée par elle notamment au cabinet de l'avocat qui les assiste et les représente, pour le dépôt de la demande de délivrance d'un titre de séjour, disposition reprise tant par le plan que par la proposition de loi, s'avère nécessaire car les personnes exploitées ou prostituées sont extrêmement fragilisées, n'ont bien souvent pas de domicile propre et dépendent financièrement de leur exploiteur.

S'il faut lutter contre les réseaux et accorder des droits aux victimes, il est aussi essentiel de permettre à celles-ci de quitter le cycle infernal de l'exploitation et du proxénétisme en suivant un parcours de sortie de la prostitution : ce parcours fait partie des dispositions de la proposition de loi et est prévu par le plan national d'action de la MIPROF.

Les solutions d'hébergement pour les victimes de la traite des êtres humains doivent être améliorées. Il existe déjà un dispositif particulier mis en oeuvre par l'association Acsé qui prend en charge ces personnes, identifie leurs besoins et les éloigne géographiquement du réseau qui les exploite en leur procurant un hébergement dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou des appartements. Cet accueil n'est cependant pas suffisamment sécurisé car il ne bénéficie pas d'une protection policière.

Le plan national d'action prévoit aussi des mesures d'éloignement des enfants victimes de la traite des êtres humains, notamment d'exploitation sexuelle, infraction réprimée par l'article 225-4-1 du code pénal afin d'adapter les systèmes de protection de l'enfance à la prise en charge de ces mineurs victimes qui, sous la coupe des réseaux, voire de leur propre famille, sont parfois aussi des délinquants.

Fréquemment cité dans les dispositions de cette proposition de loi, l'article 225-4-1 du code pénal relatif à la répression de la traite des êtres humains ne se réduit pas à la seule exploitation sexuelle. Or, les mesures sociales d'accompagnement de la proposition de loi ne concernent que les personnes prostituées qui ont marqué leur volonté de sortir de la prostitution. Quid des victimes des autres formes de la traite, notamment la servitude domestique que subissent des femmes et des jeunes filles originaires de pays lointains et asservies ? Ce fléau est malheureusement en recrudescence selon les retours des associations de terrain et on ne peut que déplorer la quasi-absence de statistiques sur ce sujet.

La MIPROF considère que toutes les victimes de la traite doivent être également protégées et bénéficier tant d'un accompagnement social que d'une facilité d'accès aux droits sociaux. Nous proposons notamment de créer pour les victimes d'exploitation par le travail un parcours de réinsertion, à l'instar du parcours de sortie de la prostitution prévu pour les personnes victimes d'exploitation sexuelle.

J'attire votre attention sur une disposition essentielle prévue par l'article 3 de cette proposition de loi : la création d'une instance chargée d'organiser et de coordonner l'action en faveur des victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains pour décliner au niveau local la politique définie au niveau national. Malheureusement, les alinéas suivants de l'article L.121-9 du code de l'action sociale et des familles que modifie l'article 3 de la proposition de loi ne concernent plus que les personnes prostituées, excluant les victimes des autres formes de traite.

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