Le troisième message est que, compte tenu du retard pris, l’effort sur la dépense devra être poursuivi et amplifié pendant les trois prochaines années pour respecter l’engagement du Gouvernement, approuvé par le Parlement, d’assurer le retour à l’équilibre structurel des comptes publics en 2016.
L’écart par rapport à la trajectoire fixée dans la loi de programmation des finances publiques, votée à la fin de 2012, va croissant. Il devrait être d’au moins un point et demi de PIB pour le déficit effectif en 2014. Tout retard supplémentaire dans la consolidation des comptes se traduirait par une divergence sensible par rapport à nos voisins européens ainsi que par une nouvelle dette importante et porterait une atteinte grave à la crédibilité financière de la France.
Le quatrième et dernier message sur les finances publiques est qu’il faut changer de méthode pour obtenir les économies programmées. Plutôt que de ponctionner tous les services, il faut engager les réformes de fond permettant la modernisation des administrations publiques, pour qu’elles puissent atteindre avec une plus grande efficacité les objectifs fixés par les pouvoirs publics.
Le Gouvernement envisage actuellement de réaliser chaque année, jusqu’en 2017, un effort concentré sur les seules économies en dépenses. Cet effort devrait représenter 17 milliards d'euros par an, soit un niveau supérieur à celui de 2014. Sa réalisation est possible, compte tenu des marges existantes. Cela suppose d’engager des réformes de fond dans les différentes administrations publiques.
La Cour et les chambres régionales identifient de nombreuses pistes de réforme, qui touchent une grande diversité de politiques publiques et d’acteurs. Additionnés, ces constats montrent que des réformes structurelles, si elles sont engagées, peuvent permettre des économies importantes.
Chaque acteur public, quel que soit son rôle, son statut, même s’il dispose de budgets limités, doit s’interroger en permanence sur la performance de son action : quels sont ses objectifs, les atteint-il et, si oui, est-ce à un coût raisonnable ? Pendant des années, ces questions n’ont pas été assez posées dans nos administrations. Lorsque l’on se donne la peine de les mesurer, les résultats atteints par les politiques publiques ne sont souvent pas à la hauteur des moyens consacrés. Il faut rompre avec l’indifférence devant les résultats insuffisants de nombreuses politiques publiques ou leurs coûts excessifs, faute de l’organisation la plus optimale. La Cour invite les décideurs publics, dont vous êtes, ainsi que les gestionnaires publics à un changement de culture pour s’intéresser davantage aux résultats obtenus – insuffisamment mesurés – qu’aux moyens déployés, souvent mis en avant, comme si l’utilité des dépenses allait toujours de soi.
Les informations riches livrées au Parlement au moment du débat sur la loi de règlement constituent une occasion privilégiée pour que celui-ci exerce sa mission de contrôle du Gouvernement et examine si des marges de manœuvre peuvent être trouvées. Le Parlement doit pouvoir consacrer davantage de temps à débattre du projet de loi de règlement pour tirer les conséquences des résultats très inégaux des politiques publiques et prendre ainsi toute sa place dans l’engagement des réformes de fond qui sont nécessaires.
Pour vous assister dans ce travail, je l’ai dit, la Cour vous livre régulièrement de nombreux rapports contenant des propositions sur des sujets de votre choix ou des sujets choisis par elle. Je ne peux que souhaiter que le Parlement se saisisse davantage encore de ces travaux et des recommandations qu’ils mettent sur la table, sachant que le dernier mot revient toujours – c’est légitime – aux représentants du suffrage universel que vous êtes.
Le rapport est, cette année, plus spécifiquement centré sur l’État et ses satellites. Il ne cherche pas en priorité à mettre sur la table de nouvelles pistes d’économies de grande ampleur. D’autres rapports de la Cour s’en chargent, dans une grande diversité de domaines, qu’il s’agisse par exemple de la maîtrise des dépenses de personnel dans les fonctions publiques, des achats de maintenance au sein des armées, de l’organisation de la permanence des soins, du développement de la chirurgie ambulatoire, de la gestion des régimes de protection sociale ou encore des mutuelles étudiantes, pour ne citer que des sujets évoqués en 2013.
Le rapport public annuel livre des cas illustratifs des forces et faiblesses, à différents degrés, d’un échantillon de services publics. Le rapprochement de ces différents exemples, petits ou grands, permet de mettre en évidence les différentes modalités de réformes nécessaires, allant de la refonte complète à l’adaptation, en passant par la simplification et le ciblage. C’est ainsi toute une panoplie de méthodes de réforme qui est présentée. Je les aborderai successivement, en commençant par la nécessaire refonte des politiques inefficaces.
Les juridictions financières constatent que certaines politiques – peu nombreuses, heureusement – sont particulièrement inefficaces. Souvent, les objectifs que visent ces politiques n’ont pas été explicités ou adaptés à l’évolution des besoins des citoyens et usagers. J’en prendrai deux exemples tirés du rapport, d’importance modeste, j’en conviens, mais représentatifs de ces situations.
Le premier est la politique en faveur du tourisme en outre-mer. En dépit d’un récent redressement, le tourisme dans les Antilles françaises, en Polynésie et à La Réunion est en crise, alors que certaines îles voisines et concurrentes connaissent un réel dynamisme. Les politiques de développement du tourisme mobilisent des moyens importants – entre 10 millions et 20 millions d'euros chaque année par collectivité – au service de stratégies datées, toujours marquées par le souhait d’accueillir un tourisme de masse. Surtout, la priorité est donnée à de coûteuses actions de promotion en métropole ou à l’étranger, sans s’assurer auparavant que l’offre répond quantitativement et surtout qualitativement aux attentes de la clientèle internationale : confort des hôtels, qualité de l’accueil, accessibilité des sites, du littoral, des sentiers et gîtes de montagne.
Le deuxième exemple de nécessaire refonte d’une politique publique est celui de la documentation pédagogique au service des enseignants de l’éducation nationale. Celle-ci est mise en œuvre par un réseau de trente et un établissements publics distincts et autonomes employant 1 918 agents et n’éditant pas moins de cinquante-sept collections et dix-sept revues mises à disposition dans 133 médiathèques. Ces moyens importants – 92 millions d'euros par an de subvention de l’État – répondent de moins en moins aux besoins des enseignants. J’en veux pour preuve que la moitié d’entre eux ne connaît pas les revues de la documentation pédagogique. La Cour recommande de regrouper le centre national et les centres régionaux de la documentation pédagogique en un organisme unique, dont l’activité serait recentrée sur les besoins essentiels des enseignants, en particulier pour mettre à leur disposition des supports numériques éducatifs.
Dans certaines situations, la Cour constate de graves dysfonctionnements. Il faut distinguer deux cas de figure que j’évoquerai successivement. Le premier correspond à des gaspillages, le second à des structures devenues inutiles qu’il faut avoir le courage de supprimer.
Le programme de second porte-avions français a été officiellement lancé en 2005 et suspendu en 2008. La coopération franco-britannique répondait notamment au souhait de dégager des économies pour contourner la contrainte budgétaire imposée aux armées. Cependant, dès l’origine, le Royaume-Uni avait clairement fait savoir que ni les caractéristiques, ni le calendrier, ni le projet industriel qu’il menait n’étaient susceptibles d’être adaptés. Malgré cela, la France a signé en 2006 un accord voué à l’échec. Il permettait à la France d’acheter l’accès aux études britanniques, au prix élevé de 103 millions d'euros, afin de s’en inspirer. Cette somme n’a été in fine qu’une pure subvention au programme anglais. D’autres dépenses ont été consacrées à la production d’études inutilisables, portant la dépense à 196 millions d'euros. Il peut arriver que des programmes d’armement n’aboutissent pas à des réalisations concrètes, il est en revanche plus anormal que des sommes aussi importantes aient été engagées, alors que l’impasse de la coopération était très largement prévisible.
J’en viens au second cas de figure, où les dysfonctionnements sont ceux de structures tout entières qui appellent une reprise en main totale de celles-ci, voire leur disparition. J’évoquerai deux exemples tirés du rapport : une caisse de protection sociale et un établissement public.
La Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales, la CIPAV, est chargée de verser les prestations de retraite de base et de retraite complémentaire d’un professionnel libéral sur deux, appartenant à près de trois cents professions aux revenus très divers. La qualité du service rendu à ses 545 000 affiliés est déplorable. Pourtant, contrairement au régime général, la Caisse dispose d’un nombre croissant d’agents rapporté aux affiliés. Les délais de prise en charge sont parfois très longs. La Caisse n’est capable de liquider à bonne date les pensions des nouveaux retraités que dans un cas sur deux, alors que cette proportion est de 96 % pour le régime général de sécurité sociale. Devant de telles défaillances et à défaut d’engager une action de redressement rapide, la Cour recommande qu’un administrateur provisoire soit nommé et se substitue au conseil d’administration.
De graves dysfonctionnements ont également été relevés une nouvelle fois dans la gestion de la chancellerie des universités de Paris, dont la Cour propose la suppression.
La Cour formule aussi de vives critiques à l’endroit d’une société à capitaux d’État chargée d’un rôle très contestable d’opérateur foncier, la Société de valorisation foncière et immobilière, la SOVAFIM.