Intervention de Michel Aymeric

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 4 février 2014 : 1ère réunion
Thématique : la zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux — Audition de M. Michel Aymeric secrétaire général de la mer

Michel Aymeric, Secrétaire général de la mer :

Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je vous propose, dans un premier temps, de vous resituer le contexte de l'action du CIMER et de la politique maritime.

En Europe, se met progressivement en place une politique maritime intégrée (PMI), avec la volonté de ne plus se borner à mettre en oeuvre des politiques sectorielles, par exemple une politique de la pêche, une politique du milieu naturel, une politique des transports, de la protection du littoral, mais de faire en sorte que ces politiques soient appréhendées dans une vision globale. M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux transports et à l'économie maritime, a indiqué à plusieurs reprises que la France s'inscrit tout à fait dans le cadre de cette politique intégrée.

Cette politique maritime intégrée est mise en oeuvre à travers plusieurs volets. On parlera d'énergie marine renouvelable, de protection de la pêche, des ressources halieutiques, de la recherche dans les grands fonds marins, de délimitation maritime et de souveraineté. C'est là que le rôle du secrétariat général de la mer, placé directement auprès du Premier ministre, est important, car il est chargé de coordonner l'ensemble de ces politiques maritimes, et notamment les sujets régaliens que je vais évoquer.

Le CIMER du 2 décembre 2013, puis le Premier ministre dès le lendemain lors des Assises de l'économie maritime et du littoral, ont insisté sur l'action indispensable de l'État, non seulement pour faire appliquer les lois, mais surtout pour favoriser le développement économique. La sécurisation des espaces, que ce soit sur le plan juridique - avoir des délimitations bien fondées -, sur le plan de la souveraineté - avoir des frégates, des vedettes ou des patrouilleurs là où cela est nécessaire -, doit être au service du développement économique, de la métropole comme des outre-mer. Je rappelle que 97 % des onze millions de km2 de notre ZEE se situent outre-mer.

Le CIMER du 2 décembre a pris un certain nombre d'orientations, certaines dans la continuité du précédent qui s'était tenu en juin 2011 à Guérande, et d'autres, nouvelles.

Je précise que le Premier ministre nous a fait part de son intention d'organiser à l'avenir un CIMER au moins tous les deux ans, permettant ainsi de mieux faire avancer les dossiers.

La trame que vous m'avez proposée me suggère d'évoquer les espaces maritimes.

Plusieurs sujets sont inclus dans cette notion. Il y a d'abord un sujet général de définition. La convention de Montego Bay de 1982, ratifiée par la France en 1996, prévoit un certain nombre d'espaces. Or, en droit positif français, ces espaces sont définis dans des textes épars. Nous souhaiterions que l'ensemble des dispositions soient regroupées dans un même texte qui serait une loi sur les espaces maritimes. Le principe en a été acté lors du CIMER. Compte tenu de l'encombrement de l'ordre du jour législatif, il a été décidé de profiter du dépôt du projet de loi sur la biodiversité pour inclure dans celui-ci un article d'habilitation du Gouvernement à prendre des ordonnances sur les espaces maritimes. Le texte qui en résultera définira précisément la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive et le plateau continental.

Le second sujet porte sur la délimitation qui a pour objectif de connaître précisément les espaces de chaque pays. C'est un sujet à la fois juridique, diplomatique et physique.

Il faut d'abord définir les lignes de base pour en déduire les différentes zones (mer territoriale, zone contiguë, ZEE). Dans le cas d'une mer ouverte, le travail est relativement aisé. Par contre, si nous prenons le cas de la métropole ou de certains outre-mer, la limite des 200 milles marins peut devenir source de controverses. À titre d'exemples, je vous citerai les débats entre la France et la Grande-Bretagne, l'Italie ou l'Espagne concernant ces délimitations dans le golfe de Gascogne ou le golfe du Lion. Il faut se livrer à un travail diplomatique mais aussi à un travail physique de recherche, notamment dans le cadre de l'extension du plateau continental.

Une fois ces étapes franchies, un premier décret définissant les lignes de base doit être pris et notifié aux Nations-Unies. Il est alors opposable aux pays tiers. Ensuite, il faut de nouveaux décrets pour définir les autres limites. Je vous ferai parvenir un tableau détaillant précisément, par zone, l'état d'avancement des différentes procédures.

Lors d'une récente réunion en présence de tous les ministères concernés, nous avons procédé à un recensement. Force est de constater que beaucoup de travail reste à faire. Nous nous sommes aperçus que parfois des cartes avaient été notifiées sans que les lignes de base aient été préalablement définies.

Pour la métropole, les délimitations physiques sont établies mais les décrets ne sont pas publiés. Pour la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les décrets sont sortis et les lignes de base définies et notifiées. Pour la Guyane, les lignes de base sont connues mais n'ont pas été notifiées. Nous avons beaucoup de retard pour toute la zone du sud de l'Océan indien (La Réunion, les Îles Éparses de Tromelin, Europa,...), alors même que c'est une zone où il y a des enjeux importants et des conflits de souveraineté. Pour les Îles Kerguelen, Saint-Paul, Amsterdam, c'est en cours. Nous sommes à jour pour la Nouvelle-Calédonie. Pour Wallis-et-Futuna, les lignes de base sont définies mais le décret n'a pas été notifié. Contrairement à Clipperton, tout est réglé pour la Polynésie. Je vous ferai parvenir un tableau détaillé de l'avancement des procédures.

Je voudrais illustrer les difficultés en prenant l'exemple du canal du Mozambique, entre Madagascar et la côte du sud-est de l'Afrique. C'est une zone où vont s'effectuer de nombreuses recherches gazières et pétrolières, qui est également une zone de pêche. Lorsque l'on surprend un bateau, soit en position de pêche, soit en position de recherche sismique, il nous faut être certain d'être dans une zone française. L'an passé, un procès-verbal a été dressé lors du contrôle d'un chalutier dans les mers australes. Le bateau a été dérouté vers La Réunion. Depuis, les armateurs nous disent que nous étions hors ZEE française. Ce cas concret vous montre la nécessité d'avoir des limites bien définies.

Vous me demandez ce que recouvrent précisément les mesures annoncées, relatives au régime d'autorisation préalable des activités menées dans la ZEE. La réglementation applicable aux activités entreprises dans la ZEE est quasi inexistante. Le Gouvernement a la volonté de créer un régime d'autorisation, par exemple dans le cas de pose de pipe-line, de câbles, de création de plates-formes pour les énergies renouvelables, qui sera inclus dans le projet d'ordonnances.

Cette volonté de régulation a également pour but de mieux organiser la recherche scientifique marine et de s'assurer que les données collectées sont bien transmises à l'État ou à ses opérateurs, notamment le Service hydrographique et de la marine (SHOM), l'IFREMER ou Météo-France.

Le Gouvernement a préparé un projet de décret relatif à la recherche scientifique marine mais il y a un chaînage avec une disposition prévue dans la loi « biodiversité ». Une fois la loi « biodiversité » promulguée et l'ordonnance prise, le décret pourra être publié.

Votre question suivante porte sur le programme national de recherche et d'accès aux ressources minérales des fonds marins. Nous constatons l'empressement, l'appétit, de certains pays pour avancer dans la recherche des fonds marins. Des pays comme la Chine, l'Australie, le Royaume-Uni et l'Allemagne en Europe, ou le Brésil, ont des programmes de recherche dans les grands fonds. Vous connaissez l'argumentation traditionnelle : « les ressources à terre sont de plus en plus rares, leur exploitation de plus en plus difficile, il faut se tourner vers les fonds marins ». Toutefois, il faut être prudent. C'est techniquement compliqué et coûteux. Il faut que le prix des ressources devienne très élevé pour que la recherche sous-marine soit rentable. Il faut également ne pas avoir une vision égoïste et aveugle par rapport à l'environnement. Ces recherches devront se faire dans le respect des procédures et du milieu.

Nous devons garder présente à l'esprit l'existence d'un double régime juridique. Lorsque nous sommes dans la ZEE française, nous sommes libres de mener des recherches. Lorsque nous sommes dans la zone internationale, il faut saisir l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui siège en Jamaïque à Kingston.

La semaine dernière, avec tous les ministères concernés, nous avons mis en place une taskforce qui se réunira tous les six mois et s'occupera des fonds marins.

Nous sommes sur trois théâtres d'opération : Wallis-et-Futuna correspond au projet le plus avancé ; Clarion-Clipperton en mer internationale (nodules polymétalliques) pour lequel nous avons obtenu un permis en 2011, valable jusqu'en 2016 et éventuellement prolongeable ; et plus récemment au milieu de l'Atlantique, sur la ride médio-atlantique, nous avons obtenu un permis pour lequel il nous appartient de lancer une campagne de recherche afin de valider celui-ci. Demain, je rencontrerai M. Francis Vallat, le président du Cluster maritime français (CMF) et les représentants de plusieurs entreprises pour évoquer Wallis-et-Futuna. C'est l'IFREMER qui va signer une convention pour le compte de l'État avec l'AIFM. Nous travaillons à l'horizon 2020, 2025, voire 2040. L'évolution du prix des matières premières jouera un rôle important. C'est compliqué techniquement, mais l'intérêt pour la France est triple : disposant de la deuxième ZEE du monde, nous aurons des réserves chez nous ; nous avons des entreprises très pointues capables d'exploiter pour elles-mêmes ou pour d'autres ; ces entreprises peuvent exporter leur savoir-faire.

Monsieur le président, vous m'avez posé la question de l'extension du plateau continental. La convention de Montego Bay prévoit que, sous certaines conditions, il peut être étendu - de mémoire - de 150 nautiques supplémentaires à partir du droit de la ZEE s'il y a une continuité du fond géologique, sous réserve de l'accord d'un organisme onusien. Cette procédure peut prendre des années car une demande peut être contestée par un pays voisin qui établit un contre-dossier. Il faut alors un arbitrage. Nous vous enverrons la liste des projets d'extension du plateau continental.

Notre actualité, le Président de la République l'a rappelée, c'est Saint-Pierre-et-Miquelon. La France fera une demande d'extension. Le Canada a fait la même demande. Il y aura donc un sujet diplomatique entre nos deux pays.

Par ailleurs, l'extension de la ZEE française représenterait 1 500 000 km2 supplémentaires. Il faut savoir qu'en faire...

Vous m'interrogez sur la sécurisation et la souveraineté des espaces maritimes. En France, la situation est compliquée car plusieurs administrations sont chargées de la police en mer. La France se caractérise par une mosaïque administrative : la gendarmerie, la police, les affaires maritimes, les douanes, la marine nationale. Toutes ces administrations concourent à des degrés divers à l'action de l'État en mer. À défaut d'autorité garde-côtes, une fonction garde-côtes a été créée en 2009 pour faire travailler ensemble ces divers services. Compte tenu de la tradition française, nous n'avons pas entrepris de les fusionner dans une seule administration. Nous avons mis en place une mutualisation des moyens, défini des pratiques similaires, créé un logo commun, le tout avec un exécutif commun qui est le comité directeur de la fonction garde-côte que je préside. Ce comité se réunit plusieurs fois par an avec le chef d'État-major de la marine, la directrice générale des affaires maritimes, et la directrice générale des douanes.

En tant que président du comité directeur, je n'ai pas de pouvoir budgétaire. Chaque administration est maîtresse de ses moyens - c'est l'esprit de la LOLF -, a ses propres objectifs et ses propres contraintes. Nous constatons qu'en période de contrainte budgétaire, nous avons plutôt du mal à renouveler les moyens et à les moderniser. Par ailleurs, le Livre blanc ne concerne que les moyens de la défense nationale ; il ne concerne pas ceux des Douanes.

Face à cela, nous avons des besoins immenses pour assurer notre souveraineté et l'application du droit dans notre ZEE. Toutefois, nous essayons d'avancer. Nous avons préparé le format global de la fonction garde-côtes qui est un genre de schéma directeur des moyens et fait en sorte que les capacités dont nous avons besoin soient présentes. Vous dire qu'à un instant « T », on y arrive toujours serait inexact. Mais les P400 vont être remplacés ; en Guyane, où l'on a d'énormes problèmes de contrôle des pêches, il y aura une barge remonte-filets supplémentaire ; dans l'Océan indien, le dispositif conventionnel du patrouilleur des affaires maritimes Osiris, exploité selon un partenariat public-privé, vient d'être renouvelé pour trois ans.

Le CIMER a décidé d'acquérir trois B2M qui sont des bâtiments multi-missions robustes, disposant d'une plate-forme pour l'accueil des hélicoptères, susceptibles d'assurer le contrôle des pêches, le secours aux populations et la logistique. L'un est destiné à la Polynésie, l'autre à la Nouvelle-Calédonie, le troisième aux Antilles. Une tranche conditionnelle d'un bâtiment supplémentaire est prévue.

Il est possible de réaliser des efforts de productivité. Il y a aussi des moyens aériens, notamment ceux de la Douane qui est en train de les renouveler dans leur quasi-totalité. Il est par ailleurs possible de faire appel à la sécurité civile, l'armée de terre ou de l'air dans le cadre de la mutualisation.

Nous disposons d'une vaste ZEE, la deuxième du monde. Elle crée des droits, des atouts, mais aussi des vulnérabilités. Nous devons être présents face à des États de plus en plus actifs. Au large de l'Afrique, dans la zone du canal du Mozambique, la Chine et l'Inde sont de plus en plus présentes.

Volontairement, je n'ai pas abordé le problème de la piraterie qui n'est pas le sujet de notre réunion.

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