Intervention de Gérard Grignon

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 4 février 2014 : 1ère réunion
Thématique : la zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux — Audition de M. Gérard Grignon président de la délégation à l'outre-mer du conseil économique social et environnemental

Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental :

La Délégation à l'outre-mer du Sénat travaille actuellement sur le thème des zones économiques exclusives (ZEE), sujet majeur car, vous le savez, le chiffre d'affaires des activités maritimes s'élève à 1 500 milliards d'euros, ce qui en fait le deuxième secteur économique mondial après l'agroalimentaire. Or, la mer c'est l'outre-mer ! C'est en effet par ses territoires ultramarins que la France occupe le deuxième espace maritime au monde. On a pris l'habitude de reprocher à l'outre-mer d'être complètement dépendant de l'hexagone, alors qu'il peut apporter beaucoup, notamment grâce sa ZEE prolongée par les extensions de son plateau continental prévues par l'article 76 de la convention de Montego Bay.

Le rapport et l'avis du CESE traitent exclusivement de l'espace constitué par le sol et le sous-sol marin au-delà des 200 milles de la ZEE, et dont la colonne d'eau surjacente est située dans la Zone, espace maritime géré par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) au bénéfice de la communauté internationale. Ce plateau continental étendu peut aller jusqu'à 350 milles des côtes.

Grâce aux territoires ultramarins, présents sur quatre océans, la France a la possibilité d'acquérir des droits souverains sur les ressources du sol et du sous-sol marins de près de deux millions de km2 supplémentaires, soit quatre fois la superficie du territoire national, outre-mer compris, venant s'ajouter aux 11 millions de km2 de la ZEE.

La convention de Montego Bay de 1982, qualifiée de véritable constitution des océans ratifiée par 165 États - dont l'Union européenne - dispose en effet en son article 76 que les pays côtiers peuvent étendre leur juridiction sur le plateau continental plus loin que les 200 milles lorsque le rebord externe de leur marge continentale s'étend au-delà. Les demandes d'extension sont étudiées par la commission des limites du plateau continental (CLPC), instance scientifique composée de 21 spécialistes de géophysique, d'hydrographie et de géologie, élus par les États parties à la convention. Il revient à l'État côtier d'apporter les preuves scientifiques justifiant des limites extérieures de son plateau continental étendu. La CLPC est opérationnelle depuis 2000 ; les dossiers qu'elle examine ne sont pas politiques mais uniquement scientifiques. Les pays côtiers disposaient de dix ans après la date de ratification de la convention de Montego Bay pour déposer leur demande d'extension.

L'Australie, qui possède la troisième superficie maritime au monde, a déjà déposé toutes ses demandes et obtenu de la CLPC des recommandations favorables à une augmentation de son plateau continental de 2 500 000 km². Les estimations du Service hydrographique et de la marine (SHOM) et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) portent à 2 millions de km2 supplémentaires les extensions possibles pour la France dans le cadre de l'article 76 de la convention dont 97 % grâce aux territoires ultramarins. L'extension du plateau continental de l'hexagone se limite en effet au golfe de Gascogne, soit 80 000 km² que nous avons obtenus lors du dépôt d'un dossier commun avec le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande, mais qui ne sont pas encore répartis.

Les enjeux de l'extension du plateau continental au-delà des 200 milles marins sont importants puisqu'ils portent sur :

- l'affirmation de la juridiction française sur l'espace du plateau continental et de ses droits souverains sur ses ressources naturelles ;

- la connaissance et la préservation de ses ressources et de l'environnement marin dans le cadre d'un développement durable ;

- la mise en valeur de l'espace du plateau continental étendu et des ressources qu'il renferme au bénéfice des collectivités ultramarines et des populations ;

- et sur le renforcement du rôle géostratégique de notre pays et de l'Union européenne dans le monde.

La France a ratifié la convention de Montego Bay en 1996 ; elle avait donc jusqu'en 2006 pour déposer tous ses dossiers, cette échéance ayant été reportée à mai 2009 par la CLPC. Pour ce faire, notre pays a mis en place le programme dit d'extension raisonnée du plateau continental (EXTRAPLAC).

Quel est le bilan du programme dix ans après son lancement ? Cinq demandes (relatives au Golfe de Gascogne, à la Guyane, à la Nouvelle-Calédonie pour une partie seulement, aux Antilles, et à Kerguelen) ont été déposées et ont fait l'objet de recommandations de la CLPC. Quatre demandes (concernant l'Archipel de Crozet, La Réunion, les îles Saint-Paul et Amsterdam ainsi que Wallis-et-Futuna) sont en attente d'examen devant la commission, celle de Wallis-et-Futuna n'ayant été déposée qu'en décembre 2012. Les demandes portant sur Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie sont à déposer à la suite des informations préliminaires adressées à la CLPC en mai 2009. Une information préliminaire sur Clipperton a été déposée puis retirée deux jours après et le dossier de Terre Adélie fait l'objet de réserves de droits de dépôt pour l'avenir. Enfin, six dossiers n'ont pas été déposés : ils concernent Saint-Barthélemy, Saint-Martin, les îles Glorieuses, Juan de Nova, Bassas de India, Europa et Mayotte.

Au final, la souveraineté sur les ressources naturelles de 600 000 km² supplémentaires environ a été à ce jour obtenue. Les auditions que nous avons menées nous ont conduits à dresser un bilan mitigé d'EXTRAPLAC. Le CESE estime ainsi que le budget du programme était insuffisant pour atteindre les objectifs fixés par les Comités interministériels à la mer (CIMER) successifs, ces derniers ne s'étant pas réunis une seule fois entre 2003 et 2009, période de l'exécution du programme...

L'objectif initial était de déposer l'ensemble des dossiers avant le 13 mai 2009, de disposer d'une connaissance des ressources (hydrocarbures, sulfures hydrothermaux, encroûtements cobaltifères, terres rares etc.) du sol et du sous-sol marins du plateau continental étendu, de coordonner les actions des différents ministères concernés et de publier les limites extérieures du plateau continental étendu dans le cadre des recommandations de la CLPC. Or, aucune de ces limites n'a été publiée à ce jour. À quoi bon obtenir des droits souverains sur 600 000 km2 supplémentaires ou sur 2 millions de km2 demain si nous n'en faisons rien ?

Pour atteindre les objectifs fixés par les différents CIMER et permettre à la France de mettre en oeuvre une véritable politique maritime, le CESE préconise, d'une part, de finaliser le programme EXTRAPLAC et, d'autre part, d'adopter une attitude exemplaire de la France face à ce nouvel espace maritime.

La finalisation du programme EXTRAPLAC suppose :

- que son financement soit assuré. L'enveloppe globale d'une vingtaine de millions d'euros engagée par la France nous est apparue faible comparée aux 100 millions d'euros engagés par le Canada et aux 40 millions d'euros du Danemark ;

- de déposer auprès de la CLPC les demandes relatives à Saint-Pierre-et-Miquelon et à la Polynésie Française, cette dernière représentant la moitié de l'extension de plateau continental susceptible d'être demandée. Je ne reviendrai pas sur Clipperton où la souveraineté française et contestée par le Mexique, ni sur la contestation des îles Matthew et Hunter par le Vanuatu qui a conduit à déposer le dossier relatif à la Nouvelle-Calédonie en deux parties ;

- de publier, au fur et à mesure et dans les meilleurs délais, les limites sur la base de recommandations émises par la CLPC afin de les rendre opposables aux pays tiers. Cela permet par exemple de sécuriser les compagnies pétrolières au large de la Guyane, région pour laquelle nous avons obtenu une recommandation de la CLPC en 2009 et où rien n'a encore été publié... La publication des limites n'a pas été budgétée alors que pour la plupart des régions elle nécessite la conclusion ou la finalisation d'accords de délimitation avec les pays voisins ;

- de conforter les moyens budgétaires et humains de la CLPC - sujet évoqué lors du CIMER de 2013. Notre délégation estime inconcevable qu'un pays doive attendre quinze ou vingt ans avant de voir son dossier examiné, comme ce sera le cas des dernières demandes déposées par la France. N'avoir pas été en mesure de déposer nos dossiers avant mai 2009 a fait prendre à la France un retard considérable pour les dossiers qui ont fait l'objet de demandes préliminaires. Par exemple, si le dossier de Saint-Pierre-et-Miquelon était déposé, il ne serait pas étudié avant 2030 compte tenu du rythme de travail de la CLPC. Quant au dossier polynésien, je doute qu'il soit déposé en 2014 comme cela était prévu car aucune étude n'est faite pour prolonger celles menées aux Marquises ; il ne le sera peut-être qu'en 2015. Or, le Canada qui vient de déposer son dossier est déjà en soixante-dixième position sur la liste des demandes adressées à la commission et cette dernière n'examine actuellement - me semble-t-il - que les dossiers du dix-huitième au vingt-et-unième pays demandeurs... Le dossier canadien ne sera donc pas traité avant 2026.

Au-delà de la finalisation du programme EXTRAPLAC, le CESE a formulé des préconisations relatives à la politique maritime de la France qui intéressent aussi la gestion de la zone économique exclusive.

Nous recommandons d'engager un programme national, pluridisciplinaire et ambitieux portant sur la connaissance, l'identification et la quantification des ressources du sol et du sous-sol du plateau continental étendu. En effet presque rien n'a été fait sauf aux Marquises très récemment, à Wallis-et-Futuna et dans le cadre du programme EXTRAPLAC auquel, du fait du manque de moyens, se sont associés des organismes comme TECHNIP ou l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles. Il n'y a pas eu de programme national d'identification des ressources du plateau continental étendu ni, a fortiori, de la zone économique exclusive.

Enfin, nous recommandons également de mettre en place, en lien avec le « programme mer », un programme de recherche scientifique marine avec pour objectif la connaissance des écosystèmes et des milieux marins car, en touchant au milieu marin, en particulier en eaux profondes, on risque d'occasionner des perturbations considérables. Il faut concilier connaissance des ressources et connaissance des écosystèmes et des habitats marins. Ces programmes ambitieux coûtent de l'argent et nous considérons que l'Union européenne et le secteur privé doivent y être associés.

Si la connaissance de la vie en milieu marin est un préalable incontournable aux activités d'exploration et d'exploitation des ressources, le devoir de notre pays est aussi d'être exemplaire dans l'encadrement juridique de ces dernières. C'est d'autant plus indispensable que notre code minier - dont la réforme est un véritable serpent de mer - est désuet ; il doit être adapté à la situation spécifique des espaces maritimes. Je rappelle qu'en 1993, mesdames et messieurs les parlementaires avez voté la fin de la fiscalité sur l'exploitation des hydrocarbures offshore. On a purement et simplement supprimé la ligne du code minier établissant cette fiscalité. Aussi, en qualité de député de Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité qui a la maîtrise de sa fiscalité, j'ai, lors de l'examen de la loi de finances pour 1997, fait adopter un amendement instituant une redevance sur les exploitations d'hydrocarbures au large des côtes dont le taux et l'assiette étaient fixés par le conseil général (par le conseil territorial aujourd'hui). Cette disposition est le seul cas d'espèce dans la République française, sous réserve de l'amendement voté à l'initiative de votre collègue M. Georges Patient, sénateur de la Guyane, prévoyant une redevance d'un maximum de 12 % sur la production d'hydrocarbures offshore. Mais quel en sera exactement le taux ? Qu'entend-on par production ? Cet amendement est-il toujours valable dans le cadre de la réforme du code minier proposé par M. Thierry Tuot ?

Ayant eu des entretiens avec différents responsables locaux, nous avons aussi constaté que, la plupart du temps, les élus des territoires ultramarins ont été tenus à l'écart du programme EXTRAPLAC. À Wallis-et-Futuna, ils n'avaient même pas été prévenus de la venue du bateau de l'IFREMER pourtant chargé de recherches d'une importance toute particulière. Lorsqu'ils ont voulu en savoir plus et visiter ce bateau, les services de l'État leur auraient même fait quelques difficultés. Nous recommandons donc que les exécutifs des différentes collectivités ultramarines soient étroitement et constamment impliqués dans les décisions et opérations qui touchent à la politique de la mer et que les acteurs de la société civile y soient associés.

De la même façon, il conviendra de prendre les dispositions permettant à nos territoires ultramarins d'accéder à des ressources nouvelles et à la création des activités économiques susceptibles de compenser leurs handicaps structurels. En tant que de besoin, des dispositions législatives et réglementaires relatives aux compétences des collectivités ultramarines devront être adaptées en ce sens et effectivement appliquées.

Les travaux que vous menez sont complémentaires des nôtres. Il faut que tout cela débouche sur une sensibilisation réelle des grands élus et des responsables nationaux quant à la nécessité de mener une politique digne du pays qui dispose du deuxième espace maritime du monde.

Considérant la nécessité d'une approche écosystémique, concertée et collaborative des questions maritimes, leur forte dimension interministérielle et l'éclatement des crédits budgétaires qui leur sont consacrés, nous préconisons que la politique de la mer soit pilotée par un haut-commissaire ayant rang de ministre placé sous l'autorité directe du Premier ministre et s'appuyant sur une administration étoffée dirigée par le secrétaire général à la mer.

Voici résumé l'essentiel du rapport du CESE dont vous avez tous été destinataires.

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